vendredi 14 août 2020

La crise économique et ses portes de sortie

  

Le gouvernement est en train de préparer les Français à de douloureux changement de pied. Depuis le début de la crise économique, depuis donc le début du confinement, il a fait face à la situation en mettant en œuvre une série de mesures :

- d’abord la prise en charge par l’Etat de la mise en chômage partiel, ça concerne aujourd’hui entre 8 et 10 millions de personne. Cette prise en charge permet à la fois aux salariés de continuer à percevoir un revenu, sans plomber un peu plus les entreprises qui sont par la force des choses en difficulté ;

- ensuite avec les facilités de crédit et de report des échéances pour ces mêmes entreprises pour éviter els faillites de celles qui se trouvent à court de trésorerie.

Tout cela coûte très cher et on prévoit que la dette publique en France comme ailleurs va exploser. Pour la France on parle d’une dette publique qui serait autour de 150% du PIB. Un chiffre qu’on n’a plus vu depuis la Libération. On nous a prévenu : cette dette, il faudra la rembourser, donc, avec le MEDEF Le Maire nous dit qu’il va falloir travailler plus pour rembourser. Mais il vient d’avancer qu’il fallait s’attendre à des faillites massives et donc à une explosion du chômage. Arguant qu’il n’est pas normal que l’Etat paye, il annonce que d’ici à la fin du mois le chômage partiel va être bien moins indemnisé[1]. Mais il semble que Bruno Le Maire qui est né à Neuilly et qui a fait l’ENA n’ait absolument rien appris en économie, et notamment de la gestion des crises du passé. Il est vrai que pour les libéraux une crise ne peut pas advenir autrement que par accident. Mais si la pandémie est  si meurtrière aussi sur le plan économique, c’est parce que le système est très fragile.

Que l’origine de la crise économique dans laquelle nous allons patauger dans les mois qui viennent, soit cette fois une crise sanitaire ne change rien à l’affaire. Lorsqu’une économie s’effondre, elle ne repart jamais du côté de l’offre, mais toujours du côté de la demande. La grande crise des années trente a procuré deux leçons :

– quand le marché n’est plus capable de créer des emplois et que la production recule fortement, seul l’Etat a la légitimité nécessaire pour relancer la machine. En 1932 quand Roosevelt arrive au pouvoir, il commence d’abord par nationaliser le crédit, affolant les économistes massivement hostiles à ce type d’intervention ;

– ensuite cette crise a montré – mais Le Maire et Macron ne le savent pas – que la notion de chômeur volontaire n’a pas de sens.

Aujourd’hui nous voyons Bruno Le Maire nous dire à mots couverts qu’il faut diminuer les allocations chômage pour encourager les chômeurs à retrouver de l’emploi. Mais l’imbécilité de ce propos saute aux yeux puisqu’en même temps Bruno Le Maire, dont l’épouse se nomme Pauline Dousseau de Bazignan ma chère, nous dit que de très nombreuses entreprises vont faire faillite. Inciter les chômeurs – ces fainéants – à retrouver de l’emploi quand les entreprises ferment, ça s’appelle de l’imbécilité. Avant la crise du coronavirus, il y avait 6 millions de chômeurs pour environ 250 000 offres d’emplois émanant des entreprises. Après la crise il va y avoir au moins 10 millions de chômeurs pour un nombre d’offres d’emploi qu’on doit revoir à la baisse. Les charrettes sont prêtes : le secteur bancaire nous dit qu’ils vont mettra à la porte des milliers d’emplois, ils annoncent un objectif d’une baisse globale des coûts d’un milliard d’euros par an. Renault veut fermer Renault à Flins. Les compagnies d’aviation vont puissamment dégraisser, malgré les aides de l’Etat.

Tenter de faire croire qu’en réduisant les allocations chômage on poussera les gens à retrouver un emploi est une erreur élémentaire de raisonnement puisqu’en effet la crise entretient la crise. Si le pouvoir d’achat des ménages se contracte, alors de nouvelles entreprises ferment, ou alors elles dégraissent encore. C’est ce qu’avait compris déjà Malthus en 1814 ! Et c’est ce qu’avait formalisé Keynes à travers cette notion de chômage involontaire.

  

Une des raisons de la fragilité des économies dites modernes, c’est qu’elles sont toutes dans une relation d’indépendance. Certains ont commencé à la comprendre et ils parlent de sanctuariser un certain nombre de secteurs de façon à se tenir à l’abri. La France est engluée dans la monnaie unique depuis 2002. Cette situation a engendré un chômage structurel qui est d’abord le résultat d’un déficit commercial récurrent. Officiellement le déficit commercial est de 73 milliards, évidemment ce déficit correspond à une exportation de travail chez nos voisins, notamment vers l’Allemagne. Si on considère qu’un emploi représente un coût 45 000 € en moyenne, toutes charges comprises, alors notre déficit commercial en 2019 correspond à environ 1,6 millions de personnes : chaque exercice annuel de déficit commercial équivaut à une perte d’emplois. Cette situation devient difficile à maitriser dès lors qu’une crise monétaire ou sanitaire commence à rompre les continuités territoriales entre les différentes économies du monde. Par la force des choses dès qu’une économie ralentit en un point du monde, les autres vont souffrir parce qu’elles sont dépendantes. C’est le cas des pays producteurs de pétrole qui vivent presqu’exclusivement sur la vente à l’étranger de leur matière première. On a vu il y a quelques semaines le prix du pétrole devenir négatif[2]. Dans ce cas-là les économies qui vivent de cette rente de situation sont ruinées. La baisse du cours du pétrole est par exemple à l’origine de la crise du pouvoir au Venezuela. A l’évidence qui veut conserver sa souveraineté économique doit absolument équilibrer son commerce international. Ce qui signifie deux choses : d’abord qu’on ne doit pas importer ce qu’on est capable de produire nous-mêmes, mais en outre utiliser les moyens des taxes et des quotas pour limiter les importations.

  

Les économies émergentes ont été particulièrement touchées par la baisse du prix des matières premières, le Brésil, mais aussi la Russie, c’est la conséquence de la division internationale du travail. Quand le prix du baril du pétrole grimpe, le Venezuela a trouvé des moyens pour améliorer le sort des plus pauvres en investissant dans l’éducation et la santé par exemple. Mais dès que le prix du baril a chuté, le chômage s’est répandu et les difficultés se sont accumulées, laissant le Venezuela à la merci d’un coup d’Etat fomenté par les Etats-Unis, toujours prompts à vouloir intervenir dans ce qu’ils considèrent comme leur arrière-cour. Les pays émergent se sont laissés aller à ne pas utiliser la manne de la hausse des prix des matières premières pour transformer leurs économies, pour les rendre moins dépendantes du reste du monde : c’est ce qu’on appelle le syndrome hollandais. Les pays qui ont réussi leur émancipation, ce sont les pays asiatiques qui ont construit leur économie en partant du faible coût de la main d’œuvre, pour ensuite investir leurs excédents commerciaux dans la restructuration de leur système productif, je pense au Japon, à la Corée du Sud, à Taïwan. La Chine est restée pour l’instant à mi-chemin de ce processus. 

Vous me direz que tout cela n’a rien à voir avec la crise du COVID-19. Rien n’est plus faux. Nous voyons que les pays qui s’en sont le mieux sorti sur le plan sanitaire sont soit les pays qui ont le tissu industriel le plus diversifié, donc ceux qui ont le plus d’autonomie, soit les pays qui possèdent des excédents importants grâce à leur commerce international. Le très bon score de l’Allemagne dans la gestion du COVD-19 vient d’abord du fait que ses excédents commerciaux qu’elle a réalisés grâce à la mise en place de la monnaie unique sur le compte de ses voisins, lui a permis d’échapper à l’austérité de l’hôpital public, contrairement à l’Italie, pays sur lequel la Commission européenne fait depuis des années peser ses oukases pour qu’elle sabre dans les dépenses de services publics et donc celles de l’hôpital. En Europe les pays les plus fragilisés sont ceux qui ont mis en œuvre des réformes drastiques de l’hôpital, c’est le cas de la France, de l’Espagne, mais aussi de la Suède qui s’est convertie brutalement au néo-libéralisme, détruisant rapidement ce qui faisait de ce pays un Etat-social avancé, cité souvent en exemple dans le monde mais qui aujourd’hui a obtenu un des pires résultats en matière de gestion de la crise du COVID-19. Coup sur coup, le modèle suédois qui s’est converti au pas de charge au libéralisme échevelé a subi des revers terribles, que ce soit en matière d’immigration, ou que ce soit en matière de lutte contre la pandémie. On ne détruit pas l’Etat national sans en payer le prix.

  

Même cette bourrique de Macron a commencé à changer de discours et à avancer que tout de même une partie de notre production – celle qui est liée à la santé – devrait être préservée et relocalisée sur le sol national. Même s’il est probable que cela ne sera pas suivi d’effets, c’est l’aveu les lois du marché sont bien incapable d’assurer la pérennité de la nation. On a vu avec la comédie des masques des nations soi-disant riches pleurer pour avoir des masques, parfois allant même jusqu’à les détourner ! Le virage souverainiste de Macron devrait faire sourire tout commentateur séruex, il inscrit une nouvelle forme de protectionnisme seulement dans le cadre européen, c’est-à-dire dans le cadre d’une zone de libre-échange[3]. Ça n’a pas de sens pour au moins deux raisons, parce qu’une partie des pays de l’Union européenne ne veulent pas d’un destin commun, on l’a vu avec les crispations engendrées par les propositions du plan de relance Merkel-Macron, mais aussi parce que l’Union européenne ne représente pas un peuple ! « Notre priorité, a dit Macron, est de produire davantage en France »[4]. Mais cela ne se décrète pas, ça se construit en sortant des règles du libre-échange, donc en sortant des règles de l’OMC comme des traités européens. Favoriser les entreprises françaises contreviendrait en effet aux règles de « la concurrence libre et non faussée », règles écrites par les multinationales et mises en musique par la bureaucratie corrompue de Bruxelles. Nous sommes dans une situation schizophrène : d’un côté on interdit les nationalisations au nom de l’efficacité du marché et des vertus de la concurrence, mais de l’autre on autorise les Etats à donner de l’argent pour sauver des entreprises en faillite selon ces mêmes lois du marché. C’est ce qu’on avait fait avec les banques en 2008, c’est ce qu’on fait aujourd’hui avec les secteurs de l’automobile et de l’aviation.

  

Le discours sur la souveraineté a été repris par Manuel Valls dimanche 24 mai 2020 dans un entretien sur BFMTV, ce dernier cherche manifestement un travail et il est prêt à tout pour l’obtenir. « Il faut soutenir les entreprises, avoir plus de souveraineté dans les domaines de l’alimentaire et des médicaments, sauver les industries [...], reconstruire une partie de notre administration, réfléchir au domaine de la santé, avec toujours une priorité à l'écologie et à la transition énergétique » ajoutant « Ce qui me paraît essentiel c’est de renverser la table et qu’on redéfinisse le cadre pas seulement pour la majorité actuelle mais pour le pays. Si on ne le fait pas, c’est qu’on n’a pas compris ce qu’il vient de se passer et la tempête qui peut tout emporter ». On se demande bien pourquoi ce grand défenseur du libre-échange et de l’Europe n’y avait pas pensé avant, du temps qu’il était premier ministre. De son temps il y avait bien déjà des discours souverainistes qui dénonçaient la dépendance dans laquelle s’enfonçait la France du point de vue industriel. Contrairement à une idée mercantiliste en cours outre-Rhin, la dépendance n’est pas que le seul fait des pays qui ont un fort déficit commercial. Par exemple l’Allemagne qui a construit grâce à la monnaie unique un excédent commercial colossal, est dépendante pour la survie de son économie des marchés extérieurs, notamment celui de l’automobile qui est par la force des choses en fort déclin[5]. Dès que l’économie mondiale ralentit les pays à forts excédents commerciaux comme la Chine ou l’Allemagne se trouvent en grande difficulté. Mais les désagréments de la dépendance des économies nationales dus aux soubresauts de la conjoncture sont la conséquence « naturelle » d’un modèle économique fondé sur la croissance et le profit. Dans sa volonté de conquête des marchés extérieurs, l’Allemagne a sabordé au moins partiellement ses services publics, sauf le système hospitalier.

  

Si on voit assez bien la nécessité d’une plus large autonomie des économies nationales, on ne sait pas trop comment faire. On peut suivre plusieurs règles simples en la matière. L’Etat va mettre beaucoup d’argent pour sauver des entreprises françaises. En échange il peut exiger de prendre des participations, ce qui lui donnerait le loisir de réorienter le système productif dans les intérêts de la nation et non plus dans le seul intérêt des actionnaires. C’est exactement l’inverse de ce que fait depuis 2014 Macron qui rêve au contraire de désengager l’Etat de l’économie. Mais cette idée néolibérale vient de faire la preuve qu’elle est totalement erronée puisque sans le soutien de l’Etat, Renault pour 5 milliards[6], Air France pour 7 milliards €[7] et des boutiques de moindre importance disparaîtraient purement et simplement. Si on accepte les règles de l’économie de marché, alors il faut accepter ses conséquences et laisser couler les entreprises en faillite, faisant confiance au marché pour régénérer le tissu productif selon les principes de destruction-créatrice. Si on demande l’aide de l’Etat celui-ci doit exiger au nom des Français des contreparties. Bruno Le Maire a précisé que non, il ne demanderait pas à Renault de renoncer à fermer des sites sur notre territoire[8]. Renault a annoncé ensuite que malgré les aides de l’Etat l’entreprise allait licencier 4600 personnes, confirmant nos prévisions sur la déferlante du chômage qui va arriver[9]. On comprend que l’idée de souveraineté chez les macroniens n’est qu’un mot très vague, rien de sérieux. C’est à peine un peu de communication parce que l’idée est à la mode et populaire. Autrement dit pour Renault, mais on suppose que pour les autres grosses entreprises ce sera la même chose, il n’est pas question que l’Etat ait des exigences, c’est juste une vache à lait pour éponger les pertes, les profits, ce sera pour les actionnaires, comme d’habitude. Cette chanson est le traditionnel « socialisation des pertes et privatisation des profits » comme fondement du capitalisme et prouve une fois de plus que l’économie de marché contrairement à ce que font semblant de croire quelques économistes à moitié idiots n’a jamais pu exister sans l’Etat. Quand les libéraux avancent que l’Etat freinent le marché et en entrave les bienfaits, ils ne savent pas ce qu’ils disent. Non seulement l’Etat assure la production des biens collectifs nécessaires au fonctionnement du marché, mais en outre il est là lorsque le marché défaille périodiquement. L’enjeu est en fait de savoir qui détient le pouvoir étatique. Généralement c’est le capital, sauf quand celui-ci s’effondre comme cela a été le cas en 1930, à ce moment là le travail a pu faire valoir ses droits. C’est ce qui a donné après la guerre les Trente Glorieuses.

On note que lors de chaque crise grave depuis au moins la fin des guerres napoléoniennes, aucun Etat national ne s’est risqué à une stratégie qui consisterait à abandonner l’économie aux lois du marché, non pas par doctrine, mais surtout pour les conséquences sociales et politiques que cela entrainerait. Il va de soi que si les entreprises demandent des aides, l’Etat doit se poser des questions, au nom de quel intérêt les aiderait-il ? Par exemple l’Union des Aéroport, organisme qui soutient la pollution des avions et donc par suite qui facilite la pollution par le tourisme réclame également des aides[10]. Refuser de les aider, c’est participer à la réorientation nécessaire du système économique dans son ensemble. L’aide doit être conditionnée à l’effort que l’entreprise fera pour améliorer son bilan carbone par exemple : mais pour l’aviation, on sait que c’est une impossibilité. Même chose pour l’agriculture, si au nom de l’indépendance économique il est bon de soutenir l’agriculture nationale, il faut conditionner ces aides à au moins deux critères :

- un critère de qualité, donc il n’est pas choquant de soutenir la reconversion des terres agricoles en bio, une agriculture qui crée aussi des emplois contrairement à l’agriculture industrielle qui en détruit[11] ;

- un critère de prix, empêcher que les prix des produits de qualité dérapent pour éviter que les inégalités se creusent toujours plus entre ceux qui ont les moyens et ceux qui ne les ont pas.

Dans une interview à Reporterre[12], Nicolas Girod avance qu’il faudrait doubler le nombre de paysans pour obtenir une alimentation saine, de qualité, pour tous. C’est un avis que je ne peux que partager. Cette proposition signifie beaucoup de choses : d’abord que nous nous sommes égarés et donc que nous devons revenir en arrière en refusant la division internationale du travail, ensuite qu’en accroissant le nombre de paysans – je ne parle pas des entrepreneurs qui traficotent dans l’agriculture – cela modifiera forcément la culture au sens le plus large, puisque la culture se pense depuis des décennies à partir de la ville et non de la campagne. Également, cette proposition redonnerait une valeur au travail puisqu’un « vrai » paysan retire des satisfactions personnelles de son activité, bien au-delà de la rémunération monétaire.

  

Evidemment on retombe sur un sérieux problème, c’est que les aides de l’Etat vont tomber rapidement sur les traités européens, car l’intervention de la puissance publique va à l’encontre de la sacro-sainte « concurrence libre et non faussée » qui est la seule et unique règle de l’Union européenne. On va certainement voir des grands groupes mener la guerre à un Etat qui serait trop contraignant vie des procédures auprès des tribunaux arbitraux. Une véritable politique économique souveraine demande qu’au préalable on s’affranchisse de l’OMC et des traités européens. Beaucoup commencent à y penser. Il va de soi qu’il faut abandonner l’euro, idée qui commence à être populaire aux Pays Bas[13]. Nation qui a pourtant profité de la monnaie unique, mais également qui avait massivement voté non au référendum sur le TCE en 2005.



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