mardi 30 juin 2020

Municipales, le faible score des verts, conséquences

 

Michel Delafosse, maire vert de Montpellier s’affiche avec un jeune noir, comme c’est la mode 

On reconnait une période révolutionnaire au fait que tout et n’importe quoi puisse arriver. Dans cette période de grande confusion, on tente de nous faire croire qu’une vague verte serait en train de submerger la France. J’ai déjà dit dans un précédent billet que la grève générale des électeurs empêchait de dire une pareille stupidité[1]. Mais en y regardant de près, les résultats pour EELV qui prétendent en même temps être écologistes, européistes et pour l’économie de marché, ne sont pas très bons. Si je regarde les villes de plus de 30 000 habitants, ils gagnent 10 villes sur un total de 235 villes, soit à peine plus de 4%. Bien moins que le PS qui fait un score six fois plus important, et même que la France Insoumise qui pourtant a été nulle dans cet exercice. Même les fantomatiques LREM font encore mieux. Si j’élargis l’échantillon aux villes de plus de 9000 habitants, c’est encore pire, les villes obtenues par EELV c’est 2,4% de l’échantillon, tandis que LREM descend en dessous de 2% cette fois. Le PS fait vingt fois mieux que EELV. Malgré les alliances passées en rafale avec la gauche – et plus ponctuellement avec la droite macronienne – les électeurs EELV apparaissent seulement comme les supplétifs d’une gauche en faillite, toujours en train de marchander son soutien, un coup à Macron, un coup aux socialistes. Toutes les têtes de liste EELV, sauf Jadot, ont fini chez Macron.

 

A Lyon on nous dit que le résultat est d’autant plus historique que Grégory Doucet était un quasi inconnu jusqu’à ces dernières semaines. En réalité Doucet profite non seulement de la déconfiture générale de LREM au niveau national, mais aussi de l’imbécilité de ce parti et de la droite locale dont la tambouille n’a pas pris. Autrement dit il doit son succès à deux facteurs :

- d’abord la grève des électeurs des classes populaires qui favorisent les candidats de la classe moyenne soi-disant instruite ;

- ensuite du particularisme local qui a fait émerger deux listes LREM sans que ni les instances de ce parti croupion, ni le président et ses affidés ne se montrent capables de modérer l’ardeur suicidaire de leurs troupes de bras cassés. La médiocrité du personnel politique local prospérant facilement grâce à la médiocrité du gang de l’Elysée qui pense qu’une élection se gagne seulement avec de l’argent. Le nouveau maire de Lyon s’est déjà fait remarquer en allant déconner chez Bourdin, avançant que le clivage n’est plus entre la droite er la gauche, mais « entre les terrestres et les non terrestres »[2]. Et il te dit ça sans rigoler ! On fait confiance aux verts pour se discréditer rapidement, même si beaucoup de Français aujourd’hui partagent l’idée qu’il faudrait agir enfin sérieusement pour avoir un air plus respirable, une eau meilleure à boire, et une bouffe moins pourrie. 

 

Quand les autres partis et les éditorialistes auront fini de désaouler, ils vont forcément se rendre compte de la supercherie qu’ils véhiculent et qui les intoxique. Olivier Faure le fantomatique leader du PS avait déduit que peut-être il serait bon que les socialistes se rangent pour les présidentielles derrière un candidat vert ! Cette assertion un rien débile a mis une partie du PS en folie, arguant qu’ils sont tout autant écologistes que les EELV et donc que la soi-disant percée des verts ne représente rien[3]. On a refait les calculs chez Marianne, et on a trouvé que finalement les verts n’avaient pas enthousiasmé les foules comme le montre le tableau ci-après. On peut aujourd’hui devenir maire d’une grande ville riche en séduisant moins d’un électeur sur quatre ou cinq. A Lille l’imbécilité insondable des EELV les privent de postes d’adjoints à la mairie. Aubry qu’ils ont emmerdée jusqu’à la gauche, c’est le cas de le dire, a précisé que les idées des verts étaient excellentes, mais qu’on se passerait d’eux pour les mettre en œuvre. L’illusion d’une vague verte n’aura pas passé la semaine. Déjà le nouveau maire de Bordeaux s’est montré très agressif envers ceux qui posséderaient une automobile[4], ravivant la crainte d’un autoritarisme vert qui n’est plus de saison. Pour ceux qui me lisent depuis longtemps, je rappelle que si je suis hostile aux écologistes du type EELV, c’est à la fois parce que les mesures qu’ils préconisent sont plus qu’insuffisante, ils ne veulent pas sortir du capitalisme, parce qu’ils croient à la croissance verte, et parce que leur méthode d’imposer leurs idées ne me conviennent absolument pas. Ils se positionnent comme s’ils savaient quelque chose et que nous nous étions encore plus bêtes qu’eux. Lorsqu’ils me proposeront de sortir de l’Europe pour raccourcir les circuits, lorsqu’ils proposeront de fermer les hypermarchés et de combattre le zonage, là je voterais pour eux. Mais ce ne sont pas ces considérations politiques qui m’incitent à relativiser leur percée.  Ce sont les chiffres qui parlent d’eux-mêmes. Que ce soit en nombre de voix ou en nombre de villes gagnées, leur bilan est franchement dérisoire. 

 

Si les Républicains ont sauvé les meubles, tout en perdant des villes importantes comme Marseille, Strasbourg ou Bordeaux, ils sont en train de se déchirer sur la question des alliances. Tanis qu’un certain nombre d’élus pensent que de se rapprocher de Macron est une bonne chose, sachant qu’ d’autres comme Aurélien Pradié présente les alliances LR-LREM comme une raison de la défaite – de la raclée dirait Macron – et donc souhaite à l’avenir ne pas trainer ce vieux boulet[5]. Car tout le monde a en tête 2022 et si LR fait un bon score, cela pourrait signifier que Macron n’arrivera pas à se qualifier pour le second tour. Il est vrai que si LR veut exister, ce parti doit se garder comme de la peste des alliances avec Macron, non seulement pour avoir une chance de gagner l’Elysée en 2022, mais aussi pour conserver le maximum de députés. 

samedi 27 juin 2020

Guy Debord, Poésie etc., L’échappée, 2019

C’est le deuxième volume des notes de lectures de Guy Debord. Les éditeurs de ces volumes, il y en aura cinq en tout, ont choisi de regrouper ces fiches par thème. C’est d’une logique assez discutable. Ils s’appuient sur le fait que Debord aurait rangé ces fiches dans des dossiers dédiés. Le premier volume s’appelait Stratégie et parlait surtout de l’histoire des guerres à l’âge classique[1]. Cette classification est cependant critiquable dans la mesure où elle masque assez les évolutions dans les lectures de Debord. On comprend bien que son intérêt pour Marx et les marxistes ne sera pas le même dans les années soixante, période d’expansion de l’Internationale situationniste et de l’écriture de La société du spectacle, et dans les années quatre-vingts quand il devient commentateur de lui-même. Or l’appareil critique qui multiplie les notes sans intérêt du type, ici Debord a souligné le passage d’un double trait, alors même qu’on le voit dans le texte, ne nous renseigne en rien sur l’ordre dans lequel il a lu. Les dates des éditions utilisées ne suffisent pas. Cela aurait été pourtant intéressant car on aurait pu mieux cerner les déterminations de ses trois phases dans son évolution :

– une première phase qui s’annonce comme une critique radicale de l’art, une liquidation y compris du surréalisme et du lettrisme. Elle commence au début des années cinquante. Ce mouvement se conclut par une histoire des avants gardes par exemple dans Rapport sur la construction des situations en 1957 et la construction de l’Internationale situationniste ;

– une seconde période qui est représenté par le développement de l’IS et son évolution vers une révolution de type prolétarien et conseilliste, il lira aussi bien les penseurs révolutionnaires que des livres d’histoire sur la révolution ;

– une troisième période où enfin il devient un homme de lettre méditatif, qui sans abandonner la critique radicale d’une société moderne en décomposition accélérée, se tourne plus que jamais vers le passé. C’est très visible dans le volume intitulé Poésie etc.

« Il valait mieux que Fourier n’essaie pas ses phalanstères ; il valait mieux que Mallarmé rêve du livre sans en venir à ses « représentations réelles » ; il valait mieux pour nous en 1954-1960 parler de situations qu’essayer d’en bâtir. Dans tous ces cas, la lumière du but a un sens, éclaire une direction sociale, alors que le but même prétendu et forcé, serait ridicule sans la société. Aurons-nous cette société ? Les constructeurs de situations sont en fait constructeurs de fêtes. Mais pas aujourd’hui »

Cette note a été écrite à propos de la lecture de l’ouvrage de Jacques Scherer, Le livre de Mallarmé. Initialement publié en 1957 chez Gallimard, Debord semble l’avoir lu dans une édition de 1978 qui avait été augmentée. S’intéresser à ce type d’ouvrages est déjà en soi une sorte de renoncement, de mise à la retraite de l’homme d’action. Notez que c’est aussi en 1978 que sortira le film In girum imus noste et consumimur igni. Or ce film est bien une démission des combats révolutionnaires. Notez que dans les années post-IS, Debord s’impliquera dans les éditions Champ Libre pour y publier des ouvrages du passé, constituant déjà une sorte de bibliothèque idéale. 

 

C’était un très grand lecteur qui s’intéressait à tout ce qui était imprimé comme on sait, romans, magazines, journaux, et évidemment quelque part ce travail de cabinet soutenu ne pouvait que l’éloigner de l’homme d’action qu’il mettait pourtant en avant comme un idéal. Mais l’homme était plutôt changeant et incertain dans ses options. Sans doute est-ce pour cela qu’il se cramponnait à ses fiches de lecture et qu’il s’en servait pour éviter d’écrire vraiment en détournant ce qu’il avait lu à d’autres fins. Quand je dis qu’il était incertain dans ses choix, je ne veux pas dire qu’il était une sorte de girouette comme on en a tant vu depuis cinquante ans qui passent sans sourciller de la révolution au soutien inconditionnel au capitalisme en train de crever sur pied – cela ne concerne pas que l’abominable Cohn-Bendit, mais aussi des compagnons de Debord comme René Viénet par exemple. Je veux dire plutôt qu’il était habité par le doute sur ce qu’il entreprenait, même s’il masquait ce doute derrière des assurances péremptoires. Un texte qui avait été publié dans le catalogue de l’exposition Debord à la BNF, Les Erreurs et les échecs de M. Guy Debord par un Suisse impartial[2], le montre à mon sens amplement. Même si c’est sous la forme ironique, avec le motif selon lequel, étant donné ce qu’il était, il n’aurait pu rien faire d’autre, et donc qu’il n’y avait ni échec ni succès. Pourtant ce texte pratiquement pas commenté disait clairement que finalement il avait tout échoué aussi de son propre point de vue. C’est un texte décisif pour comprendre non pas Debord du point de vue d’un bilan, mais au contraire pour saisir ses changements de détermination dans la vie quotidienne et l’amertume qui l’a forcément accompagné. Mais il est resté un ennemi déterminé de la société marchande, assez peu tenté par les honneurs ordinaires et la consommation. Et de ce point de vue, il est resté fidèle à lui-même, et c’est bien qui fait qu’on ne peut pas le confondre avec un simple marchand de papiers imprimés. 

 

Pendant des décennies, il a recopié sur des petites fiches des phrases, des morceaux de phrases, voire des poèmes dans son entier. Parfois il recopiera les passages en français et dans la langue originale, on se demande bien à qui ce travail quotidien était destiné. Cette manière pointue de saisir le livre sous toutes ses formes est une volonté de déspécialiser le savoir et de le restituer dans ce qu’il pense être sa vérité de l’instant.

Les notes de lectures de Guy Debord produisent plusieurs impressions étranges. D’abord il y a une capacité qui semble s’extraire de cet ensemble, à relier entre eux des auteurs qui ont fait du pessimisme un commerce actif. Le mal, le noir, la part d’ombre du néant qui pèse sur l’homme d’action et qui le cloue sur place est abondamment représentée. C’est presque le contrepoint du Surréalisme que Debord lit avec beaucoup d’attention mais pour en faire une critique acerbe et souvent ingrate d’ailleurs. Annie Lebrun avançait que Debord à la fin de sa vie revenait vers Breton et lui révélait son admiration. Il bouclait en somme son parcours, parti de Breton au début des années cinquante, il y revenait à la fin de sa vie. Relisant ces jours- ci une interview de Breton par Madeleine Chapsal, je voyais très bien la pédanterie qu’on pouvait lui reprocher, et pourtant on ne saurait nier son importance[3]. Encore que ni Debord, ni Breton n’ait finalement joué un rôle dans les déterminations de notre volonté de tenter de changer le monde qui ne nous convient pas et qui ne convient d’ailleurs à personne, même pas à ceux qui en font de l’argent. 

 

La publication de ces fiches voit son intérêt réduit par le fait qu’elles ont été au préalable triées et donc choisies par ces « conservateurs » de bibliothèques qui forcément les interprètent à l’aune de ce qu’ils ont compris globalement de Debord. La faiblesse de la postface de Gabriel Ferreira Zacarias qui a soutenu une thèse universitaire sur Guy Debord en 2014[4], en atteste où les lieux communs sont débités les uns derrière les autres. Il serait intéressant pourtant de se poser la question des raisons de cette conservation maniaque de ses fiches dans des dossiers. Ces fiches pouvaient servir à des utilisations ultérieures sous forme de détournement. Mais il y a autre chose. En effet, avant de procéder à son suicide Guy Debord avait trié ses archives. Il avait brûlé énormément de papiers, mais pas ses fiches e lectures, alors qu’il savait pertinemment qu’elles ne lui seraient plus d’aucune utilité dans l’au-delà. Il y avait un désir de conservation, de faire son temps, ce qui va avec l’idée d’un homme obsédé par le temps qui passe. Fixer ce qu’il avait lu devait raconter aussi ce qu’il était. Ces livres lus et commentés expliquaient la formation d’une pensée. La façon dont les fiches de lecture sont présentées fait de Debord un homme de lettres un peu banal, saisi par une boulimie de lectures. Elle masque sa volonté de faire l’histoire d’une manière plus concrète qu’en lisant et en écrivant, que cette volonté soit aboutie ou non. Il y a une oscillation chez Debord entre une culture livresque très sophistiquée, Mallarmé, la poésie chinoise, Breton et les surréalistes, et une culture plus populaire et immédiate comme les poèmes de Mouloudji – grande figure de Saint-Germain des Prés – qu’il recopie ou les chansons italiennes comme Porta Romana Bella. 

 

Le recueil consacre aussi une large place à la poésie chinoise à laquelle Debord semble s’être intéressé au début des années soixante. C’est du reste à ce moment-là qu’a émergé en France et en Europe l’engouement pour la Chine. Evidemment Debord n’est pas tombé dans le travers gauchiste qui laissait croire que la Chine était un pays communiste d’une forme nouvelle, bien au contraire il sera un des premiers à critiquer vertement le maoïsme comme une forme peu originale de dictature criminelle[5]. Ex post il est intéressant de rapprocher ces deux éléments, les poésies chinoises apparaissant finalement comme une critique anticipée du maoïsme. Ici se dévoile le but des lectures de Guy Debord, il s’agit de critiquer le présent à l’aune d’un passé glorieux. C’est une forme de conservatisme révolutionnaire si on veut, en tous les cas un anti-progressisme. Plus banalement on remarquera l’amour de la langue française. Je me demandais en lisant ce volume ce qu’il aurait pensé de cette dictature nouvelle manière qui veut nous imposer l’écriture inclusive comme norme. Du mal bien entendu. Car cette façon de faire ne vise pas du tout un égalitarisme de façade entre les sexes – les genres on dit maintenant – mais plutôt l’éradication du passé dans ce qu’il a de plus cher : sa langue et son histoire. En effet la généralisation de l’écriture inclusive rendra la lecture des textes du passé très ardue, réservée à des initiés. Or d’une manière ou d’une autre Debord s’est toujours inscrit dans une volonté révolutionnaire de se réapproprier l’histoire, donc la langue. 

La bibliothèque de Guy Debord

Il y a très peu de poésie au sens étroit dans ce volume, alors même que Debord avait lu des poètes qui l’avaient marqué comme Apollinaire, ou Rimbaud. Peut-être parce qu’ils les avaient lus avant de construire ses notes sur des fiches classées. Seul Breton y a une large place. A l’inverse, on trouvera de longs extraits de la Bible, ce qui n’étonnera que ceux qui n’ont jamais lu cet ouvrage, et de Shakespeare ce qui est moins étonnant et plus commun. Beaucoup d’ouvrages qui sont d’une culture courante, Don Quichotte, Dom Juan de Molière, et même Marcel Proust. On trouvera aussi de longues citations d’Homère. Et puis, mais c’est plus attendu, les dissidents anglais, Thomas de Quincey, Jonathan Swift, Thackeray, dont on faisait grand cas dans les années soixante. On savait que Debord lisait aussi des romans policiers, mais il est plus étonnant de trouver une attention aussi soutenue à Sax Rohmer, l’auteur de la série Fu Manchu. On voit comment il s’en saisit dans une relation à la dérive et à l’espace urbain. Les citations sont ici déjà un commentaire. Il y a aussi une lecture attentive de Montaigne – dont il retient particulièrement la célébration de l’amitié – ou de Diderot, écrivain phare de la pensée progressiste dans sa version matérialiste. 

 

Si l’usage que Debord comptait faire de ces citations était pour partie le détournement, cela ne semble pas suffisant pour expliquer cette longue quête. Il y a parfois, dans les années quatre-vingts, comme un désir de rattraper le temps perdu, en se lançant dans les lectures qu’il n’avait jamais faites. C’est parfois un peu ennuyeux, très souvent drôle comme les citations qu’il retient de La Rochefoucauld. Par exemple celle-là : « Ce qui nous empêche souvent de nous abandonner à un seul vice est que nous en avons plusieurs ». Les rapports qu’il entretenait avec Robert Musil, pourtant très proche de lui dans son approche de la vie moderne et sa réification, restent ambigus. L’homme sans qualité bénéficie d’un traitement très long où se mêle la révérence et la critique. Si on comprend que les notes sur Robert Musil se retrouvent dans le dossier Poésie etc. Les notes sur Lewis Munford paraissent assez peu à sa place. C’est un auteur important qui lui a beaucoup servi pour l’écriture de La société du spectacle, avec d’ailleurs assez peu de recul, pour La cité à travers l’histoire. L’ouvrage de Paul Bairoch, De Jéricho à Mexico : villes et économie dans l’histoire, qui viendra plus tard, mais que Debord n’a peut-être jamais lu, corrigera bien des idées reçues sur la question[6]. C’était des ouvrages phares de la pensée critique du début des années soixante et d’une sociologie naissante, nourrie d’un marxisme dissident. On en trouvait des comptes rendus très détaillés dans des revues comme Arguments – la revue d’Edgar Morin qui à l’époque donnait dans le marxisme critique – ou encore Socialisme ou barbarie. Même si leur lectorat restait étroit, elles contribuaient à la diffusion d’une certaine pensée critique. Le fait qu’il n’existe plus de telles revue explique aussi un peu pourquoi l’Université française, aspirée par les normes de production du savoir anglo-saxonnes, n’arrive plus à produire un seul ouvrage vraiment novateur ou seulement intéressant dans le domaine des sciences humaines. 

 

Vers la fin de sa vie, Debord s’était rapproché de certains écrivains traditionnellement hanté par la quête d’un prix littéraire. Entre autres résidus d’une culture germanopratine d’un autre âge, il fréquentait Morgan Sportès. Cet écrivain a construit sa petite renommée sur le fait qu’il exploite et met en scène des faits divers en recopiant des extraits de procès-verbal d’enquêtes criminelles célèbre. Ce genre littéraire plait beaucoup, Philippe Jaenada, ou encore Emmanuel Carrère en font un commerce. C’est du polar moderne en quelque sorte qui évite l’imagination et en même temps l’émotion. Mais peu importe les qualités qu’on lui trouve – il est vrai qu’il écrit moins mal que Michel Houellebecq ou Amélie Nothomb. Le temps a passé, Debord est mort depuis un quart de siècle, et si dans le temps on se flattait de l’avoir connu, on se met maintenant à lui cracher dessus comme si on regrettait de l’avoir fréquenté. Voilà ce qu’écrit le lamentable Morgan Sportès à qui Debord avait fait pourtant l’amitié de boire un peu avec lui :

« Pour ce qui est de Debord qui, lui aussi, a lu tous mes livres, et avec lequel j’ai beaucoup bu, et causé, son suicide – et la façon surtout dont il l’a mis en scène – m’a quelque peu gêné. C’était comme s’il avait spectacularisé sa mort ! L’abus d’alcool a fini par assombrir son intelligence brillante. A la fin, avec sa gueule couperosée et ses lunettes aux verres épais comme des culs de bouteille, il me faisait songer, penché sur son verre de picrate, à une Pythonisse cherchant dans une boule de cristal l’espoir d’on ne sait quelle improbable Révolution. Sic transit gloria mundi… » Ce crachat se trouve dans Causeur[7].

Je m’étais étonné à la lecture de quelques-uns de ses romans que Debord ait pu s’intéresser à un tel individu[8]. Je trouvais que, même si certains de ses romans ne sont pas inintéressants – je pense à Tout, tout de suite[9]sa prose manquait non seulement de colonne vertébrale, mais aussi de grâce. Debord devait donc se sentir un peu seul. Morgan Sportès doit être très content de lui-même pour énoncer de telles petites saletés. Peut-être se croit-il immortel pour ce faire. Dans le même interview où il se répand pour bien nous expliquer qu’il est lui-même un grand homme de lettres, il écrit ceci : « Si je t’oublie [son dernier roman] est d’abord une œuvre d’art, de par sa forme, c’est-à-dire son style et sa construction très élaborés ».  Il donne même une définition définitive de la littérature : « La vraie littérature s’écrit face à la mort » l Il y en a qui ne chient pas la honte ! La morale de cette microscopique histoire sans importance, c’est que l’amitié c’est comme l’amour au fond, c’est fait pour être trahi ! Ce n’est pas évidemment qu’on ne puisse pas critiquer Debord, y compris dans sa vie quotidienne, bien au contraire, son parcours recèle de très nombreuses ambiguïtés, mais la critique ne doit pas forcément conduire à de telles mesquineries où on dénigre le physique d’un ennemi imaginaire qui ne peut pas nous répondre puisqu’il est mort. 

 

Ces notes ne sont pas vraiment indispensables à la compréhension de la pensée Debord, ni même à son parcours. Elles sont dans leur maniaquerie éditoriale uniquement destinées à ceux qui ont fait dans l’étude de la pensée de Debord une manière d’érudition et qui en outre sont des grands lecteurs pour savoir de quoi il parle. Mais on est content de loin en loin de le retrouver avec son sens de l’humour si particulier, et sa façon de poser ses lectures comme des évidences dans la compréhension des textes. On retiendra de ce dossier que l’auteur de La société du spectacle recherchait dans la poésie, la célébration de l’amitié, du vin, des filles et la mélancolie du temps qui passe.



[2] in Guy Debord, Un Art de la Guerre, Éditions Bibliothèque Nationale de France - Gallimard, 2013.

[3] Madeleine Chapsal, Les écrivains en personne, 10/18, UGE, 1973. Dans cet interview Breton a le mérite de dire du mal de Marcel Proust, ce qui aujourd’hui ne se fait plus guère.

[4]  Gabriel Ferreira Zacarias, Expérience et représentation du sujet : une généalogie de l’art et de la pensée de Guy Debord, Littératures. Université de Perpignan, 2014.

[5] « Le point d’explosion de l’idéologie en Chine », Internationale situationniste, n° 11, octobre 1967.

[6] Gallimard, 1988 pour la traduction française.

[8] Contrairement à Debord je ne les ai donc pas tous lus, et même pour certains je me suis arrêté au bout de quelques pages.

[9] Fayard, 2011. 

mardi 23 juin 2020

Réflexions sur le1984 de George Orwell

George Orwell – Eric Blair de son vrai nom – est à la mode, et de plus en plus. Cela tient d’abord à son roman 1984 qui a maintenant soixante et dix ans et qui reparait dans une nouvelle traduction chez Gallimard[1]. La vie d’Orwell est bien connue, notamment grâce à la biographie de Bernard Crick, et jusqu’à la polémique qui a été sensée faire de lui un agent de la Guerre froide du côté de monde anglo-saxon[2]. C’était donc un écrivain anti-stalinien, et cela d’autant plus qu’il avait la Guerre d’Espagne où il avait été blessé et où il avait vu les staliniens agir contre les anarchistes et contre le POUM auquel il s’était rallié. Il avait eu une vie très compliquée, mais c’était un homme d’engagement. Il était issu de la petite bourgeoisie coloniale, ses parents étaient des fonctionnaires en poste aux Indes. Il regrettait de ne pas être né prolétaire. Il s’engagea donc dans les marches des chômeurs dans les années trente, donc pendant la grande crise[3]. C’est d’ailleurs en partageant le sort de ces miséreux qui erraient de ville en ville à la recherche d’une solution de survie qu’il attrapa la tuberculose, maladie dont il mourra en 1950. Et puis il s’engagea dans la Guerre d’Espagne, du côté du POUM qui était la partie faible du puzzle espagnol et qui se donnait des airs trotskistes pour tenter d’exister entre les anarchistes et les staliniens du Parti communiste espagnol qui faisaient tout pour freiner la révolution sociale et pour prendre la tête du camp républicain. Tout ça veut dire qu’ils n’hésitaient pas à commettre des assassinats[4]. Il suffit de lire Borkenau et Orwell sur ce sujet[5] pour se rendre compte que si le témoignage d’Orwell est le témoignage de première main d’un combattant, il manque d’une profondeur d’analyse. 

Sur cette photo de la colonne Lénine du POUM George Orwell est à la fin, on le reconnait à sa haute taille et ses cheveux en broussaille 

1984 est l’ultime ouvrage d’Orwell, très malade, il mourra une année après la publication de ce livre à l’âge de 47 ans. Il n’eut donc pas le temps de profiter d’une gloire aussi inattendue que fulgurante. On l’a d’abord pris pour une simple critique du communisme façon Staline. Et il y en a pour continuer à présenter Orwell comme un agent de propagande anticommuniste. Il était en effet un ennemi des formes autoritaires, qu’elles soient communistes ou autres, mais enfin quoi qu’on pense de lui, il s’est toujours proclamé socialiste, de gauche et anticapitaliste. Sans doute militait-il pour un socialisme qui ne bouleverse pas les traditions. On va retrouver tous ces thèmes dans 1984. Mais ce qui me semble plus pertinent c’est d’analyser 1984 à la lumière de nos sociétés modernes. Il n’y a plus de société communiste officielle aujourd’hui, sauf à se référer aux dernières clowneries de la Corée du Nord. Et pourtant jamais la vérité de cet ouvrage n’a été aussi forte. Ce que conteste Orwell et contre quoi il incite à lutter, c’est le contrôle social de ce que pensent, font et disent les individus d’une société donnée. Le bouffon Marcel Gauchet, intellectuel médiatique autant qu’inintéressant considère qu’Orwell n’est pas un « penseur »[6]. Et justement c’est là que se pose la question, qu’est-ce qu’un penseur ? Orwell choisit la forme fictionnelle pour construire son analyse de la société moderne. Il s’éloigne de la forme théorique ou philosophique, ce qui entraîne qu’il s’appuie sur le sentiment, sur l’instinct. Tout au long du livre, justement il montrera que pour comprendre ce que nous sommes devenus, il faut partir de ce que nous ressentons face aux autres, et face à la nature. Il y a donc bien une méthode qui est celle du conte philosophique, et c’est sans doute pour cela que les livres d’Orwell sont lus et étudiés dans le monde entier, tandis que des thèses de Gauchet, on n’en discute que dans un cercle restreint germanopratin. Ce n’est pas qu’une question de simplifier le discours pour le rendre plus compréhensible, mais c’est la volonté de ne pas emmerder le lecteur, comme une possibilité d’entamer le dialogue avec lui en dehors des codes académiques. 

 

Dans le roman revient comme une litanie le slogan : « La guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage et l’ignorance c’est la force ». Ça peut paraître un mensonge éhonté, mais c’est pourtant ce qu’on vit tous les jours. Il y a des dizaines d’économistes qui sont payés pour nous dire que la                                            licencier des patrons, c’est bon pour lutter contre le chômage, ou encore que les inégalités permettent de lutter contre la pauvreté. Quant à l’idée que la guerre c’est la paix, ma foi c’est juste une extension du proverbe Si vis pacem para bellum. Et donc que la bombe atomique fut excellente pour maintenir l’équilibre entre le bloc de l’Est et celui de l’Ouest. Également il est assez facile de rapprocher les télécrans de Big Brother de ce qui se passe sur les réseaux sociaux ou sur Internet. Le Big Data, ce n’est pas Big Brother, mais ça y ressemble furieusement. Ces derniers temps on a franchi un nouveau palier avec la mise en place d’un cours à Sciences Po intitulé sobrement Macron[7]. Macron dans le rôle du grand frère, c’est osé parce que si Big Brother d’Orwell ressemble à Staline, Macron ne ressemble qu’à un pantin désarticulé qui répète inlassablement des slogans qu’il ne comprend pas ! Cette année des lois ont été votées et appliquées avec zèle par la justice pour restreindre le droit de manifester, mais également pour confier à Facebook la surveillance de ce qui se passe sur les réseaux sociaux. Tous les jours vous êtes surveillés, que ce soit pour ce que vous lisez, pour ce que vous écrivez ou pour ce que vous achetez. Les médias dominants qui appartiennent presque tous à l’oligarchie jouent comme dans 1984 le rôle d’un ministère de la Vérité. Ils nous assomment à coups de « décodeurs » - Le monde – et de « désintox » - Libération[8], prônent la bonne parole et nous incitent à voter pour un système politique moribond qui en vérité ne repose que sur la violence policière. Cette unanimité journalistique provient évidemment du fait que les médias sont possédés par une poignée de milliardaires : c’est eux qui payent, et donc il ne faut pas les contrarier. Mais à vrai dire les journalistes ont intégrer depuis longtemps la soumission volontaire.

Le plus intéressant me semble-t-il dans l’ouvrage d’Orwell, c’est la question du langage, je ne suis pas le seul à le dire. On le sait dans 1984 une grande partie fait référence à la Novlangue, et Orwell lui consacre une lourde annexe à la fin de 1984. Tous les jours nous voyons la Novlangue en pratique, c’est par exemple l’ignoble écriture inclusive qui sous le prétexte d’une égalité factice entre les hommes et les femmes travaille à éradiquer le passé, c’est-à-dire la langue de nos ancêtres. Mais c’est aussi l’extension du politiquement correct. On trouve ça chez les féministes new-look qui dans un même mouvement soutiennent le port du voile, et lutte pour qu’on féminise la langue ou qu’on donne un salaire égal entre les hommes et les femmes – mais pas entre tous les salariés, elles espèrent ainsi combattre les tendances égalitaires qui secouent le capitalisme vieillissant ! Evidemment il est facile de comprendre que l’oppression du voile et de la langue n’est pas de même nature, le premier est plus mortel que le second. Il se manifeste également une tendance à éradiquer toutes les représentations de la négritude dans la société occidentale, au prétexte que cela serait raciste[9]. Bientôt il ne sera plus possible de représenter Othello sur les planches. Dans ce genre de décomposition, les Etats-Unis paraissent très en avance sur nous, mais c’est parce qu’ils ont pratiqué le communautarisme de plus longue date. C’est tous les jours que le politiquement correct fait la chasse aux mots, dans les journaux, dans les universités[10]. Comme dit Orwell : « Il est des idées tellement absurdes que seuls des intellectuels peuvent y croire ». Dans 1984 Julia, femme déterminée et forte, revendique sa féminité contre le parti qui nie aussi bien l’usage du parfum et des maquillages qu’une sexualité qui serait plus orientée vers le plaisir que vers la reproduction. Ce passage donnerait mal à la tête aux nouvelles féministes, notamment quand elle dénonce ceux qui voudraient que les femmes et les hommes ne se distinguent plus du point de vue de l’habillement par exemple. Le vêtement du parti étant une vague salopette de travailleur. 

Edmond O’Brien et Jan Sterling dans l’adaptation de Michaël Anderson en 1956 

On notera une grande place accordée à Goldstein qui manifestement est construit sur l’idée qu’on pouvait se faire à l’époque de Léon Trotski, un paria et un martyr. Vers les deux tiers du livre, Orwell introduit la lecture du livre de Goldstein, livre qui en effet ressemble à du Trotski du point de vue de la langue de bois qui y est utilisée. On peut supposer que cette partie de 1984 est ce que pense Orwell lui-même de la marche au socialisme, encore qu’in fine on apprendra que c’est O’Brien qui l’a écrit pour produire un leurre et attirer les récalcitrants. Cependant, on se rend compte que si sa vision s’inscrit dans « le sens de l’histoire », elle reste assez ambiguë au moins sur le point de savoir quoi faire du progrès technique. Il ne veut pas admettre que ce soit là une vision erronée que de croire que l’abondance de biens permettra de sortir les masses de l’ornière de la misère, même si ici et là il se rend compte que ce progrès sert à la guerre, donc à la destruction, et au contrôle social. Il affirmera aussi que les progrès dans les formes de représentation, à commencer par l’imprimerie, assurent un meilleur contrôle social. Mais il suppose que l’instruction est la clé pour construire une société plus juste. A cette époque il semblait encore que le peuple qui se laissait embrigader dans des régimes totalitaires le faisait par ignorance, et donc que si on lui donnait plus d’instruction, il briserait ses chaînes. Depuis on s’est rendu compte que c’était un peu plus compliqué que ça, et que l’idée même de progrès n’avait pas que des vertus. Orwell n’est pas toujours très clair parfois il suggère que les gouvernements utilisent la guerre réelle pour détruire les surplus de production qui engendrent des crises et pour mobiliser les énergies, mais parfois il avance que c’est plus la peur qui aide les populations à abdiquer leur pouvoir. Cet aspect est intéressant, Orwell se référait à l’époque à la course aux armements entre l’Ouest et l’Est. Mais aujourd’hui on a transféré cette peur panique sur la question écologique, Greta Thunberg aurait été un excellent personnage de 1984. On pourrait mettre son portrait au-dessus de notre poubelle avec le slogan « Greta is watching you ! ». Vous me direz que l’effondrement écologique n’est pas une menace, mais une réalité. C’est vrai, mais les guerres étaient aussi une réalité en Europe durant le XXème siècle, et le sont toujours ailleurs, en Afrique ou au Proche-Orient. Le problème qui est bien vu par Orwell, c’est qu’en terrorisant les populations on les empêche de réfléchir et ils se réfugient dans les discours d’expertise qui sont sensés remplacer l’analyse politique et donc le moment où on se prend en charge recule. Notez que le cadre du récit est une lutte entre des blocs et que les nations n’existent plus. Ces regroupements ressemblent à l’Union européenne dans sa volonté d’imposer une loi dont personne ne veut et donc d’éradiquer les cultures qui ont émergé dans la formation des nations. Bien qu’il ne le précise pas, la Novlangue s’inspire de l’Esperanto[11] qui prétend remplacer les différentes langues pour mieux communiquer entre les hommes, et donc suppose que c’est là un facteur de paix universelle. 

 

Mais peut-être que le plus important n’est pas là, mais dans les relations entre Julia et Winston. Ce sont des relations fondées d’abord sur le sexe, et c’est Julia qui fait le premier pas, preuve qu’elle est plus libre que lui. Ces relations sont mal vues du parti, essentiellement parce qu’elles sont libres et sans engagement. C’est cette relation amoureuse qui va éveiller – ou réveiller peut-être – la conscience de Winston. Comme quoi la transformation sociale passe aussi par la transformation des rapports avec les autres, en premier lieu entre un homme et une femme.

« J'appelle égrégore, mot utilisé jadis par les hermétistes, le groupe humain doté d'une personnalité différente de celle des individus qui le forment. Bien que les études sur ce sujet aient été toujours ou confuses, ou tenues secrètes, je crois possible de connaître les circonstances nécessaires à leur formation. J'indique aussitôt que la condition indispensable, quoique insuffisante, réside dans un choc émotif puissant [...] L'égrégore le plus simple se crée entre un homme et une femme. »[12]

C’est en effet dans cette relation qu’apparaît le recommencement d’une civilisation. Mais Orwell montre aussi comment la résistance peut être brisée par un travail en profondeur su la personnalité qui finit par lassitude à admettre tout ce qu’on veut qu’elle admette. Aujourd’hui le parti dominant qui prétend nous formater et nous gouverner a modifié ses méthodes. Orwell le sent très bien déjà. On ne veut plus que les éléments réfractaires se soumettent pour avoir la paix à un pouvoir autoritaire, on veut aussi qu’ils soient dressés à penser comme on l’ordonne. Par exemple on matraque depuis des années pour ne pas dire des décennies que « L’Europe, c’est la paix », « l’Europe, c’est le progrès ». La preuve de tout cela on ne la montre jamais, ce doit devenir une certitude apodictique. Ou encore que le marché fonctionne toujours au mieux et que l’Etat est le coupable des endettements excessifs. C’est un message qu’on connait, évidemment ce n’est pas très gai. Seuls ceux qui sont en dehors de ce système peuvent le contester, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas suivi les enseignements d’HEC, de l’ENA ou de Science Po. C’est ceux-là qu’Orwell appelle les prolétaires, et c’est sur eux qu’il compte. 

 

Je ne sais pas trop si ce livre est « bien écrit », Orwell n’était pas un styliste et on peut préférer ses écrits sur la Guerre d’Espagne ou sur les victimes de la Grande crise[13]. Il y a de l’émotion essentiellement dans la dernière partie, de la terreur même lorsqu’on comprend que le « système » va s’attaquer directement au noyau dur de la personnalité de Winston et de Julia, les scènes de torture sont très dérangeantes. Orwell défend l’individu et sa spécificité contre sa collectivisation par un système qui veut le réduire à un élément au service de celui-ci avec des méthodes qui rappellent fortement celles de la publicité. Orwell avait dû lire l’ouvrage d’Edward Bernays. Voilà ce qu’écrivait celui-ci : « La manipulation consciente et intelligente des actions et des opinions des masses est un élément important dans une société démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme invisible de la société, constituent un gouvernement invisible qui est le vrai pouvoir dans notre pays. Nous sommes gouvernés, nos esprits sont formés, nos goûts éduqués, nos idées suggérées, en grande partie par des hommes, dont nous n'avons jamais entendu parler»[14], propos que ne renierait pas Macron. Sans doute le passage relatif au livre de Goldstein est beaucoup trop long. Mais cela ne fait rien, avec 70 ans d’avance Orwell décrit cet univers du contrôle de la pensée qui est bien en place aujourd’hui. Les révoltes qu’on voit aujourd’hui un peu de partout dans le monde semble pourtant montrer que l’être humain n’est pas mort. Même si c’est long, difficile, morcelé et compliqué, les masses sont de moins en moins dupes, et c’est sans doute pour cela que de partout l’oligarchie ressort la vieille méthode de la matraque. Cette idée selon laquelle la défaite est le plus généralement au bout de la lutte ne doit pourtant pas nous dissuader de lutter, non pas parce que le but est écrit, mais plutôt parce qu’un être vivant n’a pas d’autre choix pour exister, quelles que soient les trahisons de toutes sortes qui balisent le chemin. O’Brien après avoir encouragé Winston à lutter, apparaitra sous un autre masque, celui du manipulateur qui travaille au nom d’un pouvoir opaque dont le but est seulement lui-même. Et en effet, on se rend compte aujourd’hui que les puissants ne sont guère motivés par autre chose que jouir des tourments qu’ils peuvent infliger aux autres. Sans doute est-ce pour cela que les allées du pouvoir – voir l’affaire Epstein par exemple, ou antérieure les sordides affaires auxquelles fu mêlés DSK – sont peuplées de déviances sexuelles de toutes sortes. L’argent qu’ils accumulent, la cupidité qu’ils manifestent de façon compulsive, sont juste des moyens pour martyriser les corps et les cervelles d’une masse qu’ils croient amorphe parce qu’elles ne se livrent aux mêmes pulsions qu’eux. Macron dans la manifestation d’une imbécilité native avouait ne pas comprendre pourquoi en France – mais en vérité c’est pareil ailleurs – les gens ne manifestaient pas plus d’envie de se battre pour devenir milliardaires[15]. Souvent désignés comme des jaloux et des aigris, les pauvres sont peut-être un peu plus sains dans leurs aspirations que les individus qui tentent de les commander. C’est au fond ce que montre Julia et Winston quand ils se rencontrent. 

John Hurt dans l’adaptation de 1984 par Michael Radford 

Ce conte philosophique a fait l’objet de plusieurs adaptations cinématographiques. La première due à Michael Anderson et date de 1956. Elle prend beaucoup de liberté non seulement avec l’intrigue de l’ouvrage, mais avec le fond, restant au niveau d’une simple critique du totalitarisme. Mais elle a l’avantage d’utiliser des acteurs excellents, Edmond O’Brien et Jan Sterling. La seconde, celle de Michael Radford est sortie en 1984 justement. Elle se veut plus fidèle à la lettre. Elle fut l’ultime apparition de Richard Burton au cinéma. Elle est assez peu convaincante sur le plan cinématographique. La meilleure est sans doute celle qui ne se réfère pas officiellement à Orwell, Brazil de Terry Gilliam. Cette version qui a eu un accueil critique très favorable, a l’immense mérite de montrer cet aspect déglingué du progrès technologique, montrant par là que le contrôle des individus passait aussi bien par le bourrage de crâne que par la promotion des illusions de la marchandise.



[1] La traductrice, Josée Kamoun, a transposé le texte d’Orwell au présent pour dit-elle lui donner un air plus terrifiant, alors que l’original est pourtant bien au passé, mais la traduction des néologismes d’Orwell pose aussi des problèmes comme la traduction de Though Police par Mentopolice au lieu du traditionnel Police de la pensée qui est passé dans langage courant en France. J’ai donc repris la vieille traduction. Gallimard s’est fait allumer pour ce caviardage https://www.en-attendant-nadeau.fr/2018/06/05/1984-orwell-kamoun/

[2] George Orwell, a life, Secker & Warbur, 1980.

[3] Dans la dèche à Londres et à Paris, Gallimard, 1935.

[4] Franz Borkenau, Spanish cockpit [1937], Champ Libre, 1979.

[5] George Orwell, La Catalogne libre (1936-1937), Gallimard, 1955

[6] Marcel Gauchet, À l’épreuve des totalitarismes, 1914-1974, Gallimard, 2010, p. 522, cité par Jean-Jacques Rosat, in, https://www.en-attendant-nadeau.fr/2018/06/05/1984-orwell-kamoun/

[8] Ce journal quasiment sans lecteur s’était ridiculisé lors de la campagne présidentielle de 2017 écrivant « Faites ce que vous voulez, mais votez Macron », https://www.liberation.fr/checknews/2017/11/12/liberation-a-t-il-contribue-a-faire-elire-emmanuel-macron_1652724. Quelques années plus tôt, ne supportant pas l’échec du référendum sur le TCE de 2005, Serge July – ancien maoïste – avait déversé toute sa bile sur les électeurs qui votaient mal – enfin pas comme lui ! https://www.liberation.fr/planete/2005/05/30/chef-d-oeuvre-masochiste_521500

[10] On a même vu les étudiants débiles de Sciences Po faire la promotion du voile. Ils ont rencontré un succès inattendu, preuve que ces gens-là vivent en dehors de la société, loin de ses contradictions.   https://www.lepoint.fr/societe/hijab-day-sciences-po-paris-organise-une-journee-du-voile-19-04-2016-2033480_23.php

[11] Orwell connaissait très bien l’Espéranto, sa tante était marié avec un de ses fondateurs militants, Eugène Lanti, anarchiste convaincu.

[12] Pierre Mabille, Egrégores ou la vie des civilisations, Jean Flory, 1938.

[13] Je pense par exemple au Quai de Wigan qui a été écrit en 1937 et qui a été publié par Champ Libre en 1982.

[14] Propaagnda avait été publié aux Etats-Unis en 1928. Bernays était le neveu de Sigmund Freud.

vendredi 19 juin 2020

Romaric Godin, La guerre sociale en France, La découverte, 2019

 Cet ouvrage, contrairement à d’autres ouvrages anti-macroniens, ne s’attaque pas à la personne, ni à sa position sociologique au service d’une caste, mais au cœur de sa doctrine, il va donc mettre en relation le désastre annoncé d’une politique économique avec ses intentions comme projet de société. En quelque sorte il prend Macron au sérieux, en montrant que ses idées sont très vieilles, il se référera à Adolphe Thiers pour la brutalité de sa gestion politique, tandis que moi je me réfère plutôt à Guizot, mais au fond c’est la même chose, il s’agit de restaurer l’ordre ancien. On se souvient d’ailleurs que lors de sa campagne présidentielle Macron avançait qu’en France il manquait un monarque, et qu’il disait s’inspirer de Margaret Thatcher – autre fantôme politique du passé – pour sa détermination. 

On connaît Romaric Godin depuis qu’il couvrait pour La tribune les turpitudes de la Commission européenne, et puis il a beaucoup fait ensuite pour éclairer sur les tractations qui ont abouti à la capitulation de Tsipras et au dépeçage de la Grèce. Ses analyses ont conduit son journal plutôt favorable au business à le mettre à la porte. Il est maintenant journaliste à Médiapart. Ses articles sont le plus souvent documentés et intéressants et d’ailleurs ce sont eux qui ont nourri son ouvrage. Il tente ici de travailler un peu plus large, et choisissant La guerre sociale en France comme titre et comme thème, il va s’essayer de théoriser un peu, ce qui n’est pas toujours facile comme on va le voir. Il choisit le titre en référence  Marx, La lutte des classes en France  et La guerre civile en France. Les deux ouvrages soulignaient combien en effet la lutte des classes fut particulièrement féroce dans notre pays, dans la volonté d’imposer un modèle sans compromis de domination du capital sur le travail, modèle auquel les masses ne pouvaient pas adhérer. La France est en effet aujourd’hui le cœur du combat contre le néolibéralisme, parce que c’est un des rares lieux où il reste encore une protection sociale digne de ce nom.  Les autres pays européens ont déjà rendu les armes. Et bien entendu Macron est représenté comme l’instrument de l’oligarchie pour liquider enfin le modèle social français issu de la Libération et que le patronat a toujours conçu comme une aberration. La collusion entre la haute administration, le monde de la politique et le grand capital n’a jamais été aussi visible qu’aujourd’hui formant ce qu’il faut bien appeler le bloc bourgeois dont le programme est de confisquer l’Etat pour son profit. Godin avance que ce bloc bourgeois, parfaitement soutenu par les économistes de profession, croit que son intérêt se confond avec l’intérêt général. Comme on va le voir rien n’est moins sûr : c’est ce qui semble caractériser le capitalisme d’aujourd’hui un cynisme à toute épreuve soutenu par une cupidité inédite. Certes la cupidité à toujours été présente dans la démarche des capitalistes, il suffit de lire L’argent de Zola par exemple, mais la concentration de la richesse dans les mains d’une poignée n’a jamais été aussi élevée. 

Macron remerciant ses sponsors qui lui ont permis d’être ce qu’il est 

Le premier chapitre traite du néolibéralisme. Cette appellation est souvent utilisée dans n’importe quel sens. Il faut la définir. Godin avance qu’il s’agit d’une forme sociale et économique qui garantit que le marché sera protégé et aidé par l’Etat. Il présente cette forme théorique comme une avancée, avec l’abandon de l’idée saugrenue selon laquelle le marché peu s’autoadministrer tout seul. C’est assez juste. Sauf que Godin aurait peut-être dû un peu plus insister sur le fait que cette nouvelle forme de relation entre l’Etat et le marché est aussi et avant tout un formidable transfert de richesses de la collectivité au capital privé. James Galbraith montrait comment l’oligarchie – entendons ici l’alliance de la haute fonction publique et du grand capital – organisait le pillage systématique de l’Etat[1]. Dans la démarche de Godin, il y a une sorte de présupposé qui ne me convient pas vraiment : il pense que la classe des très riches avance avec un plan d’asservissement des populations et donc se pense en tant que telle. Donc que les économistes, cette profession qui s’est vendue globalement au grand capital, élabore un plan pour gouverner et qu’ils croient que celui-ci est le meilleur. C’est faux : les économistes sont payés pour justifier ex-post ce qui convient aux capitalistes. On pourrait même dire que les économistes ne croient à un modèle que s’il leur permet de gagner de l’argent avec ! Naomi Klein dans un ouvrage maintenant un peu ancien rappelait comment les grands patrons américains avaient financé les universités pour qu’elles développent un programme qui mettrait en son cœur la célébration des vertus du marché[2]. Les économistes qui défendent le néolibéralisme ne sont pas des chercheurs, même s’ils pondent des articles abscons dans des revues académiques, ce sont des propagandistes qui sont payés et très bien payés d’ailleurs pour justifier la colonisation de l’Etat par le capital. Ils illustrent par eux-mêmes l’idée un peu stupide selon laquelle seule la soif d’argent nous guiderait dans nos actions. Mais la quasi-totalité de la population ne vit pas avec cette idée, même si évidemment elle doit faire en sorte de trouver de quoi subvenir à ses besoins. Et évidemment dans un monde où tout s’achète et tout se vend, y compris le ventre des femmes pour bricoler une fausse progéniture, il faut bien en passer par le marché. Mais rien ne dit que l’action soit guidée par la cupidité naturelle des êtres humains, en dehors des capitalistes et des économistes ! 

Le Conseil national de la Résistance 

Le second chapitre s’intéresse à l’histoire vue sous l’angle de la volonté de construire une société sur le modèle néolibéral. Godin remonte assez loin. Cette approche historique est forte et méthodique, et d’ailleurs la France fut un pays qui donnât de nombreux économistes libéraux bien avant Smith, comme Turgot par exemple auquel souvent les libertariens se réfèrent aux Etats-Unis pour opposer la pureté d’une pensée pragmatique aux élucubrations métaphysiques du philosophe écossais[3]. On lui reprochera cependant de nombreuses approximations, comme par exemple de considérer la Révolution de 1789 seulement comme une révolution bourgeoise, basée sur des principes qui mettent l’Etat au service du capital. Cette approche me semble erronée pour deux raisons, la première parce que c’est le petit peuple qui a fait concrètement la Révolution, la bourgeoisie freinant des quatre fers, voulant éviter la chute de la Royauté, mais surtout parce que la Révolution de 1789 transforma durablement le pays et donc également la bourgeoisie. Ce n’est pas un hasard si 1789 et la prise de la Bastille restent une référence de tous les mouvements révolutionnaires qui sont venus ensuite. Sans doute Godin était-il pressé par le temps et qu’il ne voulait pas trop rentrer dans le détail. Il revient ensuite longuement sur les volontés en France de faire toujours payer un peu plus les travailleurs, par exemple à travers la référence à Thiers, un autre « théoricien » de la théorie du ruissellement. Cette évolution historique montre que la période qui va mettons de 1945 à 1975, qu’on appelle aussi les Trente glorieuses, fut une parenthèse étrange, en porte à faux avec l’élite autoproclamée de la France, et non pas le débouché d’un mouvement historique logique de l’évolution inéluctable du capitalisme comme le croyait Schumpeter[4]. Que ce soit Godin ou Piketty, ils croient à la permanence d’un modèle inégalitaire à travers le temps, et non pas à une évolution naturelle vers le mieux, sans doute est-ce pour cela que leurs solutions de sortie de crise restent finalement très timides. C’est évidemment le modèle qui a émergé à la Libération, élaboré par le CNR, que Macron et la canaille capitaliste qui l’a mis là veulent détruire. Ce modèle était également un compromis entre le capital et le travail, une sorte de neutralité de l’Etat qui conduisit d’ailleurs au paritarisme dans la gestion de la protection sociale, mais qui a conduit à une large nationalisation de l’économie. Godin montre que le modèle néolibéral en France a dû faire face à une résistance dure de la part des populations, peut-être un peu plus que de partout ailleurs – encore que la violence de Ronald Reagan aux Etats-Unis ou celle de Margaret Thatcher au Royaume Uni atteignit un niveau très élevé. 

 

Notez que très rapidement, alors que ce modèle enregistre de grands succès en termes de croissance et d’emplois, la bourgeoisie va l’attaquer frontalement comme une hérésie qui ne peut pas fonctionner véritablement – c’est le sens des travaux de Milton Friedman qui veulent démontrer que cette croissance ayant été acquise avec de l’inflation, elle ne saurait être durable[5]. Il est assez facile de démontrer que les idées de Friedman ont été invalidées par les faits : en effet c’est après la fin de l’inflation que le taux de croissance s’est effondré en Occident. Dans le graphique ci-dessus, on voit clairement une relation positive entre inflation et croissance. Si ces idées ont été invalidées par les faits, alors pourquoi continuer à en faire le guide d’une croissance équilibrée ? La réponse est claire, c’est parce que la lutte contre l’inflation permet, sous la houlette de l’Etat de transférer de la valeur du travail vers le capital. Dès 1959 et le rapport Rueff-Armand, les revanchards du capitalisme voulaient en découdre. Mais jusqu’à une date très récente ils durent en rabattre. Le démantèlement des acquis du CNR ont commencé d’ailleurs avec Pompidou qui s’attaqua avec beaucoup de peine en 1967 à la Sécurité sociale. Mais des grandes manifestations, puis Mai 68, bloquèrent durablement cette volonté. Mais la canaille du Grand capital remis ensuite l’affaire sur le métier avec la patience de l’araignée. Chirac s’attela à faire le job, disant s’inspirer de Reagan et Thatcher, il mis en œuvre le plus vaste mouvement de privatisations de toute l’histoire. Mais ses réformes du marché du travail et des retraites le conduisirent dans une impasse. Sarkozy prit la suite de cette débauche de violences contre les salariés. Cela engendra d’ailleurs une impopularité très élevée dans le pays, et il fut battu en 2012 par un homme qui prétendait avoir pour ennemi la finance. Celui-ci ayant trompé ses électeurs sur son véritable programme atteint rapidement des records d’impopularité, n’arrivant même pas à souder le bloc bourgeois autour de lui. Alors que son parti, le P « S » tenait tout les leviers du pouvoir, cette trahison va le détruire complètement. Pire encore, Hollande amena avec lui dans ses bagages un homme déterminé à soumettre enfin la France et les Français aux exigences du capital. Notez que cet homme à moitié fou est devenu plus qu’impopulaire. Banquier de profession, il est détesté par les trois quart des Français qui rêvent de le voir s’en aller. 

 

Le troisième chapitre intitulé Genèse du macronisme prend pour point de départ l’arrivée de Sarkozy au pouvoir et la mise en place de ce qu’on a appelé la Commission Attali. Le sens de cette commission est le suivant : la marche vers le néolibéralisme n’est pas assez rapide, « il faut libérer la croissance », autrement dit tout donner au capital et tout prendre au travail. Le rapport que cette commission formée de semi-débiles est édifiant : tous les freins à la croissance doivent être enlevés, avec des mesures plus stupides les unes que les autres. Attali idiot en chef de cette assemblée suggère qu’il n’y a pas assez d’hypermarchés par exemple, ou encore qu’il faut en finir avec le principe de précaution – idée que ne renierait pas Trump par exemple. La première recommandation tombera d’elle-même, parce que l’ère de grandes surfaces est passée, notamment à cause de la transformation des modes de consommation – ce qui prouve à quel point cette commission était archaïque et vivait sur les idées du XIXème siècle qui étaient déjà mauvaises en ce temps-là. Le principe de précaution est effectivement détruit par Macron lorsqu’il devient président avec les conséquences qu’on sait par exemple avec Lubrizol, mais il y a eu ces derniers temps une multiplication inquiétante des accidents industriels consécutivement à cet allègement des contraintes[6]. A l’ère de la révolte contre le réchauffement climatique comme conséquence du capitalisme dérégulé, cette dernière lubie sonne comme le tocsin d’une pensée franchement inadaptée. On pourrait dire d’ailleurs que l’archaïsme de ces gens se remarque au fait qu’ils n’arrêtent pas de se revendiquer du « progressisme », comme pour se convaincre eux-mêmes qu’ils ne sont pas les dernières vomissures du Vieux Monde. Macron justement était co-rapporteur de cette mission saugrenue[7]. Dans cette commission il y a deux idées : d’abord celle selon laquelle si en France les réformes ne marchent pas, c’est parce qu’on ne les fait pas en bloc, mais en suivant une politique de petits pas, le gradualisme, ensuite qu’en détruisant « les rigidités » que ce soit sur la marché du travail ou autre, on doit renforcer le pouvoir du capital sur le travail. Puisqu’en effet si on croit – ou si on fait semblant de croire – à la théorie de l’offre comme panacée universelle, on doit tout faire pour le capital. D’où bien sûr des mesure de transferts des ménages vers les entreprises comme le CICE qui nous coûte chaque année 20 milliards d’euros depuis 2014 et 40 milliards cette année – un pognon de dingue ! Sans doute ce qui va ralentir la mise en œuvre des recommandations stupides de la Commission Attali, c’est la crise de 2008. Mais Godin fait remarquer à juste titre que cette crise est en réalité le résultat de la déréglementation que recommande la Commission Attali ! Or on n’en tiendra jamais compte, on fait comme si cette crise n’était qu’un accident et non pas la conséquence de l’évolution vers plus de libéralisme justement. Il est d’ailleurs assez remarquable que les économistes libéraux avancent depuis deux siècles et demi au moins toujours les mêmes solutions, quels que soient les problèmes étudiés : déréglementer, faire reculer l’Etat et donner plus de pouvoir au marché, c’est-à-dire au capital, comme si la société était restée la même depuis Adam Smith. C’est une posture intellectuelle pour le moins assez indigente, et barricadés derrière leurs modèles mathématiques foireux, ils ne se rendent même pas compte de leur propre immobilisme intellectuel. Cependant cette crise de 2008 va faire reculer pour un temps la bataille et obliger les Etats développés à revenir au bon vieux keynésianisme, soit à la relance de la demande pour sauver les meubles. C’est du côté de la Grèce que cela repartira. La crise grecque va remettre rapidement au goût du jour les programmes austéritaires dans toute l’Europe et plus particulièrement dans l’Europe du Sud. La trahison de Tsipras permettra à la finance sans nom et sans visage de piller le pays, comme elle l’entend. Godin à mon avis à le tort de présenter cette action de l’oligarchie européiste comme une simple application d’une doctrine aveugle et bornée, le but c’est la prédation et l’enrichissement rapide, et pas la construction raisonnée d’un modèle de société qui aurait un avenir stable. Il va y avoir de juteuses affaires à réaliser pour les initiés. C’est dans ce scandaleux contexte qu’Hollande va être élu, sur le rejet de la personnalité de Sarkozy qui veut lui aussi accélérer les réformes. 

 

Le fourbe président « socialiste » va se présenter comme l’ennemi de la finance ce qui lui permettra d’être élu. Mais rapidement il va donner des gages au capital contre le travail. Il va sous la houlette d’un huluberlu mettre en œuvre des réformes bien pires que celles que présentait Sarkozy, le CICE, transfert monstrueux des ménages vers le grand capital, réformes du droit du travail fragilisant encore un peu plus les salariés dans leur relation avec le patronat. Selon les journalistes du Monde, Macron aurait été directement imposé par le grand capital à Hollande. C’est du moins la thèse que soutient François Rebsamen, ancien trotskiste passé au social-libéralisme façon Rocard[8]. Evidemment tout cela plombe durablement la crédibilité d’une alternance et explique pourquoi l’extrême-droite est devenue le premier parti ouvrier. C’est dans ces conditions que Macron va être élu, avec une adhésion du corps électoral extrêmement faible. Mais Macron va vouloir imposer les vieilles réformes libérales en bloc, comme on a dit. Il déclenche ainsi une guerre sociale qui va prendre la forme de la révolte des gilets jaunes. Cette révolte profonde a même sans doute failli l’emporter au début du mois de décembre 2018, elle représente une haine durable non seulement pour ce personnage ubuesque, mais aussi pour le projet de société qu’il porte. Rapidement son gouvernement, dirigé par l’ancien lobbyiste d’Areva, va apparaître comme l’ennemi des travailleurs, affairiste et cosmopolite il va vendre la France par petits morceaux. Le traité d’Aix-la-Chapelle, couronnera cette idée de démembrement de la nation. C’est un point que ne souligne pas Godin, à côté d’une menée antisociale, Macron et son équipe démembrent la France, aussi bien en vendant les fleurons industriels comme Alstom, boulot qu’il avait entamé en tant que ministre de l’économie[9], qu’en rabaissant la souveraineté de la France en la partageant avec l’Allemagne qui au passage tente de récupérer un siège au Conseil de sécurité de l’ONU. C’est un point pourtant capital car cette transformation de la nation, sa dilution, rendra bien plus difficile par la suite un retour à une politique plus égalitaire dans notre pays. Egalement les privatisations des biens publics, ADP, La Française des Jeux, dévoilent la cupidité de ce gouvernement de millionnaires[10]. Les mesures prises par Macron et Philippe sont tellement favorables au grand capital qu’on n’imagine pas une minute que cet immense service ait pu être gratuit. Macron a été désigné par les Français comme le président des très riches, et ce n’est pas sans raison, c’est que derrière le raisonnement un peu bricolé du ruissellement et de la théorie de l’offre, les Français ont perçu la canaillerie du personnage, comme celle de son épouse d’ailleurs. Aussi dès le mois de novembre 2018, la révolte va gagner la France entière, partant d’un refus de payer de nouvelles taxes sur les carburants, les gilets jaunes vont attaquer le gouvernement en permanence et sur tous les points. Ils prennent le relais de la grève avortée de la SNCF que les syndicats ont si mal menée. Comme les partis de gauche n’ont plus guère de programme, et que les syndicats semblent médusés par leur propre adhésion au modèle néolibéral, l’explosion va venir d’ailleurs d’où l’arrogant Macron, ivre de son pouvoir, ne l’attendait pas. Sa surprise est la preuve qu’ilne connait pas son histoire de France. Raisonnant pour le coup avec les critères du vieux monde, il croit que parce que les syndicats ne bronchent plus et que les partis sont au tapis, il peut tout se permettre. Mais notre pays est coutumier des révoltes spontanées qui se forment en dehors des partis, la preuve la Révolution de 1789, ou encore la Commune de Paris, ou encore bien sûr la Résistance française. 

 

Malgré quelques concessions de façade à la crise des gilets jaunes, Macron maintient le cap de ses réformes pour les plus riches, sans plus se soucier de l’adhésion des Français qu’il n’aura plus jamais. Inévitablement, le régime tourne à l’autoritarisme, c’est le terme pudique qu’emploie Godin, moi je préfère parler de fascisme ou de dictature. Mais nous sommes d’accord sur l’essentiel, les réformes néolibérales étant rejetées par la très large majorité des Français, Macron ne peut continuer qu’en usant de la violence policière[11], judiciaire et verbale également. Godin cependant se trompe en pensant que le mouvement des Gilets jaunes est d’abord un mouvement des classes moyennes. Ce n’est pas ce que nous avons vu, ni ce que montre par exemple le film de François Ruffin et Gilles Perret J’veux du soleil. Le mouvement est bien plus large que cela, et ceux qui continuent encore samedi après samedi à contester Macron, sont vraiment partie des classes inférieures. Godin rappelle d’ailleurs que tous les présidents qui se sont lancés dans des réformes néolibérales au service du grand capital ont tous été désavoués. A l’encontre de ses prédécesseurs, Macron ne vise aucun compromis, il suppose qu’il peut utiliser l’outil de la Constitutiion de 1958 – outil très autoritaire – non pas pour réunir les Français derrière lui, mais pour les soumettre et servir la classe qui l’a mis à cette place peut-être un peu inconsidérément. Il compte aussi sans doute sur l’impossibilité pour l’opposition de s’unir. Il pense certainement qu’il peut même être réélu en faisant jouer la partition, moi ou le fascisme de Marine Le Pen[12]. Cependant il y a un facteur décisif dont Macron sous-estime l’importance, c’est l‘échec concret des politiques néolibérales au niveau planétaire : elles ne stimulent plus ni la croissance, ni l’emploi, et la concurrence commerciale entre pays semble avoir atteint ses limites comme le montre les conflits qu’entretient l’ubuesque Trump avec l’Union européenne et la Chine. Et d’un certain point de vue Godin sous-estime aussi cet échec. 

 

En effet, après avoir détaillé toutes les turpitudes de Macron et sa violence, Godin va s’essayer à trouver des portes de sortie. Il souligne à juste titre que le gilets jaunes ont eu un écho inattendu, et donc que cela montre que les Français, plutôt favorables dans leur ensemble au mouvement des gilets jaunes, sont tout à fait hostiles aux réformes néolibérales. Les derniers sondages montrent que la moitié encore des Français soutient les gilets jaunes, mais une très large majorité soutient la lutte des personnels hospitaliers, ce qui au fond revient toujours à un rejet des réformes[13]. Mais justement ce mouvement montre que l’échec programmé sur le plan économique du mode de gouvernement de Macron, engendre d’une manière ou d’une autre une opposition très vive, dans la rue, faute que les syndicats soient un peu plus combattifs. Godin, à mon sens, a tort de croire qu’une gauche rénovée peut nous sortir d’un face à face Marine le Pen – Macron. Mais cela repose sur plusieurs erreurs d’analyse :

– d’abord Godin ne comprend pas la disparition de la gauche en Italie, aujourd’hui elle se trouve à 3,5%, le reste c’est Salvini aux environs de 30-35% et ensuite il y a un bloc néolibéral complètement balkanisé. Or cette gauche a disparu pour deux raisons, elle n’a pas compris le sens de la révolte contre les migrations massives imposées par la mondialisation, et aussi la question de la nation, avec le rejet de l’Islam par exemple. Or c’est bien cette question qui est décisive ;

– ensuite, Godin perd son temps avec l’idée selon laquelle les Français seraient europhiles, et donc voudraient bien d’une Europe, mais d’une autre Europe. Rien n’est moins sûr, certes on a fait peur aux Français en leur disant que le coût d’une sortie de l’Europe était très élevé, mais cela ne veut pas dire qu’ils adhèrent à l’idée d’une Europe supra-nationale. Cette illusion plombe la gauche et la détruit de l’intérieur, elle renforce du même coup l’extrême-droite. Une construction européenne qui serait au service de l’intérêt général est tout simplement impossible. La raison en est simple : c’est un ensemble de pays complètement hétéroclite. Les trajectoires historiques des différents membres sont disparates. Le pouvoir ne peut alors que s’éloigner des électeurs et le contrôle de cette bureaucratie s’éloigner toujours un peu plus. Dans l’idée d’une démocratie plus directe, ce grand écart n’a pas de sens. J’avais dit et écrit que Mélenchon échouerait s’il n’éclaircissait pas plus ses positions sur l’Europe et sur la question migratoire. Et de fait il a échoué terminant seulement quatrième derrière le gangster Fillon pourtant plombé par les affaires ;

– également Godin pense que le mouvement des gilets jaunes, pour lequel il manifeste une sympathie évidente, n’a duré que six mois et donc que maintenant il est fini. Ce n’est pas vrai. Même s’il a moins de vigueur aujourd’hui, il est toujours présent et ressurgit dès que l’opportunité se présente, que ce soit la lutte pour l’environnement, celle contre le CETA, etc. Il salue Commercy, comme l’ébauche d’une organisation d’une forme nouvelle intéressante. Il se trompe encore, Commercy était en porte à faux par rapport au contenu du mouvement. Avec le recul, on peut même considéré que cette volonté de centraliser le mouvement fut une erreur.

Mais cela n’est pas le plus important. L’erreur principale de Godin est justement au niveau économique, il n’anticipe pas l’effondrement programmé de la mondialisation néolibérale. Or, il est là sous nos yeux. Il raisonne comme s’il voulait restaurer un capitalisme civilisé. C’est le cœur même du capitalisme qui est aujourd’hui touché durablement, ne serait-ce qu’à cause de la crise environnementale qui vient s’ajouter à la crise plus générale de la demande. D’ailleurs cette erreur d’analyse se confirme dans le fait que Godin croit à « la transition écologique », et il suppose qu’avec un peu d’argent et de bons investissements on pourra reconstruire un capitalisme à visage humain. Mais même les jeunes gens d’Extinction Rebellion ont intégré que le moteur de la destruction de l’environnement c’est le profit et la folie consumériste portée par le progrès technologique. C’est donc bien la croissance comme moteur de la société qui est en question et non sa restauration. Or si on rejette l’idée de croissance – aussi bien pour cause de crise environnementale, ou parce que tout simplement l’idée de compétition et de concurrence est devenue laide et peu attirante – on tombe forcément sur la question de l’égalité. 

 

L’autre point sur lequel Godin se trompe, c’est sur l’analyse de la bureaucratie syndicale. Il montre Macron la méprisant, et Laurent Berger – que Godin appelle « Bergé » – se plaindre de ce mépris. Mais outre que Berger est partie prenante du projet néolibéral de collaboration de classes, il n’est pas certain que les syndicats restent dans la passivité. On sait qu’au niveau local il y a des sections syndicales, CGT, FO et même CFDT, qui sont combattives et qui ne demandent qu’à en découdre. Les licenciements se multipliant un peu partout dans ce qui reste de tissu industriel, il se pourrait bien que la contestation sociale reparte aussi de ce côté. Donc si globalement je partage la critique du macronisme que propose Godin, je n’en partage pas les conclusions qu’il imagine sur le plan politique. Je crois qu’on ne peut plus raisonner en termes de gauche et de droite, mais l’alternative se trouve plutôt entre « socialisme » et « capitalisme », parce que l’idée de socialisme peut très bien se passer de la croissance et du profit, et que ces deux termes sont les raisons du désastre écologique d’aujourd’hui. L’échec programmé du macronisme n’est pas spécifique à Macron, c’est l’échec plus global du néolibéralisme à l’échelle de la planète entière. Godin se rend compte d’ailleurs que de partout le projet néolibéral est en recul, faisant voir l’apparition de Macron comme la queue de la comète, la fin du mouvement engagé par Reagan et Thatcher à la fin des années soixante-dix. 

 

Godin parle de démocratie autoritaire. Cela me semble faux, on pouvait parler de démocratie autoritaire sous le général de Gaulle, quand le président de la république avait une légitimité certaine et visait malgré tout à rassembler le pays. Mais ce vocable ne me parait pas applicable à Macron qui, s’il a bien été élu suivant la loi, n’est pas légitime du tout, et c’est justement pour cela qu’il est obligé de se radicaliser par la violence. Quand au début du mouvement des gilets jaunes il a lâché les milices contre le peuple, il était embarrassé, non pas qu’il ait des scrupules, la morale n’est pas son problème, il est menteur et voleur, mais il ne comprenait pas le rejet dont il était l’objet, croyant que la maîtrise des outils de communication façon marketing de supermarché lui permettrait de subjuguer le peuple. Si durant sa campagne présidentielle les journalistes amis ont mis en avant sa grande culture et sa grande intelligence, manifestement plus personne y croit. La violence fascisante qu’il exerce semaine après semaine contre les gilets jaunes est l’image de cette rage qui résulte de ce rejet dans l’opinion. Nous ne sommes plus dans une démocratie, fut-ce-t’elle parlementaire. Non seulement à cause des lois scélérates que la canaille LREM a votées, mais aussi à cause de la privatisation de la justice et de la police qui est ainsi instrumentalisée au service d’une caste minoritaire en nombre et sur le plan des idées dans le pays. Le fait que la quasi-totalité des médias soit aussi sous contrôle prouve assez cette dérive. Godin d’ailleurs surestime l’opposition de Macron aux journalistes qui dans l’ensemble le servent très bien et servilement.

Le dernier reproche qu’on peut faire à Godin c’est de faire comme si le projet macronien était sérieux, contestable certes, mais sérieux. Comme l’a bien montré Juan Branco, les macroniens se caractérisent encore plus que par le passé par l’affairisme et la cupidité. Leur mot d’ordre c’est prend l’oseille et tire toi. Et leur leader apparaît maintenant comme un fou furieux. Donc ils ne sont pas là vraiment pour définir un projet de société, fut-il contestable, mais pour taper dans la caisse, vendre leurs services à l’oligarchie à coups de privatisations et autres canailleries. On peut vérifier cela par le nombre élevé de personnes proches de Macron qui sont inquiétés jour après jour par la justice pour leur traficotage d’argent public, le dernier exemple étant la cupide Sylvie Goulard dont les nombreuses casseroles ont été le prétexte facile pour les députés européens, pourtant peu regardant, pour l’écarter d’un poste éminemment lucratif. Et donc à partir de là il ne sert à rien de combattre le macronisme sur le plan théorique, il est plus judicieux dans doute de les insulter et de les combattre dans la rue. Les Français, gilets jaunes et paysans ont commencé à s’en prendre aux permanences des députés LREM.

Néanmoins malgré toutes les réserves qu’on vient de dire, l’ouvrage de Godin est très utile pour nourrir et élargir le débat. L’approche historique qui montre à la fois les racines du projet macronien et sa continuité dans le temps est suffisamment intéressante pour justifier sa lecture.  



[1] The predator State, S. and S. International, 2008.

[2] La stratégie du choc, Léméac/Actes Sud, 2007.

[3] Murray Rothbard, Economic thought, before Smith, 2 vol., Edward Elgar, 1995

[4] Joseph A. Schumpeter, Capitalism, Socialism and Democracy, Harper and brothers, 1942.

[5] Capitalism and freedom, University of Chicago Press, 1962 et aussi Milton Friedman & Anna Schwartz, A Monetary History of the United States, 1867-1960, Princeton University Press, 1963..

[8] Gérard Davet et Fabrice Lhomme, “La dévorante ambition d'Emmanuel Macron”, Le Monde, 29 aout 2019.

[11] Godin rappelle fort à propos la fuite piteuse de Macron de Puy-en-Velay au début du mois de décembre 2018, un événement inédit. Son salut ne résida ce jour là que dans la célérité de ses gardes du corps qui l’évacuèrent. Depuis il ne se déplace plus que sous une escorte extravagante et ruineuse, tant la peur lui est chevillée au corps.

[12] Il pourrait très bien se tromper sur ce point. On a vu en Italie une majorité formée un moment avec M5S et la Lega. En Hongrie, Orban a perdu Budapest avec une coalition entre l’extrême-droite et le centre gauche.

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