samedi 30 janvier 2021

Manifestations dans toute la France, samedi 30 janvier 2021, pour les libertés

  

Paris le 30 janvier 2021 

Les manifestations du samedi ont repris en petite foulée, en fait elles n’avaient jamais arrêté. La manifestation de ce samedi ne portait pas que contre les violences policières ou contre l’ignoble loi Sécurité Globale, plus généralement elle s’élargissait à l’ensemble des mesures prises par le gouvernement Castex à, propos de la gestion de la crise sanitaire. Certes on ne va pas dire que l’épidémie n’existe pas, et qu’elle est inventée de toute pièces pour soumettre le peuple à la dictature du petit locataire de l’Elysée. On ne va pas faire du complotisme, mais il est évident pour tout le monde que Macron et Castex se servent de se prétexte pour restreindre toujours un peu plus les libertés. Il est vrai qu’ils ne savent pas trop ce qu’ils doivent faire, vacciner ou pas, confiner ou non. La seule chose qu’ils connaissent c’est la répression, et les policiers qui se comportent de plus en plus comme des miliciens de bas étage, sont tellement exaspéré d’être ce qu’ils sont qu’ils n’ont même pas l’idée de se rebeller, de se dire simplement que certains ordres sont inapplicables. En quelque sorte, ils perdent leur métier en perdant toute mesure dans l’usage de la force. 

Rouen le 30 janvier 2021 

Il n’y avait pas vraiment beaucoup de monde, mais enfin les défilés n’étaient pas ridicules si on tient compte qu’ils étaient disséminés dans toute la France, sauf curieusement dans le Sud. On a remarqué que le public était plus diversifié que les autres samedis, moins dominé si on veut par les gauchistes. Bien sûr il y avait encore les Gilets jaunes. Ce qui est une bonne chose, sauf pour Macron bien entendu, puisque cela veut dire que le ras-le-bol s’étend. Cette diversification se remarquait aussi dans l’âge des manifestants, ils étaient cette fois moins jeunes, plus ordinaires. Ce n’est pas encore le pendant des manifestations qui ont éclaté un peu partout, aux Pays Bas, au Danemark, contre les mesures de restriction prises au prétexte de la pandémie. Mais c’est un début de rébellion. Beaucoup se sont donné rendez-vous pour rouvrir leurs boutiques, leur bar, leur restaurant ou leur théâtre le 1er février. Déjà le 27 janvier un restaurateur niçois a bravé l’interdit. Il a rencontré beaucoup de succès et la préfète venue bouffonner dans son établissement dut repartir comme elle était venue sous les huées du public très nombreux pour le coup[1]. 

Nice le 27 janvier, Christophe Wilson brave l’interdit 

C’est une déclaration de guerre et si Christophe Wilson risque de lourdes sanctions, il se pourrait bien qu’il fasse des émules rapidement. Au-delà des singularités et certainement des divergentes entre tous ces révoltés contre Macron et sa bande, il y a justement que beaucoup vont être contents de se retrouver dans une solidarité d’intention. C’est ce qui a de plus dangereux pour le pouvoir. On voit donc que samedi 30 janvier, les manifestations dépassaient le simple cadre d’une critique un peu abstraite de l’Etat policier pour dénoncer une impossibilité de vivre socialement. La dernière intervention de Castex à la télévision le 29 janvier montrait une grave incertitude et sans doute une peur manifeste de susciter une révolte plus forte encore que d’ordinaire[2]. Son intervention qui suait la peur était pitoyable, non seulement on n’a rien compris à ces nouvelles restrictions, mais il a mis tout le monde en colère. 

Orléans le 30 janvier 2021 

Cette situation très particulière explique que finalement le nombre des manifestants était moins important que le fait qu’il y ait eu des rassemblements dans toute la France. C’était une manière de dire son dégout à la face du pouvoir, mais également de se donner de l’exercice et une occasion de se retrouver, de recréer le lien. Certes son peut dire que ce rituel hebdomadaire qui dure depuis deux ans et demi maintenant n’empêche pas le pouvoir d’agir à sa guise. Mais je ne le crois pas car c’est un apprentissage de la lutte et de la coordination des luttes qui restent décentralisées et sans affiliation précise. Ces manifestations prouvent que les manifestants ont compris qu’il fallait user de beaucoup de patience pour user le pouvoir. Ces manifestations troublent l’opinion publique et prépare le terrain à ce que cela s’aggrave avec le temps. Ce ne sont pas d’ailleurs seulement des manifestations anti-confinement qu’il faut attendre. Mais les conséquences de ce qui se passera lorsque l’Etat cessera de dépenser pour soutenir les entreprises et l’emploi. Déjà on a entendu Roux de Bézieux, le patron des patrons dénoncer le gouvernement en disant deux choses : d’une part qu’il fallait apprendre à vivre avec la pandémie, et d’autre part qu’on ne pouvait pas continuer à payer des gens à ne rien faire[3]. « Le gouvernement s’est planté », a-t-il dit, pour s’adresser à Macron qui pourtant a fait son possible pour être la courroie de transmission des exigences du patronat. Mais passer d’une économie sous perfusion, sans fabriquer de l’inflation est extrêmement périlleux. Et par les temps qui courent on voit mal Macron continuer ses ignobles « réformes » rétrogrades sans mettre le feu au pays. 

Digne le 30 janvier 2021 

Dès que le confinement sera terminé, et qu’on reviendra à des formes « normales’ d’indemnisation du chômage ça va crier dans les chaumières. A Valence, un homme a tiré et tué des salariés de Pôle Emploi[4]. Les employés de cette boutique en ont profité pour expliquer à quel point les relations avec les chômeurs étaient de plus en plus tendues. Et comme les réformes des allocations-chômage créent et créeront de plus en plus de laissés-pour-compte, on peut s’attendre aussi à des émeutes de ce côté-là quand le chômage explosera à la fin février ou au mois de mars. C’est juste une question de temps. Le gouvernement est très faiblement prévoyant en matière de mouvements sociaux, Macron croient simplement que les accès de fièvre se refroidissent par la force des choses. Mais les Gilets jaunes ont déjà montré à la fin de 2018 qu’il pourrait bien être renversé à l’issue d’un mouvement populaire impossible à canaliser à l’aide des partis dits de gouvernement et des syndicats. 

Bordeaux le 30 janvier 2021 

Mais dans l’ensemble les manifestations de samedi étaient plutôt festives et bon enfant. Sauf en fin de manifestation où on a vu des policiers fébriles cogner sur un peu tout le monde, gazer, à Paris, Lille ou encore Rennes, justifiant ex-post les manifestants qui dénoncent la restriction des libertés depuis des mois. Macron joue un jeu dangereux, il devrait se souvenir de la déconfiture de Trump, son homologue étatsunien, ce dernier en voulant à toute force apparaître comme un homme d’ordre a fini par symboliser le chaos et le désordre. Il se pourrait que cela se passe de la même manière pour lui en 2022. Les derniers sondages sont très mauvais pour lui qui donnent Marine Le Pen au coude à coude à un ana et demi des élections. Cette fois les électeurs de gauche ne sont pas disposés à le sauver du désastre[5].

 

 

Rennes



[1] https://www.leparisien.fr/societe/liberte-un-restaurateur-nicois-brave-l-interdiction-d-ouverture-27-01-2021-8421623.php

[2] https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/covid-19-ce-qu-il-faut-retenir-des-nouvelles-restrictions-annoncees-par-jean-castex_4276783.html

[3] https://www.lepoint.fr/economie/roux-de-bezieux-il-va-falloir-apprendre-a-vivre-avec-une-forme-de-pandemie-30-01-2021-2411883_28.php

[4] https://www.20minutes.fr/societe/2964219-20210128-apres-mort-conseillere-valence-pole-emploi-fermera-agences-vendredi

[5] https://www.nouvelobs.com/election-presidentielle-2022/20210127.OBS39456/un-sondage-donne-macron-et-le-pen-au-coude-a-coude-au-second-tour-en-2022.html

mercredi 27 janvier 2021

Anselm Jappe, Béton, L’échappée, 2021

 

Je me suis souvent demandé pourquoi la modernité était finalement si laide et si inhumaine au point de transformer les villes en des cloaques inhabitables. Anselm Jappe a la réponse : c’est le béton et le béton armé plus précisément. Cette matière a pour particularité de permettre le développement de n’importe quelle forme architecturale, et est portée presque naturellement vers la laideur. Jappe remarque après bien d’autres bien sûr que c’est seulement dans les cités modernes réservées aux pauvres que ceux-ci développent un goût certain pour la destruction de leur habitat. Ces cités au fond sont des boîtes où on range le soir venu avec plus ou moins de bonheur ceux qui ne sont rien et qui sont à l’écart de tout. Quand l’hurluberlu Macron parle de ceux qui ne sont rien, il dit exactement « Une gare, c'est un lieu où on croise des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien »[1]. Ce n’est pas un hasard s’il parle d’une gare, car la gare c’est bien le lieu de triage par essence, là où on va disperser les populations notamment pour les déporter ? Dans sa naïveté imbécile il dévoile le projet architectural capitaliste : accélérer la circulation et orienter les populations vers leurs lieux de résidence. Evidemment Jappe s’en prend ouvertement à Le Corbusier comme penseur et tête de file du courant fonctionnaliste qui abolit les différences et aplanit la nature pour le bonheur capitaliste et le règne d’un ordre aseptisé où la nature et ses soubresauts n’ont pas leur place. Il insiste d’ailleurs sur le fait que Le Corbusier, contempteur de la ligne courbe, amoureux de la ligne droite, était aussi un pétainiste et porté vers une forme totalitaire de la vie sociale qui se révèle dans l’architecture. La Cité Radieuse de Marseille fut nommée par les Marseillais eux-mêmes La maison du fada. Ce qui voulait dire à tout le moins que pour beaucoup cet immeuble ne correspondait pas à un mode de vie souhaitable. Cependant pour être juste, les « progressistes » adoraient vivre dans ce genre d’immeuble. Jusque dans les années 1980 c’était tout de même assez chic que d’y habiter. J’avais un copain de lycée au début des années soixante qui habitait là avec ses parents, et il était très fier de me présenter ces structures en étage qui superposaient les chambres aux pièces à vivre. L’étroitesse des lieux était compensée il faut bien dire par un bon ensoleillement. Dans les années soixante-dix, j’avais un copain, chercheur au CNRS, très radical, tendance situ, qui trouvait ça très class que de logeait dans cet endroit cafardeux. Il y a ainsi une question d’époque : lorsque la société, l’économie, sont dynamique, il est de bon d’accompagner la transformation spatiale. Les situationnistes – un peu moins Debord évidemment – ont marché là-dedans, avec le projet de New Babylon, projet qui plait encore beaucoup aux architectes avant-gardistes. Jappe souligne d’ailleurs que les propositions de Constant finalement rejoignent la logique de Le Corbusier, en l’inversant, et toujours avec cette étrange idée de soumettre la nature et de faire table rase du passé. C’est très important de le souligner, Jappe ne le fait pas assez à mon sens, parce que cela veut dire qu’une certaine classe moyenne, éduquée, était tout à fait gagnée aux idées « progressistes » de Le Corbusier. Aujourd’hui ce soutien s’est bien amenuisé, et les bétonneurs n’ont pas le vent en poupe. C’est une vraie interrogation que l’adhésion d’une partie du public à ses idées biscornues parce qu’en même temps Jappe nous dit que cette maladie de construire des choses laides et de nous annoncer que c’est là la nouvelle beauté de l’époque, était regardée avec une grande méfiance par les plus pauvres. Il faudrait cependant introduire une nuance importante. Quand à Marseille on a détruit des tours pour cause d’obsolescence programmée, ceux qui y avaient vécu avaient la larme à l’œil car on leur arrachait aussi un partie de leur passé. Ce qui est tout de même frappant, c’est que justement ces constructions comme l’a montré l’effondrement du pont de Gênes sont peut-être moderne, mais cette modernité s’use très vite non seulement parce que l’esthétique qu’elle supporte vieillit très mal, mais aussi parce que les matériaux qui sont utilisés sont bien plus soumis à l’obsolescence que les techniques traditionnelles : le béton armé rouille ! 

La Cité Radieuse, Marseille 

On a vu assez souvent ces dernières décennies des cités entières soumises à la destruction volontaire, non pas de la part de ses propres habitants, mais de la part des autorités. Pourquoi ? Essentiellement parce que le coût de rénovation de ces grands ensembles est très élevé, trop élevé. C’est assez terrible parce qu’on a développé ces types de construction – que Jappe qualifie de totalitaires, voire de fascistes – pour faire des économies dans les coûts de production des logements. Mais finalement il a fallu les détruire, et il a fallu dépenser à nouveau pour reconstruire, toujours avec les mêmes normes de production. Et donc au bout du compte l’utilisation des techniques soi-disant très économes se révèle finalement très onéreuses. Le paradoxe n’est qu’apparent car tout le capitalisme fonctionne comme ça. C’est au nom de la volonté de nourrir tout le monde qu’on empoisonne ce même monde. Ou encore on pourrait dire que l’automobile est sensée rendre les gens plus mobiles, mais leur nombre trop important les rend encore moins mobiles, coincés qu’ils sont dans leur véhicule. Les formes modernes de l’habitat qui se disent fonctionnelles sont d’ailleurs pensées en fonction du zonage et de la circulation. Anselm Jappe rappelle fort à propos que Le Corbusier qui n’avait presque que des idées lugubres, voulaient espacer les carrefours afin que les véhicules n’aient pas à ralentir, car cela les userait. 

Une tour détruite à Marseille à cause de son obsolescence, il s’agit de l’immeuble B dans la résidence des Cyprès, le quartier où j’allais au collège

Donc on a pris l’habitude depuis la seconde moitié du XXème siècle de détruire les habitations qu’on avait produites. Mais n’est-ce pas l’essence de la pensée de le Corbusier à qui on prêtait l’idée de raser Paris pour la reconstruire à l’américaine, c’est-à-dire sans rues tordues qui ne vont nulle part, avec des avenues rectilignes – toujours cette maniaquerie de la ligne droite – et qui se coupent à angle droit pour distribuer l’espace dans un zonage productiviste. Ça intéresse les bétonneurs de faire du passé une table rase, dans la lignée du baron Haussmann. C’est une manière non seulement de négationnisme, mais aussi une façon de contrôler et de nier l’existence des individus en dehors de leur fonction.  Ces fonctions sont déclinées en trois composantes principales, le travail, la consommation et le repos. 

Le pont de Gênes qui s’effondra le 14 août 2018 

Jappe s’oriente vers trois conclusions « théoriques ». La première et la plus visible est que le béton permet d’uniformiser le monde, de le repeindre en gris, et donc d’une certaine manière d’unifier le marché à l’échelle de la planète. C’est d’autant plus vrai que le béton sert aussi à construire des routes, des ports et des aéroports. C’est une rupture d’avec l’histoire puisqu’avant le capitalisme de type industriel on utilisait des matériaux naturels qui exprimaient l’identité d’une région, d’un pays, on utilisait le matériel local. Le second point est qu’au prétexte de produire beaucoup et pour pas cher pous satisfaire une demande toujours plus importante, on construit des logements et des bâtiments qui ne sont pas durables, des logeemnts qu’il faut périodiquement raser et ensuite reconstruire. C’est nouveau cette idée de faire entrer le logement dans les produits à obsolescence programmée. Ceci est non seulement ruineux pour l’environnement et pour l’économie, mais justifie une activité laborieuse dont on pourrait très bien se passer ou qu’on pourrait à tout le moins réduire. La troisième conclusion est que le béton justifie les architectes et le triomphe des experts en logement. Jappe fera une longue digression sur le fait que non seulement l’artisanat disparait, mais la profession d’architecte sert évidemment à accroitre la distance entre le travail manuel et le travail intellectuel qui est le fondement même du capitalisme comme l’avait démontré Adam Smith, sauf que lui c’était pour s’en féliciter[2]. 

Un immeuble s'est renversé à Shanghai, façade contre terre le 27 Juin 2009

Si le pont de Gênes et son effondrement ont marqués les esprits, apparaissant comme quelque chose d’incongru, en vérité la liste est très longue des catastrophes du béton. C’est presqu’avec régularité que ce type d’ « accident » arrive en Chine, car non seulement le pays construit frénétiquement pour accueillir les nouveaux arrivants depuis les campagnes dans les villes et leurs industries, mais le bâtiment est comme le rappelle Jappe un des éléments moteur de l’économie chinoise, avec évidemment toutes les magouilles habituelles des constructions immobilières. Cette situation a amené d’ailleurs l’économie chinoise dans une crise de crédit assez incontrôlée qui est masquée par le fait que les exportations chinoises restent très dynamiques, notamment aux Etats-Unis où les rodomontades de Trump n’ont pas changé grand-chose à la situation déficitaire des Etats-Unis. Ce point n’est pas très étudié, mais la déconfiture du secteur immobilier chinois[3] pourrait annoncer une crise économique très grave dans ce pays et accélérer l’effondrement du capitalisme mondial déjà fortement touché par les crises financières et sanitaires récurrentes. 

Chine. Quatre immeubles s'effondrent, faisant 22 morts, octobre 2016

Si on adhère facilement à la thèse développée par Jappe, selon laquelle le béton est la technique adéquate au développement capitaliste, il faut tout de même souligner un certain nombre d’interrogations. La première est la question démographique. L’usage du maléfique béton a été justifié par la nécessité de loger pour pas cher des masses d’individus et donc de les sortir des taudis. Que cette logique soit un prétexte ou non, cela ne change pas grand-chose. Cette nécessité a été alimentée par deux éléments le premier est la poussée démographique résultant de l’amélioration relative des conditions de vie à la surface de la planète, et le second est la concentration urbaine. Bien entendu les excès de la concentration urbaine sont aussi le résultat du développement du capitalisme industriel. Et ces excès exigent la verticalité, puisque l’espace occupé au sol devient relativement plus faible par rapport aux habitants. On remarque évidemment que la mondialisation dans la recherche du moindre coût et de l’accélération de la division du travail détruit les espaces ruraux et facilite la concentration des populations, avec les problèmes que les migrations internationales peuvent engendrer, mais aussi les problèmes que la raréfaction du travail crée du fait par exemple de la robotisation ou des délocalisations. Jappe défend l’idée selon laquelle on pourrait trouver des alternatives au béton en revenant vers des formes plus artisanales, ce qu’on ne peut qu’approuver. Cependant seraient-elles suffisantes pour satisfaire les besoins de logement, même dans le cas d’une sortie du capitalisme ? Certes on peut comprendre également que la poussée capitaliste et l’urbanisation croissante du monde sont le résultat d’un mode de production particulier, mais rien ne dit que cela serait suffisant. Le discours de Jappe aboutit, ce n’est pas une découverte, à une critique de la technique, critique qu’on trouve maintenant dans la mouvance post-situationniste et qui prolonge les dernières réflexions sur le sujet de Guy Debord qui, après la dissolution de l’IS, s’est séparé du discours techniciste qui animait les premières années de l’IS et qui justifiait les formes architecturales développées par Constant comme l’idée de ne travailler jamais. Autrement dit le développement et le renouvellement des technologies utilisées ont été enfantées par un processus de dépossession du travail humain par le capitalisme industriel. La technique n’est jamais neutre elle répond dans sa mise en œuvre aux exigences de ses bailleurs de fonds[4]. 

 

Parmi les remarques fort justes que Jappe développe, il y a de nombreux passages sur la laideur de l’immobilier moderne. Cette laideur est voulue et pensée – voir le brutalisme – elle résulte d’une négation de la nature comme du négation du décorum. Mais en même temps elle contribue à l’abaissement des sens et de la sensibilité. C’est la contrepartie du contrôle social que permettent les nouvelles formes d’architecture. Le petit chapitre sur Faut-il pendre les architectes est tout à fait significatif. On peut aller plus loin en développant l’idée que la production de logements, le tracé des voies de communication, est aussi une manière insidieuse d’éducation du peuple, on lui apprend aussi bien à aimer le gris qu’à aimer la ligne droite ! Dans l’urbanisation moderne, on propose de replacer la nature au-dessus du bâti. C’était aussi ce que proposait Constant. Mais cette inversion est significative d’une volonté de renversement qui saisit l’homme aux écus. C’est en quelque sorte un négationnisme qui accompagne l’enfermement des être humains dans des cages de béton. Cette image a très souvent été évoquée à propos des bâtiments honteusement modernes, on parlait de cages à poules par exemple. Mais cet enfermement est aussi bien le résultat d’un contrôle social que d’une dépossession de soi. 

Avoir pour objectif la laideur pratique 

L’ouvrage est donc très intéressant, et je dirais indispensable à une critique raisonnée de la modernité. On peut cependant regretter une écriture très relâchée, notamment dans les derniers chapitres qui paraissent avoir été ajoutés à la hâte. Jappe évoque William Morris, utopiste très mineur, à grands coups de citations, mais ne dit rien de Charles Fourier dont pourtant le phalanstère se voulait une alternative à la concentration urbaine capitaliste. De même il ne cite pas Patrick Geddes dont les principes architecturaux visaient à faire participer le peuple à la production de la ville, mais également à l’inscrire dans un cadre naturel[5]. C’est un auteur d’autant plus intéressant qu’il tentait de se tenir à l’écart du capitalisme industriel et du planisme de type soviétique. Jappe est également trop souvent, dans son écriture, encombré de ses citations et de sa bibliographie qui est en effet très riche. A la raideur un peu germanique du style, s’ajoute un effet de catalogue : vous saurez tout sur les techniques du béton ! Plus fondamentalement il ne dit rien de cette nouvelle profession qui s’est emparée de notre quotidien depuis quelques décennies et qu’on appelle les aménageurs urbains. S’ils sont le complément des architectes dans leur désir de mal faire, ils s’appliquent tout autant qu’eux à utiliser le béton pour empêcher la vie sociale de s’écouler. Ils dressent des obstacles incessants, contredisant le soi-disant idéal de fluidité porté par le développement maintenant ancien de l’automobile. Ils introduisent une contradiction intéressante tout autant qu’explosive à terme. Car les aménageurs urbains non seulement reproduisent à l’identique les mêmes centres-villes dans le monde entier en les coupant de leurs centres historiques, mais ils détruisent une forme ancestrale de commerces de proximité. On voit de plus en plus de très « beaux » centres-villes, piétonniers, qui aboutissent à un vide immense. Ce mouvement qui s’est déployé d’abord dans les villes moyennes engluées dans une crise économique sans fin, gagne maintenant des villes comme Paris. La crise sanitaire accélérant encore un peu plus cette destruction. Notez que l’ouvrage porte pour sous-titre arme de construction massive du capitalisme, mais il aurait pu tout autant utiliser celui-ci arme de destruction massive du capitalisme, tant ces formes urbaines nous paraissent aller à l’encontre de la vie. 

Phalanstère dessiné par Henry Fugère



[1] https://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/2017/07/02/25001-20170702ARTFIG00098-emmanuel-macron-evoque-les-gens-qui-ne-sont-rien-et-suscite-les-critiques.php

[2] An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations, 1776, Book 1, first chapter. 

[3] https://www.capital.fr/immobilier/les-mesures-de-la-chine-face-a-la-crise-dopent-limmobilier-1382766

[4] Jurgen Habermas, La Technique et la science comme « idéologie » [1968], Gallimard, 1978.

[5] Patrick Geddes, Cities in Evolution; An Introduction to the Town Planning Movement and to the Study of Civics [1915], General Books, 2010.

 

samedi 23 janvier 2021

L’Europe et l’euro dans les présidentielles à venir et le débat sur la souveraineté de la France

  

Les élections de 2022 s’annoncent extrêmement compliquées. Par les temps qui courent, une abstention massive est annoncée. Certes d’ici au mois de mai 2022, il peut se passer bien des choses. Les dernières élections américaines ont vu une mobilisation massive des électeurs. Mais en France on est plutôt désabusés. Bien évidemment deux éléments peuvent jouer pour une réélection de Macron, même s’il est détesté ou plutôt haï par une très large majorité des Français. D’abord le trop grand nombre de candidats et qui peut faire apparaître Macron comme l’élément le plus stable, et ensuite l’absence d’originalité dans les programmes présentés. Les uns prônant une union de la gauche dépassée et débordée, les autres un retour à l’orthodoxie monétaire et budgétaire, avec une absence de solutions sérieuses pour les problèmes de la dette, du chômage et de l’environnement, problèmes qui vont s’aggraver dans les mois à venir. Tant qu’il y a la pandémie, et les problèmes liés à la crise sanitaire, Macron est paradoxalement protégé parce que personne n’a de solution directe et immédiatement compréhensive pour faire mieux que lui. 

Les politiciens, le nez dans le guidon des prochaines échéances, oublient rapidement ce qui était évident il y a seulement quelques mois. Ils semblent même avoir oublié que le Royaume Uni est finalement sorti de l’Union européenne. Plusieurs candidats se présentent sous l’étiquette du « souverainisme », même si leur candidature n’est pas encore définitive. A gauche il y d’abord Mélenchon. Il est parti le plus tôt en suposant qu’en occupant l’espace il forcerait les autres candidats de gauche à s’aligner sur lui. On voit que ce n’est pas le cas, Hidalgo, le Parti communiste avec Fabien Roussel ou encore Montebourg se disent qu’ils peuvent y aller pour peu qu’ils trouvent une manière de se distinguer. Pour Hidalgo on ne voit pas très bien comment elle pourra sortir de son image de gauche bobo. Fabien Roussel qui jouera la survie politique du PCF risque d’avoir un programme similaire à celui de Mélenchon. La position de ce dernier était déjà embrouillée en 2017, une sorte de valse-hésitation entre je négocie ou je sors, on verra. En vérité on a vu avec le Brexit comme avec Tsípras qu’il ne faut jamais négocier avec la canaille de Bruxelles : il faut sortir de l’Union européenne et ensuite discuter. Mais le pire n’est pas là, il se trouve dans le fait de savoir si on garde la monnaie unique ou non. 

Petit rappel 

Dans une étude qui avait fait grand bruit il y a deux ans et dont les résultats n’ont pas été démentis, deux économistes membres du très orthodoxe CEP avaient démontré qu’entre 1999 et 2017, l’euro n’avait pas profité à tout le monde, mais essentiellement à l’Allemagne et aux Pays-Bas pour lesquels elle semblait faite. Tandis que l’Allemagne s’enrichissait, la France et les pays du sud de l’Europe s’appauvrissaient[1]. Autrement dit la monnaie unique permettait un transfert de valeur sans compensation entre les pays du sud de l’Europe et ceux du nord. Contrairement à ce que les européistes avaient prédit, il n’y a pas eu de convergence à l’intérieur de la zone euro, mais bien divergence. Ce résultat était assez prévisible d’ailleurs car les lois du marché appliquées sans défense pour les plus faibles sont meurtrières[2]. On a beau invoquées les sacro-saintes réformes de structure, celles-ci ne suffisent jamais à satisfaire un rattrapage de compétitivité une fois les parts de marchés acquises par les plus forts.

  

Dans un article récent, j’avais parlé du pillage de la France par l’Allemagne grâce à l’euro[3]. La raison essentielle est que la France ne peut pas dévaluer sa monnaie parce qu’elle n’en a pas la maitrise, mais qu’au contraire c’est l’Allemagne qui l’a fait en 2000 pour gagner des parts de marché sur ses concurrents européens. Le piège de l’euro s’est refermé sur notre économie et a accéléré la désindustrialisation de la France et partant la perte d’emplois. Comme je l’ai dit, grâce à l’euro, nous exportons nos emplois en Allemagne, 20 000 par an tout de même. En quelque sorte il s’agit d’un équivalent du STO de sinistre mémoire. Il suffirait d’ailleurs de sortir de l’euro pour revenir à l’équilibre de la balance commerciale et recréer ainsi entre 1,5 millions et 2 millions d’emplois Cette question est bien connue des économistes comme Joseph Stiglitz, prix Nobel 2001[4], ou Jacques Sapir[5]. Les problèmes posés par la monnaie unique existent encore, et ils ne disparaitront pas comme cela. Au fur et à mesure que le temps passe, l’Allemagne engrange des excédents, et la France accumule des déficits commerciaux. Comme nous l’apprenaient les vieux classiques, il y a une seule manière de rétablir l’équilibre commercial : la dévaluation. Cette dévaluation peut se faire vers l’extérieur en modifiant le cours de la monnaie, soit de manière interne à abaissant radicalement les salaires et le coût du travail avec tout ce que cela implique de misère, de délabrement de la couverture sociale et de chômage structurel. 

Evolution du solde commercial de la France et de l’Allemagne 

Sortie de l’euro et de l’Europe 

Il est essentiel de rappeler ce débat parce qu’aucun des candidats potentiels de gauche ou de droite ne l’évoque plus. Or évoquer la souveraineté d’une manière abstraite sans préciser comment on la recouvrera, c’est se payer de mots. Le tournant européiste du Rassemblement national est bien résumé par Jordan Bardella sur RTL. « Nous étions pour un referendum sur la sortie de l’Union européenne. Maintenant le contexte européen a significativement évolué. Et vous savez je crois qu’on ne fait pas de la politique dans son bureau, ni dans le rétroviseur. Il faut prendre en compte aussi ce que nous ont dit les Français dans le cadre de la dernière élection présidentielle et notamment sur la question monétaire. » L’eurodéputé qui fait semblant d’écouter ses électeurs, déclarait en effet sur France 5 le 18 décembre « La question de l’euro en tout cas ne m’apparait pas principale aujourd’hui. Je pense qu’il faut conserver l’euro en l’état et améliorer ce qui ne fonctionne pas ». J’emprunte cette citation au Blog de Mélenchon, qu’au moins il me serve à quelque chose[6]. On remarque qu’il renvoie à plus tard l’examen de ce qui ne fonctionne pas, or c’ets fondamentalement que l’euro ne fonctionne pas, ou plutôt qu’il fonctionne au profit de l’Allemagne et au détriment de la France. la rigidité des taux de change imposée à des nations qui ont des systèmes de production divergents est tout simplement rédhibitoire et monstrueuse. On en peut d’autant pas faire l’impasse sur ce carcan qu’on a la prétention d’être souverainiste.

Le Rassemblement national qui sous l’impulsion de Florian Philippot avait construit une critique radicale de l’Union européenne et de l’euro, avait justifié ainsi dans cette sortie sa logique anti-immigrationniste. Il marchait sur deux jambes. Mais aujourd’hui voilà cette boutique qui s’est amputée volontairement de cette possibilité de sortie. Pourquoi cela ? Tout simplement parce que Marine Le Pen et son entourage sont des opportunistes qui pensent que relancer le chantier de la sortie de l’Union européenne serait contre-productif sur le plan électoral. Mais c’est exactement le contraire. Être contre l’immigration de masse tout en restant dans l’Union européenne n’a pas de sens. En effet cela reviendrait à vouloir une adhésion à l’Union européenne à la carte et donc à se battre pendant des mois et des années contre les traités. C’est évidemment la faille du Rassemblement national et ce qui probablement l’empêchera de gagner les élections. C’est d’ailleurs sur ces tergiversations monétaires que Salvini a également perdu de son prestige en Italie. Les mêmes causes produisent les mêmes effets, mais les politiciens mettent du temps à le comprendre parce qu’ils ont peur.   

 

Sur le plan économique c’est la même chose. On va discuter, comme si les électeurs étaient idiots au point de ne pas comprendre la nécessité de la sortie. C’est le fameux plan A et B de Mélenchon, et c’est un peu de cette manière que Montebourg semble vouloir aborder la question. Il faut être clair, soit la monnaie unique est mauvaise pour la France, pour son économie et pour sa souveraineté, soit elle est bonne. Mais il me semble, et je ne suis pas le seul à le dire, que la monnaie unique est mauvaise fondamentalement et donc si elle est mauvaise alors on doit s’en débarrasser, ne pas le dire relève soit de l’ignorance, soit de l’escroquerie intellectuelle. Pendant des années à cause de la crise des subprimes et puis à cause de la crise de la Grèce en 2015, on a férocement critiqué l’euro. Et donc tout soudain, cette critique n’aurait plus de sens ? Mais soit elle était juste en 2011 et 2015, soit elle était fausse. Et si elle était juste alors il n’y a pas de raison de vouloir conserver cette monnaie. Faire l’impasse sur cette nécessité, c’est avouer qu’on s’est trompé sans le dire, ou avouer qu’on n’a pas le courage d’affronter les conséquences et les difficultés de la sortie. La France Insoumise a changé radicalement sur ce point, comme l’a démontré l’insipide campagne électorale de Manon Aubry qui se réclamait plus volontiers du néolibéral Jacques Delors que du plan B dont on n’entend plus parler. La déroute de la France Insoumise à ces élections européennes prouve que cet opportunisme électoral ne produit rien de bon, même à cours terme. L’idée était de laisser croire, comme pour le RN d’ailleurs, que la position de Mélenchon en 2017 sur la possibilité d’une sortie avait été fatal à ce qu’il se retrouvasse au second tour de l’élection présidentielle. Peut-être pense-t-il même que s’il met la pédale douce sur cette question il apparaîtra comme plus sérieux. 

La propagande européiste 

Malgré les errements idéologiques des souverainistes déclarés, les européistes ont peur qu’on rouvre le débat sur la dette, la monnaie unique et l’appartenance à l’Union européenne. Ils ont beau faire les malins, la sortie du Royaume-Uni leur a miné le moral[7]. Devant ce danger le secrétaire d’Etat aux affaires européennes, l’obscur Clément Beaune, a avancé qu’il faut « renforcer les mécanismes qui conduisent nos chaînes publiques à parler davantage d’Europe (…) Cherchons tous les moyens possibles de contrainte ou de pression pour arriver à cela ». L’idée serait de rémunérer plus les directeurs des chaînes de la télévision publique, de les récompenser, s’ils parlent en bien de l’Union européenne[8]. Cette volonté bureraucratique appelle deux remarques. Tout d’abord si on a besoin de vanter les mérites de l’Europe et de ses bienfaits, c’est qu’au fond ceux-ci ne sont pas vraiment apparents aux yeux de tous. Un sondage assez récent montrait que seulement 29% des Français – soit le socle macronien – pensaient que l’Union européenne était une source d’espoir et 62% considéraient à l’inverse de Macron que le Brexit avait affaibli durablement l’Union européenne[9]. L’image de l’Europe est encore plus dégradée auprès des jeunes Français. Il va de soi que si on considère les jeunes comme représentatifs des tendances politiques à venir ce n’est guère encourageant pour l’Europe dont ils ne semblent guère partager le modèle libéral. Les européistes ne croient pas tellement en eux d’ailleurs, car sinon ils n’auraient pas besoin de faire de la propagande pour leur modèle, les résultats économiques, sociaux et politiques seraient tellement évidents qu’on n’aurait pas besoin de les discuter. Mais ce n’est pas le cas, c’est même l’inverse. Alors ils inventent quelque chose qui ne tient pas debout, l’histoire de la pédagogie, que si on expliquait mieux les choses aux analphabètes que nous sommes, que si on présentait mieux les belles réalisations de l’Union européenne, alors tout serait bien différent. Autrement dit ce n’est pas parce que les résultats sont mauvais que les gens se méfient de l’Union européenne, mais c’est parce qu’ils ne comprennent pas le sens de la réforme. En vérité c’est parce qu’ils comprennent trop bien. Mais la propagande a pour but de semer le doute, de laisser croire en le répétant ad nauseum que de sortir de l’euro et de l’Union européenne serait pire que le mal. Et que les difficultés actuelles ne tiennent pas  au fonctionnement même de l’Union européenne et de l’euro, mais à des causes externes comme la crise des subprimes, la mauvaise volonté des Français et des Italiens à mettre en œuvre des réformes efficaces ou encore au COVID-19. 

 

Comme on le comprend le contexte actuel est très propice pour poser la question de l’appartenance à la zone euro et à l’Union européenne. L’idée de nation connaît un renouveau bienvenu, soit pour contester les extravagances des revendications des islamistes, soit pour protéger l’économie et un certain modèle social bien mis à mal. Mélenchon est définitivement hors-jeu pour s’être compromis avec les islamistes et s’être séparé de l’aile souverainiste de la FI[10], car la nation ne peut-être défendue en dehors de la défense stricte de la laïcité dont naguère il se faisait le chantre. Dans un ouvrage qui vient de paraître Pascal Ory rappelle fort justement que la nation est une invention de la gauche et une invention française, fille de la Révolution de 1789[11], elle est indissociable de la défense de la laïcité, une autre invention de gauche aux fondements du projet républicain, il y a la souveraineté et la laïcité[12]. Il est donc possible pour se démarquer des politiciens de tout bord qui n’ont pas plus de conscience que ce qu’ils croient être leur propre intérêt lors des prochaines échéances électorales, d’attaquer bille en tête sur la question de l’Europe. Et ce d’autant qu’en 2022 va se poser presque certainement la question de la dette dite du COVID et de son financement. A quoi bon voter pour tel ou tel candidat si c’est pour s’enfermer pour un temps indéfini dans des traités et des règles européens mortifères ou même dans leur contestation. La souveraineté est un thème qui parle aux Français, mais encore faut-il dire ce qu’on fera pour la restaurer. Macron aussi parle de souveraineté, laissant mensongèrement entendre que celle-ci pourrait exister en restant dans l’Union européenne et en usant de la monnaie unique. Mais si on ne veut pas se situer sur le même terrain que lui, une rupture s’impose en appuyant sur des propositions concrètes. Evidemment si on veut sortir de l’Union européenne et de l’euro, il faut s’en donner les moyens, ce qui veut dire : 1. Expliquer clairement pourquoi on veut en sortir, et 2. Dire quel sera précisément le nouveau cadre institutionnel dans lequel s’exercera la souveraineté. Sous ses conditions, on ne peut pas craindre l’issue d’un référendum sur la question.

On peut également aller un peu plus loin et déborder les raisons économiques et expliquer que la sortie de l’Union européenne est une défense contre la destruction programmée de la culture française. L’histoire, la poésie, la littérature ou encore le cinéma sont des choses qui malheureusement se dissolvent facilement dans une communauté sans formes qui renie son passé et donc sa spécificité. La diversité européiste n’étant tolérée aujourd’hui que sous sa forma racialisée et visible à l’œil nu. 

Tactique électorale  

Mélenchon avait dans un premier temps appelé Montebourg à la soutenir. Mais maintenant, comme ce dernier n’a pas accédé à cette requête un peu folle, Mélenchon le critique vivement. Le prétexte de cette critique réside dans l’ouverture de Montebourg vers la droite[13]. Ce dernier soutient que sa candidature visant à restaurer la souveraineté de la France déborde naturellement les clivages entre gauche et droite. C’est évidemment exact puisque si on veut sortir de l’Union européenne et de l’euro, on aura besoin de convaincre un grand nombre de Français. Mais par contre ça a beaucoup moins de sens si on veut rester dans l’Union européenne et qu’on prétend utiliser la monnaie unique. Pour exister on voit que les deux hommes vont utiliser deux tactiques électorales différentes. Mélenchon va tenter de réveiller l’union de la gauche qui pourtant mélangerait forcément des néolibéraux du PS ou d’EELV avec une partie de l’électorat de gauche qui voudrait sortir du cadre européen. Montebourg au contraire sera obligé de développer une approche plus centrée sur l’hostilité des Français envers l’Union européenne. S’il veut exister au-delà de Mélenchon il va donc lui falloir clarifier rapidement sa position et sortir des généralités sur la souveraineté. Si Montebourg répète le programme mélenchonien avec juste un zeste de plus en matière de nucléaire et d’industrie, cela ne renouvellera pas le paysage politique, et ce n’est pas la peine qu’il continue. Mais enfin, nous ne sommes qu’au début de la campagne pour les présidentielles. Nous verrons bien ce qui se passera.



[1] Alessandro Gasparotti and Matthias Kullas, CEP Study 20 Years of the Euro: Winners and Losers, February 2019

[2] Jens Nordvig, The fall of the euro, McGraw Hill, 2013.

[3] https://ingirumimusnocte2.blogspot.com/2020/12/retour-sur-la-question-des-frontieres.html

[4] L'euro : comment la monnaie unique menace l'avenir de l'Europe LLL, 2017.

[5] Faut-il sortir de l’euro ?, Le seuil 2012.

[7] Macron, tel un idiot de village avait avancé que « l’Europe avance et peut regarder vers l’avenir, unie, souveraine et forte », comme si le Brexit était le résultat de son action, alors qu’il a tout fait pour en retarder l’échéance. https://www.ouest-france.fr/europe/grande-bretagne/brexit/brexit-pour-emmanuel-macron-l-unite-et-la-fermete-europeennes-ont-paye-7100020

[9] https://www.francetvinfo.fr/elections/sondages/sondage-l-europe-ne-fait-plus-rever-les-francais-seuls-29-y-voient-une-source-d-espoir_3265559.html

[10] https://ingirumimusnocte2.blogspot.com/2020/10/hadrien-mathoux-melenchon-la-chute.html et https://ingirumimusnocte2.blogspot.com/2020/11/melenchon-presente-sa-candidature-son.html

[11] Qu’est-ce qu’une nation ? Une histoire mondiale, Gallimard, 2021.

[12] Jacques Sapir, Souverianeté, démocratie, laïcité, Michalon, 2016.

[13] https://www.leparisien.fr/politique/le-flirt-entre-jean-luc-melenchon-et-arnaud-montebourg-c-est-deja-fini-21-01-2021-8420402.php

mercredi 20 janvier 2021

Brèves remarques sur l’affaire Navalny

  

Alexeï Navalny entouré de journalistes dans l’avion le ramenant à Moscou 

Alexeï Navalny et son frère vivent depuis des années sur un créneau bien balisé d’opposition à Poutine. Formés aux Etats-Unis, financés par les Américains et les Allemands, ces deux aventuriers sont les chevaux de Troie de la mondialisation à l’allemande. Ils ont des procès nombreux sur le dos, et pas seulement du côté de Poutine. Un des plus spectaculaire porte sur une escroquerie fomentée par les deux frères contre Yves Rocher qui porte sur au moins 400 000 €[1]. C’est d’ailleurs cette plainte d’Yves Rocher qui a justifié, selon les avocats français de Navalny l’arrestation de celui-ci à son arrivée en Russie[2]. Oleg, le frère d’Alexei purge déjà une peine de prison de trois ans et demi pour l’affaire Yves Richer, mais il est aussi poursuivi pour une autre escroquerie, un détournement de fonds versés pour une campagne électorale qu’ils ont utilisés pour leur propre confort. Navalny savait parfaitement qu’en rentrant en Russie il serait arrêté. Alors pourquoi l’a-t-il fait ? Sans doute pense-t-il qu’ayant été victime d’une tentative d’empoisonnement, il bénéficie du statut de martyre et que les Occidentaux se précipiteront pour le défendre. C’est ce qui se passe et c’est ce qui permet de continuer à presser Poutine qui est très ennuyé par cette histoire qui vient s’ajouter aux problèmes qu’il a à l’intérieur de la Russie. Cependant il nous faut attirer l’attention sur plusieurs points :

- d’abord les Occidentaux, de Biden à Macron en passant par Merkel, réclament sa libération à corps et à cris, mais ils ne lèvent pas le petit doigt pour aider Julian Assange à sortir de prison. Autrement dit les Occidentaux défendent la liberté d’expression si elle ennuie Poutine, mais pas si elle gêne les Américains ;

- ensuite, les Allemands, Merkel en tête, se préoccupent plus de Navalny et donc de Poutine que de sanctionner le dictateur Erdogan, car celui-ci est bien leur allié dans la guerre sourde qu’ils mènent contre la Russie pour mettre la main sur la Biélorussie et plus loin si c’est possible sur la Crimée. C’est le vieux syndrome allemand de la conquête vers l’Est. Pour avoir la paix avec le dictateur turc, Merkel évite de regarder le massacre des Arméniens dans le Haut Karabakh ;

- enfin il est probable que cette arrestation soit utilisée pour entraver le développement du gazoduc Nord Stream qui embarrasse maintenant l’Allemagne. Ce gazoduc conçut à l’origine pour contourner la Pologne est contesté par l’Union européenne, puisqu’il livrerait directement le gaz à l’Allemagne et aux Pays-Bas. Et comme d’habitude les Allemands qui ne tiennent aucun compte de ce que fait et dit l’Union européenne y a vu son intérêt économique, mais cela la freine dans sa volonté d’en découdre avec la Russie à propos de la Biélorussie et de la Crimée. 

 

Dans ce contexte compliqué, on ne sait plus qui est la marionnette de l’autre. Car si les frères Navalny sont bien les instruments de la politique occidentale pour affaiblir Poutine, ils manipulent effectivement les Occidentaux pour leurs propres intérêts. Pour le reste, si les Russes sont très critiques à l’égard de Poutine pour sa gestion du COVID-19 et sa gestion de l’économie en général, ils savent pour autant à quoi s’en tenir sur les frères Navalny qui n’ont aucun poids dans politique intérieure russe et qui ont simplement l’image d’aventuriers voire de traitres.



[1] https://www.lefigaro.fr/international/2014/04/24/01003-20140424ARTFIG00340-des-proces-en-cascade-pour-navalny-ennemi-jure-de-poutine.php

[2] https://www.ouest-france.fr/bretagne/morbihan/morbihan-pour-les-avocats-de-navalny-son-arrestation-resulte-de-la-plainte-du-groupe-yves-rocher-7121834

Henri Barbusse, Le feu, journal d’une escouade, Flammarion, 1916

  C’est non seulement l’ouvrage de Barbusse le plus célèbre, mais c’est aussi l’ouvrage le plus célèbre sur la guerre – ou le carnage – de...