vendredi 26 janvier 2024

Deux ou trois choses à dire sur la révolte des paysans

  

L’agriculture dans une économie « moderne » ne représente rien, une vague idée, un souvenir pour les plus vieux. Les manifestations d’agriculteurs s’étendent à tous les pays européens et les gouvernements les craignent. Leurs principales revendications en dehors d’obtenir des revenus décents, c’est abattre les normes européennes en vigueur qui interdisent les pesticides, les glyphosates, etc. Ils manifestent aussi en Allemagne comme en France contre la hausse de l’énergie. Cependant il est difficile de discuter de cette question, l’affaire est compliquée. L’ampleur des manifestations dans tout l’hexagone masque en réalité les dissensions profondes entre les agriculteurs eux-mêmes. Ce point est très important et c’est pourquoi si cette révolte n’est pas rejointe par d’autres revendications – par exemple, le secteur de la santé en déshérence, celui de l’éducation nationale oiu encore les cheminots – l’échec est programmé. Ce qui veut dire que le gouvernement pourra se contenter de mesurettes qui ne changeront rien quant au fond, mais qui calment momentanément la fronde. 

Allemagne début janvier 2024 

La paysannerie a été volontairement massacrée et l’agriculture a été maltraitée ces dernières décennies, produisant d’ailleurs une agriculture à deux vitesses, les bons produits bien de chez nous, bio et chers pour les classes supérieures, les produits sans goût et qui rendent malades et donnent des cancers, mais pas chers[1], pour les pauvres. Avec la PAC, l’Union européenne a acheté les paysans à coup de subventions, les orientant vers la profession de jardinier-paysagiste pour touristes. Les bureaucrates de Bruxelles et globalement la classe des politiciens comme celle des journalistes haïssent – le mot n’est pas trop fort – les paysans qui ont pour eux la réputation d’être des sortes de sous-développés, mal lavés et analphabètes, en outre ils parlent souvent avec un drôle d’accent ! La responsabilité première de ce désastre, c’est l’Union européenne et plus précisément la PAC qui a mis en place un système porté par deux principes :

– le premier est celui d’une production abondante et bon marché au plus bas prix possible, et pour cela favorisant la concentration. De ce premier principe, on en déduit facilement qu’il y a les gros agriculteurs qui mangent environ 80% des subventions de la PAC – on sait par exemple que le prince Albert de Monaco touche des subventions européennes et tant que paysan, lui qui n’a jamais travaillé un seul jour de sa vie - et les autres. Donc tous les agriculteurs ne sont pas du même « genre », les uns sont des entrepreneurs de l’agriculture qui vivent comme des Parisiens, les autres des paysans qui ont un mode de vie particulier.

– le deuxième principe est celui franchement stupide et criminel de la concurrence libre et non faussée. Les dégâts causés par cette fantaisie peu sérieuse sont doubles : d’une part plus on a intégré des pays pauvres à l’UE – par exemple les anciens pays de l’Est – et plus la situation du paysan français s’est détériorée. D’autre part l’Union européenne prise d’une frénésie de libre-échange a signé en catimini, et pratiquement en secret, des traités avec des concurrents terribles à l’extérieur de l’Union européenne. Par exemple le CETA qui est en fonction depuis 2017, mais qui n’a jamais été approuvé par la France, l’Allemagne, l’Italie et les Pays-Bas, et pourtant il fonctionne depuis 7 ans et continue de ruiner les agriculteurs ! On se demande d’ailleurs si le but de la crapule bruxelloise qui pond des lois en douce n’est pas tout simplement de détruire l’Europe. En tous les cas la légitimité de ces procédures est douteuse et sûrement pas démocratique parmi les points controversés de ce traité pourri, il y avait le fait que toute action d’un gouvernement européen pour protéger ses citoyens donnerait lieu à des indemnités confortables pour les plaignants au nom de la sacro-sainte supériorité de la liberté du commerce sur tout le reste[2]. Ce qui n’incitera pas les gouvernements ni à protéger les consommateurs, ni les agriculteurs ! 

Toulouse 16 janvier 2024 

Comme on l’a compris, les seuls agriculteurs qui s’en tirent, ce sont les « gros » qui non seulement raflent les subventions européennes – c’est problème connu depuis au moins trente ans – mais qui en outre imposent leurs méthodes de production. Il faut ajouter que l’Union européenne en s’engageant dans la guerre contre la Russie, on ne sait pas pourquoi en dehors de prouver sa soumission à Washington, a nui aux agriculteurs de deux façons conjointes, d’une part elle les a privés d’un marché important à l’exportation et d’autre part entraîné un renchérissement spectaculaire des coûts de l’énergie. Ce renchérissement est d’ailleurs en train de ruiner aussi l’industrie allemande. Quand la FNSEA – lobby des « gros » – milite contre les normes européennes elle ne parle pas au nom de l’ensemble de la paysannerie. C’est ce lobby qui est intervenu pour faire en sorte que la France ne vite pas l’interdiction européenne du glyphosate. Le revers de la médaille de cette concurrence effrénée dans l’Union européenne a accéléré la dégradation des produits agricoles. C’est une évidence avec ces « fermes » industrielles – voyez l’oxymore – qui produisent de la viande à peine mangeable avec les risques inhérents pour la santé. Comme on le comprend l’Union européenne – en fait la Commission européenne – a produit une politique monstrueuse qui empoisonne les sols et les détruits. Ajoutons que quand les subventions européennes vont principalement aux industriels de l’agriculture, elles contribuent à ruiner les petits paysans en maintenant des prix trop bas : c’est de la concurrence déloyale pour le coup ! 

À Poitiers on déverse du fumier devant la préfecture, le 25 janvier 2024 

Il y a d’autres responsables à ce désastre, par exemple l’OMC qui a tout fait justement pour lutter contre les normes, encore au nom de la concurrence libre et non faussée. Ensuite il y a l’organisation des marchés de consommateurs de produits agricoles. Évidemment les hyper-marchés qui font la loi. C’est un phénomène de monopsone bien connu depuis des années, et le problème s’aggrave avec la disparition progressive des marchés de plein air. La politique européenne qui a peu fait pour aider le bio à prospérer – reculant autant qu’elle le peut le moment où il faudra bien introduire une interdiction de glyphosate et de tous les produits qui empoisonnent les sols – travaille contre l’amélioration du bilan carbone. Par exemple en ouvrant les frontières, on fait faire des centaines de kilomètres, voir des milliers pour la viande qui arrive du Canada, de la Nouvelle-Zélande ou du Brésil. Ces produits arrivent fortement dégradés dans nos assiettes, avec une mauvaise valeur nutritive, et je ne parle pas des produits transformés par l’industrie agro-alimentaire qui, elle, pousse aussi bien à la baisse des prix des produits agricoles qu’à la baisse de la qualité, comptant sur des additifs chimiques pour faire passer la pilule auprès des consommateurs. Comme on le comprend, une véritable politique agricole – essentielle à la souveraineté d’un pays – passe par un certain nombre d’actions :

– d’abord sortir de l’Europe et ne laisser entrer sur le territoire que des produits qu’on ne peut pas produire nous-mêmes, je voudrais signaler que derrière la résistance de l’économie russe, et son non-effondrement, il y a une vraie révolution agricole. En 1990 les Russes importaient des poulets américains, du blé canadien, etc. Aujourd’hui, ils sont un des premiers exportateurs de céréales comme la guerre en Ukraine l’a révélé et ils exportent du poulet ! Ça ne s’est pas fait facilement, mais à la base, il y a une distribution de terre gratuite et des aides pour s’équiper. J’ajoute que l’abaissement des barrière douanières pour les produits ukrainiens va encore un peu plus perturber le marché de la volaille et des céréales, même en France.

– ensuite mettre au pas les hypermarchés qui sont dans une situation d’abuis de position dominante. Ce problème ancien n’a jamais été réglé, à cause des financements des partis politiques dont dépendaient l’autorisation de construire ces zones commerciales qui le plus souvent étaient financées dans les infrastructures – routes, eau, électricité, vente de terrains à bas prix – par les collectivités locales. On parle souvent de revitaliser les centres villes, mais les marchés de producteurs se meurent complètement, rompant le lien entre les producteurs et les consommateurs. Pourtant il y en a qui ne jouent pas le jeu et qui tentent de contourner l’organisation actuelle et prédatrice. Les consommateurs apprécient d’acheter les productions locales, mais c’est parfois très difficile surtout si on habite dans une grande ville.   

 

Dénouer la crise agricole qui concerne bien au-delà des agriculteurs le pays tout entier doit se penser à partir d’un changement de modèle ; celui qui a été imposé par l’Union européenne a fait faillite. Il faut reprendre la question à la base, soit dénoncer le clivage entre les gros entrepreneurs agricoles et les petits paysans, et retisser des relations de confiance entre les Français et les paysans, fermer les hypermarchés, etc. Autrement dit on ne pourra pas faire confiance à la FNSEA, lors des négociations avec le gouvernement, car l’agriculture qui est moribonde aujourd’hui c’est sa forme capitaliste.  J’avais calculé il y a une vingtaine d’années que le retour à une agriculture raisonnable et raisonnée qui ne serait pas dominée par l’agro-industrie pourrait créer au moins deux millions d’emplois. Ce sont des emplois utiles si les produits sont de qualité, alors que les emplois dans la bancassurance ou dans le maintien de l’ordre sont complètement inutiles, consomment de la valeur et n’en crée pas. Les vieux économistes français, ceux du XVIIème et du XVIIIème siècle, savaient que la seule richesse ce sont les biens nécessaires à l’entretien de la vie. La culture d’une nation, c’est son agriculture et sa culture. Le marché en se développant a éliminé des productions de fruits traditionnelles, mais aussi de fromages, on ne trouve presque plus que du lait stérilisé, etc. L’Union européenne au nom de l’hygiène voulait interdire les fromages français à pâte molle pour développer le marché des fromages à pâte pressée cuite. Elle dut renoncer, mais à travers cette action c’était à des différences culturelles que l’Union européenne s’attaquait. 

 

Les orientations européennes, scrupuleusement traduites en France par les différents gouvernements non seulement ont permis de produire de la merde, mais elles ont eu de plus un effet négatif sur la balance commerciale agricole française. C’est particulièrement net dans les filières de la viande, la volaille, le porc ou le bœuf. On évoque souvent la cherté du travail. Ce qui ne veut rien dire car on ne peut pas concurrencer la Pologne, l’Ukraine ou la Roumanie sur ce terrain. Mais il y a d’autres facteurs, d’abord la taille des entreprises industrielles agricoles qui est plus faible en France qu’en Allemagne par exemple, et puis il y a eu l’effet euro qui a aidé l’Allemagne à se tailler des parts de marché pour le porc et le bovin. 

Vendredi 26 janvier, Attal qui lisait un petit papier pour présenter les réformes proposées aux agriculteurs a été très mal accueilli par la profession, il est vrai que le malaise paysan dans toute l’Europe est bien plus profond qu’on ne le croit, et il ne se règlera pas avec la fin de l’augmentation de la taxe sur l’énergie. « On continuera à rester mobilisé », a annoncé vendredi soir la porte-parole de la Confédération paysanne, Laurence Marandola, estimant que l’intervention du premier ministre « n’augure pas de la transformation profonde dont a besoin l’agriculture ». Le gouvernement pensait avoir calmé un peu le jeu à la manière de ce qui avait été fait avec les Gilets jaunes, accordant provisoirement une sorte de ristourne sur les hausses à venir sur le fuel ! certes il a obtenu le premier résultat de diviser un peu le mouvement, mais pour l’instant c’est tout. Jérôme Bayle a demandé à ce que la circulation reprenne samedi midi à Carbonne. Sur l’autoroute, « ça va circuler ». Sera-t-il suivi ? Rien ne sera réglé, même si le mouvement s’arrête demain matin. Les Belges ont annoncé qu’ils allaient s’y mettre aussi. Des violences ont commencé à éclater. Il est tout de même extraordinaire que les crétins qui entourent Macron depuis 2014, dix ans quasiment, aient fabriqué autant de mécontentement, c’est inédit dans l’histoire de la Vème République, il faut remonter à la fin de l’ancien régime pour trouver ça. Tous les secteurs sont touchés. Macron prétend continuer comme ça en en rajoutant une couche en diminuant les allocations chômage encore un peu, histoire de faire ressortir les syndicats de leur passivité complice. Que tout cela se répète et fasse système à l’échelle de toute l’Europe n’a pas de quoi rassurer, en même temps qu’on fabrique des ennemis de l’extérieur – les Russes par exemple – on fabrique aussi à tour de bras des ennemis de l’intérieur ! Il ne m’étonnerait pas que certains bureaucrates européens sans conscience finissent par se retrouver pendus ! 


[1] En vérité si on inclus les coûts pour la Sécurité Sociale, ces produits sont très chers enh plus que d’être mauvais.

[2] https://www.force-ouvriere.fr/la-place-des-consommateurs-dans-le-ceta-le-traite-europe-canada

jeudi 18 janvier 2024

Emmanuel Todd, La défaite de l’Occident, Gallimard, 2024

 

Emmanuel Todd a parfois de bonnes intuitions mais parfois il s’égare, et donc ses ouvrages ne sont pas toujours intéressants. On se souvient de son imbécilité à propos de Charlie, du massacre comme de la réaction des Français[1]. Personne ne pourra lui pardonner ce positionnement stupide. Ici il se centre sur la guerre en Ukraine et ses conséquences. À l’évidence ce conflit est en train de dériver vers une véritable révolution dans les relations internationales, et conséquemment il va accélérer la décomposition de l’Occident. Au bout de presque deux ans de guerre, le bilan est complètement négatif pour l’Occident global, que ce soit sur le plan militaire, du nombre de morts ukrainiens, ou encore l’argent qu’on a mis dans cette aventure. Cette ligne n’est originale, les commentateurs les plus réalistes disent tous la même chose. Non seulement l’Europe et les Etats-Unis se sont de plus en plus délités, s’isolant encore un peu plus du reste du monde, mais leur économie est sur la paille, tandis que clairement la Russie s’est renforcée dans tous les secteurs, le militaire, l’industrie, l’agriculture. Mais le pire est sans doute que les Etats-Unis ont montré leur incapacité à mener une guerre contre une puissance militaire de premier rang et que cela se sait. On voit mal comment ils pourraient faire face à la Chine si les choses s’envenimaient. Comment en est-on arrivé à un tel désastre ? C’est en fait à cette question que tente de répondre Emmanuel Todd. Il part donc de l’idée selon laquelle la guerre en Ukraine qui se résume à un affrontement entre la Russie et les Etats-Unis, l'OTAN et leurs affidés est déjà perdue avec certitude. Il n’est pas le seul à le penser. Et cette guerre est perdue parce qu’elle a été mal conçue. Les Ukrainiens paient un très lourd tribut à cette fantaisie. Pour Emmanuel Todd, la Russie se bat sur sa frontière pour faire face aux avancées de l’OTAN. Le thème est bien connu et bien documenté. 

 

Ce désastre s’explique d’abord par une volonté des Etats-Unis de contrôler une mondialisation pour leur profit, à la fois par l’expansion de l’OTAN à l’Est et l’intégration de toujours plus de pays de l’Est dans l’’Union européenne. Mais plus l’Empire s’élargit et plus il se fragilise. En effet les Etats-Unis et l’Europe occidentale ont cru pouvoir prospérer sur les travailleurs de l’Est de l’Europe, ce qui fait qu’aujourd’hui, ils ont détruit les fondements anciens de leur prospérité. Si l’Occident a été en effet dynamique, travaillant à la transformation du monde, c’est parce qu’il possédait des « valeurs », à la fois la nécessité d’épargner et celle de travailler. Dans ce schéma, l’éducation jouait un rôle décisif, et l’intégration des classes les plus basses dans un système d’éducation performant permettait le développement d’une vaste classe moyenne, offrant ainsi une grande stabilité des systèmes nationaux. Todd considère que la religion joue un rôle décisif dans le développement de cette logique : « croissez et multipliez-vous ! » Mais l’abandon progressive de la posture religieuse – que Todd n’explique jamais – va entrainer un abandon des principes qui lient éducation, travail et épargne. Ces valeurs étaient portées par le protestantisme et éventuellement par le judaïsme. Or les Occidentaux ont abandonné la religion et ses principes moraux, l’éducation et la procréation. Le déclin de l’Occident se lit ainsi dans l’effondrement de son taux de fécondité et dans l’effondrement de l’éducation. Ces reculs s’accompagnant d’une montée des inégalités, ils amènent avec eux l’effritement du leadership occidental sur le monde qui ne sait plus que réagir par la violence, les Etats-Unis s’étant donné le rôle peu glorieux du maintien de l’ordre et devenant le pays le plus détesté de la planète. 

 

Tout cela n’est pas faux, mais ce n’est pas tout à fait une explication. D’abord parce que l’éducation est justement la base de la critique de la religion et donc si celle-ci disparait, c’est bien parce qu’elle a fait son temps. On remarque d’ailleurs qu’aujourd’hui les populations qui mettent au centre de leur vie sociale la religion sont principalement les populations musulmanes dont la trajectoire rétrograde – appuyée sur une vision archaïque de la procréation – mène à la guerre et au désastre. Autrement dit, et ça Todd le dit en filigrane, l’éducation en se généralisant engendre son contraire ! Mais on pourrait tout autant dire la même chose des grands principes qui ont mis le monde en mouvement : la mondialisation engendre maintenant le retour de l’idée de souveraineté nationale ! Le drame de l’Occident est sans aucun doute d’avoir voulu imposer ses valeurs évanescentes au reste du monde. C’est un drame parce que cette tendance-là a engendré une méfiance envers ces valeurs auxquelles les Occidentaux eux-mêmes ne croient plus. Todd s’appuie sur des données statistiques, des cartes qui montrent : le recul de l’Occident dans la production industrielle, des ingénieurs – que les Etats-Unis importent en masse d’Inde ou de Chine – dans la population mondiale, dans l’éducation. Ce sont des faits, certainement, mais pas des causes ultimes. Globalement Todd suggère que l’Occident sous l’impulsion de ses élites s’est vautré dans le nihilisme. 

Le livre de Todd pose plusieurs problèmes de méthode. D’abord parce que son sujet c’est finalement le capitalisme. Cette volonté d’accumulation du capital et de progrès, portée par la religion protestante et l’éthique du travail – sous toutes ses formes – si elle remonte à la nuit des temps ne fait système qu’à partir du XVIIIème siècle. Et si elle guide incontestablement l’histoire du monde depuis lors, l’histoire humaine ne s’y reconnait pas tout à fait. C’est, disons, un moment. Que ce soit l’effondrement de la production industrielle, l’irreligion, ou encore le recul des performances éducatives, ce sont des signes avant-coureurs du déclin de l’Occident, mais pas forcément leur cause. La raison ultime de cet effondrement est économique. A l’origine de la mondialisation financière, il y a ce qu’on appelle en langage marxiste la baisse tendancielle du taux de profit qui doit être combattue selon Marx par un élargissement constant du marché du travail pour intégrer de nouveaux travailleurs que ceux-ci soient des immigrés qu’on amène par bateau ou qu’on colonise des pays nouveaux. Todd a une intuition que malheureusement il ne pousse pas, c’est que les pays de l’Est ont été agrégés à l’Union européenne pour fournir une main d’œuvre plus éduquée et peu chère en remplacement de celle des pays méditerranéens. Il parle d’ailleurs d’annexion de l’Allemagne de l’Est par la RFA et non de réunification. Ainsi il apparait que dans la logique de la mondialisation, les pays anciennement communistes de l’Est devaient être rattachés à la fois à l’Union européenne pour se normaliser, et à l’OTAN pour être domestiqués et servir de chair à canon dans le cas de l’Ukraine. Les pays fondateurs de l’Union européenne et dans une moindre mesure le Royaume Uni – pays qui ne sait plus comment il s’appelle, s’il s’appelle l’Angleterre, la Grande Bretagne ou encore autre chose – se sont débarrassés de leurs industries de main d’œuvre polluantes en les transférant à l’Est de l’Europe. Et donc l’Allemagne avait la possibilité de se fournir en gaz pas trop cher auprès de la Russie et d’utiliser une main d’œuvre bon marché pour son industrie. Son succès fut amplifié par la mise en place de l’euro qui a radicalement dopé ses exportations et tué l’industrie française et italienne. 

Cependant d’autres forces travaillaient à contresens, en même temps que la mondialisation se mettait en place les Etats-Unis abandonnaient leur enseignement de qualité. Ils préféraient par exemple importer des ingénieurs de Chine ou de l’Inde, ou encore intégrer à leur PhD des étudiants venus des pays étrangers, notamment d’Asie. Pire encore en Angleterre, les étudiants provenant de la diversité sont relativement plus nombreux que les blancs sur les campus. C’est la conséquence de la dévalorisation continue des études, mais sans doute plus grave, cela explique la rapidité de la désindustrialisation car il n’y a plus assez d’ingénieurs dans ce qu’on peut appeler l’Occident global. Ce qui veut dire que même si on veut réindustrialiser les Etats-Unis et l’Europe, il y faudra beaucoup de temps et probablement passer par une fermeture des frontières. Mais tout ça repose chez Todd sur l’idée à mon avis fausse selon laquelle il n’y a pas d’avenir en dehors de l’industrie et de la croissance. Pourtant là encore il approche une idée juste quand il montre que le PIB mesuré en monnaie est un leurre qui fait croire que les Etats-Unis sont riches parce qu’ils maitrisent la production de la monnaie internationale. Cette idée a été développée par de nombreux économistes, mais plus précisément par Jacques Sapir en analysant le support de la puissance militaire russe. L’argent n’est pas la vraie richesse. Et si les Etats-Unis sont en apparence riches parce qu’ils consomment beaucoup, c’est parce que l’ordre monétaire qu’ils ont instauré leur permet de vivre sur le compte des autres pays qu’ils rackettent. 

Université britannique 

Restaurer une démographie galopante, et une industrie forte en rétablissant les valeurs du protestantisme n’est en réalité pas très sérieux comme programme économique. Car justement si le capitalisme occidental s’effondre c’est bien parce qu’il s’agit d’une impasse, qu’il est fondé sur de fausses valeurs morales, économiques et sociales. Restons-en à cette idée simple, la planète possède des ressources naturelles limitées – terres fertiles, eau, énergie fossile – et il est impossible de croire que le green watching et le découplage vont arriver grâce à l’innovation technologique à contourner cette difficulté. La croissance économique et la surpopulation mènent directement à la guerre. Il faut être un gros paresseux ou un économiste pour croire le contraire. Si les guerres actuelles sont le résultat direct de la mondialisation sous la direction des Etats-Unis, alors il faut repartir des dégâts causés par les coups que les néolibéraux ont portés à l’idée de souveraineté nationale. 

Carte de l’homophobie dans le monde 

Todd pour prouver l’isolement de l’Occident, montre des cartes, celle de l’homophobie et celle des pays qui ont refusé de sanctionner la Russie sous la pression des Américains. Elle se superposent presque exactement ! « L’idéologie transgenre de l’Occident semble poser au monde patrilinéaire un problème plus sérieux encore que l’idéologie gay. Comment des sociétés dans lesquelles la différence entre parentés paternelle et maternelle est structurante, et l’opposition entre hommes et femmes conceptuellement indispensable, pourraient-elles accepter une idéologie qui nous dit qu’un homme peut devenir une femme et une femme un homme ? Parler d’un simple rejet serait sous-estimer l’enjeu du conflit. Il est tout à fait plausible que ces sociétés considèrent que l’Occident est « devenu fou ». Nihiliste peut-être ? », écrit-il. De quoi faire hurler les malheureux journalistes et les quelques lecteurs de Libération qui ne retiennent que l’anti-atlantisme de Todd, rebaptisé pour la circonstance et par imbécilité native, poutinisme[2] ! Depuis le début de la guerre en Ukraine, le monde occidental s’est cadenassé sur lui-même, croyant créer comme au bon vieux temps un rideau de fer autour de la Russie avec les sanctions, pour ensuite tenter la vaincre et la dépecer, il a, sous l’égide de Etats-Unis produit son propre enfermement et accéléré sa déconfiture. Ce rideau de fer est d’ailleurs à la fois matériel et idéologique, avec un contrôle et une censure constante sur les moyens de communications. Todd s’étonne que les Allemands, les Anglais ou les Français aient suivi les Etats-Unis dans ce « suicide ». Comme Zemmour qui en 2014 avait commis un livre avec comme titre Le suicide français[3], Todd emploie lui aussi ce mot ce mot. Ce qui va certainement lui valoir une volée de bois vert – rouge-brun, décliniste, voyez le genre – de la part des progressistes indécrottables et des macroniens. Mais ce serait oublier que Michel Rocard, progressiste, mondialiste grand teint, immigrationniste et européiste en 2015 avait lui aussi publié un ouvrage intitulé Suicide de l’Occident, suicide de l’humanité ?[4] Emmanuel Todd est donc dans cette lignée qui remonte au moins à Oswald Spengler, philosophe allemand, avec Le déclin de l’Occident publié entre 1918 et 1922, une période qui n’était pas particulièrement riante pour les Allemands qui avaient subi une défaite humiliante. Pour Todd, l’Occident – sous-entendu le capitalisme industriel – a atteint son apogée vers le milieu des années soixante. Je partage cette idée qui est corroborée avec la fin d’un relatif consensus de classes, une mobilité sociale effective, et une tendance vers l’égalité. Après les luttes sociales de la fin des années soixante, le monde occidental va régresser avec l’avènement des réformes néolibérales, amplifiant de manière continue les inégalités, et remplaçant la lutte des classes par l’idéologie droit-de-l’hommiste et la lutte contre le racisme. Todd note fort justement que le racisme aux Etats-Unis envers les noirs, a été remplacé par le racisme contre le prolétaire sous la forme méprisante de la lutte contre le populisme. 

Thomas Cole, The Course of Empire: Destruction 

Les « élites » sont évidemment décriées par Emmanuel Todd, décrites comme un ramassis d’imbéciles sans foi ni loi. Mais il n’analyse pas vraiment les raisons de l’arrivée au pouvoir à l’échelle de tout l’Occident d’une telle conjuration des imbéciles. Il s’étonne du fait que le Royaume Uni, autrefois berceau d’un capitalisme qui se pensait dans son devenir, soit aujourd’hui dirigé par des Hindous et des Pakistanais ! Il donne des noms du premier ministre actuel au maire de Londres. Également il se demande pourquoi les Européens – je veux dire le personnel politique européen – s’est empressé de se lancer dans l’aventure ukrainienne sans retenue, alors que cela nuit clairement aux intérêts des pays qu’ils sont censés représenter. En réalité il y a bien explication, et elle ne tient pas à l’effondrement généralisé de l’éducation. C’est la même chose d’ailleurs avec les journalistes qui se sont tous rangés sous la bannière atlantiste. J’ai commencé à m’intéresser au parcours de cette classe de semi-instruits, cette sphère d’influence, comme on dit. C’est assez édifiant. Ils ont un point commun, ils ont été élevés en batterie aux Etats-Unis, dans leurs universités, ou alors ils ont appartenus à des think tanks financés par les Etats-Unis[5]. C’est pourquoi ils représentent une grande homogénéité à la fois dans le vide sidéral de la pensée et dans le suivisme inconditionnel envers les donneurs d’ordre. C’est un sujet d’importance parce que c’est cette classe qui a fini par vider complétement le peu de principe démocratique qui persistait dans la démocratie parlementaire. Et justement la guerre en Ukraine a agi comme un puissant révélateur des « investissements » que la CIA, les Universités américaines et les think tanks avaient réalisés dans la formation globale de l’opinion. Ce plan remarquablement pensé à la fin de la Seconde Guerre mondiale s’est révélé par ses mensonges répétés un puissant outil de contrôle social. Mais ce processus semble achevé parce qu’à force de trier des préposés au larbinat et les faire avancer dans le métier de la politique, les Américains ont fini par ne recruter que des crapules et des imbéciles, de Macron à von Leyen, en passant par les journalistes du Monde. Les journalistes et les hommes politiques en Occident ont en commun le fait qu’ils sont de simples communicants et des agents d’influence dont le travail est de répéter à satiété les mêmes slogans, afin de ne pas laisser d’espace pour la contradiction, mais ils ne décident de rien. Leur force est toutefois d’avoir persuadé une partie de l’électorat que tout de même l’Occident, malgré les crises et les guerres continuait de progresser depuis 2008 ! Todd en vient ainsi à penser timidement que la Russie est une démocratie autoritaire, mais une démocratie tout de même, mais que l’Occident baigne dans une fausse démocratie. Il en trouve la preuve dans le fait que Poutine est approuvé dans sa politique par 80% des Russes, alors que les politiciens occidentaux n’arrivent pas à atteindre un seuil de 50% d’opinions favorables. Von der Leyen c’est 15%, Scholz, 20% Macron, 25% et le « sénile » Joe Biden, 38% ! Il y a une séparation très nette donc entre les peuples d’Occidents et leurs « élites ». 

L’Empire et ses valets en représentation 

Pour Todd ce mécontentement général débouchera forcément sur une réaction à plus ou moins long terme. Il pense que cette réaction pourra venir de l’Allemagne parce que celle-ci voit son économie s’effondrer sur le coup des sanctions économiques et que c'est ce pays qui a le plus intérêt à se rabibocher avec la Russie. Mais quelle forme cela pourra-t-il prendre ? C’est tout de même dans ce pays que les manifestations contre l’OTAN ont été le plus suivies, et c’est dans ce pays que le principal parti d’opposition AfD est ouvertement pour la sortir de l’euro et de l’Union européenne. Cependant beaucoup de choses ne vont pas dans le livre de Todd. D’abord s’il survalorise l’importance de la variable démographique et religieuse, alors il devrait en déduire que c’est l’Islam qui est la véritable mondialisation à venir. L’AfD va jusqu’à réclamer une remigration des Allemands d’origine étrangère[6]. C’est un programme que d‘ailleurs commencent à mettre en place – sur le mode mineur – des pays comme le Danemark ou la Suède. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire, même si dans les pays européens une très large majorité se dessine nettement pour limiter les dégâts engendrés par l’immigration. Todd flotte parfois quand il traite des sujets très bouillants comme la guerre à Gaza. Comme beaucoup de français victimes de la propagande ile ne voit pas qu’Israël est dans la même position que la Russie, ce pays se bat pour sa survie, mais c’est le soutien des Etats-Unis à Israël qui trouble la vision. Comme beaucoup de gens Todd pense qu’Israël est juste un pion dans les volontés hégémoniques des Etats-Unis. C’est une grave erreur, Israël est une nation qui résiste au mondialisme de l'Islam. J’y reviendrais plus tard. Le monde ne s’y est d’ailleurs pas trompé, Sylvie Kauffmann, agente des Américains dans ce canard condamne à la fois Poutine et Netanyahu, Libération est sur la même ligne. 

 

Parmi les aspects pertinents ce livre, Todd développe une vision de l’Ukraine, fragmentée et antisémite, résurgence de son passé pogromiste. Il analyse par contre assez mal les raisons de l’implication des pays baltes dans la guerre. Comme également celle de l’Angleterre qui renvoie selon lui à la psychanalyse. En vérité c’est plus simple, c’est parce que l’élite politique et médiatique est redevable de sa carrière aux Américains. Dans l’ensemble, même s’il est assez mal charpenté, enlisé dans la simple logique des formes familiales du passé, le livre de Todd est très intéressant à lire, d’autant qu’il est une des rares voix à gauche pour relier la lutte pour l’égalité avec le souverainisme de la nation. Les mots sont importants. Dans un entretien avec le journal Marianne, Paul Soriano qui l’interrogeait et qui manifestement avait lu le livre de Todd de travers, ne pouvait pas s’empêcher de parler de la guerre en Ukraine comme d’une « guerre d’agression »[7], ce qui est exactement le langage de l’OTAN et des Etats-Unis, alors que pour Todd, pour quelques autres et pour moi-même il s’agit d’une « guerre préventive » visant à enrayer l’expansion de l’OTAN à l’Est de l’Europe.


[1] Qui est Charlie ?, Le seuil, 2015.

[2] https://www.liberation.fr/idees-et-debats/avec-la-defaite-de-loccident-emmanuel-todd-affirme-sa-poutinophilie-20240110_K67TLLEQXZFOVDS6RLFKVBTBYY/

[3] Albin Michel, 2014.

[4] Flammarion, 2015.

[5] https://ingirumimusnocte2.blogspot.com/2023/09/agents-des-usa-cest-aussi-un-metier.html et https://ingirumimusnocte2.blogspot.com/2023/09/frederic-charpier-la-cia-en-france.html

[6] https://www.marianne.net/monde/europe/l-afd-prevoit-la-remigration-des-non-assimiles-et-lextreme-droite-francaise-se-reve-allemande

[7] https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/ce-que-la-defaite-de-l-occident-d-emmanuel-todd-annonce-c-est-le-triomphe-de-l-occident

mercredi 10 janvier 2024

Thierry Baudet, Indispensables frontières : pourquoi le supranationalisme et le multiculturalisme détruisent l’État de droit, éditions du Toucan, 2015

  

Cet ouvrage est indispensable à tous ceux qui veulent réfléchir un peu et de façon argumentée sur le devenir des États nationaux et sur le supranationalisme. Certains diront pour éviter de le faire que Thierry Baudet est un complotiste, un populiste et autres balivernes du même genre. Ça leur évitera de chercher des arguments à lui répondre. Évidemment il a un point de vue tout à fait politique, mais ce point de vue n’a pas grand-chose à voir avec un positionnement traditionnel gauche-droite. Le droit est l'arme principale du supranationalisme. Juriste de formation, il examine les conséquences des différents traités qui au niveau institutionnel permettent de déléguer des pouvoirs à une bureaucratie complètement opaque dans son identité et dans ses intentions. Il définit d’abord ce qu’est un État, puis ensuite ce qu’est la coopération  internationale nécessaire entre les États, celle-ci est déterminée par des traités qui fournissent des règles auxquelles les différents États souscrivent et dont ils peuvent sortir suivant une procédure particulière. Puis il décrit les différents sortent de coopération internationale : les organisations comme l’ONU par exemple qui est un lieu d’échanges et de coopération non contraignant pour les participants en ce sens qu’elles n’entament pas la souveraineté des États mais au contraire elles lui permettent de s’exprimer. Enfin il y a les organisations supranationales, celles-ci sont d’essence juridique vont réécrire le droit pour les États membres. Ces juges qui se permettent ce genre de fantaisie ne sont pas élus, et finissent par s’opposer à ce que les peuples des différents États voudraient pour leur pays. 

 

Baudet prend deux exemples importants, celui de l’immigration et celui de la peine de mort. Les décisions de de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) vont régulièrement contre la volonté politique des citoyens, justement au nom des droit de l’Homme qui le plus souvent s’empilent et se multiplient. La question n’est pas de discuter de la pertinence de la peine de mort – c’est un sujet certainement passionnant, mais qui relève de la philosophie – ou des bienfaits de l’immigration – c’est un sujet d’économie politique difficile et compliqué – mais quand les juges tranchent de la question de l’immigration ou de la peine de mort contre le peuple et même contre ses représentants, il vient qu’ils imposent une vision politique des choses contre l’avis de la majorité et même des élus. Bien entendu ils justifient dans le secret de leurs cabinets en invoquant des droits de l’homme qui seraient universels ! Cette démarche risible l’est moins quand elle est appliquée. Baudet cite de nombreux exemples où la CEDH qui siège à Strasbourg, contredit complètement les arrêts des juges des pays concernés. Il est quasiment impossible pour un pays de l’Union européenne d’expulser un terroriste étranger au nom des droits de l’Homme justement. 

 

Cette approche qui exaspère les populations, et qui est mollement combattue par les hommes politiques, vide peu à peu le contenu de la souveraineté des nations, mais en même temps que la souveraineté des nations, c’est l’idée de démocratie qui s’évanouit. Cette question est apparue avec les errements des institutions de l’Union européenne : ce sont des juges nommés et non élus qui dans l’anonymat de leurs cabinets édictent les interprétations du droit qui font jurisprudence par-dessus toutes les décisions que le peuple – même via une démocratie très naine comme dans les pays occidentaux – pourrait prendre. Les lois contraires à la démocratie qui sont prises par ces instances ne se compte plus. En vérité le plus souvent ces lois sont justifiées non par le droit, mais par des principes moraux qui se tiendraient comme ça en suspension au-dessus des citoyens. Autrement dit les juges qui créent ces lois et ces normes s’élèvent au-dessus du jugement du peuple, comme s’ils en savaient forcément plus que le peuple. Bauchet va donc détailler le fonctionnement de plusieurs institutions supranationales, l’Union européenne où la Cour de Justice Européenne et la CEDH tiennent une place privilégiée dans la gouvernance de cet ensemble hétéroclite. Mais aussi la redoutable OMC qui n’hésite pas à aller contre les règles nationales en matière de santé ou d’environnement, au nom des lois sacro-saintes du commerce, tout ce qui entrave la libre circulation des biens et des services doit être combattu. Évidemment on va retombé aussi sur les pouvoirs exorbitants du Conseil de sécurité de l’ONU par exemple quand les Etats-Unis veulent déclencher une guerre comme ils l’ont fait en Irak ou en Yougoslavie, avec les centaines de milliers de morts. 

 

Bauchet revient longuement sur la douteuse légalité du procès de Nuremberg. Il ne s’agit pas de dire que les personnes jugées – enfin celles que les Etats-Unis n’avaient pas décidé d’exfiltrer – n’ont pas eu ce qu’elles méritaient, mais seulement de comprendre que ce procès était seulement le fait du vainqueur, contrairement au procès de Pétain par exemple qui fut mené par les Français, sur leur territoire. Le tribunal qui siégeait à Nuremberg était finalement l’ancêtre de la Cour Pénale Internationale. Cette juridiction trouble à laquelle n’adhèrent pas les États-Unis, juge principalement des vaincus, mais elle ne s’est jamais risquée à envisager de traîner les Etats-Unis devant sa juridiction pour les évidents crimes de guerres commis à Hiroshima ou plus tard en Yougoslavie et en Irak. Ces formes opaques de juridiction font en réalité le travail pour l’Empire étatsunien. Récemment cette sinistre boutique qui n’a jamais inquiété un seul Américain – ceux-ci sont protégés de toute poursuite par la loi américaine – a émis la prétention de juger Poutine pour crimes de guerre, lançant même un mandat d’arrêt contre lui ! Cette démarche serait un peu plus crédible si dans le même temps la CPI poursuivait Zelensky pour les bombardements non seulement des civils de Belgorod en Russie, mais aussi pour les bombardements qu’il a ordonnés, juste avant l’entrée en guerre de la Russie, sur les civils du Donbass. Notez que cette CPI a défini elle-même, seule dans son coin, ce qu’était une guerre d’agression ou des crimes de guerre, autrement dit elle a construit des lois pour elle-même sans en rendre compte à quiconque… sauf à Washington ! Ici il n’est pas question de savoir si les crimes de guerre sont ou non constitués, mais seulement de montrer que cette forme de justice possède deux défauts majeurs, les juges font la loi, et ils l’appliquent selon une grille de lecture qui est forcément politique. Bauchet va même plus loin, il assure que cette démarche peut-être un frein à la paix, dans la mesure elles peut empêcher des négociations de crainte qu’une partie des belligérants ne se retrouve dans le collimateur de la CPI. Après que l’armée israélienne soit rentrée à Gaza, consécutivement aux pogroms organisés par le Hamas le 7 octobre 2023, cinq États ont porté plainte devant la CPI, l'Afrique du Sud, le Bangladesh, la Bolivie, les Comores et Djibouti. Ne serait-il pas plus judicieux de chercher à mettre en place des négociations de paix sérieuse dans cette région ?

   

Comme on le comprend en lisant ce gros livre fort bien documenté, nous sommes à l’ère où le droit est une forme de triomphe politique. Il s’appuie à l’évidence sur le juridisme pointilleux et croissant des sociétés occidentales, mais son plus grave défaut est en même temps de détruire la démocratie, même dans sa forme plus que naine de la démocratie parlementaire. Que ce soit la liberté du commerce ou les droits de l’homme, il s’agit en vérité de restreindre toujours un peu plus les marges de manœuvre des États et de penser le monde à la place de ses citoyens. Si les « experts » de l’économie nous disent comment doit être le monde, les juristes le mettent en musique sans tenir compte de ce que veut le peuple. Baudet souligne que ces nouvelles règles de droits, concoctées dans des officines obscures, supposent une forme de « droit naturel » immuable, pendant de l’idée saugrenue de la fin de l’Histoire. Cependant, les évènements récents montrent que cet ordre mondial est contesté et au contraire, comme c’est le cas en Ukraine, mène directement au chaos et à la guerre.

mardi 2 janvier 2024

Que nous dit l’affaire Depardieu sur le milieu décomposé de la culture ?

  

Depardieu et le médiocre Yann Moix en Corée du Nord 

Le petit film, extrait de l’émission Complément d’enquête, diffusée le 7 décembre 2023 où on voit Depardieu se comporter comme un grossier personnage face à des petites coréennes – certes du Nord, mais tout de même ! – a mis le feu aux poudres dans les médias et sur les réseaux sociaux. Les uns soulignant combien ce vieillard obèse était répugnant et profitait de son pouvoir se star pour abuser des jeunes femmes, les autres disant, combien il était un gentil garçon et que jamais il ne serait un violeur. Et même l’imprudent Macron s’en est mêlé pour prendre la défense de ce vieil acteur au bout du rouleau. Mais la querelle autour de cette émission dans un premier temps oubliait que Depardieu était mis en accusation devant la justice à la suite de plusieurs plaintes[1], et des actrices dont Sophie Marceau tout de même ont témoigné de sa vulgarité et de son comportement répugnant. Ce qu’on avait presqu’oublié ! autrement dit il a eu un comportement répugnant non seulement en Corée du Nord, mais aussi de partout où on lui a donné une importance trop grande qui dépassait son maigre talent ! On a donc vu des tonnes d’articles et de déclarations pour soutenir Depardieu face à un lynchage qui en réalité n’existait pas. Comment peut-on parler de lynchage quand le président vous apporte son soutien publiquement ? Un peu comme si on adoptait dans le milieu de la culture – enfin ce qu’il en reste – la tactique selon laquelle la meilleure défense c’est l’attaque. Les défenseurs de ce cabotin, notamment Macron, vont dire que c’est un très grand acteur, sous-entendant par-là que son talent excuserait ses débordements et sa grossièreté. Mais cet argument a été aussitôt moqué, non seulement parce que la définition du talent est quelque chose de très subjectif, mais aussi parce qu’on ne pardonnerait pas à un boulanger talentueux dans son métier de violer son apprenti à même le plancher de sa boulangerie. 

 

Donc un quarteron de vieux travailleurs plus ou moins indépendants du secteur de la culture se sont rassemblés dans une pétition publiée dans Le Figaro, journal très réactionnaire, genre droite extrême macronienne[2]. Leur moyenne d’âge est de 70 ans à vue de nez et on y trouve beaucoup d’égarés qui ont signé pour faire plaisir et parce qu’ils ne supportent plus l’agressivité du néo-féminisme ordinaire qui se fixe comme but ultime de déconstruire le mâle. Ils ne veulent pas être oubliés au moment de la relève et donc ils croient qu’ainsi ils resteront en vie. Cette tribune est proprement ubuesque. D’abord le ton, les défenseurs de Depardieu ont commencé par dire qu’eux et elles bien sûr n’avaient jamais eu de problème avec lui. Le même argument qu’on trouve dans les radios-trottoirs de BFMTV quand des pseudos journalistes enquêtent sur le profil d’un terroriste qui est passé à l’acte, on trouve toujours une voisine pour dire que c’était un très gentil garçon et que même il l’aidait à monter ses courses. Donc si Nathalie Baye ou Carole Bouquet n’ont pas eu de problèmes avec lui, on doit croire qu’il n’est pas un violeur ! Quelqu’un a fait remarquer que les femmes qui n’avaient pas eu de problèmes avec lui étaient des femmes qui avaient déjà une position installée sur le marché de la culture et que les plaintes déposées émanaient principalement de secondes mains. Dans cette liste on trouve par exemple Nadine Trintignant dont la fille, Marie, a perdu pourtant la vie à cause d’un assassin qui se trouve aujourd’hui en liberté. Mais elle a depuis retirer sa signature ! Gérard Depardieu a pris le temps de leur dire qu’ils étaient vraiment très courageux de le soutenir dans ce moment difficile ! Comme si le soutien de Macron ne suffisait pas ! L’autre argument est de crier dans cette tribune, « laissons faire la justice », alors qu’en fait eux aussi ont déjà décidé que Depardieu était innocent ! Et puis on a essayé de faire croire que l’extrait de Complément d’enquête était un montage grossier, un faux quoi, mais comme un huissier a constaté que non, on a abandonné rapidement cet argument foireux, d’autant que les propos incriminés contrairement à ce qu’a avancé Yann Moix le menteur était attachés à une petite fille. On sait aussi que Yann Moix a compris rapidement le danger de ces images qu’il a essayé de faire effacer[3]. 

 

Ces gens-là ont dénoncé des calomnies, c’est en général la réponse des hommes politiques quand on les coince les doigts dans le pot de confiture. Cependant les choses se sont mal passées parce que l’homme qui a lancé la pétition est un acteur de seconde catégorie, limite figurant, Yannis Ezziadi, et qu’entre autres choses il déconne politiquement dans les colonnes de Causeur ! A-t-il des convictions ? Ce n’est pas sûr, mais à défaut de se faire connaître par ses performances d’acteur, il se fait remarquer dans le genre ignoble. Cependant ce Yannis Ezziadi s‘était déjà fait remarquer pour avoir pris la défense d’une manière insultante de Polanski lors de la remise des César en 2019. Il semblerait qu’il soit à la recherche d’une reconnaissance en se montrant à côté des personnalités très connues du show business. Dès lors que cela a été connu, la débandade a commencé, c’est Carole Bouquet qui s’est dite « gênée », puis Yvan Attal qui lui aussi a exprimé son malaise. Et puis Jacques Weber qui dit qu’il avait mal lu et qu’on lui a extorqué sa signature. « Je mesure chaque jour mon aveuglement. J'ai par réflexe d'amitié signé à la hâte, sans me renseigner, oui j'ai signé en oubliant les victimes et le sort de milliers de femmes dans le monde qui souffrent d'un état de fait trop longtemps admis », poursuit-il, ajoutant plus loin : « Ma signature était un autre viol ». « Si l'on a été coupable d'accepter des comportements désormais inacceptables sur les plateaux de cinéma et de théâtre, alors oui je fus coupable », reconnaît par ailleurs Jacques Weber[4] ! C’est tout juste s’il ne s’autoflagelle pas devant nous et s’il ne demande pas à aller se rééduquer dans un camp de travail à la campagne ! Cet épisode est assez drôle parce que les peoples aiment bien se mettre du côté de la morale ordinaire et faire barrage à l’extrême-droite ! Ceci dit, on se demande en quoi le fait que cette pétition soit initiée par un histrion proche de l’extrême-droite serait moins légitime que la même initiée par une acteur de troisième catégorie issue de l’extrême-gauche ! Cette maladie de tout regarder par ce bout de lorgnette gauche-droite montre le degré d’imbécilité de cette caste. C’est leur petit passe-temps qui leur permet de faire semblant de réfléchir à la politique. Du coup ce tapage a réveillé un peu tout le monde et on a eu une image plus compliquée de ce milieu de hyènes malades qu’est le cinéma français. Des tas d’actrices ont dénoncé Depardieu comme un prédateur, à commencer par Sophie Marceau qui a malencontreusement tourné avec lui dans le film de Pialat, Police, en 1985. « J’ai dit publiquement à l’époque que je ne supportais pas son attitude, grossière et très déplacée. Beaucoup de gens se sont alors retournés contre moi en me faisant passer pour la petite peste. Et j’ai toujours refusé ensuite les films avec lui », « Oh mais, il ne s’en prenait pas aux grandes comédiennes, plutôt aux petites assistantes… », précise Sophie Marceau. « La vulgarité et la provocation ont toujours été son fonds de commerce », ajoute-t-elle[5]. 

 

Que voulait-elle dire par là ? Que sa notoriété était dépendante de son rôle dans Les valseuses ? le très vulgaire Bertrand Blier défend évidemment Depardieu, ils sont tous les deux dans la même catégories, enrobés de la même inconsistance épate-bourgeois. Cependant les débordements de Depardieu étaient connus dans le milieu, ainsi que le rappelait en plus de Sophie Marceau, Isabelle Alonso qui rappelait que Depardieu, il y a quelques années avouait qu’il avait baisé des gonzesses « plus ou moins consentantes », ce sont les mots qu’il a employés lui-même[6]. Le pire est qu’il s’en flattait ! Certes il n’est pas le seul, et les salades hollywoodiennes du même type avec les affaires d’Harvey Weinstein qui se trouve maintenant au ballon où il finira sa vie, montrent que c’est une question de pouvoir. Plus tu es haut placé dans la hiérarchie des décisions et plus tu as du pouvoir sur les culs qui passent à ta portée. Truffaut disait qu’il avait fait du cinéma aussi pour se taper des gonzesses au physique avenant, pas farouches et bien parfumées. Les acteurs peuvent être séduisants, il n’y a pas d’histoire louche avec des acteurs comme Alain Delon, Jean-Paul Belmondo, Jean Gabin ou Lino Ventura. Certainement ces célébrités étaient aussi portées sur le sexe. Mais ils savaient se tenir. Harvey Weinstein était laid et gros, Polanski, guère séduisant, Depardieu qui n’a jamais eu un physique de jeune premier est devenu un gros tas, un alcoolique crasseux qui sent mauvais et qui est devenu insupportable en société. On ne lui reprochera pas d’avoir des envies, des désirs, des liaisons, mais essentiellement d’utiliser sa position sociale et économique pour les favoriser, ce qui est moralement très laid. Cette tribune a déclenché l’effet inverse de celui recherché. Évidemment je ne connais pas la vie intime de cet individu, mais le nombre de plaintes et de témoignages contre lui ne plaide guère en sa faveur. Le feuilleton n’est pas près de se tarir, et celles qui jusqu’alors n’osaient pas porter plainte le font maintenant, à l’instar de la journaliste et écrivaine espagnole Ruth Baza qui a annoncé avoir déposé plainte en Espagne ce mardi 19 décembre 2023 contre l'acteur français pour viol[7]. Sans doute le plus intéressant dans cette affaire c’est que ces plaintes n’émanent pas des traditionnelles organisations féministes chargées de faire la police des mœurs, mais de tout un ensemble de femmes pas spécialement connues pour leur combat féministe et leurs positions hostiles à l’Homme ! Curieusement les habituelles combattantes de la déconstruction du mâle, hormis Rokhaya Diallo, sont restées assez inaudibles. Veulent-elles épargner le vieux Depardieu ? Mais on y a trouvé le fameux Médine qui est accusé d’être proche des Frères Musulmans, pour donner des leçons de comportements avec les femmes à Depardieu !

 

Et maintenant nous voyons que cette affaire devient tout autre que pour ou contre Depardieu, car c’est bien contre cette tribune que la fronde s’est levée, parce qu’elle signifie qu’il y a deux poids et deux mesures, au prétexte qu’il s’agirait d’un grand acteur, il faudrait qu’on réduise ses frasques à de simples blagues de garçon de bains. Cette affaire prend maintenant les allures de l’affaire Matzneff-Springora[8]. C’est une lame de fond. Sur les réseaux sociaux on voit encore des quantités de gens qui prennent la défense de Depardieu comme si c’était leur frère, comme s’ils le connaissaient personnellement. Mais ils ne vont même pas voir ses films qui sont depuis vingt ans à 90% des bides noirs. N’allez pas croire que je veuille du mal à Depardieu, il s’en fait lui-même bien assez, et je ne suis pas juge, mais ce qui motive ma diatribe, c’est justement cette tribune grossière qui tente de faire croire à son innocence, pensant que leur notoriété – bien ébréchée cependant – suffira pour faire passer le message vers les juges en charge des dossiers. Dans cette sinistre comédie, le malheureux Pierre Richard qui a signé la pétition maudite et soutenu son ami, vient de perdre son titre d’ambassadeur Les Papillons, qui lutte contre la maltraitance faite aux enfants[9], mais conséquence de ce geste, le président de cette association Laurent Boyet a reçu de nombreux messages de haine et de menace.

 

Ne croyez pas qu’on en restera là, le cirque médiatique continue et continuera encore un moment, et ce n’est pas mieux chez ceux qui attaquent maintenant le vieux comédien. Voilà un texte intitulé Depardieu : contre-tribune des artistes. Signée par 600 quasi-inconnus, c’est une manière de se faire remarquer à moindre frais. Évidemment on serait enclin à dire que ce cirque est alimenté en permanence par la mise en spectacle de la posture des indignés. Écrite avec un peu d’écriture inclusive, cette contre-tribune rassemble des artistes auto-proclamés qui se parent de ce titre pour donner leur avis à la population. Manifestement c’est une nouvelle génération qui se range contre l’impunité des violeurs – c’est ce que leur texte suggère – mais on va y retrouver aussi toute une palanquée de personnages troubles qui grenouillent dans le multiculturalisme par exemple Rokhaya Diallo, qui n’est certainement pas une artiste, même en ayant une définition très extensive de ce mot. Elle est de toutes les pétitions qui vont dans le sens de la déconstruction de l’homme blanc supposé violeur ou je ne sais quoi. Son statut est plutôt celui d’une agitatrice de profession, encore qu’il soit bien difficile de savoir comment elle gagne sa vie. Quelques signataires se désignent comme des S*witches c’est-à-dire si j’ai bien compris des gens qui veulent mélanger les cultures, vaste programme, mais Depardieu qui a au moins trois nationalités est déjà passé par là ! Si la première tribune pour Depardieu rassemblait des semi-retraités de la chose culturelle, la contre-tribune est le reflet de la mouvance de la jeune génération de la déconstruction à tous les étages ! Ce sont les gueux de la culture qui tentent de chasser les anciens pour se tailler une petite part de marché. Rapidement cette tribune a été signée par 2500 artistes, et au tout début de janvier 2024, on en était à 8000 ! Voilà au moins une denrée que la France produit en abondance, le pétitionnaire outragé !

 

Libération publiait le 1er janvier 2024 encore une autre pétition, signée cette fois par un collectif de 150 personnages issue du niveau moyen du monde des artistes, moins virulents que la première contre-pétition elle reprenait l’idée simple du fait que l’art ne saurait protéger contre le « crime » et surtout elle fustigeait le fait que ni le président de la République – ou ce qui en tient lieu – ni les signataires de la première pétition ne s’étaient intéressés aux victimes[10]. Cette pétition était emmenée par Muriel Robin – l’amie de Pierre Palmade – Alexandra Lamy, Anne Roumanoff, et quelques autres, ce qui semble indiquer que Depardieu est maintenant isolé dans le monde de la culture. Une quatrième pétition circulait encore sur Médiapart, signée cette fois par des inconnus, sauf qu’on y reconnaissait des membres de la famille Garrel ou encore Marilou Berry qui est en conflit judiciaire ouvert avec son père Richard Berry qu’elle a accusé d’inceste, et qui a signé au moins deux des quatre pétitions. Cette dernière pétition reprenait l’idée d’un conflit de générations entre ceux qui dans le temps abusaient de leur privilège et donc du droit de cuissage, et ceux qui pensent que l’art peut se passer de ces pratiques d’un autre âge[11]. Là est peut-être la question, le cinéma et le théâtre auraient-ils la même motivation créatrice si les hommes de pouvoir qui l’ont investi n’avaient pas eu l’idée de se comparer à des démiurges pour qui tout est permis ? N’est-ce pas de ce conformisme nouveau que ce monde crève ? Et évidemment si on ne peut soutenir les turpitudes grossières de Depardieu on peut penser que ces modes de représentation sont maintenant dépassés. Quand on voit le cahier des charges imposé par l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences pour seulement pouvoir concourir aux Oscars, on comprend bien que cette nouvelle forme de contrôle sur la création – qui a remplacé la censure formelle et institutionnelle des religions et du gouvernement – explique pour beaucoup la médiocrité des productions offertes au public, ce public ayant été par ailleurs formaté par l’enseignement pour adhérer à la nouvelle doctrine. Mais en réalité la misère du cinéma français ne date pas des affaires Depardieu, elle a commencé sans doute avec la Nouvelle Vague et s’est poursuivie avec des marchandises comme Les valseuses, fausse audace informe destinée à épater le bourgeois.

 

PS :

Depardieu a toujours été un personnage louvoyant sous des allures de grande gueule, toujours du côté du manche cependant, affichant avec constances des convictions à géométrie variable. Politiquement il fut proche des communistes, des socialistes, mitterrandien, puis chiraquien, puis sarkozyste et enfin macronien ! Sur le plan international, il investit – à perte – à Cuba, histoire de jouer les hommes de gauche. Il fut un soutien de Poutine, demandant la nationalité russe en 2013, puis il a retourné sa veste pour condamner l’invasion de l’Ukraine et se ranger dans le camp atlantiste. Après avoir embrassé le président russe, le 31 mars 2022, il déclare : « Le peuple russe n’est pas responsable des folles dérives inacceptables de leurs dirigeants comme Vladimir Poutine ». En 2019 il était devenu ambassadeur du tourisme en Ouzbékistan ! En 2022 il se fera donner la nationalité émiratie ! Son voyage en Corée du Nord qui donne une caution à ce pays, est ce qui l’a piégé, mais pourquoi y est-il allé ? Chaque fois les affaires ne sont pas loin ! Sa filmographie comprend plus de deux cents films, et au minimum les trois quarts ne possèdent aucune qualité autre que de faire rentrer de l’argent, car Depardieu est très riche, sa fortune serait estimée entre 150 et 200 millions de dollars. Il tourne en permanence, tout et n’importe quoi, ce qui lui permet d’accumuler un énorme capital, que ses films soient des bides noirs ou non, ça n’a pas d’importance. 



[1] https://www.bfmtv.com/police-justice/gerard-depardieu-plaintes-temoignages-quelles-sont-les-accusations-visant-l-acteur_AN-202312210440.html

[2] https://www.lefigaro.fr/vox/culture/n-effacez-pas-gerard-depardieu-l-appel-de-50-personnalites-du-monde-la-culture-20231225

[3] https://www.francetvinfo.fr/culture/cinema/depardieu/complement-d-enquete-sur-gerard-depardieu-constat-d-huissier-a-l-appui-france-televisions-confirme-que-les-mots-prononces-par-l-acteur-sexualisent-une-fillette-a-cheval_6260331.html

[4] https://www.francetvinfo.fr/culture/cinema/depardieu/ma-signature-etait-un-autre-viol-l-acteur-et-metteur-en-scene-jacques-weber-dit-avoir-mal-lu-la-tribune-en-soutien-a-gerard-depardieu_6277425.html?fbclid=IwAR3A8lX4AXgzQtlKbpW-sPS94uLIYFNRcktfcvgUrg8FPTUrP57PlW_dN54

[5] https://www.parismatch.com/people/sophie-marceau-sur-gerard-depardieu-la-vulgarite-et-la-provocation-ont-toujours-ete-son-fonds-de-commerce-233115

[6] https://www.isabelle-alonso.com/articles-1/plus-ou-moins-depardieu-21?fbclid=IwAR0vvDvl5kGuEi8H4kS8dJmUvc9n4LY2Dk1tDZL3qd2mKeYKOO3hO6_DVcc

[7] https://www.sudouest.fr/societe/violences-faites-aux-femmes/video-affaire-depardieu-il-m-a-prise-par-la-force-la-journaliste-qui-accuse-l-acteur-de-viol-temoigne-17911892.php

[8] https://ingirumimusnocte2.blogspot.com/search?q=springora

[9] https://www.bfmtv.com/people/gerard-depardieu-le-president-de-l-association-qui-a-ecarte-pierre-richard-apres-son-soutien-s-explique_AN-202312290245.html

[10] https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/affaire-depardieu-lart-nest-pas-un-totem-dimpunite-20240101_QZ4M2RIAAFDKDOUYPCI2PACC24/

[11] https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/311223/depardieu-adresse-au-vieux-monde

Henri Barbusse, Le feu, journal d’une escouade, Flammarion, 1916

  C’est non seulement l’ouvrage de Barbusse le plus célèbre, mais c’est aussi l’ouvrage le plus célèbre sur la guerre – ou le carnage – de...