mercredi 29 novembre 2023

Encore et toujours la censure

  

Le ministre des affaires étrangères danois, Lars Lokke Rasmussen, le ministre de la justice, Peter Hummelgaard, et le vice-premier ministre, Jakob Ellemann-Jensen, à Copenhague, le 25 août 2023 

On ne peut pas travailler au changement politique, sociale et économique en subissant les désinformations récurrentes des médias mainstream. C’est pourquoi nous devons dénoncer avec constance et fermeté toutes atteintes à la liberté d’expression. Celle-ci est un droit reconnu par la Charte des Nations Unies : « Article 19. Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit. » Cet énoncé a beau relevé du droit bourgeois, il est constamment bafoué en Occident, où on se targue pourtant de défendre l’État de droit et la démocratie. La censure est le fondement du fascisme que par ailleurs les « démocrates » prétendent combattre. Tous les jours les politiciens trouvent de nouvelles raisons d’interdire ceci ou cela. À la fin du mois d’août, le parlement danois a présenté une loi pour[1] interdire la dégradation des livres religieux. Ceux qui persisteraient dans cette voie seraient frappés de lourdes amendes. Cette manière de faire est typique des pays nordiques, Danemark et Suède qui tentent de mettre en place cette censure pour deux raisons :

La première est la lâcheté face aux offensives islamistes visant à modifier les composantes des institutions occidentales en imposant leurs valeurs, pour cela ils joueront la comédie des offensés ;

La seconde est moins visible, ces sociétés ont longtemps été des modèles de conformisme et de puritanisme, en jouant le jeu des islamistes, ils en reviennent ainsi à leurs fondamentaux. 

L’ignoble Vera Jourova 

L’Union européenne est en difficulté pour justifier sa politique de guerre à outrance contre la Russie. Elle tente donc d’empêcher qu’un débat s’installe sur cette question. Elle ne supporte pas qu’on entende le point de vue des Russes, ou le point de vue de ceux qui contestent le narratif américain. Seront du reste qualifié de poutiniens, tous ceux qui n’adoptent pas le point de vue atlantiste[2]. Évidemment si la Commission européenne tente de censurer ceux qui contestent l’idée que l’Ukraine représente le camp du bien et la Russie le mal absolu, c’est parce que le soutien des Européens pour faire la guerre à la Russie s’effrite de plus en plus. Les propositions de Vera Jourova montrent que la Commission va étendre le droit de censure en le confiant au secteur privé, c’est-à-dire principalement aux GAFAM. Je rappelle que la Commission européenne a déjà interdit les médias russes du type Sputnik ou Russia Today, violant l’article 19 de la Charte des Nations Unies, et se moquant complètement du fait qu’officiellement l’Union européenne n’a pas déclaré la guerre à la Russie – du reste elle ne le pourrait pas puisque cette usine à gaz n’est qu’un conglomérat de pays qui, même s’ils sont dans une position de soumission aux intérêts de Washington, sont « souverains » sur le plan juridique. Les réseaux sociaux sont déjà très censurés par les GAFAM au nom du bien. Mais les nouvelles dispositions fascisantes de la Commission réclament plus ! Et ce toujours plus va très certainement dériver vers un contrôle de toutes les positions alternatives, par exemple des appels à manifester. Le 3 octobre s’ouvre le procès de militants anarchisants, ils sont accusés de terrorisme. Comme le dit l’hypocrite journal Le Monde, ces accusations reposent sur des bases très fragiles, la police ayant simplement planqué un micro pour espionner ces militants[3] qui ont dit tout le mal qu’ils pensaient de la police et de Macron. C’est la              tendance du jour, ne plus tenir compte de la vie privée des gens, les espionner jour et nuit jusqu’à ce qu’ils disent quelque chose qui déplait pour les accuser de terrorisme. Évidemment le terme de terrorisme étant très vague, cela laisse la porte ouverte à l’arbitraire le plus total[4]. Mais qu’on espionne en planquant des micros ou qu’on espionne en se servant de la complaisance des GAFAM, cela ne change rien au fond : c’est de censure dont il s’agit. Toute parole non conforme risque d’être interprétée comme du terrorisme et conduire à un procès, une exclusion ou une censure. 

 

L’Europe est à la pointe de la censure quelle organise en Europe avec la patience de l’araignée, et Thierry Breton est le prophète de malheur de cette tendance liberticide. Dès les débuts de la guerre entre la Russie et l’OTAN, elle a banni des réseaux Internet la possibilité d’accéder aux sources russes d’information, sous le prétexte que celles-ci ne seraient pas conformes à la vérité, tandis que de répéter bêtement les nouvelles propagées par le bras armé de l’Empire et ses valets, serait œuvre de salubrité publique. Elon Musk s’est fait de la publicité en prétendant qu’il laisserait tout le monde déconner sur twitter lorsqu’il en serait devenu le patron. Mais l’Europe voudrait qu’il devienne aussi un censeur officiel. Et donc ça fait des mois que l’ignoble Breton menace Musk de censurer son réseau, rebaptisé X, et donc de le bannir de l’Europe dans son entier. La dernière fantaisie de Breton le censeur a pris prétexte de la guerre terroriste du Hamas en Israël. Breton trouve que sur X – anciennement Twitter – il y a des fausses nouvelles, et qu’en outre Elon Musk ne censure pas les contenus et les images violentes. Et il y en a à la pelle[5]. Donc cette canaille de Breton menace. Mais pourquoi veut-il censurer ? Certes il veut montrer qu’il existe. Mais au-delà il y a à la fois le fait qu’il ne faut pas montrer des Palestiniens agir comme des bêtes féroces, parce que l’Union européenne soutient financièrement les Palestiniens contre Israël, et aussi parce qu’il suppose que les Européens ne sont pas assez adultes pour comprendre les images violentes qu’ils voient et donc qu’il faut les protéger d’eux-mêmes ! les réseaux sociaux dominants ont mis une chappe de plomb sur les images de la sauvagerie du Hamas, il faut faire des tours et des détours pour les trouver. Facebook est un modèle en ce sens. Systématiquement les images violentes de ce conflit sont bannies et ceux qui les mettent se trouvent enfermés rapidement dans un cachot numérique. Pour Thierry Breton, le numérique qui a permis le développement des réseaux sociaux ne doit pas servir à faire entendre un son de cloche autre que celui qui chante les louanges de l’Union européenne. Cela doit rester un instrument pour accroitre la fluidité du marché et un outil de contrôle social. La fable de la désinformation est destinée à masquer que l’information doit être sous le contrôle de l’Empire et non pas des dissidents. Qui définira la désinformation ? Un menteur comme Thierry Breton ? Un semi-idiot comme Bruno Le Maire qui nous dit que l’économie russe est en voie d’effondrement ou BHL qui nous assure que l’attaque du Hamas contre Israël est un coup des Russes ?

 

La censure n’est pas seulement un viol des principes les plus élémentaires de la démocratie, c’est également un viol de l’intimité et donc une atteinte à l’intégrité des individus. D’une manière plus traditionnelle le Haut Conseil à l’Égalité s’attaque aux sites pornographiques, soi-disant pour protéger les mineurs d’eux-mêmes[6] ! Évidemment il est plutôt compliqué pour ces sites de vérifier avec exactitude l’âge de ceux qui consultent ce genre de connerie. Cette censure pose deux problèmes. Le premier est qu’il s’agit toujours d’augmenter le contrôle et donc de continuer à violer l’intimité des personnes, parce que pour interdire aux enfants de regarder des films de cul, il faut contrôler qui les regarde ! Et donc les adultes seront aussi fliqués pour cela. Le second problème est qu’on suppose que d’exposer des gosses à des films pornographiques est plus dangereux que de les exposer à des jeux vidéo stupides ou à des publicités pour manger des MacDo. Ce n’est pas que je sois pour l’industrie pornographique, bien au contraire, cette forme de marchandisation du sexe est en réalité très représentative de ce qu’est le capitalisme dans sa phase terminale. Mais nous retombons toujours sur ces mêmes problèmes :

– d’abord on suppose que les individus sont totalement irresponsables, que ce soit les enfants ou les parents, et donc que seule la trique les éloigne de la tentation des mauvaises pensées ;

– ensuite, on suppose ayu que ceux qui définissent les règles n’ont pas d’autres intentions que celles de faire le « bien » ! Or ce que nous voyons, c’est que dès qu’une censure est mise en place pour telle ou telle « bonne raison », elle fait tache d’huile et contamine d’autres sujets. Je l’ai répété à plusieurs reprises, la lutte contre la censure est la mère de toutes les batailles politiques. 

 

Plus ordinaire la police vient de saisir les équipements du site Uptobox en France, travaille pour le capital. En effet, l' Alliance for Creativity and Entertainment (ACE) est à l'origine de la fermeture de ces services en ligne ! Pour mieux comprendre, il suffit de regarder quels sont les membres de cette alliance : Amazon, Sony Pictures Entertainment, Netflix Studios LLC, ou encore Paramount. Vous me direz que ce n’est pas beau de pirater, que cela prive les « artistes » de leurs droits. Mais en réalité cette lutte contre le piratage viole plusieurs droits des individus : d’abord celui de pouvoir diffuser ce que l’on a payé pour nos amis, ensuite, elle restreint l’accès à la culture qui ne doit plus passer que par le marché que celui-ci soit publicitaire ou autre. C’est donc, au-delà des questions des droits de propriété, une censure, et cette censure résulte forcément d’un espionnage des autorités de ce qui se passe sur la toile. 

 

L’université n’échappe pas à la censure. Annie Lacroix-Riz, historienne réputée pour ses ouvrages sur les origines étatsuniennes et nazis de l’Europe institutionnelle, vient d’en faire l’expérience. On lui a purement et simplement interdit de parler au Séminaire Marx au XIXème siècle qui se tient chaque année à la Sorbonne. Quel est le motif ? Elle est accusée de complotisme, crime aussi vague de flou. Et pourquoi est-elle accusée de complotisme pour avoir osé réintroduire le nom de Synarchie pour désigner une forme d’entente entre des hommes politiques, des grands patrons et des journalistes, entente visant à créer une « gouvernance » en dehors des règles de la démocratie parlementaire. Elle a tenté de démontrer que cette Synarchie existait aussi comme  un des piliers de la collaboration entre la France et l’Allemagne. J’apprécie beaucoup ses travaux dont j’ai rendu compte souvent sur ce blog. Je reconnais que sa démonstration sur l’existence d’une Synarchie n’est pas complètement convaincante, même si elle démontre à l’envie l’existence d’une conspiration emmenée par le patronat par-delà la frontière franco-allemande[7]. Mais la démonstration selon laquelle la Synarchie n’aurait jamais existé reste complètement à faire. En censurant Annie Lacroix-Riz, on vise deux buts : d’abord signaler que tous ceux qui seront taxés de complotisme en subiront les conséquences, ensuite que ce prétexte sert très bien à disqualifier les travaux très sérieux de l’historienne sur les origines mêmes de l’Union européenne. ce sont des universitaires qui se sont prêtés à ces combines malheureuses, et c’est cela le plus inquiétant car ça veut dire que la liberté de penser est aujourd’hui interdite à l’Université. 

Un militant du Hamas se prend en photo devant un char israélien détruit, le 7 octobre 2023. 

Je ne vais pas porter ici un jugement sur les actions terroristes du Hamas, ce n’est pas mon propos. Je veux juste montrer comment le journalisme s’accommode et réclame la censure. Le Monde est un fervent militant de la censure. Il ne lui plait pas que le monde entier puisse voir les atrocités commises par les terroristes du Hamas. Il critique donc le fait que ces images et vidéos affreuses puissent être visionnées sans que quelque dise ce qu’il faut en penser : « des vidéos et des photos d’atrocités se déversent sans filtre sur les réseaux depuis samedi »[8]. Quelles sont les raisons avancées pour soutenir la censure d’une réalité certes atroce, mais bien réelle ? Il y en a deux. La première est que le vulgum pecus n’est pas qualifié pour comprendre ce qu’il voit, il doit donc être guidé. C’est supposé que les plumitifs du Monde en savent un peu plus que le commun ! Vu les tonnes de contre-vérités déversées, il semble que ce soit exactement le contraire ! La deuxième raison est que le simple citoyen est trop impulsif, et donc il faut par exemple le protéger contre une condamnation sans nuances des criminels du Hamas. La censure sert donc à orienter les positions politiques des uns et des autres. En masquant les atrocités du Hamas, Le Monde poursuit sa politique pro-palestinienne. Ses journalistes supposent qu’en édulcorant la réalité brute, ils vont amener leurs lecteurs à penser correctement. Ci-dessous on voit une image que Le Monde ne veut pas montrer à ses lecteurs pour les protéger d’eux-mêmes. En vérité il y a une troisième raison qui pour les journalistes justifie la censure, c’est le fait de protéger ses lecteurs du spectacle d’une réalité trop violente, donc le laisser dans l’ignorance de la réalité du monde. Comme on le voit, il s’agit encore et toujours de considérer que le lecteur est à la fois un ignorant, et une sorte d’enfant qu’il ne faut pas choquer en le désespérant. Cette manière de présenter l’information soutient en vérité une autre idée : la politique ne peut pas être faite par le simple citoyen, mais par des experts, des spécialistes. Ce qui va de pair avec les circonvolutions de ce journal pour récuser avec constance qu’on puisse donner la parole au peuple par la voie d’un référendum. 

Voilà une image que Le Monde ne montrera pas à ses lecteurs et que vous ne verrez pas sur les sites dits "de gauche" 

Les images montrées par Le Monde font un grand étalage des dégâts causés par les bombardements israéliens, images très violentes et très explicites, mais on refuse de montrer les corps des martyres israéliens. Cette asymétrie est pensée clairement comme un soutien au peuple palestinien, laissant entendre que les crimes du Hamas sur le territoire d’Israël, ne sont que des débordements, certes condamnables, mais compréhensible par la situation des Gazaouis. Dans les commentaires fleuriront souvent et avec obstination le terme de « prison à ciel ouvert ». Terme qui ne correspond à rien, mais qui fait partie de la rhétorique du Hamas. La censure c’est donc trier ce que l’on montrera et le commenter en orientant le lecteur vers telle ou telle vision des choses. C’est bien pour ça que la censure doit être combattue même si la liberté d’expression conduit nécessairement vers des contradictions dans ce qu’on peut comprendre dans une situation difficile et compliquée. Les censeurs en général ont tendance à présenter les situations politiques d’une manière binaire, il leur faut un coupable ! Le Juif est désigné ainsi depuis la nuit des temps, et le Palestinien à l’inverse est désigné comme l’opprimé. 

Le Monde préfère publier les images des destructions des frappes israéliennes sur Gaza


[2] https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/26/desinformation-russe-l-union-europeenne-epingle-le-reseau-social-x_6191081_3210.html#:~:text=La%20Commission%20europ%C3%A9enne%20appelle%20l,durant%20une%20conf%C3%A9rence%20de%20presse.

[3] https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/09/25/affaire-du-8-decembre-2020-le-proces-d-une-supposee-menace-terroriste-d-ultragauche_6190853_3224.html

[4] https://www.infolibertaire.net/affaire-du-8-decembre-lantiterrorisme-a-lassaut-des-luttes-sociales/

[5] https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/10/11/israel-palestine-bras-de-fer-entre-elon-musk-et-thierry-breton-sur-la-moderation-de-twitter_6193845_4408996.html

[6] https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/09/26/pornographie-les-propositions-du-haut-conseil-a-l-egalite-pour-encadrer-les-pratiques-en-ligne_6191127_3224.html

[7] https://histoireetsociete.com/2023/10/12/censure-a-la-sorbonne-soutien-a-annie-lacroix-riz-declaration-du-secretariat-national-du-prcf-6-octobre-2023/ 

[8] https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/10/11/attaques-du-hamas-en-israel-un-flot-d-images-instrumentalisees-et-traumatisantes_6193855_3224.html

jeudi 23 novembre 2023

Et l’Ukraine me direz-vous ?

  

Des Ukrainiennes manifestent à Kiev contre le gouvernement 

La guerre en Ukraine est maintenant une vieille affaire qui n’intéresse plus guère les opinions publiques en Occident, bien trop occupées par la guerre entre le Hamas et Israël. Plus personne ne se risque à des envolées triomphalistes, comme Pierre Servent ou Michel Goya qui prédisaient l’effondrement de l’armée russe. Admirons la perspicacité des stratèges militaires des plateaux télévisés. L’échec de la contre-offensive ukrainienne était prévisible et se trouve maintenant acté, y compris par Zelensky, bien qu’il en soit encore à réclamer des F16 et des armes. Même le journal atlantiste Le monde nous le dit par la voix de l’agent américain Benoît Vitkine. On parle encore un peu des assauts des ukro-atlantistes sur la rive orientale du Dniepr, mais sans conviction, alors que tout le monde s’attend à ce que les Russes prennent rapidement Avdiïvka, malgré l’entêtement de Zelensky. Comme disait la porte-parole de Washington dans Le monde, Sylvie Kaufmann, tout converge pour que l’Ukraine s’enfonce encore un peu plus dans la défaite, notamment parce qu’avec le nouveau front ouvert entre Israël et le Hamas les Etats-Unis ont gelé leur aide militaire à l’Ukraine… ce qui ne l’empêche pas de réclamer à cor et à cris une plus grande implication de l’Union européenne dans la guerre en intégrant directement l’Ukraine dans son giron[1]. Les Ukrainiens manquent maintenant de chair à canon pour continuer à tenir le front. Et ce n’est pas près de s’arranger. Non seulement il y a eu déjà beaucoup de morts on parle de 400 000 à 500 000 pour les Ukrainiens, mais initialement la population est plus faible que la population russe, alors que la Russie aurait, à l’inverse, recruté encore 350 000 soldats supplémentaires. ce n'est pas une conscription, mais une armée de contractuels. 

À Kiev, des épouses de soldats réclament leur démobilisation après dix-huit mois de guerre

Si le lâchage de l’Ukraine par les Etats-Unis est maintenant manifeste – cela fait un moment d’ailleurs qu’au Pentagone on souligne l’impasse dans laquelle se trouve l’OTAN face à la Russie – ce qui se développe maintenant sur le front intérieur, c’est une critique des Ukrainiens eux-mêmes qui ne croient plus à ce que raconte leur gouvernement. Ces derniers jours on a vu des femmes manifester pour deux raisons : d’abord parce qu’une partie des soldats engagés sont sur le front depuis plus de dix-huit mois, tandis que certains privilégiés qui ont tout à fait l’âge de combattre s’ils ne se trouvent pas à l’étranger se gobergent à Kiev. Ensuite ces femmes manifestent aussi contre la corruption. Le corrompu Zelensky a été obligé de donner des gages et faire semblant qu’il luttait contre la corruption, ce qui lui a permis de se débarrasser de certains opposants. Le monde est devenu sceptique sur la victoire possible de l’Ukraine, et du coup se met à rendre compte de la démoralisation des Ukrainiens, enfin, de ceux qui sont restés ! « Nous voulons une limite dans le temps, car il y a aujourd’hui ce sentiment que tu peux entrer dans l’armée pour ne jamais en sortir », explique Anastasiia Troshyna, 23 ans, dont le mari, Oleg, combat dans le Donbass, dans l’est du pays, dans la région de Donetsk. « Ils sont fatigués, démotivés, ils veulent du repos », insiste la jeune femme en évoquant son mari et les soldats de son unité[2]. Que Le monde rapporte ces propos, en dit long sur le moral des troupes. Et bien sûr quand les femmes ne soutiennent plus l’effort de guerre et que les hommes sont démoralisés, l’affaire est entendue. Le front est gelé nous dit Le monde, c’est juste au sens propre et au sens figuré. 

Des secouristes travaillent près de voitures calcinées après une frappe d’artillerie russe meurtrière à Kherson, en Ukraine, dans cette image tirée d’une vidéo diffusée le 20 novembre 2023 

Le 23 novembre 2023, on signalait des heurts à la frontière polono- ukrainienne, des camionneurs ukrainiens ayant tenté de passer en force tandis que les Polonais jugent leur concurrence déloyale. Des heurts sont fréquents, et on en est à deux morts du côté des camionneurs ukrainiens ! ces incidents en disent longs sur les possibilités d’adhésion sur le long terme de l’Ukraine à l’Union européenne. Le moral des Ukrainiens est au plus bas. Des sondages montrent qu’avant la contre-offensive 30% des Ukrainiens connaissaient quelqu’un mort au front ce pourcentage est maintenant évalué à 60% ! Les dirigeants ukrainiens sont d’ailleurs en train de se déchirer. Un haut responsable ukranien chargé de la cybersécurité a été limogé car soupçonné d’avoir détourné plus de 1,5 million d’euros. Le gouvernement ukrainien a annoncé le limogeage de Iouri Chtchygol, qui dirigeait depuis trois ans le Service d’État des communications spéciales chargé notamment de la cyberprotection des structures gouvernementales, soupçonné d’avoir détourné plus de 1,5 million d’euros lors d’achat de logiciels à des prix gonflés. Son adjoint a également été écarté. La guerre est comme toujours une bonne affaire pour ceux qui sont aux manettes, et il est facile comme le fait le clan Zelensky de prétexter de la corruption pour virer ceux qui lui font du tort. Selon Le monde diplomatique plus de files d’attente devant les bureaux d’enrôlement pour le front. C’est un signe vraiment inquiétant qui montre que les Ukrainiens sont comme les autres, ils ne veulent pas se faire trouer la peau pour un objectif qui échappe à leur conscience. 

Gennadiy Chastiakov 

On sait que depuis un bon moment Zaluzny est ouvertement critique envers le désastre des choix inconséquents de Zelensky. Il a été le premier Ukrainien de haut niveau à acter l’échec de la contre-offensive de l’armée ukrainienne, avançant que son armée manquait à la fois d’hommes et de matériel. Il sera difficile de dire qu’il est un défaitiste ou un traitre à sa patrie, en effet non seulement il a participé à la guerre contre les séparatistes du Donbass, mais il a été aussi l’artisan d’une réforme de l’armée ukrainienne pour la rendre compatible aux normes de l’OTAN, c’est-à-dire avec les desseins des Etats-Unis. On ne peut pas dire que cette refondation qui abandonnait les méthodes russes soit un succès. Une guerre des clans est en route très certainement pour préparer l’après-Zelensky. Le 6 novembre dernier un proche de Zaluzny, Gennadiy Chastiakov a été assassiné, le jour de son 39ème anniversaire : une grenade lui avait été glissée dans son gâteau d’anniversaire[3]. On doute que ce soient les Russes qui aient monté ce mauvais coup. On parle aussi beaucoup de soldats ukrainiens qui se révoltent, allant jusqu’à tuer leurs chefs. On n’a guère de donner précise sur ce point, ni sur le fait que des régiments seraient organisés pour empêcher la retraite de ceux qui refusent ce combat inutile. 

 

Les Ukrainiens ont réclamé des sanctions économiques renforcées contre la Russie. On sait qu’elles ne marchent guère, seul Bruno Le Maire fait semblent d’y croire. Mais on a appris par le Financial Times que les sanctions contournées pour les Etats-Unis qui achète toujours du combustible nucléaire aux Russes[4]. Autrement dit les sanctions ce sont d’abord les Européens qui en subissent les conséquences. Thierry Breton qui est tout aussi stupide que Bruno Le Maire, avait décidé que l’Europe se passerait des lanceurs russes, on a appris que le surcoût de cette fantaisie coûtera 180 millions d’euros supplémentaires aux contribuables européens, on passera dorénavant par Space X, la firme d’Elon Musk. On aurait tort de croire que Thiery Breton ne fait tout cela que par bêtise, en vérité il est un agent des Américains et s’applique avec obstination à affaiblir l’Union européenne sur le plan économique, mais aussi à la vassaliser. En effet seuls les imbéciles ne contournent pas les sanctions, et c’est ce que font des dirigeants comme Macron, Scholz ou von der Leyen. Les Etats-Unis gèrent cette guerre au plus près de leurs intérêts égoïstes et se sont saisis de cette opportunité pour avancer leurs pions et affaiblir les pays européens pour mieux les vassaliser et reconstituer un glacis face à la Chine et la Russie en pleine expansion. Notez qu’ils ne peuvent réaliser cela qu’avec des traitres de comédie dont nous avons donné quelques noms ci-dessus. 

 

Sur le front militaire proprement dit, qui n’est pas figé contrairement à ce que disent les médias dominants, la bataille se passe à Avdiivka. C’est la ville que les Russes sont en train d’encercler. Au mois d’octobre dernier, les propagandistes d’Euronews, la chaîne subventionnée de l’Union européenne, anticipaient un échec militaire russe, recopiant les dépêches de l’armée ukrainienne sur le nombre de morts russes, et sur leurs pertes en matériel[5]. Cette ville maintenant totalement dévastée a une importance capitale pour consolider les positions russes dans le Donbass et éventuellement ouvrir de nouvelles perspectives aux russes pour pousser l’armée ukrainienne dans ses derniers retranchements, puis la détruire. Zelensky a beau dire que les nouvelles du front sont bonnes, la ville est maintenant presque totalement cernée, c’est plus qu’une question de jours avant qu’elle ne tombe. La perte de cette ville qui est plus qu’un symbole serait vraisemblablement une défaite pour Zelensky et les siens. Est-ce pour cela qu’on recommence à parler de négociations ? Le président de la République Tchèque Pavel en a avancé l’idée. C’est un ancien général de l’OTAN tout de même, peu suspect de sentiments pro-russes. Mais les Russes ne semblent plus près à s’asseoir à une table de négociation tant que l’armée ukrainienne ne sera pas détruite. Ils savent bien que les fourbes occidentaux profiteraient d’une trêve de très longue durée pour reconstruire une quatrième ou cinquième armée ukrainienne, encore que si les Occidentaux peuvent sur le long terme peut-être fournir de l’armement, et encore en quelle quantité, on ne voit pas très bien où ils prendraient les hommes pour repartir attaquer la Russie. Des négociations il y en a cependant entre les Russes et les Ukrainiens, soit pour l’échange de prisonniers, soit pour le rapatriement d’enfants ukrainiens. Ce qui veut dire que ces contacts pourraient éventuellement être utilisés plus tard. Le 22 novembre 2023, Poutine annonçait qu’il n’était pas fermé à des négociations, soulignant que c’était Zelensky lui-même qui avait produit et signé un décret interdisant les négociations avec la Russie le 4 octobre 2022, avançant qu’il n’y avait qu’un seul chemin, la victoire jusqu’à la récupération de la Crimée ! 

Soldats ukrainiens sur le Dniepr le 14 octobre 2023 

Pour le reste on fait beaucoup de communication pour croire que les ukro-atlantistes sont encore à l’initiative. Alors que le Congrès a vu les Etats-Unis geler les aides militaires pour cause de déficit excessif, l’ineffable Lloyd Austin, secrétaire à la défense est venu dire à Zelensky, le 20 novembre, que son pays allait alimenter la guerre avec 100 millions de dollars de plus de munitions. Qu’en feront-ils ? Également on met en scène dans Le monde les tentatives de débarquement des Ukrainiens sur la rive orientale du Dniepr. Ça fait à peu près deux mois que ce genre de fantaisie dure, sans résultat concret, malgré les mensonges de Zelensky qui nous jure avoir construit des têtes de ponts. Mais comme les troupes ne sont pas assez nombreuses pour tenir les positions, l’inénarrable Cédric Pietralunga, nous explique que ces militaires cartographient les terrains occupés par les Russes pour savoir où se trouvent les champs de mines, et pour ensuite ouvrir un nouveau front. Avec quels soldats le feront-ils[6] ? Même Cédric Pietralunga, autre agent de Washington qui se prend pour un journaliste et qui avale les couleuvres les plus énormes du gouvernement ukrainien n’y croit plus beaucoup, et s’il fait encore la réclame pour le gouvernement kiévien plus par habitude que par conviction, rien que le titre de son article, Guerre en Ukraine : Kiev tente d’ouvrir un nouveau front le long du Dniepr, prouve son désarroi, puisque l’article sous-entend tout de même qu’ils ne sont pas près d’y arriver ni aujourd’hui, ni demain. 

Mais Zelensky qui se trouve dans une situation des plus délicates, a avancé un nouvel argument. Après celui du manque d’aide, du manque d’armes, voici l’excuse du mauvais temps. Comme si le temps n’était pas le même pour les Russes et les Ukrainiens. S’il est vrai que le mauvais temps est un handicap pour la partie qui attaque, plus que pour celle qui défend, les Russes cependant restent bien à la manœuvre dans le secteur d’Avdiivka[7]. Il a essayé de remettre le conflit avec la Russie sur le devant de la scène afin de le relier au conflit d’Israël avec le Hamas. Mais cette idée à fait un flop diplomatique, si ce n’est qu’elle a renforcé la détermination des pays musulmans à soutenir encore un peu plus la Russie. Le 21 novembre les Américains s’inquiétaient officiellement du fait que l’Iran pouvait fournir des missiles à longue portée à la Russie, cela ne sembla pas très vraisemblable, les Russes ayant sans doute ce qu’il faut, mais cela renforce l’idée que la Russie est le fer de lance du Sud global contre l’hégémon étatsunien. 

 

Depuis quelques jours on entend une nouvelle chanson. On tente de rapprocher le conflit entre la Russie et l’Ukraine de la guerre entre le Hamas et Israël. C’est une grave erreur. L’opportunisme américain qui est toujours à la manœuvre tente de faire en sorte qu’Israël qui s’est toujours tenu à l’écart du conflit en Ukraine, rejoigne le camp occidental dans la guerre. Certains pro-russe veulent voir dans la guerre d’Israël contre le Hamas une simple extension des conflits que l’Amérique mène de par le monde. En vérité le point commun entre ces deux conflits est qu’ils opposent un camp fort militairement – Israël et la Russie d’un côté – à un camp faible – l’Ukraine et le Hamas – qui sont agités par des sponsors relativement riches – les Etats-Unis pour l’Ukraine, et l’Iran et la Qatar pour le Hamas. Les parties faibles menant comme compensation des actions terroristes. Mais ces deux conflits n’ont aucune base commune, ni une histoire semblable. Les Etats-Unis visent une avancée à l’Est et la destruction, le démantèlement de la Russie, comme le monde musulman vise dans son ensemble l’éradication de l’État d’Israël. En mettant en avant les horreurs de la guerre à Gaza avec des photos, des immeubles détruits, des morts, comme on a mis en avant les conséquences des bombardements sur Boutcha, on en appelle d’abord à l’émotion pour éviter de discuter du fond. Si dans la guerre en Ukraine, il est facile de voir derrière les visées des Etats-Unis, en Israël on peut aussi y voir l’avancée de la nébuleuse des États musulmans qui veulent récupérer ce qu’ils considèrent comme des territoires perdus. Cependant la guerre d’Israël contre le Hamas a des répercussions inattendues. D’abord on comprend bien que les Etats-Unis ne pourront plus soutenir longtemps les deux fronts, et encore moins en ouvrir un troisième contre la Chine. Ensuite les Israéliens bien trop occupés à consolider la sécurité chez eux ne vont pas s’engager du côté de l’Ukraine, ils n’en ont pas les moyens. Cette affaire embarrasse aussi la Russie qui ne veut pas être agglomérée à un monde musulman en expansion. Autrement dit, nous voyons dans la reconfiguration du monde trois blocs : le bloc occidental très instable et travaillé par des difficultés économiques continues, le bloc sino-russe, en expansion sur le plan technique, militaire et économique et le bloc musulman, peut-être moins bien structuré, mais en expansion rapide sur le plan démographique. On en reparlera. La seule chose qui est certaine c’est que ces deux conflits pourtant de différente nature sont la conséquence de la perte de puissance des Etats-Unis et la fin de la mondialisation qu’ils ont menée depuis ces quarante années. Également, on constate que dans les deux cas l’ONU ne sert pas à grand-chose, sauf peut-être à permettre des négociations de couloir entre les belligérants, ce qui n'est pas rien, mais trop de gens croient que l’ONU est un gouvernement mondial avec la CPI comme tribunal. C’est une erreur, l’ONU est juste un club des dirigeants du monde entier dont l’apparence est dans des déclarations sans conséquence autre que de dire ce qui serait bien. 

Contrairement à ce que disent les gauchistes, les médias en France ne sont pas pour Israël. Les médias français mettent plus l’accent sur les destructions dans Gaza et reprennent volontiers les chiffres du Hamas, plutôt que sur le énième conflit israélo-palestinien et sur les pogroms du 7 octobre qui en sont l’origine. Par hasard le 21 novembre 2023 je regardais la matinale de LCI, la chaîne ukro-atlantiste. Trois informations portaient sur ce conflit : d’abord on passait en boucle un film de propagande du Hezbollah avec des enfants palestiniens censés être sous les bombes, les larmes dans les yeux et toujours les mêmes maisons de Gaza détruites, puis les ripostes du Hezbollah à partir du Liban. Ensuite LCI montrait un long reportage sur Israël, les Israéliens qui manifestent pour la libération des otages, et également quelques députés de droite de la Knesset qui veulent établir la peine de mort. Puis on passait au Hamas qui disait faire un effort pour libérer des otages, 1 Israélien pour 3 prisonniers palestiniens, et un couloir humanitaire pour livrer des médicaments, des produits alimentaires ou encore de l’essence. Le but était de montrer la bonne volonté du Hamas par Qatar interposé ! Puis on passait à Coquerel qui bêtement reprenait les termes de nettoyages ethniques à propos de Gaza, soulignant aussi et contre toute évidence aujourd’hui que l’antisémitisme est « plus » d’extrême-droite que d’extrême- gauche – ce qui sous-entend que si l’extrême gauche est moins antisémite que l’extrême-droite, il n’y a pas lieu de la blâmer, et au contraire on devrait la féliciter pour sa retenue en la matière ! Tout cela tendait à montrer qu’Israël a beaucoup de torts dans cette affaire. Le monde n’est pas en reste, journal historiquement propalestinien, il ne met en scène que les dégâts causés par la riposte de Tsahal aux pogroms du Hamas sur son territoire, à coup d’images choc et d’articles discutant de la responsabilité de Benjamin Netanyahu, comme si cela pouvait excuser le fait d’assassiner des femmes et des enfants et de prendre des otages. Dans l’imbécilité la FI n’est jamais en reste. A la FI on avance sur une de ses chaînes YouTube satellites qu’Israël a pris le prétexte des exactions du Hamas pour reconquérir Gaza et ensuite mettre la main sur le gaz situé dans ses eaux territoriales. C’est un délire total et honteux. La Croix qui est un journal catholique qui cultive un antisémitisme rampant, mais de gauche et un peu macronien, se livrait à une comptabilité scabreuse pour tenter de démontrer que puisque les Gazaouis avaient plus de morts et de blessés que les Israéliens, ceux-ci étaient forcément plus coupables que le Hamas ! Évidemment ils reprenaient sans recul les chiffres donnés par le service de presse du Hamas. La question de savoir si Israël avait d’autre choix que d’investir Gaza, c’est une autre question, je ne m’avancerais pas sur cette voie, c’est un peu comme quand on disait que Poutine aurait pu faire autrement que d’envahir l’Ukraine. C’est peut-être vrai, encore que je ne voie pas quoi, mais les Etats-Unis aussi auraient pu faire autrement, notamment en respectant les promesses qui avaient été faites à Gorbatchev de ne pas procéder à l’extension de l’OTAN toujours plus à l’Est. 

D’après le journal La Croix du 13 novembre 2023, étrange comptabilité


[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/15/une-tempete-parfaite-se-profile-sur-la-guerre-en-ukraine-ou-que-l-on-regarde-les-tendances-negatives-convergent_6200183_3232.html

[2] https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/13/a-kiev-des-epouses-de-soldats-reclament-leur-demobilisation-apres-dix-huit-mois-de-guerre_6199875_3210.html

[5] https://fr.euronews.com/video/2023/10/20/bataille-dadviivka-vers-un-echec-russe

[6] https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/21/guerre-en-ukraine-kiev-tente-d-ouvrir-un-nouveau-front-le-long-du-dniepr_6201419_3210.html

[7] https://t.me/V_Zelenskiy_official/8681

samedi 18 novembre 2023

Christian Astolfi, De notre monde emporté, le bruit du monde, 2022

  

En voilà un qu’on peut saluer parce que malgré toutes les réserves qu’il est capable de formuler sur les partis de gauche et sur les syndicats, il n’a pas renié ses origines de classe. Astolfi est l’exemple même de la vitalité de la littérature prolétarienne d’aujourd’hui. Certes elle est moins offensive qu’elle pouvait l’être dans les années de l’entre-deux-guerres, moins combattive, mais elle n’en existe pas moins. Astolfi est lui-même d’origine prolétaire et a connu le travail de l’ouvrier à l’Arsenal maritime. Après avoir quitté ce travail, il s’est orienté vers l’éducation nationale où il a fait une carrière comme on dit. Néanmoins son ouvrage n’est pas un témoignage, mais une œuvre de fiction. C’est ici qu’on voit l’importance de la littérature, en ce sens qu’en se départissant d’une neutralité documentaire, elle arrive à toucher sans doute encore plus juste. Ce roman est celui de la trajectoire d’un ouvrier des Chantiers de la Ciotat surnommé Narval. Ouvrier qualifié de père en fils, il est de tous les combats, pensant qu’on peut changer le monde. Il fera donc Mai 68 avec enthousiasme, puis se réjouira de l’élection de François Mitterrand, suivront les déceptions du tournant de la rigueur de 1983 qui sera aussi pour la France le début de sa désindustrialisation accélérée et donc de la disparition des Chantiers navals. Cet effondrement est décidé contre les ouvriers, depuis Bruxelles, et le gouvernement dit « de gauche » va se plier à ses injonctions. La fin de cette activité a d’abord une incidence sur la vie intime du héros : sa femme le quitte, il tente de se recaser comme les autres ouvriers de cette activité, puis viendra le temps où on s’apercevra que tous ceux qui ont travaillé dans ce secteur sont infectés par l’amiante. Des camarades s’en vont les uns après les autres, il faut se battre pour que la justice reconnaisse la culpabilité des donneurs d’ordre dans cette mort programmée au nom du profit et de la rentabilité.

 

La trajectoire de l’effondrement de l’industrie lourde française est la même que celle du héros dans sa vie intime. C’est la fin d’un monde. Le premier niveau de lecture de ce roman est bien entendu que le changement social et économique est imposé sans concertation à des ouvriers qui n’y sont pas préparés. On leur donne une prime pour s’en débarrasser et qu’ils fassent le moins de vagues possibles. Entre 1975 et 2009, c’est plus de 2,5 millions d’emplois industriels qui ont disparu, et principalement dans l’industrie lourde. Ce qui change radicalement la physionomie d’un pays. Les responsables de ce désastre se trouvent directement à Bruxelles où on a décidé un jour que l’industrie lourde française devait disparaitre – avec Macron et la vente d’Alstom c’est enfin terminé – et que la France devait vivre de la domesticité en se livrant aux joies de la fréquentation des touristes. Le nom de Davignon, l’artisan de ce désastre est clairement cité par Astolfi[1]. C’est réussi, la côte qui allait de la Ciotat à Toulon était une zone rouge, très ouvrière, les maires étaient communistes. Aujourd’hui les maires sont souvent d’extrême droite, les prix des loyers ont explosé et l’activité principale c’est bien le tourisme. Mais avant que les Chantiers navals de la Ciotat ne soient coulés par une volonté politique étroite et bornée – gauche comme droite d’ailleurs – c’était la fierté des ouvriers que de bosser dans cette entreprise où le travail collectif comptait sans doute plus que le travail individuel. Évidemment c’était des histoires de camaraderie et de solidarité où les syndicats – plutôt la CGT – étaient puissants. En même temps que les Chantiers navals disparaissent, c’est tout un monde qui s’effondre, sur le plan social, politique voire culturel. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre le parallèle qui est fait entre la crise des Chantiers et la dissolution du couple du narrateur. La fermeture des Chantiers navals fut une erreur stratégique, essentiellement pour deux raisons, la première était que les Chantiers navals avaient un multiplicateur d’emplois très élevé, un emploi créé ou maintenu aux Chantiers, c’était 7, 8 ou peut-être 9 emplois en amont et en aval de la filière, globalement les subventions étaient rentables en termes d’emplois et d’activité industrielle. Ensuite ce fut une erreur stratégique, les Coréens récupérèrent les chantiers en engrangèrent beaucoup d’argent, mais en outre c’était une activité qui assurait l’indépendance de la France vis-à-vis des autres pays industriels. 

 

Les dégâts causés par l’amiante, reconnu maintenant, dévoilent beaucoup. D’abord sur le plan intime ce sont des camarades qui s’en vont. Mais ensuite en ce qui concerne le travail en lui-même. Ce travail dont les ouvriers étaient si fiers, au fond ils ne comprenaient pas ce qu’il était. C’est encore vrai aujourd’hui. Beaucoup de gens voient la nécessité de réindustrialiser le pays, la raison principale et que notre désindustrialisation nous a rendu dépendant des autres pays industriels. Mais en vérité ce travail est le plus souvent mauvais : il pollue, il dégrade la santé et produit très souvent les objets inutiles au nom du progrès. Astolfi ne s’attarde pas sur les luttes perdues, dans la seconde partie de son ouvrage il met l’accent sur les conséquences du travail. C’est une interrogation bienvenue justement au moment où on se demande qu’est-ce que devrait être un travail normal dans un monde harmonieux. Venant d’une famille communiste, Astolfi s’est orienté vers le courant libertaire, à la fois critique du travail, mais aussi du vote et des syndicats comme des sortes d’écran qui nous empêchent de voir qu’il est possible de se réapproprier la maitrise de nos vies. Astolfi citera volontiers Le droit à la paresse, cet ouvrage écrit par le gendre de Marx, Paul Lafargue en 1880. Filoche dira que finalement en 2002 il a voté pour Jean-Marie Le Pen, il y a donc une relation très forte entre désindustrialisation et effondrement de la gauche qui, pour s’en remettre s’est tourné bêtement vers les problèmes de droits de ceci et de droit de cela, ce juridisme était oubliant au passage la mission de lutter contre le capitalisme. C’est dans cet espace abandonné par la gauche institutionnelle, la gauche des partis, que s’engouffre finalement le Front national qui deviendra le Rassemblement national. À côté de la justice, des politiciens de tout bord et de la canaille de Bruxelles, bien entendu il y avait comme aujourd’hui la police – ici les CRS – qui donnaient de la matraque pour soutenir le bloc bourgeois.

 

Astolfi – ou son double le héros de son livre – s’est éloigné du parti communiste aussi bien pour des raisons tactiques, la participation au gouvernement de Pierre Mauroy, puis ensuite son soutien critique, que pour des raisons plus philosophiques, ce renoncement à mettre le travail au centre d’un projet politique qui ne change rien dans le fond. La reconversion de François Lorenzi dans l’ouvrage est une esquisse d’une nouvelle approche du travail, comme un retour vers l’artisanat après qu’il ait travaillé de longues années dans cette lourde machine à fabriquer les bateaux et qui repose sur la division du travail, avec en haut évidemment le travail dit intellectuel. 

 

Ce roman a été un succès public justifié, preuve que non seulement le sujet intéresse, mais aussi que l’écriture simple et directe touche le lecteur. Astolfi décrit très bien le travail de l’ouvrier, ses outils, ses difficultés, les rythmes qu’ils donnent à sa vie. 

Chaque matin à la prise du travail, je le regarde arriver, poussant sur le quai son chariot à bras. Deux immenses bouteilles de gaz armées de détendeurs dressées au-dessus de sa tête comme des tours, et lovés autour de son torse, deux tuyaux flexibles, le rouge pour l’acétylène, le bleu pour l’oxygène, tels les boyaux d’un coureur de la grande boucle des années cinquante. Il gare son matériel devant l’atelier. Il me fait signe. On entre prendre un jus tenu au chaud dans une Thermos et griller une cigarette, avant de franchir la coupée. 

Rapidement la mobilisation s’effiloche et la lutte tourne en rond, comme sans but et sans perspective autre que de protester d’une manière impuissante, face à ce monde qui s’effondre et qui emporte leurs vies. À l’évidence les syndicats ont été incapables de tracer des perspectives innovantes comme par exemple avaient pu le faire les ouvriers de Lip pendant un petit moment. 

Cela faisait deux mois que nous occupions le site, cette zone à défendre dont tout le monde se fichait. Chaque matin nous passions la porte des Chantiers pour tenir les murs. Les quais étaient notre chemin de ronde, la grande forme notre bout du monde où pleurer notre paradis perdu. Nos seuls compagnons étaient le soleil et le vent. La direction, elle, avait décampé depuis un bout de temps. Elle nous avait laissé notre dernier ennemi : nous-mêmes. 

Astolfi insistera sur le fait que le bloc bourgeois représenté par les politiciens, les juges et les médecins du travail feront front pour minimiser les problèmes des prolos exposés à l’amiante pendant de longues années. Ce sera une nouvelle humiliation, même si au bout du compte la justice finira par reconnaitre les préjudices subis.

Les Chantiers naval de la Ciotat aujourd’hui 

Les Chantiers navals de la Ciotat occupaient des milliers d’ouvriers, et de nombreuses entreprises travaillaient en sous-traitance pour eux on y fabriquait des pétroliers, des méthaniers. Aujourd’hui il ne reste plus qu’une activité d’entretien de yachts de luxe, le site tourne au profit des riches, et la ville elle-même est devenu un repère de bobos friqués. Ce n’est même pas la fabrication des yachts qui les concerne, mais la simple maintenance.


[1] Etienne Davignon de nationalité belge agissait contre l’industrie française en tant que vice-président de la Commission européenne, mais il était par ailleurs un homme d’affaires impliqué dans de nombreuses combines louches. Président du comité de direction du groupe Bildelberg et aussi membre de la Trilatérale, il avait ses entrées surtout au niveau du capitalisme financier.

Henri Barbusse, Le feu, journal d’une escouade, Flammarion, 1916

  C’est non seulement l’ouvrage de Barbusse le plus célèbre, mais c’est aussi l’ouvrage le plus célèbre sur la guerre – ou le carnage – de...