Cet ouvrage, contrairement à d’autres ouvrages
anti-macroniens, ne s’attaque pas à la personne, ni à sa position sociologique
au service d’une caste, mais au cœur de sa doctrine, il va donc mettre en
relation le désastre annoncé d’une politique économique avec ses intentions
comme projet de société. En quelque sorte il prend Macron au sérieux, en
montrant que ses idées sont très vieilles, il se référera à Adolphe Thiers pour
la brutalité de sa gestion politique, tandis que moi je me réfère plutôt à
Guizot, mais au fond c’est la même chose, il s’agit de restaurer l’ordre
ancien. On se souvient d’ailleurs que lors de sa campagne présidentielle Macron
avançait qu’en France il manquait un monarque, et qu’il disait s’inspirer de
Margaret Thatcher – autre fantôme politique du passé – pour sa détermination.
On connaît Romaric Godin
depuis qu’il couvrait pour La tribune les turpitudes de la Commission
européenne, et puis il a beaucoup fait ensuite pour éclairer sur les
tractations qui ont abouti à la capitulation de Tsipras et au dépeçage de la
Grèce. Ses analyses ont conduit son journal plutôt favorable au business à
le mettre à la porte. Il est maintenant journaliste à Médiapart. Ses
articles sont le plus souvent documentés et intéressants et d’ailleurs ce sont
eux qui ont nourri son ouvrage. Il tente ici de travailler un peu plus large,
et choisissant La guerre sociale en France comme titre et comme thème,
il va s’essayer de théoriser un peu, ce qui n’est pas toujours facile comme
on va le voir. Il choisit le titre en référence
Marx, La lutte des classes en France et La guerre civile en France. Les deux
ouvrages soulignaient combien en effet la lutte des classes fut
particulièrement féroce dans notre pays, dans la volonté d’imposer un modèle
sans compromis de domination du capital sur le travail, modèle auquel les
masses ne pouvaient pas adhérer. La France est en effet aujourd’hui le cœur du
combat contre le néolibéralisme, parce que c’est un des rares lieux où il reste
encore une protection sociale digne de ce nom. Les autres pays européens ont déjà rendu les
armes. Et bien entendu Macron est représenté comme l’instrument de l’oligarchie
pour liquider enfin le modèle social français issu de la Libération et que le
patronat a toujours conçu comme une aberration. La collusion entre la haute
administration, le monde de la politique et le grand capital n’a jamais été
aussi visible qu’aujourd’hui formant ce qu’il faut bien appeler le bloc
bourgeois dont le programme est de confisquer l’Etat pour son profit. Godin
avance que ce bloc bourgeois, parfaitement soutenu par les économistes de
profession, croit que son intérêt se confond avec l’intérêt général. Comme on
va le voir rien n’est moins sûr : c’est ce qui semble caractériser le
capitalisme d’aujourd’hui un cynisme à toute épreuve soutenu par une cupidité
inédite. Certes la cupidité à toujours été présente dans la démarche des
capitalistes, il suffit de lire L’argent de Zola par exemple, mais la
concentration de la richesse dans les mains d’une poignée n’a jamais été aussi
élevée.
Macron
remerciant ses sponsors qui lui ont permis d’être ce qu’il est
Le premier chapitre traite du
néolibéralisme. Cette appellation est souvent utilisée dans n’importe quel
sens. Il faut la définir. Godin avance qu’il s’agit d’une forme sociale et
économique qui garantit que le marché sera protégé et aidé par l’Etat. Il
présente cette forme théorique comme une avancée, avec l’abandon de l’idée
saugrenue selon laquelle le marché peu s’autoadministrer tout seul. C’est assez
juste. Sauf que Godin aurait peut-être dû un peu plus insister sur le fait que
cette nouvelle forme de relation entre l’Etat et le marché est aussi et avant
tout un formidable transfert de richesses de la collectivité au capital privé.
James Galbraith montrait comment l’oligarchie – entendons ici l’alliance de la
haute fonction publique et du grand capital – organisait le pillage
systématique de l’Etat. Dans la
démarche de Godin, il y a une sorte de présupposé qui ne me convient pas
vraiment : il pense que la classe des très riches avance avec un plan
d’asservissement des populations et donc se pense en tant que telle. Donc que
les économistes, cette profession qui s’est vendue globalement au grand
capital, élabore un plan pour gouverner et qu’ils croient que celui-ci est le
meilleur. C’est faux : les économistes sont payés pour justifier ex-post
ce qui convient aux capitalistes. On pourrait même dire que les économistes ne
croient à un modèle que s’il leur permet de gagner de l’argent avec ! Naomi
Klein dans un ouvrage maintenant un peu ancien rappelait comment les grands
patrons américains avaient financé les universités pour qu’elles développent un
programme qui mettrait en son cœur la célébration des vertus du marché. Les économistes
qui défendent le néolibéralisme ne sont pas des chercheurs, même s’ils pondent
des articles abscons dans des revues académiques, ce sont des propagandistes
qui sont payés et très bien payés d’ailleurs pour justifier la colonisation de
l’Etat par le capital. Ils illustrent par eux-mêmes l’idée un peu stupide selon
laquelle seule la soif d’argent nous guiderait dans nos actions. Mais la
quasi-totalité de la population ne vit pas avec cette idée, même si évidemment elle doit faire en sorte de trouver de quoi subvenir à ses besoins. Et
évidemment dans un monde où tout s’achète et tout se vend, y compris le ventre
des femmes pour bricoler une fausse progéniture, il faut bien en passer par le
marché. Mais rien ne dit que l’action soit guidée par la cupidité naturelle des
êtres humains, en dehors des capitalistes et des économistes !
Le Conseil
national de la Résistance
Le second chapitre
s’intéresse à l’histoire vue sous l’angle de la volonté de construire une
société sur le modèle néolibéral. Godin remonte assez loin. Cette approche
historique est forte et méthodique, et d’ailleurs la France fut un pays qui
donnât de nombreux économistes libéraux bien avant Smith, comme Turgot par
exemple auquel souvent les libertariens se réfèrent aux Etats-Unis pour opposer
la pureté d’une pensée pragmatique aux élucubrations métaphysiques du
philosophe écossais.
On lui reprochera cependant de nombreuses approximations, comme par exemple de
considérer la Révolution de 1789 seulement comme une révolution bourgeoise,
basée sur des principes qui mettent l’Etat au service du capital. Cette
approche me semble erronée pour deux raisons, la première parce que c’est le
petit peuple qui a fait concrètement la Révolution, la bourgeoisie freinant des
quatre fers, voulant éviter la chute de la Royauté, mais surtout parce que la
Révolution de 1789 transforma durablement le pays et donc également la
bourgeoisie. Ce n’est pas un hasard si 1789 et la prise de la Bastille restent
une référence de tous les mouvements révolutionnaires qui sont venus ensuite.
Sans doute Godin était-il pressé par le temps et qu’il ne voulait pas trop
rentrer dans le détail. Il revient ensuite longuement sur les volontés en
France de faire toujours payer un peu plus les travailleurs, par exemple à
travers la référence à Thiers, un autre « théoricien » de la théorie
du ruissellement. Cette évolution historique montre que la période qui va
mettons de 1945 à 1975, qu’on appelle aussi les Trente glorieuses, fut une
parenthèse étrange, en porte à faux avec l’élite autoproclamée de la France, et
non pas le débouché d’un mouvement historique logique de l’évolution inéluctable
du capitalisme comme le croyait Schumpeter. Que ce soit
Godin ou Piketty, ils croient à la permanence d’un modèle inégalitaire à
travers le temps, et non pas à une évolution naturelle vers le mieux, sans
doute est-ce pour cela que leurs solutions de sortie de crise restent
finalement très timides. C’est évidemment le modèle qui a émergé à la
Libération, élaboré par le CNR, que Macron et la canaille capitaliste qui l’a
mis là veulent détruire. Ce modèle était également un compromis entre le
capital et le travail, une sorte de neutralité de l’Etat qui conduisit
d’ailleurs au paritarisme dans la gestion de la protection sociale, mais qui a
conduit à une large nationalisation de l’économie. Godin montre que le modèle
néolibéral en France a dû faire face à une résistance dure de la part des
populations, peut-être un peu plus que de partout ailleurs – encore que la
violence de Ronald Reagan aux Etats-Unis ou celle de Margaret Thatcher au
Royaume Uni atteignit un niveau très élevé.
Notez que très rapidement,
alors que ce modèle enregistre de grands succès en termes de croissance et
d’emplois, la bourgeoisie va l’attaquer frontalement comme une hérésie qui ne
peut pas fonctionner véritablement – c’est le sens des travaux de Milton
Friedman qui veulent démontrer que cette croissance ayant été acquise avec de
l’inflation, elle ne saurait être durable. Il est assez
facile de démontrer que les idées de Friedman ont été invalidées par les
faits : en effet c’est après la fin de l’inflation que le taux de
croissance s’est effondré en Occident. Dans le graphique ci-dessus, on voit
clairement une relation positive entre inflation et croissance. Si ces
idées ont été invalidées par les faits, alors pourquoi continuer à en faire le
guide d’une croissance équilibrée ? La réponse est claire, c’est parce que
la lutte contre l’inflation permet, sous la houlette de l’Etat de transférer de
la valeur du travail vers le capital. Dès 1959 et le rapport Rueff-Armand, les
revanchards du capitalisme voulaient en découdre. Mais jusqu’à une date très
récente ils durent en rabattre. Le démantèlement des acquis du CNR ont commencé
d’ailleurs avec Pompidou qui s’attaqua avec beaucoup de peine en 1967 à la
Sécurité sociale. Mais des grandes manifestations, puis Mai 68, bloquèrent
durablement cette volonté. Mais la canaille du Grand capital remis ensuite
l’affaire sur le métier avec la patience de l’araignée. Chirac s’attela à faire
le job, disant s’inspirer de Reagan et Thatcher, il mis en œuvre le plus vaste
mouvement de privatisations de toute l’histoire. Mais ses réformes du marché du
travail et des retraites le conduisirent dans une impasse. Sarkozy prit la
suite de cette débauche de violences contre les salariés. Cela engendra
d’ailleurs une impopularité très élevée dans le pays, et il fut battu en 2012
par un homme qui prétendait avoir pour ennemi la finance. Celui-ci ayant trompé
ses électeurs sur son véritable programme atteint rapidement des records
d’impopularité, n’arrivant même pas à souder le bloc bourgeois autour de lui. Alors
que son parti, le P « S » tenait tout les leviers du pouvoir,
cette trahison va le détruire complètement. Pire encore, Hollande amena avec
lui dans ses bagages un homme déterminé à soumettre enfin la France et les
Français aux exigences du capital. Notez que cet homme à moitié fou est devenu
plus qu’impopulaire. Banquier de profession, il est détesté par les trois quart
des Français qui rêvent de le voir s’en aller.
Le troisième chapitre
intitulé Genèse du macronisme prend pour point de départ l’arrivée de
Sarkozy au pouvoir et la mise en place de ce qu’on a appelé la Commission Attali. Le sens de cette commission est le suivant : la marche vers le
néolibéralisme n’est pas assez rapide, « il faut libérer la
croissance », autrement dit tout donner au capital et tout prendre au
travail. Le rapport que cette commission formée de semi-débiles est
édifiant : tous les freins à la croissance doivent être enlevés, avec des
mesures plus stupides les unes que les autres. Attali idiot en chef de cette
assemblée suggère qu’il n’y a pas assez d’hypermarchés par exemple, ou encore
qu’il faut en finir avec le principe de précaution – idée que ne renierait pas
Trump par exemple. La première recommandation tombera d’elle-même, parce que
l’ère de grandes surfaces est passée, notamment à cause de la transformation
des modes de consommation – ce qui prouve à quel point cette commission était
archaïque et vivait sur les idées du XIXème siècle qui étaient déjà
mauvaises en ce temps-là. Le principe de précaution est effectivement détruit
par Macron lorsqu’il devient président avec les conséquences qu’on sait par
exemple avec Lubrizol, mais il y a eu ces derniers temps une multiplication
inquiétante des accidents industriels consécutivement à cet allègement des
contraintes.
A l’ère de la révolte contre le réchauffement climatique comme conséquence du
capitalisme dérégulé, cette dernière lubie sonne comme le tocsin d’une pensée
franchement inadaptée. On pourrait dire d’ailleurs que l’archaïsme de ces gens
se remarque au fait qu’ils n’arrêtent pas de se revendiquer du
« progressisme », comme pour se convaincre eux-mêmes qu’ils ne sont
pas les dernières vomissures du Vieux Monde. Macron justement était
co-rapporteur de cette mission saugrenue. Dans cette
commission il y a deux idées : d’abord celle selon laquelle si en France
les réformes ne marchent pas, c’est parce qu’on ne les fait pas en bloc, mais en
suivant une politique de petits pas, le gradualisme, ensuite qu’en
détruisant « les rigidités » que ce soit sur la marché du travail ou
autre, on doit renforcer le pouvoir du capital sur le travail. Puisqu’en effet
si on croit – ou si on fait semblant de croire – à la théorie de l’offre comme
panacée universelle, on doit tout faire pour le capital. D’où bien sûr des
mesure de transferts des ménages vers les entreprises comme le CICE qui nous
coûte chaque année 20 milliards d’euros depuis 2014 et 40 milliards cette année
– un pognon de dingue ! Sans doute ce qui va ralentir la mise en œuvre des recommandations stupides de la Commission Attali, c’est la crise de 2008. Mais
Godin fait remarquer à juste titre que cette crise est en réalité le résultat
de la déréglementation que recommande la Commission Attali ! Or on n’en
tiendra jamais compte, on fait comme si cette crise n’était qu’un accident et
non pas la conséquence de l’évolution vers plus de libéralisme justement. Il
est d’ailleurs assez remarquable que les économistes libéraux avancent depuis
deux siècles et demi au moins toujours les mêmes solutions, quels que soient
les problèmes étudiés : déréglementer, faire reculer l’Etat et donner plus
de pouvoir au marché, c’est-à-dire au capital, comme si la société était restée
la même depuis Adam Smith. C’est une posture intellectuelle pour le moins assez
indigente, et barricadés derrière leurs modèles mathématiques foireux, ils ne
se rendent même pas compte de leur propre immobilisme intellectuel. Cependant
cette crise de 2008 va faire reculer pour un temps la bataille et obliger les
Etats développés à revenir au bon vieux keynésianisme, soit à la relance de la
demande pour sauver les meubles. C’est du côté de la Grèce que cela repartira.
La crise grecque va remettre rapidement au goût du jour les programmes
austéritaires dans toute l’Europe et plus particulièrement dans l’Europe du Sud.
La trahison de Tsipras permettra à la finance sans nom et sans visage de
piller le pays, comme elle l’entend. Godin à mon avis à le tort de présenter
cette action de l’oligarchie européiste comme une simple application d’une
doctrine aveugle et bornée, le but c’est la prédation et l’enrichissement
rapide, et pas la construction raisonnée d’un modèle de société qui aurait un
avenir stable. Il va y avoir de juteuses affaires à réaliser pour les initiés. C’est
dans ce scandaleux contexte qu’Hollande va être élu, sur le rejet de la
personnalité de Sarkozy qui veut lui aussi accélérer les réformes.
Le fourbe président « socialiste »
va se présenter comme l’ennemi de la finance ce qui lui permettra d’être élu.
Mais rapidement il va donner des gages au capital contre le travail. Il va sous
la houlette d’un huluberlu mettre en œuvre des réformes bien pires que celles
que présentait Sarkozy, le CICE, transfert monstrueux des ménages vers le grand
capital, réformes du droit du travail fragilisant encore un peu plus les
salariés dans leur relation avec le patronat. Selon les journalistes du Monde,
Macron aurait été directement imposé par le grand capital à Hollande. C’est
du moins la thèse que soutient François Rebsamen, ancien trotskiste passé au
social-libéralisme façon Rocard. Evidemment
tout cela plombe durablement la crédibilité d’une alternance et explique
pourquoi l’extrême-droite est devenue le premier parti ouvrier. C’est dans ces
conditions que Macron va être élu, avec une adhésion du corps électoral
extrêmement faible. Mais Macron va vouloir imposer les vieilles réformes
libérales en bloc, comme on a dit. Il déclenche ainsi une guerre sociale qui va
prendre la forme de la révolte des gilets jaunes. Cette révolte profonde a même
sans doute failli l’emporter au début du mois de décembre 2018, elle représente
une haine durable non seulement pour ce personnage ubuesque, mais aussi pour le
projet de société qu’il porte. Rapidement son gouvernement, dirigé par l’ancien
lobbyiste d’Areva, va apparaître comme l’ennemi des travailleurs, affairiste et
cosmopolite il va vendre la France par petits morceaux. Le traité
d’Aix-la-Chapelle, couronnera cette idée de démembrement de la nation. C’est un
point que ne souligne pas Godin, à côté d’une menée antisociale, Macron et son
équipe démembrent la France, aussi bien en vendant les fleurons industriels
comme Alstom, boulot qu’il avait entamé en tant que ministre de l’économie, qu’en
rabaissant la souveraineté de la France en la partageant avec l’Allemagne qui
au passage tente de récupérer un siège au Conseil de sécurité de l’ONU. C’est
un point pourtant capital car cette transformation de la nation, sa dilution,
rendra bien plus difficile par la suite un retour à une politique plus
égalitaire dans notre pays. Egalement les privatisations des biens publics,
ADP, La Française des Jeux, dévoilent la cupidité de ce gouvernement de
millionnaires.
Les mesures prises par Macron et Philippe sont tellement favorables au grand
capital qu’on n’imagine pas une minute que cet immense service ait pu être
gratuit. Macron a été désigné par les Français comme le président des très
riches, et ce n’est pas sans raison, c’est que derrière le raisonnement un peu
bricolé du ruissellement et de la théorie de l’offre, les Français ont perçu la
canaillerie du personnage, comme celle de son épouse d’ailleurs. Aussi dès le
mois de novembre 2018, la révolte va gagner la France entière, partant d’un
refus de payer de nouvelles taxes sur les carburants, les gilets jaunes vont
attaquer le gouvernement en permanence et sur tous les points. Ils prennent le
relais de la grève avortée de la SNCF que les syndicats ont si mal menée. Comme
les partis de gauche n’ont plus guère de programme, et que les syndicats
semblent médusés par leur propre adhésion au modèle néolibéral, l’explosion va
venir d’ailleurs d’où l’arrogant Macron, ivre de son pouvoir, ne l’attendait
pas. Sa surprise est la preuve qu’ilne connait pas son histoire de France.
Raisonnant pour le coup avec les critères du vieux monde, il croit que parce
que les syndicats ne bronchent plus et que les partis sont au tapis, il peut
tout se permettre. Mais notre pays est coutumier des révoltes spontanées qui se
forment en dehors des partis, la preuve la Révolution de 1789, ou encore la
Commune de Paris, ou encore bien sûr la Résistance française.
Malgré quelques concessions
de façade à la crise des gilets jaunes, Macron maintient le cap de ses réformes
pour les plus riches, sans plus se soucier de l’adhésion des Français qu’il
n’aura plus jamais. Inévitablement, le régime tourne à l’autoritarisme, c’est
le terme pudique qu’emploie Godin, moi je préfère parler de fascisme ou de
dictature. Mais nous sommes d’accord sur l’essentiel, les réformes néolibérales
étant rejetées par la très large majorité des Français, Macron ne peut
continuer qu’en usant de la violence policière, judiciaire et
verbale également. Godin cependant se trompe en pensant que le mouvement des
Gilets jaunes est d’abord un mouvement des classes moyennes. Ce n’est pas ce
que nous avons vu, ni ce que montre par exemple le film de François Ruffin et
Gilles Perret J’veux du soleil. Le mouvement est bien plus large que
cela, et ceux qui continuent encore samedi après samedi à contester Macron,
sont vraiment partie des classes inférieures. Godin rappelle d’ailleurs que
tous les présidents qui se sont lancés dans des réformes néolibérales au
service du grand capital ont tous été désavoués. A l’encontre de ses
prédécesseurs, Macron ne vise aucun compromis, il suppose qu’il peut utiliser
l’outil de la Constitutiion de 1958 – outil très autoritaire – non pas pour
réunir les Français derrière lui, mais pour les soumettre et servir la classe
qui l’a mis à cette place peut-être un peu inconsidérément. Il compte aussi
sans doute sur l’impossibilité pour l’opposition de s’unir. Il pense
certainement qu’il peut même être réélu en faisant jouer la partition, moi ou
le fascisme de Marine Le Pen. Cependant il
y a un facteur décisif dont Macron sous-estime l’importance, c’est l‘échec
concret des politiques néolibérales au niveau planétaire : elles ne
stimulent plus ni la croissance, ni l’emploi, et la concurrence commerciale
entre pays semble avoir atteint ses limites comme le montre les conflits
qu’entretient l’ubuesque Trump avec l’Union européenne et la Chine. Et d’un
certain point de vue Godin sous-estime aussi cet échec.
En effet, après avoir
détaillé toutes les turpitudes de Macron et sa violence, Godin va s’essayer à
trouver des portes de sortie. Il souligne à juste titre que le gilets jaunes
ont eu un écho inattendu, et donc que cela montre que les Français, plutôt
favorables dans leur ensemble au mouvement des gilets jaunes, sont tout à fait
hostiles aux réformes néolibérales. Les derniers sondages montrent que la
moitié encore des Français soutient les gilets jaunes, mais une très large
majorité soutient la lutte des personnels hospitaliers, ce qui au fond revient
toujours à un rejet des réformes. Mais
justement ce mouvement montre que l’échec programmé sur le plan économique du
mode de gouvernement de Macron, engendre d’une manière ou d’une autre une
opposition très vive, dans la rue, faute que les syndicats soient un peu plus
combattifs. Godin, à mon sens, a tort de croire qu’une gauche rénovée peut nous
sortir d’un face à face Marine le Pen – Macron. Mais cela repose sur plusieurs
erreurs d’analyse :
– d’abord Godin ne comprend
pas la disparition de la gauche en Italie, aujourd’hui elle se trouve à 3,5%,
le reste c’est Salvini aux environs de 30-35% et ensuite il y a un bloc
néolibéral complètement balkanisé. Or cette gauche a disparu pour deux raisons,
elle n’a pas compris le sens de la révolte contre les migrations massives
imposées par la mondialisation, et aussi la question de la nation, avec le
rejet de l’Islam par exemple. Or c’est bien cette question qui est
décisive ;
– ensuite, Godin perd son
temps avec l’idée selon laquelle les Français seraient europhiles, et donc
voudraient bien d’une Europe, mais d’une autre Europe. Rien n’est moins sûr,
certes on a fait peur aux Français en leur disant que le coût d’une sortie de
l’Europe était très élevé, mais cela ne veut pas dire qu’ils adhèrent à l’idée
d’une Europe supra-nationale. Cette illusion plombe la gauche et la détruit de
l’intérieur, elle renforce du même coup l’extrême-droite. Une construction
européenne qui serait au service de l’intérêt général est tout simplement
impossible. La raison en est simple : c’est un ensemble de pays
complètement hétéroclite. Les trajectoires historiques des différents membres
sont disparates. Le pouvoir ne peut alors que s’éloigner des électeurs et le
contrôle de cette bureaucratie s’éloigner toujours un peu plus. Dans l’idée
d’une démocratie plus directe, ce grand écart n’a pas de sens. J’avais dit et
écrit que Mélenchon échouerait s’il n’éclaircissait pas plus ses positions sur
l’Europe et sur la question migratoire. Et de fait il a échoué terminant
seulement quatrième derrière le gangster Fillon pourtant plombé par les
affaires ;
– également Godin pense que
le mouvement des gilets jaunes, pour lequel il manifeste une sympathie évidente,
n’a duré que six mois et donc que maintenant il est fini. Ce n’est pas vrai.
Même s’il a moins de vigueur aujourd’hui, il est toujours présent et ressurgit
dès que l’opportunité se présente, que ce soit la lutte pour l’environnement,
celle contre le CETA, etc. Il salue Commercy, comme l’ébauche d’une
organisation d’une forme nouvelle intéressante. Il se trompe encore, Commercy
était en porte à faux par rapport au contenu du mouvement. Avec le recul, on
peut même considéré que cette volonté de centraliser le mouvement fut une
erreur.
Mais cela n’est pas le plus
important. L’erreur principale de Godin est justement au niveau économique, il
n’anticipe pas l’effondrement programmé de la mondialisation néolibérale. Or, il
est là sous nos yeux. Il raisonne comme s’il voulait restaurer un capitalisme
civilisé. C’est le cœur même du capitalisme qui est aujourd’hui touché
durablement, ne serait-ce qu’à cause de la crise environnementale qui vient
s’ajouter à la crise plus générale de la demande. D’ailleurs cette erreur
d’analyse se confirme dans le fait que Godin croit à « la transition
écologique », et il suppose qu’avec un peu d’argent et de bons investissements
on pourra reconstruire un capitalisme à visage humain. Mais même les jeunes
gens d’Extinction Rebellion ont intégré que le moteur de la destruction
de l’environnement c’est le profit et la folie consumériste portée par le
progrès technologique. C’est donc bien la croissance comme moteur de la
société qui est en question et non sa restauration. Or si on rejette l’idée de
croissance – aussi bien pour cause de crise environnementale, ou parce que tout
simplement l’idée de compétition et de concurrence est devenue laide et peu
attirante – on tombe forcément sur la question de l’égalité.
L’autre point sur lequel
Godin se trompe, c’est sur l’analyse de la bureaucratie syndicale. Il montre
Macron la méprisant, et Laurent Berger – que Godin appelle « Bergé »
– se plaindre de ce mépris. Mais outre que Berger est partie prenante du projet
néolibéral de collaboration de classes, il n’est pas certain que les syndicats
restent dans la passivité. On sait qu’au niveau local il y a des sections
syndicales, CGT, FO et même CFDT, qui sont combattives et qui ne demandent qu’à
en découdre. Les licenciements se multipliant un peu partout dans ce qui reste
de tissu industriel, il se pourrait bien que la contestation sociale reparte
aussi de ce côté. Donc si globalement je partage la critique du macronisme que
propose Godin, je n’en partage pas les conclusions qu’il imagine sur le plan
politique. Je crois qu’on ne peut plus raisonner en termes de gauche et de
droite, mais l’alternative se trouve plutôt entre « socialisme » et
« capitalisme », parce que l’idée de socialisme peut très bien se
passer de la croissance et du profit, et que ces deux termes sont les raisons
du désastre écologique d’aujourd’hui. L’échec programmé du macronisme n’est pas
spécifique à Macron, c’est l’échec plus global du néolibéralisme à l’échelle de
la planète entière. Godin se rend compte d’ailleurs que de partout le projet
néolibéral est en recul, faisant voir l’apparition de Macron comme la
queue de la comète, la fin du mouvement engagé par Reagan et Thatcher à la fin
des années soixante-dix.
Godin parle de démocratie
autoritaire. Cela me semble faux, on pouvait parler de démocratie
autoritaire sous le général de Gaulle, quand le président de la république
avait une légitimité certaine et visait malgré tout à rassembler le pays. Mais
ce vocable ne me parait pas applicable à Macron qui, s’il a bien été élu
suivant la loi, n’est pas légitime du tout, et c’est justement pour cela qu’il
est obligé de se radicaliser par la violence. Quand au début du mouvement des
gilets jaunes il a lâché les milices contre le peuple, il était embarrassé, non
pas qu’il ait des scrupules, la morale n’est pas son problème, il est menteur
et voleur, mais il ne comprenait pas le rejet dont il était l’objet, croyant
que la maîtrise des outils de communication façon marketing de supermarché lui
permettrait de subjuguer le peuple. Si durant sa campagne présidentielle les
journalistes amis ont mis en avant sa grande culture et sa grande intelligence,
manifestement plus personne y croit. La violence fascisante qu’il exerce
semaine après semaine contre les gilets jaunes est l’image de cette rage qui
résulte de ce rejet dans l’opinion. Nous ne sommes plus dans une démocratie,
fut-ce-t’elle parlementaire. Non seulement à cause des lois scélérates que la
canaille LREM a votées, mais aussi à cause de la privatisation de la justice et
de la police qui est ainsi instrumentalisée au service d’une caste minoritaire
en nombre et sur le plan des idées dans le pays. Le fait que la quasi-totalité
des médias soit aussi sous contrôle prouve assez cette dérive. Godin d’ailleurs
surestime l’opposition de Macron aux journalistes qui dans l’ensemble le
servent très bien et servilement.
Le dernier reproche qu’on
peut faire à Godin c’est de faire comme si le projet macronien était sérieux,
contestable certes, mais sérieux. Comme l’a bien montré Juan Branco, les
macroniens se caractérisent encore plus que par le passé par l’affairisme et la
cupidité. Leur mot d’ordre c’est prend l’oseille et tire toi. Et leur
leader apparaît maintenant comme un fou furieux. Donc ils ne sont pas là
vraiment pour définir un projet de société, fut-il contestable, mais pour taper
dans la caisse, vendre leurs services à l’oligarchie à coups de privatisations
et autres canailleries. On peut vérifier cela par le nombre élevé de personnes
proches de Macron qui sont inquiétés jour après jour par la justice pour leur
traficotage d’argent public, le dernier exemple étant la cupide Sylvie Goulard
dont les nombreuses casseroles ont été le prétexte facile pour les députés
européens, pourtant peu regardant, pour l’écarter d’un poste éminemment
lucratif. Et donc à partir de là il ne sert à rien de combattre le macronisme
sur le plan théorique, il est plus judicieux dans doute de les insulter et de
les combattre dans la rue. Les Français, gilets jaunes et paysans ont commencé
à s’en prendre aux permanences des députés LREM.
Néanmoins malgré toutes les
réserves qu’on vient de dire, l’ouvrage de Godin est très utile pour nourrir et
élargir le débat. L’approche historique qui montre à la fois les racines du
projet macronien et sa continuité dans le temps est suffisamment intéressante
pour justifier sa lecture.
[5] Capitalism and freedom, University of Chicago Press, 1962 et aussi Milton Friedman & Anna
Schwartz, A Monetary History of the United States, 1867-1960, Princeton
University Press, 1963..