dimanche 30 août 2020

Des soins sans industrie ? Jean-Pierre Escaffre, Jean-Luc Maletras, Jean Michel Toulouse, Manifeste, 2020

  

Si on veut comprendre pourquoi l’accord du Ségur de la santé qui a été officiellement signé le 13 juillet, est un très mauvais accord signé par les syndicats vendus, il faut lire ce livre, car comme le souligne Patrice Pelloux, la casse de l’hôpital va continuer jusqu’à la prochaine pandémie[1]. La crise sanitaire initiée par le COVID-19 a mis en plein jour le délabrement quasi-total du système de santé français. Certes nous savions que l’hôpital avait été malmené par des réformes stupides destinées à faire d’abord la place à la logique managériale, et donc à introduire toujours un peu plus le secteur privé dans la gestion des soins. On s’est aperçu aussi que les pays qui avaient les meilleurs résultats en matière de lutte contre le COVID-19, étaient aussi les pays qui avaient su défendre une certaine de forme de souveraineté en la matière. Par exemple l’Allemagne qui avait un meilleur équipement médical que la France, mais aussi des lits de soins intensifs plus nombreux a eu beaucoup moins de morts que la France, environ 5 fois moins pour une population de 83 millions d’individus contre 67 millions. Le bilan est sans appel, la France a fait beaucoup moins bien que son voisin d’outre Rhin. On a vu que la France manquait d’à peu près tout, des masques des appareils de respiration, de blouses et même de personnel. Même Macron a avancé que notre problème était de n’avoir pas une indépendance suffisante en la matière, qu’on ne produisait pas assez de médicaments et d’équipements médicaux sur notre territoire. Quand on remonte la longue filière du démantèlement de l’hôpital public, on retrouve à son début, en 2005 Jean Castex qui est malencontreusement devenu premier ministre ces jours-ci, prouvant ainsi que Macron ne retenait jamais rien des cruelles leçons de la réalité. 

 

Ce petit ouvrage se propose deux buts, d’abord montrer comment la France a détruit dans un même mouvement son tissu industriel et son système de santé. En somme pour les auteurs, en se désindustrialisant, un pays perd sa souveraineté, ce qui est mauvais pour son économie, mais en même temps il détruit son propre système de santé, or le système de santé non seulement est un atout pour le dynamisme économique – un capital si on veut – mais aussi une richesse inestimable pour les patients. On a vu qu’un pays comme la Corée du Sud, pays très souverainiste, avait eu très peu de morts dus au COVID-19, contrairement à la France et aux Etats-Unis. Par exemple Trump qui est très critiqué pour son inaction, mais aussi pour le délabrement quasi-total du système de santé américain, voulait que le pays retourne rapidement travailler, arguant que cela serait nécessaire pour l’emploi et éponger les immenses dettes du pays. Mais cela s’est révélé impossible. A l’inverse là où la crise a été relativement bien gérée, l’économie ne s’est pas arrêtée ou bien a redémarré rapidement. Il y a donc un lien entre souveraineté industrielle et système de santé (Allemagne, Corée du Sud, Taïwan). Autrement dit c’est quand on a un bon système de santé que l’économie prospère, et à l’inverse quand on a un système de santé médiocre que l’économie décline. Il y a donc un lien direct entre désindustrialisation et dégradation du système des soins (France, Etats-Unis).  

 

Les solutions proposées par les auteurs sont de trois ordres :

- d’abord ils réclament une plus grande intervention de l’Etat dans la reconstruction d’une filière industrielle qui serait orientée vers la santé, que ce soit pour le médicament ou pour l’équipement. On sait que via le CICE, mais aussi via les subventions de l’Etat, le gouvernement actuel aide directement à la délocalisation de la filière.

- ensuite reconstruire dans le domaine de la santé un pôle innovation-recherche. Cette idée pose de nombreuses questions. D’abord celle de la formation des scientifiques et des médecins qui a été laissé à l’abandon. Il est anormal que dans un pays comme la France il n’y ait plus suffisamment de médecins de spécialité dans des secteurs comme l’ophtalmologie ou la gynécologie. Mais dans tous les pays désindustrialisés c’est la même chose, les métiers de la finance sont très bien payés, ceux de la recherche scientifique, beaucoup moins.

- enfin ils proposent de revenir aux racines de la Sécurité sociale telle qu’elle avait été pensée par le CNR et par Ambroise Croizat, non seulement en réunifiant les caisses en une seule, mais aussi en redonnant le pouvoir aux soignants et aux usagers. Ce qui veut-dire clairement se sortir de la gangue du pouvoir financier et de la privatisation des lieux publics. Ce dernier point est maintenant bien documenté, et c’est ce qui anime la révolte des soignants. L’ouvrage revient sur cette manière particulière de voir le secteur privé pomper l’argent de la Sécurité sociale qui est d’abord l’argent des salariés qui ont cotisés. 

 

Malgré tout l’intérêt que suscite cet ouvrage, il pose deux limites. La première est celle de croire que les performances en matière de santé reposent sur le progrès scientifique et sur l’innovation. C’est une vision « progressiste » que je ne partage pas parce qu’elle renvoie à l’idée que ceux qui ont créé les problèmes sont aussi ceux qui sont capables de les résoudre. Les auteurs ce livre mettent en avant les avancées en matière de traitement des données, en matière d’imagerie médicale, alors que probablement pour améliorer l’état sanitaire d’un pays il serait plus judicieux de reconstituer un environnement acceptable où l’air serait bon à respirer, l’eau serait potable, et où l’agriculture industrielle ne nous empoisonnerait plus. A quoi bon vivre plus vieux, si c’est pour vivre vieux en mauvaise santé dans un EPHAD où votre vieux corps n’est plus qu’une marchandise qui permet de gras profits[2]. Un système de santé dépendant de l’industrie qui elle-même dépend du capital, finit par aboutir à ce qu’on connait aujourd’hui, notamment avec les luttes que se livrent les entreprises de Big Pharma pour imposer leurs marchandises.

La seconde limite tient à l’idéologie du progrès. C’est l’idéologie de la croissance économique. Pour ce qui concerne le domaine de la santé, on suppose que le progrès c’est de découvrir de nouvelles techniques de soin, ou de nouveaux médicaments, sans voir tout ce qui se perd de la connaissance traditionnelle de ce domaine. Cette idéologie se nourrit de deux axiomes principaux :

- d’abord l’idée selon laquelle le médicament d’aujourd’hui est forcément meilleur que celui d’hier et donc que ce dernier doit être abandonné. C’est ce qui a conduit certains à privilégier le médicament de Gilead, le remdesivir, à la place de la chloroquine prônée par Raoult ;

- ensuite que la recherche c’est forcément cher et donc qu’il y faut des milliards. On a vu tous les gouvernements du monde donner de l’argent pour découvrir un vaccin qui mettrait un terme à la pandémie du COVID-19. Trump aurait débloqué une somme de 1,6 milliards de dollars pour le groupe Novavax[3]. Dans le même temps les pays européens ont donné beaucoup d’argent à Sanofi ou à AstraZeneca. Cette démarche pose deux questions :

- d’abord pourquoi mettre autant d’argent sur la recherche d’un vaccin, alors que certains avancent que le vaccin en lui-même n’aura aucune efficacité ?

- ensuite peut-être y-a-t-il des démarches alternatives et beaucoup moins coûteuses et que le vaccin risque d’être obsolescent au moment de sa sortie ?

 

Le livre a le mérite d’ouvrir un débat sur une approche globale de la santé publique. Un système de santé ne peut pas exister en dehors d’un système économique et social particulier. Quand la Sécurité sociale a été créée, c’était clairement une rupture d’avec le monde d’avant. Mais elle accompagnait dans son esprit l’évolution d’un système vers plus de droit et de justice pour les travailleurs. L’explosion de notre système de santé est juste la conséquence du développement du modèle néolibéral en France, en Europe et dans le monde. Ma conclusion personnelle est que pour retrouver un système de santé cohérent qui échappe à la dictature de la rentabilité chère à cette canaille de Jean Castex, il faut retrouver la souveraineté économique de la nation et celle-ci passe forcément par un préalable : la sortie directe et sans marchander de l’Union européenne.

mercredi 26 août 2020

Le journalisme, Macron et le coup de la pression

  

Les journalistes sont un peu tous formatés de la même façon et n’ont pas un vocabulaire très large, ils utilisent toujours un peu les mêmes mots, qu’ils soient de gauche, de droite ou d’extrême centre. Je ne vais pas dire ici que la pauvreté de leur vocabulaire reflète toujours la pauvreté de leur réflexion, mais il est frappant que ce sont toujours les mêmes expressions un peu vides de sens qui reviennent. Passons sur les titres en forme d’interrogation qui commencent par Pourquoi. On suppose que c’est sensé aguicher le client qui se pose la même question, et donc on lui fait miroiter qu’on va y répondre. Le plus souvent la réponse est décevante, et au fil du temps on se détourne des articles de ce type. C’est un peu comme les discours d’Edouard Macron ou d’Emmanuel Philippe, ils parlent pour ne rien dire, ils peuvent tenir comme ça des heures entières, mais au bout du compte ils ne nous ont rien expliquer de plus. Pendant la crise du coronavirus, tous les soirs on avait des conférences de Véran-le-véreux ou de l’ineffable Salomon. A part le décompte lugubre des morts et des malheureux hospitalisés, on n’était guère plus avancé. Et on nous repassait en boucle les ineptes publicités pour les gestes barrières ou pour nous encourager à rester chez nous devant notre poste de télévision pour écouter les mêmes idiots répéter les mêmes imbécilités. C’était tout de même un peu déprimant. 

Histoire d’angoisser un peu plus le citoyen les journalistes utilisent maintenant abondamment et plutôt deux fois qu’une le terme de pression on met ou on augmente la pression. Dans le domaine économique, alors que la bourse replonge bien comme il faut, le journal numérique, La Tribune, met la pression sur ses lecteurs en leur montrant combien les jours à venir seront difficiles. Le 11 juin on apprenait ainsi que la Commission européenne sortait de son long coma, conséquence de la crise du coronavirus, pour mettre la pression sur l’alliance future entre Peugeot et Fiat. Mettre la pression en jargon journalistique ça veut dire que on empêche ou on rend difficile. Donc dans le cas de la fusion Peugeot-Fiat, on voit que la sournoise Commission européenne, dominée par l’Allemagne, tente d’empêcher deux entreprises du secteur automobile en grande difficulté de s’en sortir. Mettre la pression c’est partir en guerre et désigne un affrontement dont l’issue est incertaine. 

 

Ainsi Lufthansa entreprise du secteur de l’aviation – autre secteur en grosse difficulté – met la pression sur son concurrent Air France-KLM à qui l’Etat français vient d’offrir 7 milliards d’euros pour arroser ses actionnaires. Comment met-on la pression dans ce secteur très concurrentiel ? Tout simplement en licenciant à tour de bras. Ici il s’agit de 22 000 postes qui vont être supprimés ! cette annonce veut dire beaucoup d’abord que si Lufthansa licencie, ce n’est pas pour faire remonter son taux de profit ou pour abaisser ses coûts, mais pour emmerder Air France-KLM, pour tuer le concurrent. Ensuite cela anticipe évidemment sur l’excuse toute faite pour Air France-KLM de licencier à son tour quelques milliers de salariés qui coûtent trop cher. La pression est donc une arme pour accroitre la concurrence et pour tenter de préserver ou augmenter ses parts de marché.

Dans numerama, on trouve maintenant autre chose. Voilà Tesla, firme de fabrication de voitures électriques haut de gamme très prospère dont l’avenir est prometteur puisqu’il y a une forte pression pour la transition écologique. Donc on se demande pourquoi Tesla se met elle-même la pression. La réponse est de le patron de cette boutique en veut encore plus, il veut augmenter les cadences, jugeant qu’on a perdu bien trop de temps avec le coronavirus et donc qu’il faut travailler un peu plus pour se mettre à jour et diminuer les délais de livraisons. On comprend que la bataille n’est pas entre Tesla et ses concurrents qui ont du retard semble-t-il en termes de qualité du produit, mais entre la direction de Tesla et les salariés un rien nonchalants. Si c’est encore de guerre dont il s’agit, c’est entre la direction et les salariés que celle-ci se passe. Donc on comprend que l’usage flou de ce terme « mettre la pression » cache le fait que la direction met la pression sur les salariés et non pas sur elle-même. 

 

« Mettre la pression » est une expression du langage familier, mais pas issu des quartiers populaires. Ça vient assez bien du langage managérial. Pour obtenir le meilleur rendement de ses salariés, il faut leur mettre la pression, c’est-à-dire les pousser dans leur dernier retranchement. Trump est lui aussi un adepte de la pression, il met la pression sur tout le monde. D’abord sur les Mexicains qui voudraient bien venir travailler et vivre aux Etats-Unis en leur construisant un mur, puis sur les Chinois à propos de Hong-Kong ou du commerce international, puis sur les Coréens du Nord à propos des missiles, pendant la crise du coronavirus, à défaut de faire quelque chose de positif, il a mis la pression sur les industriels nous disent Les Echos en ordonnant à ceux-ci de produire en urgence des ventilateurs pour faire face à la pandémie. De temps en temps il met la pression aussi sur la FED, c’est-à-dire la banque centrale des Etats-Unis qui en réalité n’a de compte à rendre qu’aux parlementaires et pas à lui, et qui en outre n’a jamais tenu compte de ce qu’un président lui ordonnait de faire. Mettre la pression sur des institutions comme l’OMS, le Mexique, la FED ou la Chine, c’est équivalent à « faire les gros yeux ». Si ça marche, ça peut éviter une action militaire, car si ça ne marche pas, non seulement ça coûtera plus cher, mais en outre il faudra mettre la pression sur les militaires pour qu’ils acceptent de suivre le président. Au moment des manifestations étatsuniennes en faveur de George Floyd et des émeutes qui ont suivi, Trump a tenté de mettre la pression sur les militaires pour les envoyer réduire les émeutiers. Mais l’armée l’a – disons le en langage familier – envoyé chier. Il avait usé de son langage de charretier également pour insulter des gouverneurs démocrates qui ne voulaient pas prendre la responsabilité d’un bain de sang. Donc Trump a relâché la pression, en disant que vu l’évolution de la situation il n’y avait plus de raison d‘envoyer l’armée … qui d’ailleurs ne voulait pas y aller ! Comme disait Jean Cocteau, un imposteur qui s’y connaissait, puisque ces mystères me dépassent, feignons d’en être l’organisateur. 

 

On voit que pour Trump mettre la pression s’apparente d’abord à faire de l’air. En effet, tous les journalistes qui relayent les bulletins des agences de presse qui eux-mêmes reprennent les communiqués du service de presse de la Maison Blanche, ne se posent pas la question de savoir en quoi ces multiples pressions sont efficaces. Les journalistes ne se mettent pas vraiment la pression pour le comprendre, comme ils ne se mettent guère la pression pour chercher et trouver aux expressions qu’ils ont apprises à l‘école de journalisme. Si on comprend bien les journalistes répètent les formules des attachés de presse qui sont pour la plupart des anciens journalistes. Trump en vérité est un président très passif qui ne fait pas grand-chose. Ce velléitaire signe par exemple des décrets en quantité devant des journalistes abasourdis qui devant autant d’audace confuse ne se demandent pas pourquoi la plupart de ces décrets très audacieux ne sont jamais appliqués. La moitié ne sont pas conformes à la constitution et tombent dans l’oubli, l’autre moitié ne verra jamais le jour. 

 

Mettre la pression pour Trump ça signifie affronter tout seul des institutions. C’est l’homme seul contre le reste du monde entier. Il défie individuellement tout ce qui bouge, c’est-à-dire toute organisation plus ou moins collective. En ce sens il est un révolutionnaire puisqu’il nous explique que non seulement il ne veut respecter aucune règle, mais qu’en plus il demande et exige que ces règles soient changées. C’est une sorte d’enfant capricieux que plus personne ne fait semblant d’écouter. Les sales gosses finissent toujours par lasser leur auditoire avec leurs exigences incessantes. Au début on fait semblant de céder pour qu’ils nous foutent la paix, mais dans un deuxième temps on lui fait savoir qu’il agace. Le troisième temps qui vient est celui de la moquerie et de la menace de ne plus l’écouter. C’est cer qui se passe aujourd’hui. Avec la crise du coronavirus, puis les conséquences de l’assassinat de George Floyd, Trump a été seul sur le devant de la scène., son concurrent Joe Biden restant par la force des choses silencieux. Mais les rodomontades de Trump ont montré qu’il était très faible et isolé, y compris dans son propre camp. Plus il parlait et moins on l’écoutait. On a appris à faire sans lui. Jusqu’à Washington où on a repeint l’avenue qui mène à la Maison Blanche d’un Black lives matter géant qui pouvait se voir du haut du ciel. Avant même la fin de son mandat, les Américains ont mis en place un système qui montre que le président ne sert à rien… et ça se voit. Ce qui veut dire qu’on ne s’apercevra pas de son départ en novembre. 

Ainsi va la vie des bouffons qui mettent la pression. Ce sont toujours des hommes faibles qui mettent la pression. En France nous avons-nous aussi un velléitaire de compétition. Tous les deux jours la cellule de communication de l’Elysée nous explique que Macron met la pression sur Pierre, Paul ou Jacques. Evidemment on n’a jamais vu le général de Gaulle qui gouvernait pourtant mettre la pression. Macron met la pression, y compris sur lui-même puisque récemment il s’est menacé de se démissionner… pour se faire réélire ! C’est la nouvelle farce qui a couru ces derniers jours[1]. Quand le général de Gaulle a démissionné, suite à un référendum qu’il avait perdu, il l’a fait, et puis il est parti. Macron lui se met la pression, peut-être pour tester ce qu’il lui reste de popularité ! Regardons le titre ci-dessous. Emmanuel Macron met les préfets sous pression. Le sous-titre nous dit que c’est pour accélérer les réformes et les pousser à fond et jusqu’au bout. C’était en janvier 2020. Depuis de l’eau a passé sous les ponts, et la plupart des réformes qui étaient impératives pour l’équilibre des finances ont été renvoyées aux calendes grecques. Mais comme il ne peut pas dire qu’il abandonne son plan, il raconte de partout qu’il va le reprendre et le renforcer. Alors même que l’économie est à l’arrêt et que le chômage explose. Il met la pression sur l’opinion publique qui déjà, avant la crise sanitaire, était très hostile aux réformes macroniennes sensées renforcer l’offre. Mais au fond ce que fait et dit Macron n’aurait pas tout à fait la même importance, si les journalistes ne relayaient pas bêtement les messages.

Macron et son gouvernement n’arrive plus à rien gérer. Ils ont baissé les bras face à la manifestation des comités Adama, s’obligeant à prendre des décisions pour faire plaisir à cette très maigre clientèle qui ne leur apportera que des désagréments. donc si on suit bien ce qui se passe en France en ce moment, les comités Adama prenant prétexte de la mort de George Floyd, ont mis la pression sur Macron. Celui-ci, dans un jeu de chaises musicales plutôt brouillon, s’est désolidarisé de son propre gouvernement ! Regardez les trois titres ci-dessous. Ils sont trop semblables pour qu’ils soient autre chose que les éléments de langage concoctés à l’Elysée. Sous la pression des comités Adama qui initialement représentent deux pelés et trois tondus, Macron met la pression sur Philippe et le gouvernement. Autrement dit il conteste le gouvernement qu’il a nommé et en devient le premier opposant ! Nous nous retrouvons dans une époque de cohabitation ! Certes on sait que Philippe va partir, probablement Castaner aussi d’ici au début du mois de juillet. Mais ce coup de pression de Macron au gouvernement a mis un peu plus la panique dans la gestion des affaires courantes.  Les policiers sont en colère et manifestent sur les Champs Elysées – sans que Lallement ne leur envoie la troupe pour les nettoyer, comme il avait fait contre les pompiers. Vous remarquerez que tant que Castaner les laissait matraquer les Gilets jaunes, ils ne disaient rien du tout, au contraire, ils étaient très contents de ce ministre en bois. Ils avaient les mains libres, bastonnant et gazant comme ils voulaient. Mais voilà que Macron demande à ce qu’on mette un frein à ces violences – sans doute veut-il se faire passer pour un candidat de gauche en 2022. Mais là ça ne va plus. En mettant la pression sur Philippe et son gouvernement de bras cassés, Macron surjoue un statut d’opposant. Comme Trump il est seul face aux institutions, face au gouvernement, comme face à la police. Mais tout ce qu’il démontre, c’est que lui-même ne contrôle plus le gouvernement, et que celui-ci ne contrôle plus la police qui fait ce qu’elle veut quand elle veut. Bref, c’est le chaos totale et définitif dans lequel le macronisme sombre. 

Peut-être encore plus que dans le cas de Trump, cette folle idée de Macron de mettre la pression sur tout le monde et de rendre public cette sombre velléité montre à quel point le pouvoir politique en France est abandonné à lui-même et sans boussole. On pourrait dire en France, il n’y a plus d’Etat digne de ce nom. Macron met donc la pression sur Renault… après lui avoir donné 5 milliards d’euros. En disant qu’il fallait être vigilant pour que l’emploi reste en France. On sait parfaitement que les promesses n’engagent que ceux qui y croient en matière politique, par contre les contreparties monétaires sont déjà actées ! Plus faible que cela, c’est difficile. Macron ne sauve pas Renault, il sauve les actionnaires. Sinon, il aurait exigé en échange des liquidités par exemple une partie du capital. Et donc d’avoir une voix au chapitre des discussions en ce qui concerne l’emploi. A part de jouer avec l’argent des Français, Macron qui est d’abord un homme faible, n’a aucun plan industriel et économique. Et d’ailleurs comment en aurait-il un puisqu’il nous dit qu’il croit aux forces du marché comme d’autres croient en Jésus ou en Bouddha ou encore en Mahomet. 

 

Mais si Macron met la pression sur Renault, sur le gouvernement ou sur les préfets, il est lui-même soumis à la pression de Marine Le Pen ! C’est du moins ce que nous racontent les journalistes du Point. On n’est pas obligé de les croire. En effet nous savons depuis au moins 2017 que Marine Le Pen est le meilleur ennemi de Macron, c’est-à-dire que s’il se retrouve encore au second tour en face d’elle, il est à peu près sûr de gagner, même si ce sera plus difficile que la fois précédente. Vous me direz que l’article que je cite est signé Hugo Domenach, fils et petit-fils de journalistes de cour. Un crétin qui disait qu’il ne fallait pas publier les statistiques du chômage pour ne pas décourager les efforts des Français. Il est une sorte d’éditorialiste, soit le pire de ce qui officie dans le journalisme aujourd’hui. Ici donc le terme « met la pression » est destiné d’abord à couvrir un mensonge grossier, laisser croire que si Marine Le Pen était au second tour des élections de 2022, cela dérangerait beaucoup Macron. N’importe quel âne – mille excuses pour nos amis les ânes – sait très bien que la seule chance de Macron de se continuer à lui-même est ce seul cas de figure. N’importe quel autre candidat de droite ou de gauche gagnera contre Macron. Encore faut-il évidemment qu’il puisse arriver au second  tour !





samedi 22 août 2020

L’union européenne va-t-elle disparaitre ?

 

Bien sûr ce serait mon souhait, tant je pense que cette boutique est néfaste pour le genre humain. Mais nous ne devons pas confondre ce que nous souhaitons et ce qui est de l’ordre du possible. Histoire de faire croire que l’Union européenne fait quelque chose, Ursula Von der Leyen a lancé un téléthon pour financer un vaccin. Comme Macron, elle fait semblant de croire que plus on met de l’argent et plus vite le vaccin sera découvert, nous guérira et nous permettra de revenir des salariés et des consommateurs « normaux » et efficients. Ce téléthon a recueilli 7,4 milliards d’euros de promesses de don, sont le principal vient des Etats membres. Les journalistes qui ne savent pas trop faire la distinction entre promesses de dons et dons effectifs parlent bêtement d’ « une levée de fonds ». Cet argent comprendrait 1 milliard qui viendrait de la France, mais on sait déjà que Macron a promis de mettre 500 millions pour découvrir le fameux vaccin[1]. Est-ce que ces 500 millions sont une partie de la contribution de la France au téléthon européen ? On n’en sait rien. Souvenons-nous que lorsque Notre Dame de Paris a flambé, les promesses de dons avaient été extraordinaires, 922 millions, dont 100 millions annoncés par Bernard Arnault et 100 autres millions promis par François Pinault[2]. Mais les milliardaires sont aussi menteurs que les politiciens. Au final ces 922 millions d’euros se sont réduits comme peau de chagrin, et on ne faisait plus état que d’une centaine de millions effectivement versés, Arnault et Pinault en étant encore à discuter des modalités d’étalement de ces dons en fonction de l’avancement des travaux[3]. Ces effets d’annonce servent chaque fois à faire croire qu’on fait quelque chose. Les fonds promis à Bruxelles sont bien loin d’être levés et en outre, ils sont encore plus loin de savoir à quoi ils serviront et qui mettra la main dessus. Mais ça permet de faire croire que l’Union européenne avance sur la voie de la solidarité. Evidemment la question de savoir qui recevra cette obole, si obole il y a, n’a pas été évoquée. Mais on sent derrière cette levée de fonds la main de Big Pharma qui travaille à nous vacciner pour notre bien et pour ses profits. 

La Cour constitutionnelle de Karlsruhe a rendu son verdict 

Mais il y a maintenant autre chose de plus sérieux. Alors que la Commission européenne par la voie d’Ursula qui nous apprend beaucoup sur la manière de se laver les mains, et qui a encouragé les Etats à faire de la dette comme jamais auparavant vient de se heurter à un problème de taille : la Cour constitutionnelle de Karlsruhe vient de dire que le rachat des dettes par la BCE – action absolument nécessaire dans le cadre de l’euro pour financer ces dettes – n’était pas compatible avec la Constitution allemande ! on sait que l’Allemagne est parfaitement souverainiste et ne suppose pas une minute que les traités européens soient comme chez nous supérieur à sa constitution ! La Cour donne donc trois mois à la BCE pour justifier de ses programmes de rachat de dettes publiques[4].  Dans le cas contraire, l’Allemagne serait obligée de retirer son soutien à ce plan et donc de renvoyer chaque Etat membre devant les marchés financiers pour se refinancer. Le but de ces plaintes auprès de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe est de limiter l’action de la BCE à la seule lutte contre l’inflation et à lui refuser les moyens de stimuler l’économie par l’injection continue de monnaie. Si cela devait arriver, alors il est clair que l’Union européenne n’existerait plus car en se maintenant dans l’euro, mais sans le parapluie du refinancement de la BCE, les taux d’intérêt des pays les plus endettés exploseraient et il serait dès lors pour leur propre survie que ces pays sortent de l’Europe et de l’euro sans plus attendre. Coralie Delaume faisait fort justement remarquer que le résultat de ce jugement était la conséquence d’une plainte déposée Bernd Lücke, un des fondateurs de l’AfD, et farouche ennemi de l’euro[5]. Comme quoi les coups les plus dures ne viennent pas nécessairement d’om on les attend. Mais au-delà, on voit que toute forme de mutualisation des dettes publiques dans la zone euro est impossible du fait de la position même de l’Allemagne qui a mis sa Constitution au-dessus des traités européens. Cette question est de première importance, car si la Cour constitutionnelle de Karlsruhe confirmait son jugement, cela laisserait les Etats sans financement de leur dette autre que les mécanismes mortifères du MSE. Mais il y a un autre point important c’est que cet épisode révèle que l’Allemagne est un pays à part dans l’Union européenne. Ce pays contribue plus qu’un autre à fabriquer des traités qui ne s’appliquent pas à elle !

mardi 18 août 2020

Les Etats Unis à feu et à sang, réflexions sur la mort de George Floyd

  

Minneapolis barrière de blancs entre les flics et les manifestants noirs 

Depuis quelques années on perçoit des changements très importants aux Etats-Unis. Si d’un côté c’est un pays où s’affichent des inégalités et des violences comme dans aucun autre pays développé, il y a manifestement une montée de la guerre de classes. On l’a vu avec le succès relatif de Sanders dans ses deux campagnes électorales. Trump a été très mal élu, il avait près de trois millions de voix de moins que sa concurrente. Et depuis il a attisé le feu, entrainant avec lui l’Amérique dans une guerre civile larvée. Le meurtre de noirs par la police ne date évidemment pas de la présidence de Trump. C’est juste la marque d’un pays profondément inégalitaire et violent. Seule la France a aujourd’hui une police aussi violente. C’est qu’en réalité depuis un siècle et demi, les Etats-Unis sont travaillés paradoxalement par l’idée de socialisme. Marx voulait vers la fin de sa vie s’installer à New-York comme journaliste, parce qu’il pensait que c’était là que le socialisme avait un avenir. On sait que la police américaine est avec la police française la plus violente des pays développés, mais en réalité c’est parce que le système capitaliste a besoin de cette violence pour se maintenir. C’est seulement par la violence que le pays a brisé les velléités d’une évolution sociale plus rapide. Dans un article fort intéressant, le New York Times a commencé de tenter de donner des explications à une telle colère qui secoue l’Amérique et la rend ingouvernable malgré les rodomontades de Trump[1]. Au-delà de la discrimination des Noirs, il y a l’explosion des inégalités sociales, la montée brutale du chômage, et la gestion catastrophique de la pandémie par Trump. En effet, la manière dont ont dégénéré les manifestations pour George Floyd, cette volonté de mettre le feu, ne peuvent s’expliquer que par un niveau de frustration extrêmement élevé qui gagne aussi la partie blanche de l’Amérique comme le montre les films et les photos qui parviennent jusqu’à nous. 

Les manifestations sont nombreuses et dans tout le pays. Dans le Michigan on a vu un shérif qui non seulement apportait son soutien aux manifestants, mais qui organisait lui-même la marche de protestation[2] ! Des scènes comme celle-ci ce sont répétées de partout. C’est totalement inédit, c’est comme si en France une partie de la police mettait le bouclier à terre et participait au défilé des Gilets jaunes. Mais notre police est mieux dressée ! Certes on ne peut pourtant pas en déduire que la police étatsunienne a basculé du côté de la révolte, elle reste globalement très répressive, mais cette évolution notable traduit forcément un changement plus profond dans la société. Des maires comme Jacob Frey à Minneapolis ou John Cooper à Nashville ont encourager leurs administrés à rejoindre les manifestations. Les journalistes retiennent un peu trop souvent les émeutes, les pillages, le feu, et beaucoup moins la quantité et la diversité de ceux qui protestent. Quand on regarde les photos publiées par CNN[3], c’est très frappant, il y a beaucoup de jeunes très jeunes et beaucoup de blancs qui accompagnent le peuple des ghettos. C’est l’Amérique anti-Trump qui se rassemble au-delà des différences raciales. Beaucoup considèrent cependant des deux côtés de l’Atlantique que les incendies et les pillages nuisent à l’approfondissement de la mobilisation. C’est très difficile à dire. D’un côté évidemment le feu et la lutte contre la Garde nationale font peur, mais on a vu des jeunes s’endurcir rapidement. D’un autre, il est clair que sans cette mise à feu de la société ce mouvement qui va bien au-delà d’une demande de justice pour George Floyd n’aurait pas le même impact à l’échelle du monde.

Policiers sympathisants avec les manifestants 

En quelques jours seulement, on est passé à l’hypothèse d’une guerre civile. Cette idée n’est pourtant pas neuve, on la trouve chez Robin Wright comme consécutive de l’élection du milliardaire Trump à la présidence des Etats-Unis[4]. Cette tendance est ancienne, elle prend parfois l’accent du racisme ordinaire comme avec les événements de Charlottesville en 2017[5]. Mais elle s’inscrit aussi dans un abaissement constant du travail et des travailleurs dans la société. Le problème est que les Américains, souvent décrits comme des grands naïfs, n’ont plus confiance dans leurs institutions, et encore moins dans la présidence, et les sondages montrent jour après jour qu’ils aspirent à autre chosé qu’à un enrichissement aussi illusoire que débile. Comme ailleurs ils sont préoccupés par la dégradation générale de la vie à la surface de la planète. Ils voient bien que le président est un milliardaire qui divise volontairement et qui favorise les menées de l’extrême-droite. Mais celle-ci est ultra-minoritaire dans le pays, si elle a un grand pouvoir de nuisance, elle n’entraîne pas l’adhésion d’une fraction significative du pays. Mais elle sert de repoussoir et conforte la gauche qui se situe à la gauche du parti démocrate qui se trouve ainsi justifiée. Le fait que Trump ait décidé de faire des Antifa un groupe terroriste renforce de fait son isolement. 

USA - Kansas City : Des policiers rejoignent les manifestants.

L’isolement de Trump a été d’autant plus visible qu’il a dû se résoudre à se cacher dans son bunker de la maison blanche[6]. Même si on sait que l’homme n’est pas très courageux, c’est plutôt une grande gueule, il faut croire que les services de sécurité commencent à comprendre l’ampleur de la révolte pour être conduits à de telles extrémités. Cet épisode semi-cocasse renforce la comparaison avec Macron, l’autre président-fou, quand celui-ci avait failli être exfiltré en hélicoptère de l’Elysée quand les Gilets jaunes s’en approchaient[7]. Il est très probable que cet état de guerre civile, voulu et encourage par Trump, change la perception que les Américains ont d’eux-mêmes et de leur président, dans un sens très négatif. Après cet épisode et les violences qui ont suivi, Trump pourra très difficilement apparaître comme un rassembleur. Sans doute le sait-il, et sans doute n’est-il pas près à endosser ce costume, il est plus probable qu’il se laisse aller à sa pente naturelle et tente de jouer sur la peur des violences pour aller dans un sens plus autoritaire que d’ordinaire, mais sans être sûr que cette orientation le mène au succès. 

A Salt Lake City, les manifestants marchent contre la police

Mais au-delà des échéances électorales qui vont arriver très vite, il y a maintenant une manière de penser aux Etats-Unis qui a changé durablement. La fébrilité que l’on perçoit, tant dans les manifestations que dans les articles de journaux, montre un peuple globalement peu sûr de lui et très en colère contre ses élites. Ce sont des centaines de milliers d’Américains qui sont descendus dans la rue, bien sûr contre le racisme à l’ancienne des conservateurs, mais plus généralement contre ce mode de vie sans joie et sans plaisir qui détruit la nature mais aussi l’âme. Dans ce moment très particulier, on voit clairement à quoi corresponde le racisme aux Etats-Unis, c’est le complément de la domination du capital sur le travail. Mais du travail il n’y en a plus, et toutes les frustrations ressortent, la police qui se range toujours du côté du capital devient la figure de cette domination. C’est pourquoi même si une partie de celle-ci prend ses distances avec la tendance générale comme on l’a vu, est prise à partie systématiquement. On ne sait pas ce qu’il va advenir de cette situation inédite, mais la violence latente nous fait anticiper une bifurcation radicale du modèle social et économique dominant aux Etats Unis. Plus rien ne fonctionne, et la société demande à être remise dans la sens de la marche. L’issue est soit une dictature accrue – avec Trump il faut s’y attendre – soit un modèle nouveau de type New DeaL même si on peut le souhaiter, il semble que la marche vers une révolution socialiste ne soit pas pour demain. Mais on sait que les jeunes générations ne craignent plus de s’identifier au « socialisme ». Cette idée progresse aux Etats-Unis depuis la crise de 2008 où on a vu que le capitalisme ne garantissait plus la propriété de son propre toit, tandis que la crise du COVID-19 a montré que le système de santé américain était du niveau d’un pays sous-développé, tandis que les pays asiatiques faisaient la démonstration de leur savoir-faire en la matière pour protéger leurs populations. Au moment où on parle de la montée en puissance de la Chine, les Etats-Unis semblent avoir perdu leur leadership dans tous les domaines. Reste que cet épisode va reposer la question de la violence en politique, exactement comme pour les Gilets jaunes. En effet l’inertie des sociétés dites modernes peut-elle être combattue autrement que par la violence ? Les Gilets jaune ont montré que non, qu’il fallait pour ça bouge un peu se montrer violent et déterminé, c’est ce que font les protestataires étatsuniens. La question ne doit pas être posée d’un point de vue moral, doit on brûler des magasins, mais d’un point de vue tactique, que faire pour que les choses changent. Il y a depuis le meurtre de George Floyd une dizaine de morts. Il va sans doute y en avoir encore dans les jours à venir malgré le couvre-feu. The New York Times dans son édition du 30 mai 2020 parle d’effondrement des Etats-Unis, avançant que cet effondrement n’en est qu’au début, et il relie directement les violences urbaines liées au meurtre de George Floyd à la dépression économique que traverse le pays. Comme on le voit on est loin des slogans trumpistes Make America great again. 

Vendredi dernier, à Lexington, une marche a été organisée contre les violences policières 

Mais il y a peut-être pire, c’est que les manifestations américaines donnent des idées au monde entier. Des milliers de personnes ont défilé en Angleterre, en Irlande, en Nouvelle- Zélande, et j’en passe, mais pas en France où la dictature interdit de manifester. De nombreuses pancartes dans les manifestations allaient bien au-delà de la lutte contre le racisme, mais ‘attaquaient au « système », c’est-à-dire au capitalisme qui de plus en plus souvent est identifié comme le mal. De partout dans le monde il y a une envie d’en découdre qui annonce des temps difficiles mais qui se marie très bien avec l’effondrement de l’économie à l’échelle planétaire. 

Austin le 1er juin 2020


vendredi 14 août 2020

La crise économique et ses portes de sortie

  

Le gouvernement est en train de préparer les Français à de douloureux changement de pied. Depuis le début de la crise économique, depuis donc le début du confinement, il a fait face à la situation en mettant en œuvre une série de mesures :

- d’abord la prise en charge par l’Etat de la mise en chômage partiel, ça concerne aujourd’hui entre 8 et 10 millions de personne. Cette prise en charge permet à la fois aux salariés de continuer à percevoir un revenu, sans plomber un peu plus les entreprises qui sont par la force des choses en difficulté ;

- ensuite avec les facilités de crédit et de report des échéances pour ces mêmes entreprises pour éviter els faillites de celles qui se trouvent à court de trésorerie.

Tout cela coûte très cher et on prévoit que la dette publique en France comme ailleurs va exploser. Pour la France on parle d’une dette publique qui serait autour de 150% du PIB. Un chiffre qu’on n’a plus vu depuis la Libération. On nous a prévenu : cette dette, il faudra la rembourser, donc, avec le MEDEF Le Maire nous dit qu’il va falloir travailler plus pour rembourser. Mais il vient d’avancer qu’il fallait s’attendre à des faillites massives et donc à une explosion du chômage. Arguant qu’il n’est pas normal que l’Etat paye, il annonce que d’ici à la fin du mois le chômage partiel va être bien moins indemnisé[1]. Mais il semble que Bruno Le Maire qui est né à Neuilly et qui a fait l’ENA n’ait absolument rien appris en économie, et notamment de la gestion des crises du passé. Il est vrai que pour les libéraux une crise ne peut pas advenir autrement que par accident. Mais si la pandémie est  si meurtrière aussi sur le plan économique, c’est parce que le système est très fragile.

Que l’origine de la crise économique dans laquelle nous allons patauger dans les mois qui viennent, soit cette fois une crise sanitaire ne change rien à l’affaire. Lorsqu’une économie s’effondre, elle ne repart jamais du côté de l’offre, mais toujours du côté de la demande. La grande crise des années trente a procuré deux leçons :

– quand le marché n’est plus capable de créer des emplois et que la production recule fortement, seul l’Etat a la légitimité nécessaire pour relancer la machine. En 1932 quand Roosevelt arrive au pouvoir, il commence d’abord par nationaliser le crédit, affolant les économistes massivement hostiles à ce type d’intervention ;

– ensuite cette crise a montré – mais Le Maire et Macron ne le savent pas – que la notion de chômeur volontaire n’a pas de sens.

Aujourd’hui nous voyons Bruno Le Maire nous dire à mots couverts qu’il faut diminuer les allocations chômage pour encourager les chômeurs à retrouver de l’emploi. Mais l’imbécilité de ce propos saute aux yeux puisqu’en même temps Bruno Le Maire, dont l’épouse se nomme Pauline Dousseau de Bazignan ma chère, nous dit que de très nombreuses entreprises vont faire faillite. Inciter les chômeurs – ces fainéants – à retrouver de l’emploi quand les entreprises ferment, ça s’appelle de l’imbécilité. Avant la crise du coronavirus, il y avait 6 millions de chômeurs pour environ 250 000 offres d’emplois émanant des entreprises. Après la crise il va y avoir au moins 10 millions de chômeurs pour un nombre d’offres d’emploi qu’on doit revoir à la baisse. Les charrettes sont prêtes : le secteur bancaire nous dit qu’ils vont mettra à la porte des milliers d’emplois, ils annoncent un objectif d’une baisse globale des coûts d’un milliard d’euros par an. Renault veut fermer Renault à Flins. Les compagnies d’aviation vont puissamment dégraisser, malgré les aides de l’Etat.

Tenter de faire croire qu’en réduisant les allocations chômage on poussera les gens à retrouver un emploi est une erreur élémentaire de raisonnement puisqu’en effet la crise entretient la crise. Si le pouvoir d’achat des ménages se contracte, alors de nouvelles entreprises ferment, ou alors elles dégraissent encore. C’est ce qu’avait compris déjà Malthus en 1814 ! Et c’est ce qu’avait formalisé Keynes à travers cette notion de chômage involontaire.

  

Une des raisons de la fragilité des économies dites modernes, c’est qu’elles sont toutes dans une relation d’indépendance. Certains ont commencé à la comprendre et ils parlent de sanctuariser un certain nombre de secteurs de façon à se tenir à l’abri. La France est engluée dans la monnaie unique depuis 2002. Cette situation a engendré un chômage structurel qui est d’abord le résultat d’un déficit commercial récurrent. Officiellement le déficit commercial est de 73 milliards, évidemment ce déficit correspond à une exportation de travail chez nos voisins, notamment vers l’Allemagne. Si on considère qu’un emploi représente un coût 45 000 € en moyenne, toutes charges comprises, alors notre déficit commercial en 2019 correspond à environ 1,6 millions de personnes : chaque exercice annuel de déficit commercial équivaut à une perte d’emplois. Cette situation devient difficile à maitriser dès lors qu’une crise monétaire ou sanitaire commence à rompre les continuités territoriales entre les différentes économies du monde. Par la force des choses dès qu’une économie ralentit en un point du monde, les autres vont souffrir parce qu’elles sont dépendantes. C’est le cas des pays producteurs de pétrole qui vivent presqu’exclusivement sur la vente à l’étranger de leur matière première. On a vu il y a quelques semaines le prix du pétrole devenir négatif[2]. Dans ce cas-là les économies qui vivent de cette rente de situation sont ruinées. La baisse du cours du pétrole est par exemple à l’origine de la crise du pouvoir au Venezuela. A l’évidence qui veut conserver sa souveraineté économique doit absolument équilibrer son commerce international. Ce qui signifie deux choses : d’abord qu’on ne doit pas importer ce qu’on est capable de produire nous-mêmes, mais en outre utiliser les moyens des taxes et des quotas pour limiter les importations.

  

Les économies émergentes ont été particulièrement touchées par la baisse du prix des matières premières, le Brésil, mais aussi la Russie, c’est la conséquence de la division internationale du travail. Quand le prix du baril du pétrole grimpe, le Venezuela a trouvé des moyens pour améliorer le sort des plus pauvres en investissant dans l’éducation et la santé par exemple. Mais dès que le prix du baril a chuté, le chômage s’est répandu et les difficultés se sont accumulées, laissant le Venezuela à la merci d’un coup d’Etat fomenté par les Etats-Unis, toujours prompts à vouloir intervenir dans ce qu’ils considèrent comme leur arrière-cour. Les pays émergent se sont laissés aller à ne pas utiliser la manne de la hausse des prix des matières premières pour transformer leurs économies, pour les rendre moins dépendantes du reste du monde : c’est ce qu’on appelle le syndrome hollandais. Les pays qui ont réussi leur émancipation, ce sont les pays asiatiques qui ont construit leur économie en partant du faible coût de la main d’œuvre, pour ensuite investir leurs excédents commerciaux dans la restructuration de leur système productif, je pense au Japon, à la Corée du Sud, à Taïwan. La Chine est restée pour l’instant à mi-chemin de ce processus. 

Vous me direz que tout cela n’a rien à voir avec la crise du COVID-19. Rien n’est plus faux. Nous voyons que les pays qui s’en sont le mieux sorti sur le plan sanitaire sont soit les pays qui ont le tissu industriel le plus diversifié, donc ceux qui ont le plus d’autonomie, soit les pays qui possèdent des excédents importants grâce à leur commerce international. Le très bon score de l’Allemagne dans la gestion du COVD-19 vient d’abord du fait que ses excédents commerciaux qu’elle a réalisés grâce à la mise en place de la monnaie unique sur le compte de ses voisins, lui a permis d’échapper à l’austérité de l’hôpital public, contrairement à l’Italie, pays sur lequel la Commission européenne fait depuis des années peser ses oukases pour qu’elle sabre dans les dépenses de services publics et donc celles de l’hôpital. En Europe les pays les plus fragilisés sont ceux qui ont mis en œuvre des réformes drastiques de l’hôpital, c’est le cas de la France, de l’Espagne, mais aussi de la Suède qui s’est convertie brutalement au néo-libéralisme, détruisant rapidement ce qui faisait de ce pays un Etat-social avancé, cité souvent en exemple dans le monde mais qui aujourd’hui a obtenu un des pires résultats en matière de gestion de la crise du COVID-19. Coup sur coup, le modèle suédois qui s’est converti au pas de charge au libéralisme échevelé a subi des revers terribles, que ce soit en matière d’immigration, ou que ce soit en matière de lutte contre la pandémie. On ne détruit pas l’Etat national sans en payer le prix.

  

Même cette bourrique de Macron a commencé à changer de discours et à avancer que tout de même une partie de notre production – celle qui est liée à la santé – devrait être préservée et relocalisée sur le sol national. Même s’il est probable que cela ne sera pas suivi d’effets, c’est l’aveu les lois du marché sont bien incapable d’assurer la pérennité de la nation. On a vu avec la comédie des masques des nations soi-disant riches pleurer pour avoir des masques, parfois allant même jusqu’à les détourner ! Le virage souverainiste de Macron devrait faire sourire tout commentateur séruex, il inscrit une nouvelle forme de protectionnisme seulement dans le cadre européen, c’est-à-dire dans le cadre d’une zone de libre-échange[3]. Ça n’a pas de sens pour au moins deux raisons, parce qu’une partie des pays de l’Union européenne ne veulent pas d’un destin commun, on l’a vu avec les crispations engendrées par les propositions du plan de relance Merkel-Macron, mais aussi parce que l’Union européenne ne représente pas un peuple ! « Notre priorité, a dit Macron, est de produire davantage en France »[4]. Mais cela ne se décrète pas, ça se construit en sortant des règles du libre-échange, donc en sortant des règles de l’OMC comme des traités européens. Favoriser les entreprises françaises contreviendrait en effet aux règles de « la concurrence libre et non faussée », règles écrites par les multinationales et mises en musique par la bureaucratie corrompue de Bruxelles. Nous sommes dans une situation schizophrène : d’un côté on interdit les nationalisations au nom de l’efficacité du marché et des vertus de la concurrence, mais de l’autre on autorise les Etats à donner de l’argent pour sauver des entreprises en faillite selon ces mêmes lois du marché. C’est ce qu’on avait fait avec les banques en 2008, c’est ce qu’on fait aujourd’hui avec les secteurs de l’automobile et de l’aviation.

  

Le discours sur la souveraineté a été repris par Manuel Valls dimanche 24 mai 2020 dans un entretien sur BFMTV, ce dernier cherche manifestement un travail et il est prêt à tout pour l’obtenir. « Il faut soutenir les entreprises, avoir plus de souveraineté dans les domaines de l’alimentaire et des médicaments, sauver les industries [...], reconstruire une partie de notre administration, réfléchir au domaine de la santé, avec toujours une priorité à l'écologie et à la transition énergétique » ajoutant « Ce qui me paraît essentiel c’est de renverser la table et qu’on redéfinisse le cadre pas seulement pour la majorité actuelle mais pour le pays. Si on ne le fait pas, c’est qu’on n’a pas compris ce qu’il vient de se passer et la tempête qui peut tout emporter ». On se demande bien pourquoi ce grand défenseur du libre-échange et de l’Europe n’y avait pas pensé avant, du temps qu’il était premier ministre. De son temps il y avait bien déjà des discours souverainistes qui dénonçaient la dépendance dans laquelle s’enfonçait la France du point de vue industriel. Contrairement à une idée mercantiliste en cours outre-Rhin, la dépendance n’est pas que le seul fait des pays qui ont un fort déficit commercial. Par exemple l’Allemagne qui a construit grâce à la monnaie unique un excédent commercial colossal, est dépendante pour la survie de son économie des marchés extérieurs, notamment celui de l’automobile qui est par la force des choses en fort déclin[5]. Dès que l’économie mondiale ralentit les pays à forts excédents commerciaux comme la Chine ou l’Allemagne se trouvent en grande difficulté. Mais les désagréments de la dépendance des économies nationales dus aux soubresauts de la conjoncture sont la conséquence « naturelle » d’un modèle économique fondé sur la croissance et le profit. Dans sa volonté de conquête des marchés extérieurs, l’Allemagne a sabordé au moins partiellement ses services publics, sauf le système hospitalier.

  

Si on voit assez bien la nécessité d’une plus large autonomie des économies nationales, on ne sait pas trop comment faire. On peut suivre plusieurs règles simples en la matière. L’Etat va mettre beaucoup d’argent pour sauver des entreprises françaises. En échange il peut exiger de prendre des participations, ce qui lui donnerait le loisir de réorienter le système productif dans les intérêts de la nation et non plus dans le seul intérêt des actionnaires. C’est exactement l’inverse de ce que fait depuis 2014 Macron qui rêve au contraire de désengager l’Etat de l’économie. Mais cette idée néolibérale vient de faire la preuve qu’elle est totalement erronée puisque sans le soutien de l’Etat, Renault pour 5 milliards[6], Air France pour 7 milliards €[7] et des boutiques de moindre importance disparaîtraient purement et simplement. Si on accepte les règles de l’économie de marché, alors il faut accepter ses conséquences et laisser couler les entreprises en faillite, faisant confiance au marché pour régénérer le tissu productif selon les principes de destruction-créatrice. Si on demande l’aide de l’Etat celui-ci doit exiger au nom des Français des contreparties. Bruno Le Maire a précisé que non, il ne demanderait pas à Renault de renoncer à fermer des sites sur notre territoire[8]. Renault a annoncé ensuite que malgré les aides de l’Etat l’entreprise allait licencier 4600 personnes, confirmant nos prévisions sur la déferlante du chômage qui va arriver[9]. On comprend que l’idée de souveraineté chez les macroniens n’est qu’un mot très vague, rien de sérieux. C’est à peine un peu de communication parce que l’idée est à la mode et populaire. Autrement dit pour Renault, mais on suppose que pour les autres grosses entreprises ce sera la même chose, il n’est pas question que l’Etat ait des exigences, c’est juste une vache à lait pour éponger les pertes, les profits, ce sera pour les actionnaires, comme d’habitude. Cette chanson est le traditionnel « socialisation des pertes et privatisation des profits » comme fondement du capitalisme et prouve une fois de plus que l’économie de marché contrairement à ce que font semblant de croire quelques économistes à moitié idiots n’a jamais pu exister sans l’Etat. Quand les libéraux avancent que l’Etat freinent le marché et en entrave les bienfaits, ils ne savent pas ce qu’ils disent. Non seulement l’Etat assure la production des biens collectifs nécessaires au fonctionnement du marché, mais en outre il est là lorsque le marché défaille périodiquement. L’enjeu est en fait de savoir qui détient le pouvoir étatique. Généralement c’est le capital, sauf quand celui-ci s’effondre comme cela a été le cas en 1930, à ce moment là le travail a pu faire valoir ses droits. C’est ce qui a donné après la guerre les Trente Glorieuses.

On note que lors de chaque crise grave depuis au moins la fin des guerres napoléoniennes, aucun Etat national ne s’est risqué à une stratégie qui consisterait à abandonner l’économie aux lois du marché, non pas par doctrine, mais surtout pour les conséquences sociales et politiques que cela entrainerait. Il va de soi que si les entreprises demandent des aides, l’Etat doit se poser des questions, au nom de quel intérêt les aiderait-il ? Par exemple l’Union des Aéroport, organisme qui soutient la pollution des avions et donc par suite qui facilite la pollution par le tourisme réclame également des aides[10]. Refuser de les aider, c’est participer à la réorientation nécessaire du système économique dans son ensemble. L’aide doit être conditionnée à l’effort que l’entreprise fera pour améliorer son bilan carbone par exemple : mais pour l’aviation, on sait que c’est une impossibilité. Même chose pour l’agriculture, si au nom de l’indépendance économique il est bon de soutenir l’agriculture nationale, il faut conditionner ces aides à au moins deux critères :

- un critère de qualité, donc il n’est pas choquant de soutenir la reconversion des terres agricoles en bio, une agriculture qui crée aussi des emplois contrairement à l’agriculture industrielle qui en détruit[11] ;

- un critère de prix, empêcher que les prix des produits de qualité dérapent pour éviter que les inégalités se creusent toujours plus entre ceux qui ont les moyens et ceux qui ne les ont pas.

Dans une interview à Reporterre[12], Nicolas Girod avance qu’il faudrait doubler le nombre de paysans pour obtenir une alimentation saine, de qualité, pour tous. C’est un avis que je ne peux que partager. Cette proposition signifie beaucoup de choses : d’abord que nous nous sommes égarés et donc que nous devons revenir en arrière en refusant la division internationale du travail, ensuite qu’en accroissant le nombre de paysans – je ne parle pas des entrepreneurs qui traficotent dans l’agriculture – cela modifiera forcément la culture au sens le plus large, puisque la culture se pense depuis des décennies à partir de la ville et non de la campagne. Également, cette proposition redonnerait une valeur au travail puisqu’un « vrai » paysan retire des satisfactions personnelles de son activité, bien au-delà de la rémunération monétaire.

  

Evidemment on retombe sur un sérieux problème, c’est que les aides de l’Etat vont tomber rapidement sur les traités européens, car l’intervention de la puissance publique va à l’encontre de la sacro-sainte « concurrence libre et non faussée » qui est la seule et unique règle de l’Union européenne. On va certainement voir des grands groupes mener la guerre à un Etat qui serait trop contraignant vie des procédures auprès des tribunaux arbitraux. Une véritable politique économique souveraine demande qu’au préalable on s’affranchisse de l’OMC et des traités européens. Beaucoup commencent à y penser. Il va de soi qu’il faut abandonner l’euro, idée qui commence à être populaire aux Pays Bas[13]. Nation qui a pourtant profité de la monnaie unique, mais également qui avait massivement voté non au référendum sur le TCE en 2005.



Henri Barbusse, Le feu, journal d’une escouade, Flammarion, 1916

  C’est non seulement l’ouvrage de Barbusse le plus célèbre, mais c’est aussi l’ouvrage le plus célèbre sur la guerre – ou le carnage – de...