mardi 28 juin 2022

Une nouvelle fusillade au Texas et le commerce des armes

  

Une horrible fusillade a endeuillé le Texas il y a quelques semaines, le bilan est de 23 victimes, dont 19 enfants, deux enseignants, une grand-mère et le tueur, un latino du nom de Salvador Ramos qui était semble-t-il âgé de 18 ans. L’émotion est plus que légitime. Mais ce type de tuerie est tellement récurrent qu’on n’y fait presque plus attention. Cette fois c’est un latino, ce n’est pas un suprémaciste blanc, ni un islamiste fou, ce qui montre que ces meurtres ne sont pas le résultat d’une idéologie d’extrême-droite ou le résultat d’une religion vindicative, il s’agit d’un mal beaucoup plus profond. Mais les enfants morts sont les mêmes, ce n’est pas l’œuvre d’un fou, une pièce rapportée au système démocratique américain, c’est une tuerie exemplaire de ce que sont, de ce que peut-être ont toujours été les Etats-Unis. Une ONG avançait au moment de la tuerie d’Uvalde, qui s’est passée 10 jours seulement après celle de Buffalo, que jamais il n’y avait eu autant de tueries de masse aux Etats-Unis qu’en 2022, il y en avait déjà eu exactement 222[1] ! L’année 2022 sera probablement un grand cru en matière de tueries de masse. On peut presque parler de guerre civile. Regardons les choses froidement, les Etats-Unis sont un pays extrêmement violent, ils sont nés dans la violence et l’entretiennent, non seulement chez eux, mais ils l’exportent chez les autres comme n’importe quelle autre marchandise. Ce qui ne les empêche en rien de faire la morale au monde entier pour apporter la paix et la démocratie. Mais avant de faire la morale aux autres, il faut toujours balayer devant sa porte. Quand j’étais jeune, je lisais dans le journal – on n’avait pas de télévision, et encore moins de réseaux sociaux – les assassinats réguliers de noirs américains perpétrés par le genre Ku Klux Klan, pendaisons, barbecues, noirs trainés derrière des voitures jusqu’à la mort. C’était un spectacle de choix qui attirait du monde. On allait voir pendre des nègres comme on allait au cinéma. C’était un spectacle saignant, un peu comme la corrida, du reste les Klanistes se déguisaient pour exercer ce rôle de démons à qui on avait lâché la bride sur le cou. L‘Amérique qui avait fait venir des Africains en esclavage, aimait bien les assassiner aussi, histoire de justifier le fait qu’on les ait fait venir pour s’en amuser. Pourquoi s’en prendre au peuple à la peau noire ? C’était en réalité la continuation du génocide des Amérindiens comme on dit aujourd’hui. Ceux-là avaient la peau rouge, et en les tuant, en leur volant leurs terres, leur culture et leurs racines, on ne les tolérait plus que pour amuser les touristes avec des costumes emplumés et des danses folkloriques répugnantes. Il s’agissait toujours de les faire danser. Comme on le comprend la violence aux Etats-Unis a toujours été mise en spectacle. Je ne suis pas amérindien, mais cette cause très oubliée surtout en Europe où on se range facilement derrière la bannière américaine de l’OTAN pour faire la guerre par Ukrainiens interposés à la « barbarie russe », m’a toujours choquée, aussi loin qu’il m’en souvienne, et d’abord je dirais dans les westerns anti-indiens, avec le médiocre John Wayne comme figure « héroïque » principale de ce massacre honteux. 

Spectacle dans le Sud des Etats-Unis auquel on assistait en famille jusque dans les années soixante 

Aujourd’hui qu’il n’y a plus beaucoup d’hommes à la peau rouge, et que les Noirs risquent un petit peu moins leur peau – encore que l’affaire George Floyd a relancé ce débat résiduel – la nouvelle cible de la haine américaine, en dehors des Russes et des Chinois, ce sont les gosses, les écoliers. Pourquoi les tue-t-on ? Contrairement à ce que nous dise les éditorialistes des deux côtés de l’Atlantique, ce n’est pas le commerce des armes qui tue. C’est à l’inverse ce qui justifie le commerce des armes. La société américaine est une société violente fondée dans ses principes sur le meurtre et le vol. Les contestataires sont périodiquement éliminés, d’une manière ou d’un autre. S’il n’y a jamais eu de mouvement ouvrier puissant dans ce pays que Marx pensait être le premier qui passerait au socialisme, ce n’est pas que l’envie en manquait, mais c’est que ce mouvement contestataire naissant a dû faire face à des meurtres de masse. Aurait-on oublié que l’Amérique d’aujourd’hui est la continuation de ces meurtres ? Vous me direz que tout cela n’a rien à voir avec des meurtres dans des écoles. Et je vous répondrais que vous vous trompez lourdement. En cultivant la haine de soi et la haine de l’autre, ces tensions justifie le commerce des armes et son usage comme solution à toutes les frustrations. Mais alors pourquoi s’en prendre à l’école ? Parce que les meurtriers qu’ils soient le fait de latinos ou de suprémacistes blancs, reflète l’effondrement du système éducatif étatsunien. Il y a cent ans, les Etats-Unis misaient tout sur l’éducation, ils produisaient en masse des intellectuels, des ingénieurs, des mathématiciens, des médecins, des romanciers de talent. Aujourd’hui ils ne produisent plus que des traders et des avocats tous plus cupides les uns que les autres, tous peu soucieux du bien public, mais habités forcément d’une violence prédatrice qu’ils exercent par personne interposée sur le reste du pays. 

Salvador Ramos, le tueur âgé de 18 ans 

Ce pays est sans espoir d’amélioration, Trump avait raison, il faut l’enfermer derrière un mur très haut et empêcher ses soldats et ses banquiers d’en sortir, le monde ne s’en portera que mieux. Les belles âmes qui demandent périodiquement à Clinton, à Bush, à Obama, à Trump ou à Biden d’interdire les armes, oublient pourtant que cet accès des citoyens à un armement parfois très lourd est le symétrique du commerce des armes des Américains à travers le monde. C’est le complément du vieux système militaro-industriel qui empoisonne la planète depuis des décennies. A l’intérieur de leurs frontières les Etats-Unis poursuivent les guerres qu’ils allument aux quatre coins de la planète et qui leur rapportent beaucoup d’argent. C’est ce que Thomas Hobbes appelait la guerre de tous contre tous, c’est l’essence même du système libéral. Ainsi il vient qu’interdire le commerce des armes sur le sol étatsunien devrait être accompagné pour être crédible d’une désescalade des Etats-Unis dans la production et la vente d’armement, mais aussi d’une nouvelle politique de non-intervention. La rhétorique de la force que les Etats-Unis proposent au monde entier se transmet par contamination comme un virus à l’ensemble de ses territoires. Pour que les Etats-Unis commencent à évoluer enfin vers la civilisation et sortent de leur préhistoire, il faudrait qu’ils commencent par réfléchir à rester chez eux, et ainsi ils pourraient s’occuper de recréer du lien social entre ses citoyens, ce qui peut-être permettrait à terme de ralentir cette course à la violence armée. Mais sortir d’une culture de la haine est une entreprise difficile, probablement au-dessus des forces de la classe politique américaine. En attendant les Etats-Unis nous offrent le portrait d’un pays totalement décérébré et en décomposition rapide face aux reculs de l’Empire. Il est impossible de distinguer cette maladie américaine de s’assassiner entre soi, d’avec l’agressivité de cette nation vis-à-vis du reste du monde. L’impuissance des gouvernements qui se succèdent aux Etats-Unis à mettre un terme à la progression de cette guerre civile larvée, en dit long sur la fin finale de cette nation qui s’est crue au-dessus de tout le reste du monde parce que chez eux tout le monde prie ! C’est le « en même temps » capitaliste, d’un côté on prêche la morale sur fond de religiosité, et de l’autre on produit des monstres que ceux-ci soient des tueurs en série, des militaires ou des politiciens. Et c’est ce pays qui voudrait unifier le monde sur ses valeurs morales ! Ils y arrivent pourtant partiellement. Et sans que nous ayons atteint encore le degré de déliquescence morale des Etats-Unis, nous suivons le même chemin, que ce soit pour aller faire la guerre en Ukraine ou pour produire des tueurs en série. Quand nous en manquons, et bien, nous les importons ! On ne reste pas trop longtemps sans qu’un islamiste n'assassine, ici un policier, là un vieillard juif handicapé[2]. On s’habitue à tout, et maintenant ces meurtres récurrents font partie de notre culture et de notre environnement. C’est bien ce que nous révèle le procès à grand spectacle des attentats de 2015. 

 

A quoi bon juger si on est incapable de prendre des mesures pour que ces meurtres rituels ne deviennent un peu moins nombreux ? L’idiot du village qui prétend être notre président nomme un semi-intellectuel racialiste, wokiste, à la tête du ministère de l’éducation nationale histoire de mettre encore un peu plus de l’huile sur le feu, et, ultime provocation, celui-ci s’en va visiter le collège où officiait le malheureux Samuel Paty. Son assassin n’avait pas besoin d’avoir le droit de porter ou d’acheter une arme, il lui suffisait d’un couteau de boucher bien affuté et du support d’une religion mortifère. Evidemment en se servant d’un simple couteau, il a limité de fait les dégâts et a été abattu avant de commettre d’autres meurtres, mais le résultat est le même, il était le produit de la haine, résultat d’une société fragmentée par la doxa néo-libérale qui fait de la guerre de tous contre tous l’alpha et l’oméga de son projet. La religion n’est qu’un prétexte pour la continuer.

  

L’opinion publique est vent debout contre la circulation massive des armes à feu. Mais il n’empêche, dans sont immense stupidité la Cour suprême est intervenue le 23 juin 2022 pour signifier que les Américains ont bien le droit de sortir armés s’ils le veulent, et donc qu’ils peuvent bien continuer à s’entretuer, c’est leur choix, restreindre ce choix serait contraire à la liberté individuelle[3] ! Contrairement à ce qu’on pouvait croire au premier abord, il n’y a pas qu’en France que les clowns font de la politique. On a fait le compte, tous les jours aux Etats-Unis 100 personnes meurent à cause des armes à feu. C’est l’équivalent des pertes officielles des soldats ukrainiens dans la guerre qui les oppose à l’armée de la RPD et à l’armée russe. Ce simple chiffre montre que les Etats-Unis qui sont en guerre contre le reste du monde au nom de la démocratie sont aussi en guerre au nom de la sacro-sainte liberté individuelle[4].

 

Au moment où la Cour suprême des Etats-Unis consacre le droit des citoyens à se faire la guerre civile, elle déclenche aussi une nouvelle bataille, celle qui ôte le droit à l’avortement du droit fédéral[5]. C’est bien un nouveau signe de la dégénérescence des Etats-Unis. En renvoyant la législation au niveau des Etats, elle renforce le clivage entre le pays trumpiste et le reste du pays. Les possibilités d’avorter ne disparaitront pas, mais les candidates devront parfois franchir les frontières des Etats plus favorables à leur choix, les plus pauvres seront les plus défavorisés avec ces nouvelles restrictions. Ce marqueur empreint de religiosité mortifère doit être examiné non pas comme une bataille d’opinion, mais comme la volonté d’une partie des institutions d’augmenter le contrôle sur les populations. En effet il ne s’agit pas de se dire pour ou contre l’avortement, mais de restreindre la liberté individuelle de choisir son destin. C’est le complément de droite de la surveillance systématique des citoyens avec la vaccination obligatoire ou le contrôle des réseaux sociaux. Que cela provienne de la droite – restriction des possibilités d’avorter – ou de la gauche – surveillance des réseaux sociaux, cela revient toujours au même. On obtient deux résultats : le renforcement des clivages sur les questions dites de société, le second est de mettre en veilleuse les douloureux problèmes qui travaillent l’Amérique, notamment son déclin économique. Que ce soit en ce qui concerne le commerce des armes ou la restriction du droit à l’avortement, la Cour suprême apparaît totalement à contre-courant de l’opinion américaine. Cela ne peut pas être changé, étant donné le rapport de forces entre les deux camps, et ce sera la raison dans les prochaines années d’une nouvelle forme de guerre de sécession entre les Etats trumpistes et les Etats démocrates. Toutes ces histoires ne vont pas renforcer la crédibilité défaillante des Etats-Unis qui veulent donner des leçons de démocratie à tout le monde, sauf à eux-mêmes !



[1] https://www.bfmtv.com/international/en-2022-aux-etats-unis-il-y-a-eu-plus-de-fusillades-de-masse-que-de-jours-depuis-le-debut-de-l-annee_AN-202205250239.html

[2] https://www.i24news.tv/fr/actu/france/1653065205-france-un-homme-juif-de-90-ans-defenestre-a-lyon

[3] https://www.lemonde.fr/international/article/2022/06/23/etats-unis-la-cour-supreme-des-consacre-le-droit-des-americains-a-sortir-armes_6131752_3210.html?fbclid=IwAR2Lq9LU_AhE4DLx6gN9LT3LbWPaOdNkt16RRJr5orOZqUfU6frnV7LroYo

[4] https://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique-nord/etats-unis-derriere-les-fusillades-de-masse-ces-armes-qui-tuent-l-amerique-a-bas-bruit_2175409.html

[5] https://www.lemonde.fr/international/live/2022/06/25/droit-a-l-avortement-de-nombreuses-manifestations-attendues-samedi-dans-les-villes-americaines_6131915_3210.html

jeudi 23 juin 2022

Zakhar Prilepine, Ceux du Donbass, chroniques d’une guerre en cours, Editions des Syrtes, 2018.

   

Ce livre a été écrit bien avant le déclenchement de l’offensive russe en Ukraine, il porte plutôt sur le conflit entre l’Etat ukrainien qui passe son temps à recycler des nazis avec l’argent des Américains et de l’Europe, et les habitants du Donbass qui sont entrés en rébellion contre Kiev. Il m’a été conseillé gentiment par l’attentive Claire Fourier, par ailleurs auteur. Je ne connaissais pas Zakhar Prilepine. J’avais tort évidemment. D’abord c’est un homme engagé, je veux dire physiquement. Ce n’est pas un client des plateaux télévisés. Quand le conflit a été déclenché en 2014 par Kiev contre les populations russophones, il s’est engagé pour défendre ce qui allait devenir les républiques autonomes du Donbass. Comme disait Roberto Saviano – un autre chauve dont la tête avait été mise à prix par la Camorra – dans La bellezza e l'inferno. Scritti 2004-2009[1], il n’y a aucun intérêt à écrire quoi que ce soit, si on ne risque pas sa peau. En 2016, alors que Prilepine combattait dans le Donbass, il a obtenu le grade de commandant dans l’armée de la République Populaire du Donetsk. Il y a encore quelques années, Prilepine avait pignon sur rue en France, on le saluait comme un des plus importants auteurs russes. Il est douteux qu’il puisse encore venir en France faire des conférences sur le Donbass dans l’épouvantable déferlement d’hystérie qui s’abat sur tous ceux qui ne sont pas alignés sur la propagande otanienne et américaine et qui ose encore parler la langue russe. La canaille bureaucratique de l’Union européenne l’a banni de son territoire en février 2022, devançant ainsi les desiderata des Américains qui veulent censurer tout ce qui pourrait s’apparenter à une critique de leur politique impérialiste. Même s’il est qualifié du titre du plus grand écrivain russe de sa génération, Les Américains s’en moquent bien, et les valets  de l’OTAN comme Ursula von der Leyen, tout autant, la littérature, la poésie, ça ne les intéressent pas. D’un certain point de vue qu’il soit ostracisé par cette engeance-là, est plutôt un titre de gloire par les temps qui courent. En tous les cas, ce livre est indispensable pour savoir de quoi on parle à propos du Donbass et de la guerre qui a suivi les évènements de 2014-2015, jusqu’à aujourd’hui. Il revient sur la racine du mal. 

Prilepine en 2018, donnant une conférence en France 

Ce livre traite exclusivement des années 2014-2015, bien qu’à la fin il avance sur les années 2016-2017, simplement pour expliquer que les bombardements ukrainiens meurtriers ne cessent pas, mais il annonce ce qui sera plus tard devenu une guerre entre les Etats-Unis et la Russie par Ukrainiens interposés. Peu importe le nombre d’Ukrainiens et de russophones du Donbass qui mourront dans cette guerre, l’OTAN a pour but de mettre la Russie à jouer et interdit à Zelensky qui n’a aucune marge de manœuvre de négocier quoi que ce soit. Prilepine jugeait déjà à cette époque le conflit inévitable entre la Russie et l’OTAN. Il est très populaire en Russie, bien qu’il ne soit pas aligné sur Poutine, bien au contraire, il est communiste, c’est tout dire. Et sa popularité qui s’appuie sur une critique virulente des Russes qui rêve d’une démocratie consumériste à l’Américaine, montre d’ailleurs que les soi-disant démocrates russes qui rêvent de rejoindre le camp progressiste occidental ne sont qu’une toute petite minorité agissante. C’est un national-bolchévique. Admirons le portrait que Le monde, le journal de tous les pouvoirs comme on disait en 1968, sous la plume du confusionniste Nicolas Weill en trace en mars 2018 : « Il faut donc s’efforcer de percer une double couche de stéréotypes, celle de nos préjugés sur la Russie et celle nourrie par les « nazbol », les nationaux-bolchévistes d’Edouard Limonov, dont Zakhar Prilepine a été proche, pour lever l’énigme de ce gaillard déroutant, né en 1975, aux apparences rugueuses, à l’allure de videur, condescendant parfois, chaleureux à l’occasion, écrivain prodige, sans doute l’un des plus marquants de la Russie actuelle, comme lui-même le pense sans trop de fausse modestie. » avec beaucoup de condescendance[2]. Nazbol, ça ne plait pas trop à la pensée lisse et mondialiste des Occidentaux, et si en plus Prilepine a été proche de Limonov, le jugement est déjà là, prêt à être imprimé et exécuté. Ni Le monde, ni Nicolas Weill, ne se rendaient compte à cette époque que nous étions entrés de plain-pied justement avec le conflit interne à l’Ukraine, dans la voie de la démondialisation et donc du retour des nations comme agissant pour leur propre compte. Car au fond c’est bien cela l’enjeu de la guerre en Ukraine, construire une gouvernance mondiale impossible sous la houlette des Etats-Unis, avec l’OTAN comme chien de garde pour aboyer comme dit le Pape contre les récalcitrants, même si c’est au prix d’un conflit mondial, voire d’un conflit nucléaire. Quand je vois les enragés qui en France poussent à la guerre contre la Russie en réclamant des armes pour les Ukrainiens pour un conflit qui ne nous concerne pas directement, ni même indirectement, je mesure combien aussi bien les intellectuels que les politiciens se sont effondrés sur eux-mêmes, s’étalant bêtement dans leurs vomissures[3]. La droite est certes dans son rôle quand elle soutient les efforts de l’impérialisme américain, mais il fut un temps où la gauche se reconnaissait d’abord en France dans son opposition aux entreprises de l’OTAN en Europe. Même ce vieux réflexe elle l’a perdu et devient ainsi encore plus inexistante que par le passé. 

Prilepine dans les tranchées du Donbass 

Si Prilepine est un national-bolchevique comme il le dit péjorativement puisque le simple fait d’être nationaliste est déjà compris comme une tare, et qu’en plus être pour un égalitarisme communiste en est une autre, on ne sera pas étonné qu’il livre une analyse du conflit en Ukraine d’un point de vue de la lutte des classes. L’ouvrage se présente comme une sorte de reportage, allant à la rencontre des acteurs rebelles qui ont refusé de se plier aux oukases des néo-nazis qui viennent de Kiev. Ainsi à travers sa quête, il va opposer les Ukrainiens de l’Ouest, petits-bourgeois, taraudés par la pensée mondialiste et avides consommations, et les Ukrainiens de l’Est, prolétaires, mineurs, rudes dans les luttes, capables de prendre les armes pour défendre leurs droits et leur patrie. Il présente d’ailleurs les habitants du Donbass comme la pointe avancée de la Nouvelle Russie, celle qu’il appelle de ses vœux et qui serait une nouvelle forme de socialisme, soudé ici par la langue. « Je suis un écrivain russe, et en tant que tel j’ai un engagement envers les hommes et les femmes qui parlent ma langue » disait-il en France lors de la présentation de Ceux du Donbass. Ce livre est aussi la relation d’une amitié entre Prilepine et Alexandre Zakhartchenko, le dirigeant et guerrier de la République Populaire de Donetsk qui, après avoir échappé à plusieurs attentats fomentés par les nazis de Kiev, finira par être assassiné, vendu semble-t-il contre de l’argent, sans doute des dollars de la CIA, par un de ses gardes du corps[4].  Mais à l’époque où Prilepine construit son ouvrage en parcourant le Donbass, Zakhartchenko est encore bien vivant et se comporte en chef de guerre, car selon lui, il n’y a pas de solution autre que la guerre dans la mesure où les accords de Minsk I et II n’ont pas été respectés. 

L’enterrement de Zakhartchenko

Parmi les chocs que les russophones ont dû endurer, il y a eu bien sûr l’abrogation de la loi en 2014 qui permettait l’enseignement et la communication en russe, mais aussi, et on le sait beaucoup moins, l’abrogation d’une loi portant sur l’interdiction de faire de la propagande pour les nazis ukrainiens du type Bandera qui maintenant possède son avenue à Kiev, ou d’en réhabiliter leur rôle pendant la guerre quand ils travaillaient pour Hitler dans la chasse aux Juifs et aux Russes bien entendu qu’Hitler pensait pouvoir réduire en esclavage et faire travailler pour rien dans des fermes contrôlées par des serviles Ukrainiens. Le Point parle de Bandera comme d’un héros ukrainien controversé[5], ce n’est pas le cas, il n’est pas controversé du tout, il était juste nazi. Cette proximité du nouveau pouvoir de Kiev, soutenu par la CIA et issu de l’Euromaïdan, a entraîné tout de suite la méfiance d’Israël et explique pourquoi le corrompu clown de service Zelensky a été très mal accueilli à Jérusalem, surtout après les mensonges du pseudo massacre de Babi Yar qui s’est révélé être un faux grossier sur lequel la presse occidentale ferme pudiquement les yeux. 

Défilé à Kiev à la gloire du nazi Stepan Bandera 

Si on accepte l’analyse cohérente de Prilepine, cela veut dire que la guerre qui a lieu en ce moment, a commencé comme un soulèvement populaire dans le Donbass sur une base de lutte des classes contre le capitalisme mondialiste. Le peuple dans ces régions s’est « autonomisé », prenant directement le pouvoir, un peu à la manière des Gilets jaunes qui auraient réussi. Il s’ensuit que les forces répression ukrainiennes, soutenues à la fois par les nazis ukrainiens, par l’OTAN et la CIA, ont tenté de faire revenir à la raison les insurgés que Prilepine appelle les « séparés ». La suite on la connaît. Les forces gouvernementales de Kiev se sont révélées incapables de reprendre le pouvoir, huit ans de bombardements, des dégâts humains et matériels colossaux. A cette époque on n’a pas eu l’idée d’inviter à Cannes Zakharatchenko à parader, mais sans doute ne le voulait-il pas, et de fait son courage exemplaire n’était pas du goût des médias occidentaux, de l’OTAN et des Etats-Unis. On préfère nous faire croire que les nazis de Marioupol et leurs instructeurs otaniens sont les véritables héros de l’histoire, quelles que soient les exactions qu’ils ont commises par ailleurs et qui ne sont pas rapportées par les médias officiels. 

Les rudes mineurs du Donbass 

Le livre se présente comme une série de rencontres successives, des portraits de ceux qui ont érigé le Donbass en une zone rebelle qui ne veut pas obéir aux instructions de la mondialisation par la marchandise. Le style est excellent parce que Prilepine, s’il démontre ce qu’il affirme à la manière d’un puzzle qui finit par faire sens, avance son propre parti-pris. Il n’est pas dans le Donbass par hasard, il y est parce que le combat politique que ses habitants y mènent est aussi le sien. Il est du côté des rudes mineurs qui luttent contre le pouvoir de la canaille capitaliste installée à Kiev et soutenue par l’OTAN comme par l’Union européenne. L’armée qui s’est construite dans cette région sous la houlette de Zakhartchenko est d’abord une armée populaire, et si les Russes sont aujourd’hui venus à leur secours, leur combat n’est certainement pas téléguidé par Poutine. C’est probablement là que se trouve la clé du problème, la canaille mondialiste ne veut pas voir émerger de nouveaux Etats qui contrarieraient sa prétention à l’hégémonie mondiale. Et donc les « démocraties » libérales ne tiendront pas compte de la volonté des peuples à disposer d’eux-mêmes. Pour Prilepine, dès 2014-2015, l’enjeu dans le Donbass n’est pas seulement de résister à la dictature de Kiev, mais de créer un nouvel Etat, donc sur d’autres bases politiques que celles proposées par Kiev, l’Union européenne et l’OTAN. C’est pourquoi les insurgés du Donbass, contrairement à ce que racontent les médias occidentaux, n’étaient pas des « pro-russes », activés, par Poutine pour reconstruire l’Empire des Tsars. Il faut partir de là, la guerre en Ukraine prend ses racines dans une révolte contre le pouvoir central de Kiev. Pour Prilepine, au début ce soulèvement embarrasse au contraire Poutine qui ne sait pas quoi en faire. C’est d’ailleurs ce qui ressort de l’ouvrage publié par Oliver Stone, Conversation avec Poutine[6]. Du reste à la lecture de ce livre je m’étais demandé pourquoi Poutine avait mis aussi longtemps à réagir vraiment, et pourquoi l’avait-il fait seulement en 2022, même si bien sûr dès 2014 les Russes ont aidé la rébellion. La réponse est dans l’ouvrage de Prilepine. C’est parce que ce n’était pas son combat à l’origine. Ça le deviendra, je dirais, par la force des choses, suite aux multiples provocations de l’OTAN et des néo-nazis ukrainiens. Les débuts de la guerre, c’est une révolution contre la réaction europhile et néolibérale de Kiev, richement dotée et manipulée en sous-main par les Etats-Unis. Les révoltés du Donbass au début se battent presque les mains nues, sans armes, sans aide. Et pourtant, ils vont non seulement tenir tête à l’armée ukrainienne, beaucoup plus nombreuse et surentraînée, suréquipée. Ils gagneront cette première phase de la guerre. Prilepine insiste sur le fait que cette armée ukrainienne officielle n’a pas le moral, se bat très mal et n'arrive à rien, déserte plus souvent qu’à son tour edonnant ses armes aux soldats du Donbass. Il ne faut jamais l’oublier, en 2015, Kiev avait bel et bien perdu la guerre contre le Donbass. L’histoire se répète aujourd’hui, l’armée ukrainienne malgré une aide colossale des Américains, on parle de 50 milliards de dollars, l’appui d’instructeurs et de mercenaires appointés par l’OTAN et la CIA, subit revers sur revers, alors qu’en nombre elle est au moins aussi importante, si ce n’est plus, que les forces russes engagées aux côtés des forces de la RPD. Rappelons qu’en 2022, l’aide américaine à l’Ukraine de Zelensky est équivalente – sur le plan monétaire à l’équivalent du budget de la totalité du budget de l’armée russe ! Les fables sur l’héroïsme des soldats de l’armée ukrainienne sont seulement du vent, destinées à alimenter les fantasmes des occidentaux. Ce qui ne veut pas dire évidemment que certains Ukrainiens ne se battent pas bien, on sait que les néo-nazis jusqu’auboutistes n’ont peur de rien. Au mois de mai 2022, on a fait encore état de nombreuses désertions et du refus de continuer de se battre dans le nord du Donetsk pour contester la médiocrité des plans militaires proposés et imposés par l’OTAN par l’intermédiaire de Zelensky[7]. Mais il est très probable que de nombreux Ukrainiens entre 2014 et aujourd’hui aient émigré afin d’échapper à la guerre et à la conscription. Prilepine fait état de soldats de l’armée ukrainienne qui sont passés avec armes et bagages dans le camp des rebelles pour se désolidariser d’un projet qui au fond ne les concerne pas. C’est comme cela qu’il explique les premières méthodes pour armer les milices qui deviendront ensuite une armée, avant que les Russes envoient finalement de l’aide matérielle pour soutenir le Donbass. 

L’oligarque Igor Kolomoïsky, financier de Zelensky et du Secteur Droit 

Le Donbass émerge comme un territoire autonome dans la rébellion victorieuse contre Kiev, il émerge contre l’Etat, obligatoirement comme une forme anarchiste de prise de pouvoir. Le modèle se rapproche de celui de la Catalogne libre, vanté par George Orwell, ce moment magique où le peuple se révolte et renverse les institutions pour imposer les siennes[8]. Prilepine montre comment le peuple, qu’il soit de gauche ou de droite, monarchiste, ou autre se constitue en entité, il chasse ses représentants et s’en choisit d’autres. Les insurgés tiennent face à l’armée ukrainienne, parce qu’ils ont l’appui de la population, ils sont comme un poisson dans l’eau. Cet ouvrage nous aide donc à comprendre l’origine de cette guerre. Avant de concerner les Russes proprement dits, c’est une sécession du peuple du Donbass. Bien sûr les Russes ensuite aideront, probablement parce qu’ils sont conscients aussi de leur intérêt sécuritaire qui va au-delà de celui du peuple du Donbass et qu’ils considèrent les habitants du Donbass comme des Russes. Les hommes qui vont faire la guerre ne sont pas des conscrits, ni des militaires de profession, dans le Donbass on n’oblige personne à s’enrôler, mais on s’enrôle par conviction. Ce n’est pas le cas de l’autre côté. A part les néo-nazis, les Ukrainiens se sont engagés plutôt mollement, beaucoup ont déserté, se sont expatriés – ce qui explique que plus du quart des Ukrainiens vivent en dehors de leur pays. Ce n’est pas une armée du peuple que veut commander Zelensky, il paye très chers les services de ses soldats. L’armée du peuple c’est celle du Donbass, même si aujourd’hui elle est aidée par la puissance russe. Une des raisons de l’invasion russe en février 2022, est que les forces ukrainiennes se massaient à la frontière du Donbass, afin d’en finir au mois de mars 2022 avec ses habitants si méprisés par le pouvoir de Kiev. C’est donc bien une guerre préventive et légitime dont il s’agit. Dès cette période, de nombreux Ukrainiens de l’Ouest sont d’accord pour abandonner le Donbass à la Russie. C’est ce que semblait aussi vouloir faire Zelensky lorsque les premières négociations ont eu lieu en mars dernier. Mais il est revenu sur cette idée, semble-t-il sous la pression des Américains et de l’OTAN. 

Arseni Pavlov, dit Motorola se marie en juillet 2014, il sera assassiné dans un attentat à la bombe

Selon moi, Prilepine analyse correctement l’enjeu de la bataille en opposant l’Ouest de l’Ukraine corrompu et accroché à la consommation des marchandises et l’Est qui aspire à des valeurs moins égoïstes et plus égalitaristes. C’est un enjeu civilisationnel. Dès lors que les habitants du Donbass retrouvent le chemin de l’autonomie par rapport à Kiev, ils vont retrouver aussi les raisons d’une meilleure solidarité et du partage. Au fond les tendances socialistes ne peuvent se manifester que dans la souveraineté d’une nation, le cosmopolitisme leurs sont contraires. C’est ce qui s’est vu plusieurs fois dans l’histoire en France, dans la grande révolution de 1789 par exemple qui débouchera sur la forme moderne de la nation, ou encore au moment de la Libération de la France avec le CNR, Conseil National de la Résistance. La mondialisation en imposant les formes individualistes de la vie sociale empêche l’émergence de l’idée de partage et d’égalité. Parmi les autres enseignements de l’ouvrage de Prilepine, c’est l’internationalisation du conflit, des deux côtés. Il n’est pas besoin d’insister sur l’apport des « conseillers » et instructeurs américains auprès du gouvernement de Kiev. Il rappelle que Victoria Nuland disposait de 50 milliards de dollars pour déstabiliser l’Ukraine, cela veut dire, acheter des consciences, mais aussi engager des mercenaires venant de tous les pays. Du côté du Donbass, il y avait de nombreux Russes engagés auprès de la RPD, mais comme le signale Prilepine, ils venaient souvent en voisins, en tant que membre des familles plus ou moins proches, par solidarité. Mais ils sont arrivés aussi d’autres pays plus ou moins proches de l’Ukraine. Aujourd’hui, on le sait, les faux engagés volontaires auprès de l’armée ukrainienne sont souvent des militaires de carrière démobilisés par souci tactique pour faire croire que l’OTAN n’intervient pas. L’avantage des populations russophones de l’Est est évidemment la détermination, cette détermination qui manque cruellement aux troupes ukrainiennes qui ne se sentent pas forcément concernées par cette guerre ruineuse. 

24 août 2014, les rebelles du Donbass défilent avec leurs prisonniers de l’armée ukrainienne 

Mais le plus important est que les révoltés du Donbass, les sécessionnistes ou encore les séparés, se soient retrouvés au-delà des clivages partisans, du type gauche-droite ou républicains-monarchistes. C’est en vérité tout le temps comme ça quand un mouvement populaire se met en mouvement, les clivages artificiels d’effacent. Ce fut le cas de la Commune de Paris, de la Résistance par exemple, et plus près de nous, du grand mouvement des Gilets jaunes. Quand cette guerre a été déclarée, financée par les Etats-Unis, elle s’est faite au nom de la démocratie dans sa forme la plus abstraite, mais en réalité c’était une contre-révolution du type de celle des Versaillais qui en 1871, avec l’appui des Prussiens détruisit les Communards et leur œuvre, ou encore l’EuroMaïdan s’apparente à une sorte de coup d’Etat du type de celui emmené par Franco en juillet 1936. Sauf qu’ici le soulèvement populaire du Donbass a trouvé un soutien solide du côté de la Russie. Sinon, il est probable que les rebelles eussent été exterminés depuis longtemps avec l’aide de l’OTAN et des missiles américains.  

Katerina Iouchtchenko, proche des néonazis ukrainiens, agent de la CIA qui épousa le futur président de l’Ukraine 

Le tour de force de Prilepine est de nous faire comprendre à travers des portraits pris sur le vif, combien la question de l’autonomie du Donbass, si elle est la réponse adéquate à la contre-révolution fomentée par l’OTAN et les Etats-Unis, est d’abord une révolution dans la forme, avec une mise au pas de l’oligarchie et une forme de redistribution des richesses, via des nationalisations. La première guerre du Donbass, celle de 2014-2015 a été gagnée par les rebelles et perdue par Kiev et l’OTAN. Prilepine pense que quand la cause est juste, elle ne peut être perdue. Du moins c’est ce qui explique pourquoi l’armée rebelle, une armée populaire, inférieure en nombre et en équipement a pu prendre le dessus sur les forces ukraino-américaines. Pour lui seuls les nazis ukrainiens avaient vraiment le cœur de se battre, mais leur défaut était d’avoir ni morale, ni principe. Prilepine décrit les prises d’otages, les attentats, la manière dont l’armée de Kiev se servait des boucliers humains, les tortures, tout ce qu’on retrouve aujourd’hui dans cette sale guerre, à Marioupol comme à Severodonestk pour tenter d’imposer la victoire par la terreur. En lisant cet ouvrage on comprend que Kiev ne se réconciliera jamais avec le Donbass, mais il faut être stupide comme un Américain pour croire que le peuple du Donbass puisse se soumettre. Certes il peut disparaitre, être génocidé, mais certainement pas soumis. Ceci explique qu’il ne peut y avoir que deux solutions aujourd’hui : soit les ukaino-otanistes exterminent le peuple du Donbass, soit ils négocient une partition de fait de l’Ukraine. 

Victoria Nuland la grande ordonnatrice de la politique américaine en Ukraine, de Bush à Biden en passant par Obama et Trump 

L’ouvrage, très bien écrit, direct et sans fioriture, est plein de sang, à la fois parce qu’il y a des morts et des blessés, mais aussi parce que le coup de sang du peuple du Donbass pousse à la guerre. L’idée est de fondée une nouvelle nation par le sang versé, que celle-ci rejoignent ensuite la Russie ou non. Prilepine n'a pas de mots assez durs avec « l’élite » moscovite qui veut adopter les « valeurs » de l’Occident, passant par perte et profit l’histoire et la culture du peuple russe. Ce n’est pas un hasard non plus si aujourd’hui l’Occident tente de chasser les russes du paysage culturel mondial. L’idée générale qui parcourt ce livre est celle de la quête de la liberté, et c’est par la guerre et dans la guerre qu’elle se trouve. C’est un ouvrage majeur, non seulement parce qu’il nous permet de mieux comprendre ce qui se joue dans le Donbass, mais parce qu’il est aussi une méditation sur la liberté véritable. 

Appel des mineurs du Donbass, juin 2014, traduit et publié par le site Initiative communiste


[1] Traduit en français sous le titre de La beauté et l’enfer, écrits 2004-2009, Robert Laffont, 2010.

[2] https://www.lemonde.fr/livres/article/2018/03/15/sous-la-cuirasse-de-zakhar-prilepine_5271144_3260.html

[3] https://www.lindependant.fr/2022/06/19/guerre-en-ukraine-le-chef-de-larmee-britannique-estime-necessaire-de-preparer-une-troisieme-guerre-mondiale-il-y-a-urgence-a-batir-une-armee-capable-de-vaincre-la-russie-10376187.php

[4] https://www.lemonde.fr/europe/article/2018/08/31/alexandre-zakhartchenko-le-principal-chef-separatiste-ukrainien-tue-a-donetsk_5348729_3214.html Quand vous lisez ce genre d’article de propagande du Monde, attendez-vous d’abord à une tonne de salissures. La source du plumitif Benoît Vitkine étant d’abord le ministère ukrainien de la propagande, à savoir le ministère de l’intérieur qui travaille main dans la main avec la CIA.

[5] https://www.lepoint.fr/histoire/bandera-ce-heros-ukrainien-controverse-28-03-2022-2469961_1615.php

[6] Albin Michel, 2017.

[7] https://alawata-rebellion.blogspot.com/2022/05/assaut-sur-le-bastion-davdeevka.html

[8] Homage to Catalonia, publié en 1938, avait d’abord été traduit sous le titre de Vive la Catalogne libre en 1955, chez Gallimard.

lundi 20 juin 2022

La France ingouvernable ?

  

L’écart entre les choix des électeurs et la représentation à l’Assemblée nationale a quelque chose de choquant, puisqu’en effet avec moins de 16,5% des suffrages les macronistes ont 42% des députés, donc une majorité relative, tandis que la NUPES, avec 14% des suffrages n’obtient que 24% des sièges. Et évidemment quand plus de la moitié des électeurs ne se déplace plus pour choisir entre les candidats, c’est bien l’ensemble du système qui est condamné. Passe encore par temps calme, quand par exemple la croissance est forte, les salaires en augmentation et que les services publics se développent. Mais comme nous traversons une zone de tempête très forte, cela devient compliqué. Les électeurs savent que la situation est mauvaise et que l’avenir est sombre, la question sanitaire, la guerre en Ukraine, le pouvoir d’achat, tout cela n’a pas suffi à les motiver, preuve qu’ils ne font pas confiance aux professionnels de la politique, soit qu’ils les jugent corrompus, soit qu’ils les pensent plus stupides et moins compétents qu’eux. Bien que les médias dominants mettent en scène un faux choix, cette fable n’a pas beaucoup de crédibilité, que ce soit sur la crise sanitaire, ou la guerre ou même ce qu’on appelle pudiquement la crise environnementale. C’est pour cette raison qu’ils restent à la maison, ce n’est pas tant qu’ils se désintéressent de la chose publique, mais c’est plutôt qu’ils ne veulent pas adhérer à cette manière de la traiter. Comme ils ont par ailleurs à leur disposition de nombreuses sources d’information, guère plus douteuses que celles qu’on peut recevoir de la part du Monde par exemple, ils s’installent dans le scepticisme avant sans doute de passer à l’action, peut-être à l’automne prochain lorsqu’il deviendra évident que le gouvernement ne veut pas ou ne peut pas avancer positivement sur les sujets brûlants.

  

Beaucoup d’éditorialistes paresseux analysent les résultats des législatives du 20 juin comme une défaite personnelle de Macron qui n’obtient qu’une majorité aussi étriquée que relative, et donc ce serait une petite victoire de Marine Le Pen et de Mélenchon. Le point de vue est largement erroné. Pour comprendre ce qui se passe, il nous faut partir du niveau record de l’abstention. Autour de 54% au second tour, elle est majoritaire en France, c’est le premier parti. Certes au second tour de 2022, elle est légèrement inférieure à ce qu’elle fut en 2017, mais elle reste très élevée. En 2017 les macroniens avaient fait un petit peu illusion parce qu’on ne connaissait pas encore leur capacité de nuisance, mais ce ne fut pas le cas le 19 juin 2022. Beaucoup se sont déplacés pour voter pour le RN ou pour la NUPES, non par adhésion, mais parce que Macron les exaspèrent et qu’ils craignent qu’il ne conduise le pays à une catastrophe augmentée. Les journaux de lundi 20 juin 2022 titraient tous de la même manière, la France serait devenue ingouvernable, Macron aurait subi une défaite cinglante, etc. Cette approche est mauvaise et n’intègre pas une dimension stratégique. En vérité il y a longtemps que la France est ingouvernable autrement qu’à l’aide de la matraque. C’est la preuve même que nous sommes dans une phase néolibérale. Mais aucun des vaincus du 20 juin ne s’intéresse à cette dimension, essentiellement parce que la représentation politique étant un métier, il est important non pas de gouverner, mais surtout d’avoir beaucoup de représentants pour un parti. Le Rassemblement national qui arrive à près de 90 sièges – résultat historique – ne sait pas trop quoi faire de ce chiffre. Et comme la gauche, forte d’un peu plus de 150 sièges ne sait pas quoi faire non plus de cette poussée arithmétique, et qu’elle considère que le RN c’est le diable et le nazisme réunis, en vérité Macron peut dormir tranquille, du moins du côté de l’Assemblée nationale. Certes il aura du mal à faire passer ses réformes pourries, mais après quelques tractations serrées avec la canaille de LR, il y arrivera. Jean-François Copé que tout le monde croyait en prison pour ses malversations, s’est précipité pour assurer Macron de son soutien[1], rejoignant ainsi une autre canaille Éric Woerth qui lui a échappé par miracle à la taule pour avoir vendu un hippodrome à un tarif défiant toute concurrence[2]. Il faut bien comprendre que ce n’est pas du côté de l’Assemblé nationale que le danger pour Macron arrivera. Tant que l’opposition sera divisée en deux blocs irréconciliables, le RN et la NUPES, Macron trouvera toujours une majorité, Sarkozy qui voudra lui aussi éviter la prison, l’y aidera. Après tout avec le bilan calamiteux qui est le sien, Macron obtient 242 sièges à l’Assemblée nationale, résultat inespéré, dû aussi bien au grand nombre d’abstentionnistes qu’à la médiocrité et de l’éclatement de l’opposition. Mais le plus grave n’est-il pas que le front anti-Macron ait remplacé le front anti RN : tactique barragiste usée jusqu’à la trame ? Pour l’avenir c’est encore plus cela qui est intéressant que l’impossibilité pour l’homme à la perruque de gouverner. Le chaos, il en a l’habitude et il est suffisamment habile pour attirer dans son camp les traîtres de profession qui pullulent à l’Assemblée nationale ! Ils viendront la main sur le cœur nous dire qu’ils se mettent au service de la France pour la réconcilier avec elle-même.

 

En vérité c’est même une belle opportunité pour Macron que de liquider Les Républicains en reconstituant la vieille UMP à la manière du sinistre Juppé, certes il ne pourra plus jouer le jeu bien éventé de ni de droite, ni de gauche, mais il pourra tout à fait gouverner avec quelques portefeuilles ministériels supplémentaires aux anciens LR qui sont déjà très nombreux sur les bancs du gouvernement depuis 2017 et l’Assemblée ne sera pas un vrai obstacle. Le danger viendra, dans les mois qui viennent, plutôt de la rue, le succès très relatif de la NUPES et du RN n’est pas dû au talent de Marine Le Pen ou de Mélenchon, c’est la conséquence d’une exaspération profonde de la population française sur à peu près tous les points, de la réforme des retraites, au délabrement volontaire des services publics, ou encore sur la question du pouvoir d’achat. Parce que dans la rue, les manifestants qui bloquent les ronds-points ou qui défilent le samedi, se moquent bien de savoir si ceux qui défilent avec eux ont voté pour MLP ou pour Mélenchon, ou même s’ils se sont abstenus. C’est leur avantage et leur force souterraine. De nombreux antipathiques de la Macronie ont été battus, Castaner, Ferrand, ou encore cette crétine de Montchalin qui annonçait pour se faire réélire que Mélenchon premier ministre la France deviendrait un pays communiste, mais cette satisfaction ne peut être que passagère, puisqu’en échange de ce dégagement des clowns comme Sandrine Rousseau ou Raquel Garrido arrivent à l’Assemblée pour les remplacer, on n’a pas fini de rire. Le monde soulignait dans son édition datée du 21 juin 2022 que les candidats de gauche pensaient gagner plus facilement leurs duels avec le RN qu’avec les macroniens, c’est l’inverse qui s’est produit, ce qui signifie clairement que la posture antifasciste de salon est totalement dépassée et irréelle pour les électeurs, c’est à mon sens la plus grande victoire de Marine Le Pen[3] qui confirme ainsi que sur le plan tactique, comme sur le plan stratégique, Zemmour était totalement dans l’erreur. 

Ceux qui présentent Les Républicains comme les faiseurs de roi, se trompent lourdement. Les Républicains sont coincés, s’ils ne votent pas les réformes pourries de Macron, ils vont se marginaliser et perdre encore un peu de leurs maigres troupes au profit de la canaille du type Horizon, avec Edouard Philippe en embuscade pour 2017. Mais s’ils les votent, alors ils seront encore plus haïs par la population et se feront insulter en tant que traîtres de comédie, chez Les Républicains, la cote de Sarkozy, jadis adulé, est au plus bas. Les macroniens aigris ont évoqué au soir de leur défaite la possibilité de dissoudre l’Assemblée d’ici un an. Mais c’est une arme très dangereuse comme le précédent de Jacques Chirac l’a montré en 1995. Pour se livrer à ce genre de combinaison fantaisiste, il faut être sûr de son coup et surtout ne pas faire confiance aux imbéciles qui travaillent chez McKinsey en suivant leurs conseils coûteux. Les réformes promises par Macron sont comme l’a dit si bien le « subtil » Le Gendre un tapis de bombe, de la réforme des retraites aux futures privatisations en passant par les réformes de l’Education nationale ! Il est assez peu probable qu’elles soient populaires et entraînent une adhésion, donc une majorité absolue pour Macron et son gang. Pour Macron une cohabitation serait bien pire que tout car il ne pourra pas se présenter en 2017. Les seuls députés qui craindraient pour leur poste de député ne seraient que les macroniens ! Certes tout peu se passer, mais pour l’instant l’idée de dissolution ne risque pas d’être à l’ordre du jour. Pour cette raison, il semble que l’option la plus raisonnable soit celle d’une combinaison Macron-Les Républicains, même si dans ce camp les dents vont grincer. Mais cela ne suffira sans doute pas à calmer les protestations de la rue. D’autant qu’un président affaibli va sûrement donner des idées aux syndicats, FO et CGT, qui jusqu’ici ont été extrêmement passifs pendant cinq ans. Philippe Martinez – très contesté en interne pour sa mollesse – va partir et comme les salariés sont de plus en plus révoltés contre leurs conditions de travail, contre leurs salaires, il est très probable que la CGT mette à sa tête un secrétaire général un peu plus combatif que le petit moustachu, ce qui ne sera pas bien difficile à trouver. L’idée de grèves massivement suivies avec les manifestations de masse et un blocage de l’économie, c’est l’hypothèse la plus déstabilisante pour la représentation parlementaire ne serait-ce que parce que l’attitude des salariés à l’égard du travail en général est en train de changer, parce que les salaires restent bas, parce que les conditions de travail se dégradent tous les jour sun peu plus. Cela risque d’arriver d’autant plus que de nombreuses affaires judiciaires qui concernent les macroniens vont alimenter la chronique assez rapidement, à commencer par l’affaire de prise illégale d’intérêts d’Alexis Kohler le bras droit de Macron[4].



[1] https://www.bfmtv.com/politique/elections/legislatives/legislatives-2022-jean-francois-cope-appelle-a-un-pacte-entre-lr-et-la-majorite-presidentielle_AN-202206190319.html

[2] Il a échappé à la prison essentiellement parce qu’il a été jugé par la Cour de Justice de la République, composée essentiellement de ses pairs, c’est-à-dire de gens comme lui. https://www.courrier-picard.fr/id51030/article/2019-11-21/rebondissement-dans-laffaire-de-lhippodrome-de-compiegne

[3] https://www.lemonde.fr/elections-legislatives-2022/article/2022/06/20/legislatives-2022-la-joie-des-socialistes-et-des-ecologistes-douchee-par-le-score-du-rn_6131216_6104324.html

[4] https://www.mediapart.fr/journal/economie/dossier/l-affaire-kohler

mercredi 15 juin 2022

Le réajustement permanent des frontières

Les frontières apparaissent au cours de l’histoire comme une nécessité, mais en même temps comme une forme qui doit être rectifier périodiquement. Ces rectifications, quoi qu’on en pense sont toujours le résultat d’un processus politique plus ou moins violent. A l’intérieur de celles-ci, il y a toujours une tension, entre ceux qui sont pour une ouverture ou une abolition des frontières, et ceux qui à l’inverse défendent la fermeture. Les premiers on les a vu à l’œuvre en tant que collaborationnistes pendant l’Occupation. Leur idée qui a été reprise telle quelle par les européistes est que cette abolition permet une meilleure coopération dans la paix. Les seconds pensent au contraire que leur culture et leur civilisation sont en jeu, et qu’une trop grande ouverture des frontières éradiquerait au-delà de la civilisation la mémoire des peuples. Bien entendu, entre les deux les prises de position se dégradent de la plus grande fermeture à la plus grande ouverture. Les raisons le plus souvent invoquées pour ce processus de réajustement sont d’ordre économique – l’ouverture ou le protectionnisme sont bons pour le développement – ou d’ordre civilisationnel – on préfère l’entre-soi ou on préfère se mélanger, se créoliser comme dirait Jean-Luc Mélenchon. L’Union européenne est un projet pétri de contradictions, non seulement elle est incapable de définit clairement ses frontières, celles existantes, comme celles projetées, mais ses contours ne sont pas vraiment fixés. Il y a quelques années un énergumène polonais qui s’était fait remarquer à cause d’une hisqtoire de plomberie et à qui on posait la question disait qu’il était envisageable que l’Union européenne inclut à terme le Japon. Cette bévue avait fait rire bien entendu, mais au-delà de la bêtise de son auteur, elle prouvait que même les européistes les plus convaincus n’avaient pas une idée vraiment claire de l’espace dans lequel ils voulaient développer leur projet. 

Les économistes américains considèrent souvent que l’Union européenne est un espace fermé à leurs marchandises et à leurs capitaux, et qu’ainsi ils reviennent à un protectionnisme honteux, à la fois entravant le développement économique, mais aussi entravant l’idée même de liberté. On est très loin de Vauban qui justifiait les frontières de la France du point de vue de la spécificité d’un espace borné par les mers, les montagnes ou les fleuves[1]. Pour lui c’était la seule manière de construire la paix. Il n’était pas le seul à penser cela, la plupart des auteurs mercantilistes supposaient que la raison conduirait à la stabilisation des frontières, à la paix et au développement économique. Le libéralisme renversa cette proposition, arguant que seule l’ouverture des frontières permettrait la paix et la prospérité. Passons sur la Guerre de l’opium qui vit la France, l’Angleterre et les Etats-Unis ouvrir les frontières de la Chine à coups de canons, au nom de la liberté[2]. L’histoire récente du capitalisme montre que c’est au contraire l’idée d’ouverture tous azimuts qui crée les conflits et les guerres. La plupart des guerres engendrées par l’Impérialisme américain depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale dans le monde entier, jusqu’à celle d’aujourd’hui engagée en Ukraine, se sont faites au motif d’apporter le bien, la démocratie et le développement économique, voulant démontrer par là que l’idée même de frontière était mauvaise en soi et pour soi. La technique peut être directe ou indirecte, peu importe, il s’agit toujours de gérer un conflit armé, comme aujourd’hui en Ukraine, que les Américains ont voulu. Les Etats-Unis par ailleurs ont pourtant une vision très fermée de leurs propres frontières, comme la tentative de Donald Trump de construire un mur à la frontière du Mexique le montre. Mais ces violations américaines des frontières, comme en Serbie par exemple, entraîne des morts et des crimes de guerre qui ne leur sont pas imputés, parce que s’ils ont la plus grosse capacité militaire de la planète, ils ont aussi la haute main sur les instances juridiques au niveau international. On l’a vu quand il a fallu, en 2012, faire des procès abusifs à l’Argentine pour défendre le fonds Elliott et appauvrir un peu plus les malheureux Argentins[3]. Peu ce sont émus de cet énorme scandale, sans doute pour mieux se réserver pour verser des larmes de crocodiles sur l’Ukraine dix ans plus tard. Ils ont manipulé le droit pour faire en sorte qu’ils aient les capacités d’intervenir juridiquement contre des concurrents, dès lors que les marchés se font en dollars. C’est une autre manière de violer les frontières, à la surpuissance militaire, ils ont ajouté des principes juridiques qui ne sont valables que pour eux-mêmes ! et ça marche très bien, personne n’osant soulever cette inégalité de fait face à la loi. C’est ce qu’on appelle l’extraterritorialité du droit américain qui est la seule forme juridique au monde qui s’applique en dehors de leurs frontières. Si cette manière de faire la guerre – y compris d’ailleurs à ses alliés – est comprise comme un acte malveillant aujourd’hui, aucune instance internationale, qu’elle s’appelle l’ONU, l’OTAN ou autre chose, n’est intervenu pour s’y opposer. Cette particularité est le complément de la puissance militaire américaine, mais aussi de la puissance de sa monnaie. Elle permet de racketter tranquillement les entreprises ou les citoyens d’un pays qui ne se plient pas à leur injonction[4]. On a vu ça récemment avec ce scandale très vite étouffé d’Alstom, quand, pour accélérer la vente de ce joyau de l’industrie française, l’Etat américain a mis en prison et poursuivie des dirigeants français de cette entreprise[5]. Cette extraterritorialité du droit américain est bien plus qu’un viol des frontières, c’est la superposition d’un droit étranger au droit national. Toutes les années la justice américaine utilise son extraterritorialité juridique qui n’a pas de réciprocité, pour voler des milliards de dollars aux entreprises et citoyens européens par exemple. Il est clair que tôt ou tard les nations seront obligées de réagir à cette agression qui est une forme de pillage sans intervention militaire, mais aussi d’éliminer des concurrents potentiels quand les Etats-Unis veulent s’approprier un marché juteux pour ses entreprises comme par exemple la reconstruction de l’Irak[6]. Cette manière de faire a été longuement analysée dans l’ouvrage de Naomie Klein, La stratégie du choc, montée du capitalisme du désastre[7]. 

Liste des coups d’Etat fomentés par l’Impérialisme américain depuis 1945 en Amérique latine 

Mais la guerre juridique ou monétaire n’est pas la seule arme utilisée par le capitalisme américain et plus généralement de l’Occident. Avant on parlait de complexe militaro-industriel, puisque cela voulait dire que l’industrie de l’armement était un élément décisif dans l’accumulation du capital.  Mais on a oublié cette logique, jusqu’aux guerres en Irak dont la justification américaine devant l’ONU tenait de l’escroquerie intellectuelle et qui apparaitront comme une dépense ruineuse et inutile[8]. Sans le dire les pays occidentaux sont des fauteurs de guerre qui ravagent – à travers leurs coalitions plus ou moins bancales et forcées – les pays émergents ou en voie de développement qui voudraient échapper à leur tutelle. Les guerres qui surgissent ici et là depuis quelques dizaines d’années – disons depuis la chute de l’Empire soviétique – et qui le plus souvent sont repoussées pour l’instant à l’extérieur du monde occidental se présentent la plupart du temps comme un réajustement des frontières. Bien avant qu’on ne se rende compte de l’importance du problème ukrainien, on a vu par exemple la Turquie d’Erdogan annexer une partie du nord de la Syrie, en évacuer les populations Kurdes et les remplacer par des Turcs, dans l’indifférence. Cela s’est passé sous les yeux de l’Occident qui n’a pas levé un sourcil, et avec l’assentiment des Allemands, grands alliés du potentat turc. On l’avait vu aussi avec l’effondrement de l’URSS, et de celui presque simultané de la Yougoslavie. Le premier ensemble a été dépecé et a donné naissance à de nouvelles entités nationales autonomes, dont l’Ukraine bien entendu, mais aussi la Moldavie et la Georgie qu’on essaie d’enrôler aujourd’hui dans l’OTAN. La seconde s’est achevée dans le chaos de la guerre en Serbie avec ses lots d’horreurs dont les bombardements américains qui n’ont pas ému grand monde, on a entériné l’idée de l’OTAN d’une partition et baptisé de nouvelles nations sur le front de l’ONU. La Tchécoslovaquie a été elle aussi partitionnée dans un accord à l’amiable avec la création de la République tchèque et de la Slovaquie. C’est un des rares cas où la partition se fait sans guerre. En Palestine il n’a pour l’instant pas été possible de partitionner ce territoire entre deux Etats vraiment autonomes, Israël existe bien comme un Etat à part entière, mais les Territoires palestiniens restent une réalité fantomatique, et la population arabe d’Israël menace de faire sécession. Les frontières des pays d’Afrique sont le plus souvent incertaines, la Maurétanie et le Maroc se disputent depuis des décennies le Sahara occidental. La Chine a récupéré Hong Kong à la fin du XXème siècle et prétend récupérer le plus tôt possible Taïwan qu’elle considère comme faisant partie de son territoire. A cela s’ajoute les revendications autonomistes en Catalogne, en Ecosse, voire en France et au Canada, et encore la volonté de réunification des deux Irlande. 

Annexions turques récentes en Syrie 

Pour cette raison, il faut regarder la guerre en Ukraine comme un simple cas de ce processus constant en Europe d’un réajustement permanent des frontières. Dans tous les cas de rectification des frontières que l’Europe a connu au fil des derniers siècles, il y a une hétérogénéité des populations qui sont censées composer une nation. Cette hétérogénéité est à la fois ethnique et langagière. Retracer les frontières d’une nation existante, doit être compris comme le résultat d’un échec à unifier la langue et la population. Le cas de l’Ukraine est exemplaire à cet égard, nation faite de pièces et de morceaux, elle est aujourd’hui, dans ses frontières de 1991, divisée au moins en trois régions. L’Est est russophone et ses habitants ont l’habitude de travailler avec les Russes, voire ils se sentent Russes, souvent ils sont plus proches de la Russie par leurs liens familiaux que des Ukrainiens de l’Ouest. Ces derniers, sur près d’un tiers du territoire sont proches de la Pologne, reste un gros tiers au centre de la nation qui en représenterait le cœur, à défaut d’en représenter la vérité. En Pologne on trouve des politiciens qui revendiquent les deux régions les plus à l’Ouest, la Volhynie et la région de Lviv, arguant que celles-ci sont constitutives de la Pologne authentique. Dans le Donbass, il est clair qu’un référendum non seulement entérinerait son autonomie, mais conduirait, selon la volonté populaire, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, à un rattachement à la Russie, sans qu’il soit besoin de truquer les élections depuis Moscou. 

Partage de l’Ukraine selon les langues 

La mondialisation avait, au moins sur le plan de la rhétorique, pour ambition de rejeter vers l’arrière les questions frontières, en adhérant à des ensembles supranationaux, on pensait que cela suffirait pour éviter de se pencher à nouveau sur la question du tracé des frontières. Cela n’a pas été le cas, au contraire. Si en Ukraine on voit bien qu’une des raisons à la guerre est la volonté d’intégrer ce territoire à l’Union européenne et à l’OTAN, à l’inverse, c’est la sortie du Royaume Uni de l’Union européenne qui a relancé la question des frontières avec l’Irlande, mais aussi la possibilité d’une indépendance de l’Ecosse. Il y a quelque chose d’illogique en Occident de réclamer la liberté pour les migrants et de demander au contraire de renforcer ces frontières pour faire face à une invasion russe. L’Union européenne manie un double langage : d’une part elle se dit totalement ouverte pour les flux de marchandises, puisqu’elle place la loi du marché au-dessus des frontières et des législations nationales, mais d’autre part elle nous raconte qu’il faut se renforcer en intégrant de nouveaux pays à son ensemble déjà fortement hétérogène. En intégrant de nouveaux arrivants dans l’ensemble européen, c’est une modification des frontières qui ne dit pas son nom, exactement comme quand l’OTAN augmente le nombre de ses bases autour de la Russie, ou comme quand la Crimée, Donetsk et Lougansk, réclament leur autonomie. On a suffisamment insisté sur le fait qu’au fil des années, les frontières de l’OTAN s’étaient élargies pour encercler la Russie, sans même parler des provocations incessantes que ce pays a subies. 

Expansion continue des frontières de l’OTAN 

Les exemples récents nous montrent que le réajustement des frontières est une constante de l’histoire humaine. Ce qui veut dire que l’espace géopolitique fonctionne à la fois avec la mise en place des frontières et avec son dépassement. C’est presqu’un fait de nature. Ces mouvements montrent que l’idée de fin de l’histoire qu’on a vendue aux imbéciles au début des années quatre-vingt-dix à travers l’ouvrage médiocre de Francis Fukuyana, The end History and the last man[9] reposait sur une très mauvaise lecture de Hegel[10]. Les mouvements de recomposition permanente des frontières est constitutif de l’Histoire. Les moyens de la recomposition de ces frontières sont plus ou moins lents, ils sont au moins au nombre de trois :

politiques, des accords, des votes et des traités, par exemple quand l’Union européenne annexe à sa logique une nouvelle nation, ou quand les républiques du Donbass et la Crimée proclament unilatéralement leur indépendance. Les européistes qui critiquent si frénétiquement la rectification des frontières en Ukraine, trouvent tout à fait normal d’acheter quelques politicards véreux pour accroitre leur ère d’influence en intégrant de nouveaux pays à sa logique mortifère ;

militaires, une armée intervient brutalement soit pour annexer une partie du territoire contre la volonté même de la population, comme ce fut le cas quand l’Allemagne par trois fois a prétendu annexer l’Alsace et la Lorraine ; 

 

  économiques et démographiques, quand les échanges de marchandises ou les migrations recréent des relations transfrontalières, subies ou décidés. Les marges de la nation française ont toujours été très réticentes à accepter un excès de centralisation du pouvoir.

C’est une question qui est bien connue depuis longtemps et qui a alimenté au XVIIIème siècle le débat sur le protectionnisme. François Quesnay dans ses articles intitulé Grains et Fermiers, publiés en 1756 s’avance vers l’idée d’une libéralisation du commerce du blé, au motif que cela fera augmenter le prix du blé et que cela sera bon pour les fermiers et donc que cela ranimera l’agriculture française qui deviendra dominatrice et rendra dépendantes les autres nations[11]. Mais Ferdinando Galliani dans ses Dialogues sur le commerce des bleds[12], va montrer que l’ouverture des frontières modifie les formes spatiales du marché et si elle augmente le prix du blé pour les fermiers, elle va priver la France et donc les plus pauvres de cette denrée essentielle pour l’indépendance de la nation. L’abolition des frontières recrée un nouveau centre pour le commerce, plus à l’Est au détriment des populations françaises situées à la périphérie du royaume. Bien que les économistes d’aujourd’hui soient bien moins formés que les économistes du XVIIIème siècle à ce type de dialectique, certains se sont tout de même aperçus que l’appartenance à l’Union européenne, consolidée par la monnaie unique, présentait un inconvénient difficile à surmonter, se traduisant par un déficit commercial colossal et croissant avec l’Allemagne, et par une influence politique augmentée de Berlin[13].   

La logique des modifications des frontières repose très souvent sur une logique démographique. Les migrants dont on tolère et dont on justifie le viol permanent des frontières pour des raisons non pas de droit mais « humanitaires »[14], sont poussés par leur fécondité à s’éloigner de leurs pays d’origine pour chercher un sort meilleur. Mais la fécondité n’est pas la seule dimension de la démographie. La volonté des populations russophones du Donbass de se détacher de l’Ukraine repose sur la nécessité d’échapper aux brimades et aux discriminations qu’elles endurent de la part du pouvoir de Kiev, mais aussi sur les liens anciens familiaux et culturels qu’elles ont noués avec la Russie. Autrement dit elles ne veulent pas être coupées de ce qu’elles considèrent comme leurs racines. Chaque bloc démographique va avoir une lecture différente d’un conflit qui peut prendre des allures de guerre. Par exemple, lorsque les alliés ont débarqué en France, en Méditerranée, puis en Normandie, les pétainistes et les collaborateurs considéraient cela comme une agression, les autres comme une Libération. Le second bloc était plus nombreux et plus enthousiaste que le premier. Plus récemment, la presse occidentale a présenté la victoire des troupes russes à Marioupol comme un viol de la souveraineté ukrainienne, laissant entendre que les populations de cette ville étaient traumatisées par les exactions de l’armée russe. Mais plusieurs films qui ont circulé sur les réseaux Internet, montraient à l’inverse que les Russes étaient accueillis dans cette ville comme des libérateurs[15]. Dans le Donbass, et donc à Marioupol aussi, c’est le groupe qui considère les Russes comme des libérateurs qui est, et de loin le plus important. Il n’est pas question de dire ici que ces deux manières de voir une action militaire est équivalente dans un camp ou dans un autre, mais seulement de souligner que la logique du conflit dépend de la vision que les populations locales en ont. Les populations du Donbass qui luttent depuis 2014 contre les abus du pouvoir de Kiev, trouvent dans l’aide de l’armée russe une raison de se couper définitivement de l’Ukraine officielle. 

Les habitants de Marioupol accueillent les soldats russes comme des libérateurs 

Comme on le comprend, une défaite de l’OTAN et des Etats-Unis dans la guerre qu’ils ont entamée contre la Russie par Ukrainiens interposés, serait d’abord une défaite de la mondialisation et un retour, une consolidation, vers un souverainisme actif, donc un renouveau du fait national. Dans un article fort intéressant, Jacques Sapir expliquait comment les sanctions occidentales désordonnées qui ont très peu d’effet sur l’économie et la politique russe, poussent la Russie à recentrer son économie sur elle-même, mais aussi à modifier ses circuits d’échanges commerciaux, abandonnant l’Europe occidentale au profit de la Chine et de l’Inde qui ne jouent pas le jeu des sanctions[16]. Croyant enfermer la Russie dans une tenaille commerciale et financière, les Occidentaux au contraire travaillent à leur propre exclusion de l’espace mondial de la dynamique des échanges ! Il reste à espérer que la perspective de la défaite ne pousse pas les Etats-Unis et l’OTAN à transformer un conflit localisé en une nouvelle guerre mondiale.


[1] Sébastien Le Prestre de Vauban, Oisivetés, édition intégrale établie sous la direction de Michèle Virol, Champvallon, 2007

[2] Julia Lovell, La Guerre de l'opium, Buchet-Chastel, 2017

[3] Éric Dor, « Dette argentine : jusqu’où porte la juridiction autoproclamée de la justice américaine ? », Outre-Terre, vol. 43, no. 2, 2015, pp. 22-44

[4] https://www.afje.org/actualite/la-portee-extraterritoriale-des-sanctions-en-droit-et-en-fait--253

[5] https://www.nouvelobs.com/economie/20180403.OBS4588/affaire-alstom-general-electric-frederic-pierucci-l-homme-qui-en-sait-trop.html

[6] https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/extraterritorialite-du-droit-americain-l-europe-face-aux-etats-unis/

[7] Actes Sud, 2010.

[8] Joseph Stiglitz & Linda Bilmes, The Three Trillion Dollar War: The True Cost of the Iraq Conflict, W.W. Norton &

[9] Free Press, 1990, traduction en français sous le titre La fin de l’Histoire, Flammarion, 1992.

[10] FESSARD Gaston, SALES Michel, « Le problème de la fin de l’Histoire », dans, Hegel, le christianisme et l'histoire. sous la direction de FESSARD Gaston, SALES Michel. Presses Universitaires de France, 1990.

[11] Articles republiés dans François Quesnay. Œuvres économiques complètes et autres textes, INED, 1958, tome deux.

[12] Publiés par Denis Diderot en 1770 à Londres, sans nom d’auteur. Réédition en 1984 chez Fayard.

[13] https://www.cep.eu/eu-themen/details/cep/20-jahre-euro-verlierer-und-gewinner.html

[14] https://www.france24.com/fr/france/20210331-aide-aux-migrants-la-cour-de-cassation-relaxe-d%C3%A9finitivement-le-militant-c%C3%A9dric-herrou

[15] https://www.donbass-insider.com/fr/2022/05/17/la-vie-reprend-a-marioupol-des-ecoles-sont-ouvertes-aux-enfants/

[16] https://www.les-crises.fr/comprendre-les-dilemmes-de-l-economie-russe-aujourd-hui-jacques-sapir/

Henri Barbusse, Le feu, journal d’une escouade, Flammarion, 1916

  C’est non seulement l’ouvrage de Barbusse le plus célèbre, mais c’est aussi l’ouvrage le plus célèbre sur la guerre – ou le carnage – de...