vendredi 29 avril 2022

La censure vieux réflexe remis au goût du jour comme forme « progressiste »

  

 « Les actuels moutons de l’intelligentsia […] ne connaissent plus que trois crimes inadmissibles, à l’exclusion de tout le reste : racisme, antimodernisme, homophobie. »

Guy Debord, lettre à Michel Bounan, 21 avril 1993

 

Le cours de l’action de Facebook a brusquement chuté d’environ 20% au début du mois de février[1]. La capitalisation de Meta a perdu 200 milliards $. La raison est double, les résultats ne sont pas bons pour les actionnaires, mais aussi Facebook a perdu beaucoup d’utilisateurs. Parmi les raisons avancées, il y a l’insupportable censure que la plateforme exerce sur ce qui circule comme idées. Il suffit de mettre la photo d’un tableau où on voit un sein pour que la plateforme vous bannisse pendant plusieurs jours ou un mois. Cette manière de censurer est très efficace en ce sens qu’elle est aveugle et sourde, produite par des algorithmes, et qu’elle oblige les utilisateurs de Facebook à une discipline s’ils ne veulent pas disparaître. Mais vous serez bannis également si vous contredisez trop le discours dominant sur le vaccin. Des techniques sournoises sont apparues qui consistent par exemple à déplacer un billet ou une image qui déplait en le déplaçant sans l’effacer. Comme les billets se suivent parfois en grande quantité, si votre post est en queue de peloton, il disparaitra de fait. Si au contraire il plait à la censure, on le mettra en tête et il sera mieux apprécié. Par les temps qui courent, Facebook n’a pas le monopole de la censure, tout le monde se met à cet exercice, c’est juste la forme moderne et numérisée de la censure. La censure porte généralement sur trois sortes de représentations :

– la représentation des rapports sexuels ou même des simples corps dénudés, avec tous les embarras qu’on peut avoir pous masquer la statuaire antique ;

– la critique de la religion qui est combattue non pas au nom de la vérité, mais au nom de l’offense qu’on peut faire aux croyants ;

– la critique du gouvernement ou des élites et des corps constitués au motif qu’ils ont été « démocratiquement » élus et nommés ne peuvent représenter que la vérité.

A cela s’ajoutera une critique de l’art qui ne serait pas conforme et qui en effet procède le plus souvent d’une des trois formes ci-dessus présentées. Nous sommes revenus en arrière. Entre 1945 et 1980, les pays occidentaux et donc la France, on était arrivé avec de temps en temps des difficultés qui remontaient à la surface bien sûr à imposer au moins une forme de liberté d’expression qui n’existe plus du tout aujourd’hui. Depuis on est revenu en arrière, ce qui est la marque de sociétés inquiètes. Et cette régression est directement le résultat du retour du religieux qui est la conséquence de la mondialisation. Cette régression s’est également accélérée avec les crises économiques, sanitaires et le conflit ukraino-russe. La liberté d’expression est la mère de toutes les autres libertés et c’est pourquoi elle doit être défendue.

La censure prend plusieurs formes, et déborde maintenant la question des représentations littéraires ou cinématographiques. Le plus spectaculaire est la judiciarisation de la vie politique. Dès qu’une pensée non-conforme est émise, on traine l’impétrant devant un tribunal. Par exemple l’ignoble Zemmour est souvent condamné. Récemment on l’a condamné pour propos discriminatoires envers des étrangers. Le 29 septembre 2020, Éric Zemmour, dans l’émission Face à l’info, de la chaîne de télévision CNews, dont il était l’intervenant principal quotidien, avait, de façon répétée, notamment accusé les mineurs étrangers isolés, ou non accompagnés par des adultes, d’être, « pour la plupart, des voleurs, des violeurs, des assassins », et d’être responsables d’« une délinquance d’une violence inouïe dont tout le monde se plaint ». Il avait considéré qu’ils « n’ont rien à faire ici » et qu’il convenait de les « renvoyer à leurs parents ». Il a été condamné par la 17ème chambre, cette même chambre qui naguère fit condamner Baudelaire pour Les fleurs du mal, et qu’on retrouve au fil des siècles dans tous les mauvais coups[2]. Le problème n’est pas que les propos de Zemmour soient justes ou faux, ou exagérés, mais c’est qu’on porte l’affaire devant les tribunaux. Mais qui porte l’affaire devant les tribunaux ? Le monde nous dit que treize associations, le CSA et seize conseils généraux s’étaient constitués parties civiles. J’ai suffisamment dit de mal par ailleurs de Zemmour pour qu’on ne me soupçonne pas de complaisance à son endroit. Je le trouve stupide, arrogant et ignare. Il est aussi menteur, et je comprends qu’on le critique durement pour son imbécilité. Mais cependant il ne me viendrait jamais à l’idée de le traîner devant les tribunaux et de le censurer. Si on fait l’inverse, c’est qu’on ne sait pas lui répondre et qu’on se sent désarmé devant ses âneries. Ce faisant on fait de celui-ci une sorte de martyre, et bien qu’il soit presque tous les jours invité à la télévision, il se sert de ces procès stupides pour avancer qu’on veut le faire taire parce qu’il dit la vérité. 

 

Mais Zemmour lui-même qui prétend défendre la liberté d’expression, est aussi un censeur. Dans son programme pour l’école qu’il a développé pour la campagne présidentielle, il prétend interdire toute forme de propagande pour protéger nos enfants[3]. Mais qui définit ce qu'est la propagande et ce qui ne l’est pas ? Va-t-on enseigner le rôle progressiste de l’Eglise dans la construction de la France monarchique comme matrice de la France d’aujourd’hui ? On aboutirait de fait à une mise à l’écart de la critique de la religion. Cette censure zemmourienne serait en même temps accompagnée d’un soutien à l’école privée qui elle-même est le véhicule du communautarisme et donc de la religion, et aussi du port de la blouse qui n’est pas neutre du tout et qui au contraire ressort d’une idéologie singulière d’uniformisation du monde totalement dépassée à l’heure de la télévision. Comme on le voit, le stigmatisé par la censure peut devenir tout aussi bien un autre censeur. Il est vrai que la volonté de censure de Zemmour est le pendant de son idée ubuesque de restaurer l’autorité et les punitions qui vont avec. Ce programme électoral est suffisamment vague pour recouvrir toutes les turpitudes possibles et imaginables si par malheur Zemmour un jour arrivait au pouvoir. 

 

Les censeurs sont le plus souvent des hypocrites et des sournois. L’Eglise qui a été impliquée dans de nombreux scandales sexuels[4] et financiers[5], prétend lutter contre la dégradation des mœurs et protéger les enfants contre une littérature pernicieuse, comme Zemmour prétend les protéger contre les idéologies. Elle était pourtant le fer de lance dans la croisade contre la pornographie. Jean-Jacques Pauvert racontait dans Nouveaux (et moins nouveaux) visages de la censure, suivi de "L'Affaire Sade" le comportement du sinistre Daniel Parker[6]. Ce dernier, un pasteur protestant, qui militait déjà sous le Maréchal Pétain pour la protection des mineurs et de la famille, devint le fer de lance après la Libération de la mise en place de lois scélérates qui traquaient tout ce qui ne lui plaisait pas dans la littérature dont par ailleurs il se délectait. Il avait créé une association à cet effet et passait son temps à porter plainte pour faire condamner les éditeurs et les auteurs, c’était le principal de son métier. Mais le cocasse de la situation est que lorsqu’il s’est attaqué à Gallimard, cette maison puissant lui a mis un détective privé sur le dos et on a découvert qu’il aimait tripoter les petits garçons. Cela mis fin à sa vindicte et on entendit plus parler de lui. La justice a condamné de tout temps la pornographie, La Fontaine dut faire amende honorable pour avoir écrit ses contes libertins. « J’ai vu mes juges, jeudi dernier. Je ne dirai pas qu’ils ne sont pas beaux, ils sont abominablement laids, et leur âme doit ressembler à leur visage. » écrivait Baudelaire à propos de son procès. Le 7 juillet 1857, un rapport est présenté au ministre de l’Intérieur par la direction générale de la Sûreté publique qui considère Les Fleurs du Mal comme « un défi jeté aux lois qui protègent la religion et la morale »[7]. La 17ème chambre du tribunal de Paris devait donc se prononcer pour savoir si le livre incriminé n’attaquait pas la religion. Autrement dit c’était d’un délit de blasphème dont il s’agissait. Si la loi permettant d’acter contre le blasphème avait été abrogée en 1881 en France, il fallut pourtant attendre 2017 pour que celle-ci soit à son tour abrogée dans le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle[8].

 

Mais la condamnation des œuvres d’art ne vient pas toujours des tribunaux. Les nazis se passaient de jugement pour brûler les livres qui leur déplaisaient, ilsx se servaient de leurs organisations paramilitaires. Les staliniens officiellement ne censuraient pas, mais ils mettaient au banc de la société les auteurs qui n’étaient pas dans la ligne, ou alors ils ne débloquaient pas les autorisations d’imprimer. La censure maoïste tirait tous azimuts, sur les écrivains et les artistes, mais aussi contre les membres du parti qui étaient soupçonnés de ne pas être sur la bonne ligne – ligne qui changeait assez souvent en fonction des mutations dans les sphères du pouvoir. C’est ce qu’on a appelé La Révolution Culturelle. C’est là qu’on voit sans doute le mieux les objectifs de la censure : contrôler les passions autant que les idées et les diriger vers une consolidation du pouvoir en place. Cela s’accompagnait de séances d’endoctrinement, lire collectivement le petit livre rouge de sinistre mémoire pour former et cadrer une pensée pavlovienne. Si on veut, c’était le pendant des prêches chrétiens dans les Eglises et les Temples, en plus violent.

 

La censure est très souvent portée par la religion. On l’a vu aux Etats-Unis avec la chasse aux sorcières menée par l’HUAC. Il s’agissait d’attaquer la création cinématographique en dénonçant les films qui soit étaient de tendance communiste, soit démoralisait la jeunesse en lui proposant des modèles violents et pornographiques qui pourraient modifier leur conduite dans le mauvais sens. Les ligues de vertu qui manifestaient contre ces films étaient encadrées par l’Eglise. Des membres de l’Eglise catholique siégeaient d’ailleurs dans les commissions de censure pour dire ce qui pouvait être vu, et ce qui devait être interdit. La gauche américaine et le parti communiste américain étaient les cibles préférées de cette engeance. Mais comme Zemmour l’HUAC dénonçaient aussi l’enseignement idéologique des professeurs, et ce sont des milliers d’enseignants qui perdirent leur poste au nom de la neutralité de l’éducation qui n’était pas neutre du tout mais qui travaillait pour la consolidation du système de la marchandise. C’est bien moins connu que les ravages que l’HUAC a fait dans le cinéma, mais c’est tout aussi important. Là encore l’hypocrisie était la règle, on envoya Dashiell Hammett en prison, mais J. Thomas Parnell, un zélateur de l’HUAC, le rejoignit bientôt au pénitencier où il purgeait sa peine, parce qu’il avait tapé dans la caisse. Joseph McCarthy lui sombrera dans l’alcool pour ses dénonciations calomnieuses. Longtemps la gauche a dénoncé – à juste titre – ces pratiques antidémocratiques qui supposaient qu’un ivrogne comme McCarthy ou un corrompu comme Parnell savaient mieux que les autres ce qui était bon pour le public et bon pour les enfants. 

Manifestation des ligues de vertu contre le cinéma aux Etats-Unis 

La censure est une forme de guerre larvée, et lutter contre elle est une riposte à ces hostilités contre l’esprit. Les plus anciens se souviennent des batailles contre la censure, notamment celles menées par Jean-Jacques Pauvert, éditeur de multiples fois condamné, c’est lui qui rendit visibles entre autres les œuvres du Marquis de Sade. Le libertinage était la question centrale. En 1959 c’était François Mitterrand qui défendant en tant qu’avocat le film de Roger Vadim adapté de l’œuvre de Choderlos de Laclos, Les liaisons dangereuses. Ce qui n’empêchait que ce même Mitterrand en tant que ministre de l’intérieur avait auparavant interdit plusieurs ouvrages dits érotiques. Mais très souvent dans la défense des œuvres interdites on se réclamait d’une qualité artistique ou esthétique, sous-entendant par là qu’on peut très bien interdire des romans violents à la sexualité torride, comme ceux qui paraissaient aux Editions du Scorpion par exemple, mais pas les œuvres du Marquis de Sade ou celles inspirées de Choderlos de Laclos parce qu’elles auraient des qualités esthétiques reconnues. Le problème est toujours par qui ces qualités esthétiques ou artistiques sont-elles reconnues ? La question a été renouvelée quand Gallimard a tâté le terrain pour rééditer les immondes pamphlets antisémites de Louis-Ferdinand Céline. Ces pamphlets sont en effet ignobles, laids, mal écrits, des appels au meurtre, une profession de foi nazie, rappelant les discours d’après-boire qu’on pouvait tenir dans les bistrots quand on était pétainiste. Mais ces œuvres ne sont pas interdites aujourd’hui, et ne l’ont jamais été, c’est seulement la veuve de Céline qui s’opposait à leur réimpression suivant les vœux de son mari qui craignait trop de rappeler à l’opinion publique son passé criminel. Mais si on peut admettre que ces écrits auraient dû se solder par douze balles dans la peau, il est plus compliqué de les censurer et de faire disparaitre les preuves de son ignominie. Une chose est évidemment de critiquer ces écrits orduriers, et une autre de les interdire. Les interdire signifierait que les lecteurs sont un peu des enfants, pas assez intelligents pour se faire une opinion par eux-mêmes. C’est d’autant plus idiot qu’à l’heure d’internet il est très facile de se les procurer, et gratuitement en plus. Mais Gallimard, plus couille molle que jamais, finalement renonça après avoir envisagé de les publier avec un appareil critique pour se désolidariser formellement du nazisme célinien[9]. Comme disait Karl Marx : Il faut rendre l’oppression réelle plus dure encore en y ajoutant la conscience de l'oppression, et rendre la honte plus honteuse encore, en la livrant à la publicité[10]. Marx avait quelques temps auparavant écrit un article sur le thème de la censure, c’était en 1842, et il en dénonçait le soubassement politique[11]. Pour lui, et contrairement aux marxistes de type bolchevique, la censure ne devrait jamais exister. Chaque fois elle masque les difficultés du pouvoir ou de la religion. 

 

Aujourd’hui la censure ne s’exerce plus directement pas les tribunaux. Mais les tribunaux reçoivent plutôt des plaintes de groupes communautaires au nom de la discrimination que ces groupes subirait. Les islamistes sont les champions de cette tactique, même si le plus souvent ils perdent devant les tribunaux, ils font perdre du temps et de l’argent à ceux qui sont visés par leurs plaintes incessantes. Ou alors on voit comme dans le cas de Zemmour des censeurs d’un nouveau genre l’attaquer sur des mauvaises bases. Par exemple toutes les plaintes contre ceux qui parlent de grand remplacement sont destinées principalement à empêcher la prise de parole sur ce thème. Mais c’est assez contreproductif. Récemment des journalistes de M6 ont tourné un reportage sur l’islamisation de la ville de Roubaix. S’il n’y a pas eu de plainte déposée contre l’émission proprement dite, seulement les journalistes ont été menacés de mort et placés sous protection policière[12]. Ce que les islamistes reprochaient à cette émission est qu’elle montrait à la face de tout le monde comment ils pratiquaient un entrisme jusque dans la mairie, et comment ils endoctrinaient les Français. Au fond cette émission montrait avec des images ce que tout le monde sait. Mais évidemment cela dérange les plans de ceux qui veulent continuer à tisser leur toile en vue d’accroître leur pouvoir « spirituel ». Les menaces de mort doivent être considéré une forme de censure, et depuis les attentats meurtriers de Charlie hebdo ou la décapitation de Samuel Paty, ces menaces doivent être prises au sérieux, Mila sait de quoi il retourne. 

 

La censure ici n’est pas officielle, elle est rampante et dissimulée. La peur doit finir par faire taire ceux qui s’élèvent contre ces pratiques d’un autre âge. Il est curieux que certains à gauche, comme Mélenchon ou Thomas Portes, pensent qu’il est plus urgent de lutter contre l’islamophobie que de dénoncer des pratiques d’entrisme d’une religion dans les rouages essentiels de la vie civile. Pourtant dans les origines de la gauche, il y avait une défense des libertés de penser et une dénonciation vigoureuse de la religion comme entravant ces mêmes libertés. On ne compte plus les voix de la gauche dégénérée qui se sont élevées contre Charlie au moment des attentats. Les trotskistes du NPA ou encore l’inénarrable Emmanuel Todd qui cartes à la main voulait démontrer que tous ceux qui manifestaient pour Charlie étaient des résidus d’une droite vichyste ou d’un catholicisme ranci[13]. Si cet individu n’avait pas beaucoup de crédit, sur ce coup il n’en a plus eu du tout. Il renversait le produit de la charge vers les victimes assassinées. Mais Todd s’il a trouvé quelques lecteurs pour son misérable opuscule ne pouvait pas empêcher les Français de voir l’unanimité qui s’était réalisée pour protester contre ces attentats islamistes. Personnellement j’aurais honte d’être lui. 

Manifestation monstre pour Charlie 

Mais le fond de l’histoire ce n’est pas tellement les attentats contre Charlie qui est un acte de guerre contre la laïcité et son esprit, c’est plutôt que certains aient pu mener la charge contre cet hebdomadaire avec le motif suivant : Charlie n’aurait pas dû provoquer, n’aurait pas dû blasphémer. La misérable Rokhaya Diallo qui malgré toute sa nullité, a ses entrées dans la sphère médiatique en tant que Young leader formée aux Etats-Unis comme Macron et d’autres ignorants, avait soutenu et signé une pétition contre Charlie en 2011, soulignant qu’ « il n'y a pas lieu de s'apitoyer sur les journalistes de 'Charlie Hebdo' (...). Le buzz médiatique et l'islamophobie ambiante assureront certainement à l'hebdomadaire, au moins ponctuellement, des ventes décuplées, comme cela s'est produit à l'occasion de la première affaire des caricatures »[14]. Cette forme de censure non officielle vise à faire taire l’adversaire en le terrorisant, hier Charlie, aujourd’hui Samuel Paty et Mila, qui sera demain visé par la vindicte de ces nouveaux tribunaux ? 

La statue de Lincoln à Boston a été démontée sous la pression de la minorité WOKE 

Le peuple WOKE, ultra-minoritaire même aux Etats-Unis use beaucoup de la censure, c’est son mode d’être. Ici ce ne sera pas le prétexte de la religion ou des bonnes mœurs. On prend ce qu’on trouve sur le marché pour alimenter sa fantaisie répressive. Ici on trie dans les bibliothèques, sans que personne ne vous l’ait demandé. Là on exclut Mark Twain qui recopiait le parler afro-américain, Lucky Lucke à qui on avait déjà enlevé sa cigarette, n’importe qui qu’on n’a jamais lu mais qu’on suppose déformer le caractère des enfants et les incliner au racisme. On s’institue juge et censeur, sans qu’un appel puisse être fait de cette condamnation. 5000 livres ont été brûlés et enterrés au Canada dans les écoles[15]. Là on censure les dessins animés de Winnie l’ourson, ailleurs c’est Peter Pan qui est banni ou encore Dumbo car les corbeaux qu’on voit dans ce film serait insultant pour les noirs américains, sans même parler de Tom et Jerry. Tous les prétextes sont bons pour trouver de la logique à cette folie répressive, mais il faut le dire elles sont clairement de la même nature que les autodafés auxquels procédaient les nazis. Comme les islamistes le peuple WOKE censure principalement l’art et le comique. Ils n’aiment pas rire, car on rit toujours aux dépens de quelqu’un. A quand la censure de Charlot ? Au nom de la mémoire de l’esclavagisme il faut déboulonner les statues de ceux qui se sont livrés à ce sinistre trafic. Mais en faisant disparaitre ces monuments, ne fait-on pas aussi disparaitre la mémoire de cette calamité ? Les situationnistes étaient bien meilleurs puisqu’au lieu d’enlever une statue, ils préféraient en rajouter une pour célébrer Charles Fourier[16]. C’était la bonne méthode. 

Mossoul les islamistes détruisent les musées 

Contrairement à ce qu’on croyait il y a encore une trentaine d’années, l’évolution ne se fait pas dans un sens linéaire et le progrès technique ne marche pas avec le progrès de l’intelligence. C’est même le contraire. De crise en crise, on assiste à un renouveau de la pensée religieuse et de la censure qui va avec. C’est sans doute dans ce phénomène qui s’approfondit de jour en jour que la régression de l’Occident se remarque le plus. Qu’est-ce que la censure ? souvent on regarde ce phénomène du point de vue de ceux qui la subissent et donc on l’identifie comme une volonté d’aligner les dissidents sur une pensée uniforme, conforme à l’esprit des dominants. Mais en vérité si cela n’est pas inexact, cette position occulte le vécu des victimes. En effet la censure, quelque forme qu’elle prenne est un processus d’exclusion de la société d’une partie de celle-ci. Ce peut être un séjour en prison, ou l’exclusion d’une profession. Souvent celle-ci est larvée, elle n’est pas franche. On le voit bien dans le milieu du cinéma. Tous les réalisateurs ou acteurs qui ont enfreints les règles édictées par le milieu sont exclus de fait. Beaucoup rêvent d’exclure Roman Polanski, ailleurs c’est Johnny Depp qui ne trouve plus à travailler. Peu importe ce que ces gens-là ont fait, mais ce qui compte c’est qu’au-delà de leurs méfaits, les voilà en perte d’identité, retranchés de la communauté. Ce n’est pas un hasard si la censure revient sous des formes diverses et variées au moment où les sociétés occidentales se délitent et se fragmentent.

 

La crise du COVID a hystérisé le débat. Le sociologue Laurent Mucchielli a été sommé d’abjurer ses hérésies en ce qui concerne la politique sanitaire. Il a été censuré par Médiapart, mais plus encore le CNRS en tant qu’institution est intervenu pour expliquer que Mucchielli ne devait pas sortir de son domaine de compétence – les représentations de la violence[17] – et donc éviter, s’il ne voulait pas avoir des ennuis de se prononcer contre la doxa gouvernementale[18]. A cette sortie inédite dans le domaine de la recherche, voilà qu’une sorte de tribunal de sociologues de type vichyste réclamait que Mucchielli soit un peu plus rapidement mis à raison. Cette assemblée n’avait aucune compétence en matière d’infectiologie, c’était des vieux cons, des salonards dont certains déjà à la retraite et au bord du néant[19], mais ils faisaient la leçon à Mucchielli pour lui expliquer que ses travaux devaient être censurés. Autrement dit, ils jugeaient au nom du dogme gouvernemental dont les mensonges sont devenus pourtant de plus en plus évidents au fil du temps[20], on voyait bien qu’ils ne connaissaient rien au sujet dont ils prétendaient juger. Ils ne se contentaient pas de critiquer, ce qu’ils auraient pu faire en argumentant, mais ils voulaient censurer, et voir Mucchielli exclu de leur belle assemblée et que ses travaux disparaissent à leurs yeux et aux yeux de l’opinion. Leur diatribe était au-delà de la critique, ils engageaient un procès d’exclusion. Ils signalaient ainsi que dorénavant il valait mieux fréquenter Éric Fassin ou Geoffroy de Lagasnerie dont les travaux islamogauchistes ne sont pas mis à l’index alors que ce dernier appelle à la violence contre les malp-ensants, que Mucchielli qui sentait un peu des pieds. On établissait ainsi un cordon sanitaire autour de l’hérétique. Le but était d’éliminer les voix dissidentes qui auraient pu gêner la politique du gouvernement, de montrer une allégeance qui pourrait justifier quelques avantages en monnaie ou en nature. Ce qui est inquiétant ce n’est pas que l’on critique même vertement des thèses avancées par Mucchielli, mais la manière dont on a cherché à le discrédité et à l’enterrer vivant. Je suis rarement d’accord avec Mucchielli, notamment sur ses analyses selon lesquelles la violence c’est plus l’idée qu’on s’en fait qu’une réalité. Mais il ne me viendrait pas à l’idée ni de l’exclure, ni de l’empêcher d’écrire. Dans la recherche et à l’université il y avait jadis normalement une tradition du débat, une tolérance qui autorise la confrontation intellectuelle et la critique, fut-elle féroce, mais qui excluait la censure. C’est hélas de moins en moins vrai. 

Sade enfermé à la Bastille 

Le problème qu’on rencontre avec la censure, ce sont les censeurs évidemment. Au nom de quelle supériorité morale ou intellectuelle jugent-t-il de l’interdiction d’un livre, d’un film ou d’un homme politique ? Quand Jean-Jacques Pauvert, jeune éditeur, avait entrepris de publier l’intégralité des œuvres du marquis de Sade, il fut convié devant la 17ème chambre pour se faire tirer les oreilles. Le procureur donna un argument qui sera repris souventes fois. On ne peut pas laisser circuler une œuvre aussi pernicieuse, mais on ne doit pas la détruire, car une élite pourrait s’y intéresser. Elle doit rester dans l’Enfer de la Bibliothèque Nationale et n’en sortir qu’au compte-goutte à la demande des initiés. Autrement dit il ne faut pas laisser traîner cette littérature entre les mains d’esprits faibles, bien qu’adultes, sans compter qu’elle pourrait tombée sous le regard des enfants. Les basses classes, peu instruites, se laisseraient entraîner à lire Sade comme un vulgaire auteur pornographe[21]. Mais les érudits et les esprits fins, autrement dit la bourgeoisie lettrée, celle qui est capable de discernement parce qu’elle a fait des études, peut y accéder, on lui fait confiance, les images pornographiques de Sade ne lui stimuleront pas les hormones. La censure protège soit les enfants, soit les peu instruits. Il en est de même quand certains veulent interdire les immondices écrites par Céline, comme si les néo-nazis qui trouvent en effet dans Céline des raisons à leur combat, ne le trouveraient pas ailleurs ou d’une autre manière. Si la censure s’est desserrée au fil du temps, disons en France peut-être jusque dans les années 2000, c’est sans doute dû à une plus grande porosité entre les classes sociales, mais aussi au fait qu’on a un peu compris que les prolétaires étaient peut-être sans instructions, ils ne manquaient pas pour autant d’intelligence pour savoir quoi faire des livres, des films ou des discours politiques de quelque bord que ce soit. La conséquence est qu’on a posé la question directement : au nom de quoi censurez-vous ? Poser cette question est de fait une critique des institutions qui ne tiennent leur magistère que de la supériorité vague que le public leur accorde ou d’un statut obtenu dans une institution comme la magistrature ou l’université. On censure pour deux raisons : pour protéger les esprits faibles qui risqueraient de s’adonner à la turpitude sans recul, mais aussi pour ne pas offenser telle ou telle communauté particulièrement ombrageuse. C’est exactement la même logique que ceux qui nous disent qu’au fond Charlie l’a bien cherché en publiant des caricatures et des écrits qui offensent le prophète. 

 

Le cas de Gabriel Matzneff est édifiant. Ce médiocre écrivain, pédophile affirmé, fut un temps a coqueluche du Tout-Paris, ses frasques faisaient rire Bernard Pivot qui l’invitait tout le temps dans son émission pour y faire la réclame de ses livres[22]. Mais tout s’est retourné lorsque ses turpitudes ont été dénoncées par ses victimes[23], et ses livres ont été banni par ses éditeurs, ceux-là mêmes qui se gobergeaient de son talent. On est passé en quelques jours de l’encensoir au purgatoire et à la censure. Je ne défends pas Matzneff qui est une nullité intellectuelle et un sournois, mais la façon dont il a été traité montre à quel point l’opinion de l’élite a changé en très peu de temps. Au fond cette nouvelle forme de censure littéraire a accompagné la montée progressivement du politiquement correct dans d’autres domaines, notamment le religieux. Hier encore chez Pivot on moquait avec des sourires en coin Denise Bombardier qui osait dénoncer les abus sexuels de Matzneff[24], puis on en est venu à le bannir discrètement du milieu sur le mode « on a été trompé » ou comme Pivot, c’est la faute à Mai 68, la justice n’a plus poursuivi ces livres[25]. Mais en vérité la question n’était pas de poursuivre une fois de plus des livres, mais de condamner les agissements de Matzneff envers de jeunes filles. Ce n’est pas d’avoir écrit des livres qui doit être dénoncé, mais d’avoir agressé et quasiment violé des jeunes filles. Pivot se trompe de cible, il fait comme si le problème une fois de plus était, à travers la lecture de livres scabreux, d’initier des esprits faibles à des comportements déviants.

 

La censure s’exerçait généralement dans le temps sous la tutelle de l’Etat ou de l’Eglise. Leur cible était double :

– combattre les représentations de la sexualité qui mettaient en cause la famille comme noyau fondamental des rapports sociaux ;

– ensuite combattre les discours politiques réclamant un peu plus de justice sociale. Le Parti communiste soviétique combattait ceux qui critiquaient ces injustices qui profitaient à la bureaucratie, comme l’HUAC de sinistre mémoire le faisait aussi outre-Atlantique. Les nazis mêlaient assez bien les deux en dénonçant le communisme et les Juifs, disant mensongèrement qu’au fond c’était une seule et même chose.

La nouveauté de notre temps réside dans la privatisation de la censure. L’Etat reste officiellement en retrait, il laisse faire les sociétés du numérique, il les utilise à sa manière. Ce n’est pas seulement Facebook qui fait régner l’ordre du politiquement correct et qui apprend ses utilisateurs à se soumettre aux standards de notre communauté. Ces « standards de notre communauté », on ne sait pas très bien qui les a définis, ni pour quoi faire. Cette pratique de censure récurrente sur Facebook appelle deux remarques, d’abord elle réactive la vieille censure du sexe comme représentation diabolique, il ne faut pas en parler car ça gênerait ceux qui ont une crainte farouche de ses représentation diverses et variées. Elle est d’autant plus pressante que le communautarisme musulman s’est organisé pour exercer une pression constante en la matière. 

 

Depuis quelques semaines, Google a mis en place sur son moteur de recherche qui est le plus puissant de la planète un module SafeSearch qui « filtre » les recherches. Ils emploient le mot filtrer en lieu et place de censurer, mais c’est bien d’une censure qu’il s’agit. Le motif invoqué est que les enfants vont trop souvent sur les sites pornographiques faire leur éducation. Et donc à partir de Google vous ne pouvez plus, même si vous êtes adultes consulter les sites considérés comme pornographiques, ce qui revient à dire que Google nous considère tous comme des enfants. Bien entendu je ne défends pas le commerce des images pornographiques qui me semble une activité assez laide, mais je remarque que cette firme privée contrôle ce que vous faites sur la toile. Aujourd’hui c’est la pornographie et les médias russes qui sont interdits d’accès, demain quoi ? Evidemment en choisissant ce à quoi vous pouvez accéder, les multinationales transforment forcément votre manière de penser sur à peu près tous les plans. SafeSearch ne bloque évidemment pas la publicité pour des produits douteux qui nuisent à la santé par exemple en matière d’alimentation. Ces « filtres » sont généralement gérés par l’Intelligence Artificielle qui est d’une imbécilité équivalente à celle de ses programmateurs. 

 

Cependant la censure qui se doit être combattue par tous les moyens n’a pas que des inconvénients. Paradoxalement les victimes de la censure apprennent à la contourner et pour cela doivent faire preuve d’inventivité. Le cinéma hollywoodien en est l’exemple le plus pur. Par exemple Fred Zinnemann, un réprouvé d’Hollywood, mis sur la liste noire pour des orientations politiques non conformes, en mettant en scène le courage d’un homme seul, abandonné de tous, dans Le train sifflera trois fois, s’attaque justement à la lâcheté de la Commission des Activités Anti-Américaines, sans le dire. Le fait que le héros soit marqué d’une étoile, n’est évidemment pas sans intention. Au lieu d’envoyer un message pédagogique direct, ce sont les images qui exaltent l’esprit de rébellion. Le film de Zinnemann fut un énorme succès et reste un classique.  La littérature pornographique pourchassée par des juges tâtillons et coincés dans leurs certitudes morales, invente de nouveaux canaux pour la distribution de ses productions. Du reste l’attrait de l’interdit suscite en permanence des vocations nouvelles. On veut savoir pourquoi ceci ou cela est interdit d’accès. La lutte contre la censure est un des segments de la liberté individuelle. C’est pourquoi on ne peut pas la détaillée. Aussi déplaisant, truqueur et sournois que soit un Zemmour, c’est prendre ses clients pour de simples imbéciles. S’il est tout à fait normal et nécessaire de le critiquer férocement et mettre à jour ses motivations louches, il est malsain de vouloir l’empêcher de parler comme le font les antifas de service qui le font passer pour un martyre, et il est vrai que beaucoup de personnes hostiles aux « idées » de Zemmour sont tout autant hostiles à sa censure. Mais dans le cas de ce politicien de mauvaise qualité, on peut se rassurer, il est du matin jusqu’au soir à la télévision du fait de ses puissants soutiens financiers. 

Le train sifflera trois fois, Fred Zinnemann, 1952 

La censure s’exerce de deux manières, le plus souvent le censeur raconte qu’il faut protéger les enfants ou les esprits faibles qui pourraient suivre des modèles contre-indiqués qui mettraient la société en péril et déchaineraient une violence sans cause. Soit on avance que tel ou tel film ou telle production littéraire[26] pourrait heurter une population particulièrement susceptible, donc elle aussi faible par nature. Par les temps qui courent, l’Etat s’étant dévalorisé lui-même en se vendant ouvertement au secteur pivé, c’est plutôt du côté de la « société civile » qu’on cherche à censurer. Donc certains comme Emmanuel Todd tenteront de justifier les assassinats des journalistes de Charlie hebdo qui auraient offensé les musulmans, extrêmement susceptibles par nature, par leurs caricatures[27]. Comme en France le délit de blasphème n’existe pas, la censure ne provient pas de l’Etat, mais elle provient de la pression sociale qui tient le discours suivant, si vous aviez été plus raisonnables, donc si vous vous étiez auto-censurés, on n’aurait pas eu à se désoler de ces meurtres. Il s’ensuit que la décapitation de Samuel Paty engendre une censure de fait pour le coup sur les plus faibles. On sait que les journalistes osent de moins en moins critiquer la religion et que les professeurs dans les établissements du secondaire en banlieue sont obligés de faire attention à ce qu’ils disent dès qu’ils se mettent à parler d’histoire ou de religion. Ils sont sous surveillance. Cette logique est mise aussi en œuvre par les minorités wokistes qui prétendent renverser les statues, purger les bibliothèques de ce qu’ils désignent comme une offense à tel ou tel groupe ethnique, ou aux femmes ou au transgenre, ou tout ce qu’on voudra. Prétendant œuvre pour leur propre libération des chaînes du passé, ils travaillent à l’enfermement des mémoires, mais aussi à l’exclusion de ceux qui ne leur plaisent pas de la vie professionnelle et sociale, les universitaires qui pensent mal sont sommés de se taire ou promis au renvoi[28]. Certains démissionnent sous la pression[29], d’autres se suicident[30].

 

Récemment l’ARCOM – Autorité publique française de régulation de la communication audiovisuelle et numérique – qui est pourtant incapable de contrôler la quantité de publicité pour Macron ou pour Zemmour sur les chaînes ouvertes, pornographes de la politique, s’est lancée dans une bataille d’un autre âge. Cette vieille boutique, fusion bureaucratique d’Hadopi et du CSA, qui ne sert pas à grand-chose, a décidé de moraliser les gosses qui trainent sur Internet et qui se gavent de films et d’images pornographiques[31]. Cette velléité saugrenue appelle plusieurs remarques. Que les gosses tentent de se déniaiser en reluquant des films et des images scabreuses, n’est pourtant pas une nouveauté. Et je ne vais pas dire ici qu’ils ont raison puisqu’en effet l’exposition trop prolongée devant l’écran est mauvaise en soi, pour les adultes, mais sans doute encore plus pour les enfants, quelles que soient les images diffusées, par exemple celle de la publicité pour des aliments industriels qui pourrissent la vie de nos enfants. Mais ce n’est pas un phénomène nouveau, on connait cette addiction depuis des années[32]. La question est la suivante, les gosses sont-ils plus en danger à regarder des femmes nues en train de se faire trombiner, que lorsqu’ils écoutent Macron déblatérer ses mensonges, ou lorsqu’ils regardent les images de la guerre en Ukraine ? Pourquoi le contrôle extérieur d’une autorité à la faible légitimité comme l’ARCOM serait-elle nécessaire ? Les parents ne savent pas réguler et éduquer leurs enfants ? Les parents sont-ils encore plus pusillanimes que leurs rejetons ? Ce qui m’inquiète dans cette dérive, c’est que le thème de la protection des enfants est une nouvelle intrusion dans la vie privée des familles qui sont pourtant soumises à un contrôle incessant de tout ce qu’elles font et qu’elles achètent. Ça correspond cependant bien à l’air du temps que de vouloir édicter des codes de bonne conduite pour tout le monde, les vieux comme les jeunes. En vérité, le fond du problème n’est pas le laxisme des parents, c’est plutôt que les enfants aient à leur disposition des machines qui leur permettent de s’enfermer dans cette délectation morose envers des produits aussi prohibés qu’éventés. Et si les parents offrent des smartphones qui donnent accès à de la pornographie, c’est au fond que ces appareils ont été fait pour cela et que ça permet de ne pas avoir à s’occuper de ses gosses quand ceux-ci sont fascinés par ces images. C’est une contradiction évidente. L’investissement de ce matériel coûteux et énergivore est cependant remboursé par la diminution des frais de garde. Vous donnez un téléphone portable avec plein d’applications idiotes, quelles qu’elles soient, et vous êtes tranquilles pour la soirée, vous pouvez aller au restaurant ou au cinéma… à condition d’avoir son pass-vaccinal. Reste à savoir si les images pornographiques sont beaucoup plus nocives que la publicité envahissante ou celles de ces imbéciles de Mcfly & Carlito, ou des autres parasites qui forment ce qu’on appelle la classe politique. Qui va décréter que la pornographie c’est plus nocif que le reste du déferlement des images ? L’ARCOM ? on retombe sur le même problème de la définition des normes qui doivent encadrer les marchandises virtuelles. Mais cette velléité montre bien que nous sommes revenus à des temps anciens, ce qui touche le sexe est tabou. 

En 2018, une statue était voilée dans une petite ville de Ligurie pour ne pas offenser un congrès de musulmans 

La censure qui est en guerre avec la liberté en général et avec la liberté individuelle en particulier, a toujours eu trois thèmes de prédilection. Le sexe bien entendu dont il ne faut pas parler, faire comme si cela n’existait pas en dehors de la famille, la religion qui comme chacun le sait est sacrée et la politique dont on peut parler mais que dans un créneau clairement défini et surveillé. Ensuite, mais c’est sans doute la même chose, la religion énonce les dogmes auxquels on doit se plier. Celle-ci a longtemps marché la main dans la main pour censurer tout ce qui était blasphématoire, mais aussi tout ce qui avait trait au sexe. En France les représentants des religions, et plus encore les catholiques, siégeaient dans les commissions sous l’autorité de l’Etat qui donnaient ou non leur autorisation à publier ou à distribuer un film. Leur voix pesait et était écoutée, souvent suivie. La désaffiliation religieuse progressive en France a rendu cette intervention de l’Etat un peu désuète. Mais le retour du religieux, notamment avec l’expansion de l’Islam en Europe et ailleurs, a amené des nouvelles formes de censure extra-étatiques. Ici et là on a vu des « responsables » politiques ou de musées entreprendre de voiler des statues qui représentaient des corps dénudés, parfois même sans qu’on ne le leur demande. Facebook est sur la même longueur d’onde, cette multinationale qui pourrait maintenant s’appeler Big Brother, s’arroge le droit de juger et de sanctionner les images ou les posts qui ne lui plaisent pas et qui au fond ressortent de la vie privée dans laquelle il s’immisce. Il est très difficile sur ce réseau « social » de poster quelque chose qui s’attaque fondamentalement à l’Islam. Mais Facebook n’a même pas la légitimité de l’Etat pour le faire parce que son pouvoir est seulement celui de la propriété privée d’un réseau social et non pas celui de la représentation du peuple. Cette censure privatisée à coups d’algorithmes stupides est devenue pourtant dominante et acceptée comme un fait de nature, elle correspond au retrait de l’Etat de la vie publique, autrement dit, ceux qui se croyaient délivrés de la censure étatique après un combat millénaire doivent maintenant faire face à la censure privée, les multinationales jugent du bon goût et donc définissent les nouvelles normes esthétiques ! On voit bien à quoi a servi l’expansion du numérique, à produire aussi bien une régression des libertés, qu’à redéfinir les normes de sociabilité et par suite les normes de fonctionnement de la pensée en intégrant les formes les plus banales de l’autocensure. Ces nouvelles normes sont du reste assez inconséquentes, d’un côté on chasse la pornographie, mais de l’autre on fait la propagande ouvertement pour les minorités LGQBT+ et donc pour les pratiques sexuelles qui vont de pair. Comme si les deux étaient issues de la même matrice puisqu’en effet dans les deux cas on procède par injonctions pressantes : vous ne devez pas montrer de nudité, vous ne devez pas critiquer les LGBTQ+ sous peine de bannissement dans les deux cas. 

 

Qu’on censure les représentations sexuelles ou les critiques de la religion pour ne pas chagriner les croyants, cela revient au même, c’est toujours une censure politique. Cette censure politique est ressortie presqu’ouvertement avec le conflit en Ukraine, de nombreuses voix se sont élevées pour réclamer le bannissement des médiats comme Russia Today ou Sputnik France, comme si nous aussi nous étions en guerre directe avec la Russie, le but est de présenter une pensée unifiée et sans aspérité sur la question. L’exemple de ce conflit montre comment la censure modifie l’opinion. Ursula von der Leyen en tant que présidente de la Commission européenne a avancé, le 27 février 2022 : « Nous allons interdire la machine médiatique du Kremlin dans l'Union européenne", a-t-elle assuré. "Les médias pro-russes Russia Today et Sputnik, ainsi que leurs filiales, ne seront plus en mesure de déverser leurs mensonges pour justifier la guerre de Poutine. »[33]. Ce qui appelle deux remarques, la première est que les médias européens ne mentiraient pas parce qu’ils seraient dans un environnement démocratique. Mais nous avons évidemment tous les jours des exemples des mensonges éhontés des hommes politiques européens, pendant la pandémie ou autre. La deuxième remarque est que les lecteurs de ces sites seraient également trop bêtes pour ne pas comprendre la propagande russe et la décoder. Mais bien sûr c’est un prétexte, un exemple fait à destination de ceux qui se permettraient dans le futur de critiquer l’Union européenne. Josep Borrell en a rajouté dans la formulation imbécile en avançant « En coupant Russia Today et Sputnik dans l'UE, nous coupons la tête du serpent. » L'injure animalière est le pendant de la censure et se suffit à elle-même comme explication à la censure. L’analogie animalière, vous le noterez, est courante chez les censeurs, histoire de rabaisser ceux qui pensent mal et qui ne peuvent être que des personnes d’un rang inférieur, en supposant de l’homme n’est pas un animal parce qu’il pense correctement. L’inconséquent Jean-Paul Sartre écrivait : « Un anticommuniste est un chien, je ne sors pas de là, je n’en sortirai plus jamais »[34]. Quelle élégance ! Le qualificatif extrêmement inventif de vipères lubriques était courant chez les staliniens[35]. Les staliniens désignaient aussi souvent leurs ennemis comme des « rats visqueux ». le rat est un animal maudit, souvent porteur de maladie, mais un rat visqueux est pire encore et donc on ne saurait approcher sa pensée. Le but de cette nouvelle forme de censure sur des médias dissidents est d’empêcher que les mensonges de l’Union européenne soient compensés par les mensonges russes. Le fait que l’Union européenne ne soit pas officiellement en guerre contre la Russie prouve le caractère fallacieux et hypocrite de cette mesure qui s’apparente à un acte de guerre. 

 

Je ne veux pas ici rentrer dans le détail du conflit russo-ukrainien, ce n’est pas mon sujet, mais je veux rappeler que tout est bon pour accélérer le contrôle des informations pour faire taire toute voix dissidente sur la question. Interdire Russia today et Sputink ne peut se faire qu’au mépris des plus élémentaires règles de droit. Les Russes intoxiqués par Poutine sont considérés comme le camp des mauvais, et les Occidentaux comme les bons. Dans la rhétorique mensongère de l’Europe, on oppose la démocratie – oubliant que Zelensky est arrivé au pouvoir consécutivement à un coup d’Etat – à la dictature poutinienne. On bloque également des comptes facebook ou you tube, au mépris de toute règle de droit. Ces blocages organisés par des firmes géantes et privées qui n’ont aucune légitimité politique, aident à favoriser une opinion en faveur du bannissement de la Russie de la communauté internationale, demain ce sera la Chine. Dans cette affaire les médias et les réseaux sociaux contrôlés et filtrés ne laissent plus apparaître que des communiqués vainqueurs pour le parti de l’Occident, essayant de faire croire que l’armée ukrainienne résiste héroïquement, alors que dans le même temps on nous tire des larmes sur les centaines de milliers d’Ukrainiens qui quittent leur pays. Comme ça se faisait pendant la Seconde Guerre mondiale avant que l’armée française ne s’effondre. En général on censure dans le moment de la guerre pour ne pas démoraliser les troupes et la population. Cette logique est maintenant étendue à n’importe quelle forme de message politique dissident. Que ce soit en ce qui concerne la politique sanitaire, les Gilets jaunes ou autre, le but est de construire une forme de doxa lisse et lénifiante, facilement contrôlable par le pouvoir et qui ne remette pas en cause les formes du pouvoir dans lesquelles nous vivons. Les applications numériques facilitent la tâche des gouvernements en ce sens, le problème va bien plus loin parce que ces mêmes gouvernements n’ont plus aucune autonomie face aux multinationales qui détiennent le pouvoir de police de la pensée et qui se placent au-dessus des Etats. Mais le but reste le même, infantiliser les populations pour qu’elles ne cherchent pas par elles-mêmes leur propre émancipation, les orienter vers une forme de consentement pour la suite. C’est le prolongement de la logique de Big Brother : remplacer la pensée individuelle par la norme collective. Lutter contre la censure doit être le programme des hommes qui aspirent à la liberté. Ce renouveau de la censure doit renouveler notre combat pour son abolition.

En attendant, la Commission européenne qui dit qu’elle lutte pour la démocratie vient de concocter une loi que les différents pays membres devront appliquer qui est parfaitement liberticide, laissant ouverte la question de qui contrôlera sur le plan culturel, politique et social l’information qui circulera sur les réseaux sociaux. Cet arsenal renforcé est le début d’une normalisation de la pensée qui vise à faire disparaitre toute forme de déviance en Europe, quel que soit le sujet[36]. En même temps cette loi renforcera les multinationales privées dans l’intrusion systématique de leurs robots dans la vie intime des populations. Il ne sera plus possible de publier des textes critiques sur les objectifs de la guerre en Ukraine, sur la politique vaccinale aux mains des multinationales de la pharmacie, voire de critiquer l’écriture inclusive ou la religion islamique par exemple. 

Médiapart est un grand censeur, il est interdit de se moquer de Macron en période électorale

  

Bibliographie 

Olivier Caïra, Hollywood face à la censure : Discipline industrielle et innovation technologique, CNRS Éditions, 2005.

Robert Darton, De la censure, essai d’histoire comparée, Gallimard, 2014.

Bernard Joubert, Histoires de censure, Anthologie érotique, La Musardine, 2006.

Pierre Jourde, La tyrannie vertueuse, Le Cherche Midi, 2022.

Annie Le Brun, Soudain un bloc d’abîme, Sade, Jean-Jacques Pauvert, 1986.

Karl Marx, Notes sur la récente réglementation sur la censure prussienne, in, Œuvres philosophiques, T.1, Editions Costes, 1946.

Laurent Mucchielli, La doxa du COVID, tome 1, peur, santé corruption et démocratie, Editions Eoliennes, 2022.

George Orwell, Nineteen eighty-four, Secker and Warburg, 1949.

Jean-Jacques Pauvert, Nouveaux (et moins nouveaux) visages de la censure, suivi de « L'Affaire Sade »,  Belles Lettres, 1994.

Emmanuel Pierrat, Nouvelles morales, nouvelles censures, Gallimard, 2018.

Carole Talon-Hugon, L’art sous-contrôle, PUF, 2019.



[1] https://investir.lesechos.fr/actions/actualites/meta-perd-pres-de-200-milliards-de-dollars-en-bourse-et-beaucoup-d-amis-2001300.php

[2] https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/01/17/eric-zemmour-condamne-pour-la-troisieme-fois-par-la-justice_6109839_823448.html

[3] https://programme.zemmour2022.fr/ecole

[4] https://www.francetvinfo.fr/societe/religion/pedophilie-de-l-eglise/

[5] https://www.france24.com/fr/europe/20210703-scandales-financiers-au-vatican-un-cardinal-et-neuf-personnes-mis-en-examen

[6] Les Belles Lettres, 1994

[7] Sous la direction de Kim Doyle, Le procès des Fleurs du mal, CreateSpace Independent Publishing Platform, 2016

[8] https://blogs.mediapart.fr/michel-seelig/blog/300117/fin-du-delit-de-blaspheme-enfin

[9] https://www.lemonde.fr/livres/article/2018/01/12/gallimard-renonce-a-publier-les-pamphlets-de-celine_5240776_3260.html

[10] Contribution à la critique de La philosophie du droit de Hegel [1843], Editions Costes, 1946.

[11] Notes sur la récente réglementation sur la censure prussienne, in, Œuvres philosophiques, T.1, Editions Costes, 1946.

[12] https://www.leparisien.fr/culture-loisirs/tv/ophelie-meunier-sous-protection-policiere-soutien-des-journalistes-de-m6-rtl-et-bfm-01-02-2022-CENCWPJVGRARVF3TSVWTGGBMFA.php

[13] Emmanuel Todd, Qui est Charlie, sociologie d’une crise religieuse, Le seuil, 2015.

[14] https://www.ozap.com/actu/-28-minutes-pascal-bruckner-accuse-rokhaya-diallo-d-avoir-arme-le-bras-des-tueurs-de-charlie-hebdo/598091

[15] https://www.rtl.fr/actu/international/les-infos-de-8h-canada-pourquoi-des-livres-pour-enfants-ont-ils-ete-brules-dans-des-ecoles-7900069588

[16] https://ingirumimusnocte2.blogspot.com/2020/09/histoire-de-statues-charles-fourier.html

[17] Représentations qui sont souvent lénifiantes, renvoyant les victimes de ces violences à des statistiques obscures pour séparer la réalité du « ressenti ».

[18] https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/08/24/le-sociologue-laurent-mucchielli-rappele-a-l-ordre-par-le-cnrs_6092249_3224.html Dans cet article, le plumitif de service ne dit pas que Médiapart a censuré Mucchielli, mais que son article a été dépublié. On a des pudeurs de gazelle au Monde.

[19] Il s’agit de Gérald Bronner, Alain Ehrenberg, Jean-Louis Fabiani, Olivier Galland, Nathalie Heinich, Jean-Claude Kaufmann, Pierre-Michel Menger et Dominique Schnapper. 

[20] https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/08/19/vaccination-contre-le-covid-19-la-sociologie-ne-consiste-pas-a-manipuler-des-donnees-pour-etayer-une-position-ideologique_6091783_3232.html

[21] N’allez pas croire pour autant que j’apprécie Sade. Sa comptabilité des figures sexuelles si elle est ennuyeuse et répétitive, annonce cependant clairement le règne de la marchandise et de la quantité, et c’est en cela qu’elle a marqué son temps. Quant à l’homme lui-même, c’était un criminel ayant abusé de sa position sociale, mais il est quelque part un symbole de la liberté, dévoilant la face sombre de l’humanité. Annie Le Brun, Soudain un bloc d’abîme, Sade, Jean-Jacques Pauvert, 1986.

[22] https://www.lefigaro.fr/livres/bernard-pivot-a-propos-de-matzneff-je-n-ai-pas-eu-les-mots-qu-il-fallait-20191231

[23] https://ingirumimusnocte2.blogspot.com/2020/11/le-cas-gabriel-matzneff-et-ce-quil.html

[24] https://www.youtube.com/watch?v=H0LQiv7x4xs

[25] https://www.lejdd.fr/Societe/affaire-matzneff-je-regrette-declare-bernard-pivot-3940286

[26] La télévision est depuis ses origines et jusqu’à aujourd’hui gouvernée par une censure de fait ou par une autocensure, au motif qu’il ne faut pas décevoir les annonceurs qui la financent.

[27] Emmanuel Todd nous dit en creux que les musulmans sont une peuplade intellectuellement faible qui ne peut supporter et relativiser la moindre critique à l’endroit de sa religiosité.

[28] Pierre Jourde, La tyrannie vertueuse, Le Cherche Midi, 2022.

[29] https://etudiant.lefigaro.fr/article/harcele-par-des-etudiants-woke-un-professeur-d-universite-temoigne_ea0d06ce-25de-11ec-b3af-5940a8310a3e/

[30] https://www.franceculture.fr/emissions/le-tour-du-monde-des-idees/retour-sur-le-suicide-dun-professeur

[31] https://www.euractiv.fr/section/economie/news/larcom-demande-le-blocage-de-sites-pornographiques-encore-trop-facilement-accessibles-aux-mineurs/

[32] https://www.fondapol.org/etude/les-addictions-chez-les-jeunes-14-24-ans-2/

[33] https://www.bfmtv.com/international/europe/guerre-en-ukraine-les-medias-pro-russes-russia-today-et-sputnik-interdits-au-sein-de-l-ue_AV-202202270204.html

[34] Jean-Paul Sartre, « Merleau-Ponty », in Situations IV, Gallimard, 1964.

[35] Libis Jean, « Vipères lubriques et rats visqueux. La symbolique animalière dans le vocabulaire de l’injure politique », Imaginaire & Inconscient, 2014/1 (n° 33), p. 59-74.

[36] https://www.france24.com/fr/europe/20220423-l-union-europ%C3%A9enne-%C3%A9limine-les-zone-de-non-droit-sur-internet?fbclid=IwAR3xKjfq5cgVttiJhWngOAUl1gmcXO27CzTuQSLKp5DuNgKIshGrQ2dTOIg

Henri Barbusse, Le feu, journal d’une escouade, Flammarion, 1916

  C’est non seulement l’ouvrage de Barbusse le plus célèbre, mais c’est aussi l’ouvrage le plus célèbre sur la guerre – ou le carnage – de...