samedi 28 novembre 2020

Article 24 et violences policières, photo-reportage

  

Au moment même où la canaille parlementaire votait la loi sur la sécurité globale, on avait droit au sinistre spectacle des violences policières. D’abord avec l’évacuation des migrants puis avec le tabassage en règle de Michel Zecler, un noir, producteur de musique. Il ne s’agit pas de discuter ici de la légitimité de l’évacuation des migrants, ou de savoir si Zecler était un voyou ou non. Dans le premier cas un commissaire de police est mis en cause pour des violences abusives[1], dans le second cas, de quatre policiers qui ont tabassé pendant quinze minutes un homme à terre avec des insultes racistes. Il faut faire deux remarques importantes à ce sujet :

- la première est que si ces deux scènes n’avaient pas été filmées, les policiers n’auraient jamais été inquiétés. C’est ce qui se serait passé si cette loi liberticide avec son fameux article 24 était entrée en vigueur ;

- la seconde est que si dans le deuxième cas évoqué, il y a bien des insultes racistes, la violence policière va bien au-delà de ce racisme latent. Les violences policières s’exercent tout azimut, contre les Gilets jaunes, contre les syndicalistes de la CGT le 1er mai 2019, contre les soignants, contre les étudiants, contre tout ce qui regimbe. On a même vu des handicapés en fauteuil roulant se faire gazer et trainer en justice. Il s’est même trouvé un juge capable de condamner à la prison ferme un Gilet jaune en fauteuil roulant pour agression contre les robots cops[2] !

 

Le 16 juin 2019, une infirmière violemment interpelée 

La liste des exactions policières est très longue et continue depuis que Macron a été élu. Il est clair que le but est d’effrayer les populations pour les empêcher de se révolter. Mais avec les téléphones portables on peut maintenant filmer tout, et au plus près de l’action. Et donc c’est en prenant le prétexte d’une mise en danger des forces de l’ordre que la canaille parlementaire – LREM et LR mêlés d’ailleurs – ont voté cette loi liberticide pour pouvoir laisser le loisir à Macron de faire ses petites saloperies sans être gêné. Mais les faits sont les faits. Et les images ont parlé une fois de plus pour démontrer que les forces de l’ordre usent d’une force disproportionnée dans l’exercice de leurs fonctions. Darmanin vient donc de demander une enquête sur ce commissaire violent, mais il a pris aussi la décision de suspendre les flics incriminés dans le tabassage en règle de Michel Zecler. Le but est de tenter de faire passer ses actes barbares dignes d’un pays fasciste pour de simples bavures du types tous les flics ne sont pas comme ça ! Il y en a aussi de très bien ! Mais ce qui pose question c’est que l’ensemble de ces violences policières font système. C’est un mode de gouvernement. La violence de Lallement vis-à-vis des Gilets jaunes a été pour beaucoup dans la démobilisation de ce mouvement. Et ce mode de gouvernement s’étend maintenant de partout à toutes les formes de contestation de la politique de Macron. Je rappelle pour ceux qui ne s’en souviendraient pas, que François Fillon dont le programme était sponsorisé par l’Institut Montaigne – comme Macron – envisageaient lui aussi de gouverner par la matraque[3]. La justice en l’envoyant devant un tribunal pour ses malversations le priva de l’exercice de cet autoritarisme.

 

Policiers lâchement agressés par un manifestant

Certes on peut dire que c’est aussi la preuve que ce pouvoir impopulaire est faible, qu’il ne repose que sur les médias, les forces de l’ordre et la justice qui prend rarement fait et cause pour les manifestants délibérément agressés par les forces de l’ordre. Mais ces excès atteignent maintenant une limite et se retourne contre Macron et ses amis. D’abord parce que plusieurs signes indiquent que les juges commencent à en avoir marre de faire le ménage au service d’un pouvoir chaotique qui sème la panique et le désordre. Très hostiles à Dupont-Moretti, ils sont en rébellion presqu’ouverte contre la classe politique. Le 27 novembre un commandant de police a été condamné à cde la prison avec sursis pour justement avoir gazé un handicap dans un fauteuil[4]. Ensuite des journaux comme Le monde ou Libération qui ont soutenu Macron contre Marine Le Pen au nom de la lutte antifasciste sont en train de se retourner complètement[5]. Ils ont mis beaucoup de temps à y venir, alors que nous dénonçons cette forme larvée de fascisme depuis au moins 2018. Mais ces journaux n’aimaient pas les Gilets jaunes, et au fond ça ne leur déplaisait pas tant que ça de les voir matraqués, de même ils peinaient à dénoncer le matraquage des soignants qui manifestent depuis au moins le début de 2018 sans être jamais écouté, alors que la crise du COVID-19 a prouvé la justesse de leurs revendications. Mais dès lors que la violence s’applique aux migrants, et à ceux qui les soutiennent, comme à un homme de race noire, les journalistes se mettent en mouvement. Cependant il se peut aussi que le mouvement des Gilets jaunes aient un effet à retardement sur les journalistes : ils ont été tellement insultés pour leur lâcheté partisane, qu’ils tentent maintenant de retrouver un semblant de dignité dans une opinion qui leur ait ouvertement hostile.

Jeune femme agressée par un lâche milicien déguisé en policier 

Nous maintenons donc cette idée que la manière macronienne de gouverner avec la matraque est en train de trouver ses limites. Il y a des conséquences très graves sur le plan politique. D’abord et principalement, la bronca déclenchée par l’article 24 va certainement obliger le Conseil constitutionnel de le retoquer[6]. Plusieurs plaintes ont été déposées en ce sens par l’opposition. Ce sera un désaveu cinglant pour Macron, Castex et Darmanin. Mais il y a pire, parce qu’avec Macron, il y a toujours pire : c’est que pour tenter de sauver les meubles, Castex a proposé de réécrire l’article 24. Du coup les Play Mobil de Macron se sont rebellés. En disant que leur beau travail parlementaire était légitime, vu qu’ils ont été élus et donc qu’il n’était pas question que Castex intervienne là-dessus[7] ! Glissons sur cette légitimité déjà ancienne, Trump se réclame bien de sa légitimité de 2016 pour refuser les résultats de 2020 qui ne lui conviennent pas, d’autant que la cote de popularité des députés LREM doit être proche de zéro aujourd’hui. Mais on se demande comment ces marionnettes qui ont avalé toutes les couleuvres présentées par leur gourou, pourquoi voudraient-ils donc être plus royalistes que le roi. Or voilà que Macron qui n’a aucun sens du timing se retourne contre les policiers qui pourtant l’ont si bien servi, et sans qui il ne serait plus là aujourd’hui. On nous dit donc qu’il est très en colère d’avoir vu de telles images, alors qu’il n’a évidemment rien dit des débordements policiers organisé par Lallement contre les Gilets jaunes et contre les soignants[8]. Implicitement il désavoue ses propres parlementaires qui ont entériné sa méthode violente de gouvernement. Notez que dans le vote de la loi sécurité globale, quel nom, Les Républicains ont montré ce qu’ils valaient en la votant, c’est-à-dire rien, et prêts à tout pour devenir en 2022 les supplétifs de Macron si par malheur il est réélu.

 

Cahors contre les violences policières le 28 novembre 2020 

Mais des couleuvres Macron doit en avaler d’autres. Le préfet violent Lallement, avait interdit la manifestation du samedi 28 novembre. Et bien la justice lui a donné tort et a autorisé celle-ci[9] ! Le pouvoir macronien ressemble à un château de cartes en train de s’écrouler. Macron avait péniblement remonté un petit peu la pente en prenant position contre l’islam politique, mais il la dégringole très vite avec la démonstration que le pouvoir ne tient pas les forces de police et pourrait en devenir son jouet. Car si les Français dans leur très large majorité sont hostiles à l’islamisation de la société française, ils le sont tout autant envers la fascisation du régime. Du coup, il y avait énormément de monde pour protester contre cette loi indigne de partout en France, des centaines de milliers, à Paris, Marseille, Angers, dans toutes les villes de France. A Lille les policiers ont une fois de plus perdu leurs nerfs et ont indûment chargé un cortège plutôt pacifique. Je pense que Macron restera dans l’histoire pour avoir été le président le plus contesté, car il est détesté pour tout ce qu’il fait, le démantèlement de la SNCF, tout l’argent qu’il déverse sur ses riches amis, et bien sûr sa manière de faire passer ses lois à grands coups de matraque. Il est contesté depuis le début. A Clermont Ferrand il y avait aussi énormément de monde, des milliers de personnes. Même à Tours ce fut un succès. Du coup, et grâce pourrions nous dire des incompétences conjugées de Macron, Castex et Darmanin, les Gilets jaunes sont réapparus ! On ne peut que s’en féliciter étant donné qu’ils ont été les premiers à dénoncer la dictature macronienne et à subir la répression de la milice. Ça fait deux ans qu’ils dénoncent cette situation, enfin ils sont entendus et vont contribuer certainement à faire capoter cette maudite loi liberticide. C’est bien la preuve que pour avoir une efficacité politique, il faut avoir de la constance dans la détermination et ne pas avoir peur des conséquences.

 

Les gilets jaunes sont réapparus à Paris 

Si à court terme le prix politique de l’irresponsabilité macronienne sera sans doute le retrait de la loi maudite ou au moins de l’article 24, à plus long terme c’est la crédibilité chancelante de Macron qui est entamée. Déjà que sa gestion de la crise sanitaire est très mal appréciée, les lois qu’il tente de faire passer classe le bonhomme non seulement parmi les dirigeants peureux qui ont toujours besoin de plus de lois pour gouverner parce qu’ils craignent le peuple, mais aussi parmi les autoritaires sans scrupule. Des têtes devront tomber Ruffin demandait la tête de Lallement[10]. Cependant quelle que soit l’antipathie qu’on puisse éprouver à l’endroit de ce préfet, il faut tenir compte de deux choses : d’abord du fait que ce fusible commode est l’assurance vie de Macron, et donc qu’il est difficile à remplacer, ensuite que la plupart des préfets sont fait sur le même moule que lui, se sont des gens toujours prêts à se ranger contre le peuple, à quelques Jean Moulin prêts. La préfectorale est un ramassis de fonctionnaires sans conscience. Pour Darmanin, ce sera plus difficile encore de le remplacer vu le peu de candidats que les macroniens peuvent présenter à ce poste.

Place de la République le 28 novembre 2020 

Certains se lamentaient ces jours derniers de la passivité des Français face aux extravagances macroniennes, la mobilisation de samedi leur donne tort. On remarque que ce regain de mobilisation coïncide avec l’allégement du confinement. Contrairement à ce qu’on croit, retrait de la loi Sécurité globale ou non, le pire est à venir pour Macron. Notamment parce qu’en janvier ou février, il faudra bien en finir avec le chômage partiel, et donc le chômage réel va exploser, comme le nombre de faillites. Macron a démontré qu’il n’est pas capable de faire face à des difficultés inédites. Il va être pris en tenaille entre les exigences de la Commission européenne et les nécessités pour restaurer l’économie française. Evidemment il y a eu beaucoup d’incidents, à Paris, à Lille, à Rouen, mais on commence à sentir les policiers plutôt mal à l’aise d’être livrés ainsi à la vindicte publique. C’est aussi la rançon de leurs syndicats qui n’ont pas beaucoup insisté pour défendre les idéaux républicains et qui se sont laissé acheté avec pas grand-chose. Sans doute qu’avec cette loi Macron cherche à s’attirer les votes du Rassemblement National et des Républicains. Mais on peut dire que c’est raté, totu ce qu’il est arrivé à faire, c’est la démonstration que LREM était un parti de droite extrême, affairiste et européiste.

 

Lille, où il y avait beaucoup de monde 

La dernière leçon que nous devons tirer de cette journée de mobilisation est que  voter n’est absolument pas la seule manière de faire de la politique. Tandis que les politicards en sont à penser des stratégies plus ou moins fumeuses pour tenter d’accéder à l’Elysée, on parle d’Anne Hidalgo, de Jadot, de Xavier Bertrand, voire de Wauquiez et de Fabien Roussel, ces mobilisations transpartisanes montrent qu’il faut unir le peuple sur des sujets qui forment consensus. L’abrogation de la loi Sécurité globale en est un car sur ce terrain le pouvoir s’isole toujours un peu plus. La défense des libertés, celle de manifester, celle de s’exprimer, ne peut pas se marchander. D’autant que les lois liberticides servent à couvrir les incompétences de l’exécutif dans les autres domaines.

 

Ils étaient des milliers à Rennes sur la place de la République

 

Tours samedi 20 novembre

 

Marseille samedi 20 novembre



[1] https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2020/11/26/evacuation-du-camp-de-migrants-place-de-la-republique-un-commissaire-mis-en-cause-par-l-igpn_6061271_1653578.html

[2] https://www.lavoixdunord.fr/681599/article/2019-12-17/lille-de-la-prison-ferme-pour-le-gilet-jaune-en-fauteuil-roulant-se-reclamant

[3] https://www.mediapart.fr/journal/france/060916/fillon-promet-d-envoyer-la-gendarmerie-ceux-qui-sopposent-son-choc-liberal?onglet=full

[4] https://www.20minutes.fr/justice/2918711-20201127-toulouse-foi-video-commandant-police-condamne-avoir-gaze-gilet-jaune-handicape?fbclid=IwAR1Taev9s8iNC6C8uSFTSucIOpat3v-MTfn64n95v7hCT4S2sUVN3nnK1oA

[5] https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/11/27/police-une-grave-crise-de-commandement_6061354_3232.html et aussi https://www.liberation.fr/france/2020/11/26/violences-policieres-darmanin-sur-le-banc-des-accules_1806891

[6] L’interview de Fabius dans Le Parisien du 28 novembre le laisse entendre. https://www.leparisien.fr/politique/loi-securite-le-conseil-constitutionnel-exerce-bel-et-bien-le-controle-des-lois-retorque-fabius-27-11-2020-8410894.php

[7] https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/11/27/yael-braun-pivet-pas-question-qu-une-commission-se-substitue-au-parlement_6061418_823448.html

[8] https://www.leparisien.fr/politique/violences-policieres-polemique-sur-la-loi-securite-le-coup-de-colere-de-macron-27-11-2020-8411004.php

[9] https://actu.fr/ile-de-france/paris_75056/securite-globale-violences-policieres-d-abord-interdite-la-manifestation-finalement-autorisee-a-paris_37764966.html

[10] https://lafranceinsoumise.fr/2020/11/25/je-demande-la-demission-du-prefet-lallement/

jeudi 26 novembre 2020

Arnaud Montebourg, L’engagement, Grasset, 2020

  

Arnaud Montebourg semble réfléchir à une candidature à l’Elysée en 2022. Et cet ouvrage est une sorte de test de cette possibilité. Et donc depuis quelques semaines il multiplie les interventions dans les médias à la fois pour faire la promotion de son ouvrage et celle de sa propre personne[1]. L’engagement n’est pourtant pas un programme politique, c’est le récit de son expérience comme ministre de l’économie de François Hollande. La première leçon qu’on tire de ce récit, c’est l’ambiguité, non pas celle de Montebourg, mais plutôt celle de la fonction qu’il a exercée. Son passage à Bercy a été un échec en ce sens que son action a été sabotée délibérément par la pusillanimité de François Hollande et les trahisons répétés de Macron qui déjà, en tant que conseiller pour l’économie du malheureux président, travaillait au dépeçage de la France pour le bien d’amis à lui qui le propulseront ensuite dans la course à l’Elysée avec des moyens démesurés pour le faire élire et s’en servir. Mais évidemment on peut dire aussi que cet échec de Montebourg – il s’est fait virer pour être remplacé par Macron – a été pour lui un enseignement des plus précieux s’il arrive un jour au pouvoir. Il semble avoir compris comment contourner les pièges de Bercy. Ce qui à mon sens lui donne un gros avantage par rapport à Mélenchon et sur presque tous les candidats qui viendraient de la gauche.

  

Montebourg s’est fait connaitre pour ceux qui s’en souviennent par son action avec Vincent Peillon sur le blanchiment de l’argent et la fraude fiscale au début des années 2000. Beaucoup pensaient que c’était une manière de se faire remarquer et de se démarquer de la vulgate du politicien socialiste. Mais c’est un combat qu’il continuera à mener encore au Ministère de l’économie quand, en tant que ministre, il encouragera Henri Falciani, un employé d’HSBC-Suisse à livrer les noms de ceux qui fraudent le fisc, et Éric de Montgolfier à porter plainte. C’est d’ailleurs à cause de cela que l’inénarrable Jérôme Cahuzac, ministre du budget, donc de la fraude fiscale, sera piégé, démissionné, et finalement abandonné à son sort et condamné ! Il est également de longue date un pourfendeur de la mondialisation, et a toujours plaidé pour une « démondialisation »[2] et également pour une réforme en profondeur des institutions, donc pour une 6ème République[3].

  

Arrivé au ministère de l’économie, il aura à faire face à des dossiers brûlants, d’abord Florange. Il s’agissait empêcher la fermeture du site que Mittal voulait abandonner, mais ne voulait pas vendre à un repreneur. En se démenant Montebourg arrivera à contourner les oukases de la Commission européenne, et à trouver un repreneur en la personne de Bernard Serin. Mais Hollande sabotera ce sauvetage sous le regard amusé de Macron qui dira stupidement, parce qu’il est stupide, autant que corrompu : « Les nationalisations, c’est Cuba sans le soleil ! »

Extrait

Seize mois plus tard survinrent les élections municipales. Florange et Hayange, les deux communes d’implantation de l’usine aux hauts-fourneaux, furent sévèrement perdues. Hayange, un fief socialiste depuis plusieurs décennies, passa au Front national, le jeune maire élu était un ancien membre du Nouveau Parti anticapitaliste fondé par Olivier Besancenot, passé au FN. C’est la CGT qui nous avait prévenus. Elle nous disait : « Nos troupes sont en train de se barrer au FN. En plus, sans rendre la carte CGT, ce qui ne leur pose aucun problème. Les vieux disent si tu vas au FN, on te sort de la CGT direct, et les jeunes disent, mais pourquoi ? On ne comprend pas. »

On peut dire qu’Hollande a tué la gauche en lâchant ses potentiels électeurs au nom du respect des traités européens. On comprend que ce soi-disant respect est en réalité une fainéantise à peine déguisée. Montebourg tentera de gagner du temps à travers une nationalisation temporaire que Hollande et le sinistre Ayrault lui auront refusé.

  

Le second dossier épineux qui va arriver sur le bureau de Montebourg, c’est celui d’Alstom. Les Américains mettent le paquet pour s’approprier Alstom, un des derniers fleurons de l’industrie française. Cette histoire répugnante dont l’issue se traduira par la fermeture des sites concernés, est digne d’un roman d’espionnage. Avec des lois bien particulières, les Américains vont mettre Pierucci en prison, il y restera 18 mois, sans qu’Hollande ne fasse quoi que ce soit pour contrecarrer cette ignoble tentative de chantage[4]. Mais il y a bien pire que la passivité d’Hollande. Il y a d’abord la trahison de Patrick Kron, qui, contre quelques millions d’euros va entraver toutes les tentatives de sauvetage d’Alstom, travaillant ouvertement pour les Américains, c’est-à-dire pour General Electric. Si on comprend bien que la trahison de Patrick Kron, qui en d’autres temps aurait mérité 12 balles dans la peau pour avoir vendu son pays, celle de Macron est d’une autre nature. Travaillant lui aussi pour les Américains au dépeçage de la France industrielle, ceux-ci et les actionnaires d’Alstom, au premier titre Martin Bouygues le récompenseront en finançant sa campagne présidentielle et en mettant leurs journaux à sa disposition. Macron lèvera beaucoup de fonds aux Etats-Unis, il fallait bien que quelqu’un l’aide à pénétrer ce curieux marché. Les Américains ont tout mis en œuvre pour s’approprier Alstom et finalement détruire cette entreprise. Ils utilisèrent aussi Clara Gaymard, l’épouse d’Hervé Gaymard, éphémère ministre de l’économie du gouvernement Raffarin qui dut quitter son poste pour des questions d’appartement assez sordides.

  

Ce que décrit Montebourg dans son ouvrage c’est un monde politique dominé par les magouilles et l’affairisme, un monde qui ne s’occupe guère de l’intérêt général. Bien qu’il soit combattif, il assume ses erreurs et ses défaites. Il regrette d’avoir soutenu Hollande, pensant que celui-ci lui laisserait les mains libres au ministère de l’économie. Son ouvrage semble vouloir dire deux choses :

- d’abord que quand on le veut, il peut y avoir des solutions innovantes pour changer le réel dans un sens qui soit un peu plus favorables aux petites gens. Que ce soit dans le cas d’Alstom ou de Florange, s’il a échoué, ce n’est pas parce que la tâche était impossible, mais parce qu’Hollande baigné d’idéologie néolibérale en économie acceptait aussi bien les lois du marché et récusait le keynésianisme qu’il semblait confondre avec une injure. Mais Hollande a fait malheureusement HEC, là où, avedc l’ENA et Sciences Po on s’applique à déformer les cerveaux de la future élite, et bien sûr Hollande était tellement stupide qu’il croyait ce que lui disait Macron !

- ensuite il semble avoir compris ce qui se passe dans la haute administration qui règne sur Bercy où chaque très haut fonctionnaire travaille d’abord pour son propre compte à se trouver un pantouflage rémunérateur.

  

Après sa démission forcée de Bercy, Montebourg se lança dans plusieurs sortes d’entreprises, dont l’une qui le mènera à investir dans l’apiculture. Ce qui nous semble une bonne chose. Son ouvrage laisse évidemment l’impression d’un homme volontaire qui garde quelques idées clés. Il se réclame de Colbert, ce qui ne lui fera pas des amis parmi les racialistes, sous-entendant par là que l’Etat doit se situer au-dessus des lois du marché. Cette idée d’intervention de l’Etat dans l’orientation, voire dans l’investissement direct dans certaines entreprises pour le bien de la nation, et donc des plus pauvres, est typiquement française, elle ne date pas de Colbert, mais elle est déjà là avec Le traité d’économie politique d’Antoyne de Montchrestien publié en 1615[5]. Il est donc dans la lignée des premiers économistes – qui étaient français – avant que cette profession ne soit pervertie par les économistes anglais qui mirent au cœur de leur réflexion les lois naturelles du marché et le libre-échange à tout va. 

Extrait

« Ainsi comprend-on que la mondialisation est une pure production humaine, politique et gouvernementale. Elle est une stratégie volontaire et discrète d’effacement des frontières. Elle a longtemps été présentée comme étant un fait irréversible, alors qu’il ne s’agit que d’une production sortie de quelques cerveaux, parfaitement corrigible. Et si cette mondialisation est réversible, c’est donc que la démondialisation peut enfin s’engager. »

Montebourg est donc clairement contre la mondialisation, et il désigne l’Union européenne sous la direction allemande comme le cœur de la mondialisation. Il fera lui aussi l’éloge des frontières en citant Régis Debray[6]. Mais il ne propose rien de concret sur deux points fondamentaux à mon avis, l’euro et l’Union européenne. Craint-il d’effrayer les Français ? Pense-t-il qu’on puisse s’accommoder de cette usine à gaz montée au profit des multinationales ? Toutes les études sérieuses montrent que l’euro a nuit particulièrement à la France et aux pays du sud de l’Europe et a enrichi l’Allemagne, l’Autriche et les Pays Bas. L’une de ces études qui vient d’Allemagne, montre qu’en vingt ans, les Français ont perdu individuellement 56 000 €, tandis que les Allemands gagnaient 23 000 € chacun[7]. De telles sommes parlent d’elles-mêmes. Jacques Sapir a calculé que la sortie de l’euro ce serait 1,5 millions ou 2 millions d’emplois supplémentaires[8]. Je suis arrivé au même résultat en partant de la balance des paiements, sachant qu’une balance commerciale déficitaire équivaut à un transfert d’emplois du pays déficitaire vers les pays excédentaires. Tous les ans c’est comme si nous transférions 20 000 emplois de la France vers l’Allemagne ! C’est le résultat de la monnaie unique qui empêche de dévaluer : seule la dévaluation interne – c’est-à-dire la baisse des salaires et des prestations sociales – permet de rétablir un équilibre, mais au prix d’un chômage de masse. Il est d’ailleurs étrange que l’Union européenne se focalise sur la question des équilibres budgétaires, mais ne se préoccupe pas des déséquilibres commerciaux ! Montebourg est protectionniste et défend cette terminologie pour montrer qu’au fond il n’existe pas de loi naturelle en économie auxquelles il faudrait se plier. Montebourg est naturellement pour stimuler l’industrie français qui a été abandonnée à son sort au moins de puis une vingtaine d’années, on l’a vu encore avec Florange et Alstom. On le voit encore aujourd’hui avec Bridgestone : cette entreprise  japonaise délocalise ses activités en France vers la Pologne et la Hongrie, non seulement parce que le coût du travail y est plus bas, mais aussi parce que la Commission européenne lui donne des subventions, 140 millions d’euros pour la Pologne et 190 millions pour la Hongrie[9] ! L’Europe viole ouvertement les lois du marché en subventionnant une entreprise qui vise à abaisser globalement les salaires. Evidemment dans ces conditions, il faudra bien revenir à un contrôle des frontières, mais aussi à sortir de l’Union européenne. La France est un contributeur net au budget européen pour un montant de 16,2 milliards d’euros. Autrement dit, elle verse de l’argent à la Commission européenne pour que celle-ci puisse financer les délocalisations de la France vers la Pologne et la Hongrie ! Qu’il n’y ait personne au gouvernement pour contester ce mécanisme mortel est bien la preuve que nous sommes gouvernés par des imbéciles et des incompétents ! 

Extrait :

« Certains défendent l’exception culturelle face à la mondialisation, ils ont raison ! Je vous propose d’aller plus loin et de défendre l’exception industrielle ! Ce que nous n’acceptons pas pour le cinéma et la création artistique, pourquoi l’accepterions-nous pour notre industrie du textile, de la plasturgie ou de la mécanique ? »

  

Si l’ouvrage est une critique acerbe et justifiée de la politique économique d’Hollande et de Macron, il dresse aussi le portrait d’hommes qui non seulement sont très limités sur le plan intellectuel, lâches, mais qui sont aussi totalement corrompus. Valls est de ceux-là. On se demande encore par quelle aberration de l’esprit Hollande a pu avoir l’idée un jour d’en faire un premier ministre ! Montebourg est tout autant impitoyable avec Jean-Marc Ayraud. Sa causticité semble vouloir dire qu’il regrette d’avoir fait autant de compromis avec cette canaille qui se réclame de la gauche et qui finalement fait une politique très à droite en serrant la vis autant qu’on le peut à des salariés déjà ponctionnés durement. On peut déjà anticipé que les gouvernants vont donner encore un nouveau tour de vis en exigeant que le petit peuple – celui qui se lève tôt et qui gagne peu – paie la dette dite du COVID. 

Extraits :

« C’est ainsi qu’Emmanuel Macron le théâtreux devint peu à peu à mes yeux une sorte de Julien Doré de la politique.

Emmanuel Macron aime changer de costume, de registre, de conviction, à la vitesse du vent. Tantôt en uniforme d’aviateur de l’Armée de l’air comme dans une mimique de Top Gun, tantôt en bras de chemise comme imitateur du mouilleur de maillot, tantôt en joueur de tennis pour charmer ces dames, tantôt déguisé en homme de gauche sous Hollande, tantôt en gladiateur du Puy-du-Fou, tantôt fardé en souverainiste en pleine crise coronavirienne, puis en amoureux faussement sincère de la démocratie participative pour se débarrasser des Gilets jaunes, ou devenant l’odieux mec de droite qu’il avait envie d’être, réformateur à la schlague. Emmanuel est finalement un chanteur de variétés. » 

« Les faillites avaient à la fin de l’année 2013 retrouvé le pic de la crise de 2009. Nous avions, par nos mesures stupides, fait rechuter l’économie française. Ces centaines de milliers de chômeurs étaient notre œuvre scandaleuse et mémorable. Tant d’inconscience me faisait enrager. Nos indicateurs précis à Bercy montraient, graphiques de l’Insee à l’appui, que les ménages avaient en moyenne perdu 1 000 euros de pouvoir d’achat en deux ans d’exercice du pouvoir. Nous appauvrissions les gens et fabriquions les futurs gilets jaunes »

En tous les cas ce livre est extrêmement intéressant dans la description de microcosme sans honneur et sans valeur qui ne représente rien. Quoi qu’il en soit, si Montebourg veut se lancer et donc quelque part séduire, il faut encore travailler. Il semble que dans le vide sidéral de la politicaillerie, il soit pour l’instant arrivé à donner à sa démarche un aspect de sérieux des plus importants pour la suite, il réhabilite l’idée de protectionnisme qui à mon avis est en phase avec ce que voudraient les Français. Il lui reste quelques points importants à développer. Donnons-en quelques-uns :

- d’abord il lui faut une armature sérieuse en matière d’environnement. Certes il a investi dans le miel et les abeilles, mais certains le lui ont reproché arguant que si on construisait trop de ruches les abeilles se feraient concurrence et mourraient[10] !

- ensuite il a un problème avec l’industrie. Son discours industrialiste peut plaire aux syndicalistes ou au Parti communiste, mais c’est à double tranchant puisque l’industrie c’est aussi la pollution. Il ne faudrait pas qu’il tombe dans un discours axé sur la croissance.

- enfin il a un problème sérieux avec les femmes. Certes il n’est pas le seul, mais passer d’une femme à l’autre sans discontinuer et en faisant la une des magazines people peut donner une mauvaise image de ce qu’il est vraiment.

Défendre l’idée de frontière, c’est très bien, mais ça ne peut pas se faire sans préciser ce que pourrait être une politique migratoire, et la on va retrouver l’Union européenne et l’extrême gauche. Également il devra traiter de deux sujets qui préoccupent les Français, la question de l’Islam, et la question de la sécurité dans un sens qui soit un petit peu innovant.

Comme on dit la fenêtre est étroite et il lui faudra piller les électeurs de Mélenchon aussi bien que de Marine Le Pen. Il se pose pour l’instant comme se trouvant au-dessus des partis et des magouilles d’appareil. Mais il part avec le handicap, contrairement à Mélenchon, de ne pas avoir d’appui dans les partis. Un certain nombre d’élus du PCF se sont déjà prononcés pour Mélenchon, Hamon également. Certes Hamon ou Marie-George Buffet c’est peu de choses, mais ça donne l’apparence d’un mouvement. Il est assez vraisemblable que le PS ne se rangera pas derrière lui, préférant sans doute la défaite avec Mélenchon plutôt que la victoire avec Montebourg. Cependant d’ici les élections de 2022, il reste encore beaucoup de temps, et comme on le voit, Macron paie et payera sa gestion erratique de la crise sanitaire, comme la démesure des violences policières qui laissent entendre que les forces de l’ordre sont livrées à elles-même et que personne ne les tient.



[1] https://www.parismatch.com/Actu/Politique/Arnaud-Montebourg-reflechit-a-un-engagement-1711638

[2] Votez pour la démondialisation ! : La République plus forte que la mondialisation, Éditions Flammarion, 2011.

[3] La Constitution de la 6e République : Réconcilier les Français avec la démocratie (coécrit avec Bastien François), Flammarion, 2005.

[4] Frédéric Pierucci, Le piège américain, -Lattès, 2019.

[5] Il s’agit du premier traité d’économie politique publié. Mais Antoyne de Montchrestien avait bien d’autres cordes à son arc. Il était dramaturge et ses pièces étaient très appréciées. On l’étudie encore aujourd’hui dans les facultés de lettres. Il eut une vit asse bizarre et mourut d’un coup d’épée dans une obscure bataille liée aux guerres de religion qui ravageaient la France. André Vène, Montchrétien et le nationalisme économique, Sirey, 1923.

[6] Régis Debray, Eloge des frontières, Gallimard, 2010.

[7] https://www.lefigaro.fr/conjoncture/2019/02/27/20002-20190227ARTFIG00101-selon-une-etude-allemande-l-euro-aurait-particulierement-nui-aux-francais.php

[8] Jacques Sapir, L’euro contre la France, l’euro contre l’Europe, Cerf, 2016.

[9] https://www.lefigaro.fr/societes/fermeture-de-bridgestone-a-bethune-des-subventions-europeennes-ont-elles-ete-versees-en-pologne-et-en-hongrie-20200917

[10] https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/01/18/arnaud-montebourg-fait-son-miel-du-declin-des-abeilles_5411240_3244.html

dimanche 22 novembre 2020

Manifestations du samedi 21 novembre contre les lois liberticides de Macron

  

Paris Place du Trocadéro le 21 novembre 2020 

Macron ayant tenu depuis deux mois un discours plus offensif contre l’islamisme est un petit peu remonté dans les sondages d’opinion, bien qu’elle reste encore très basse, avec 2 français sur 3 qui lui sont hostiles[1]. Mais ce garçon était finalement assez peu doué pour la tactique politicienne, il a engagé une bataille stupide pour faire passer une loi très liberticide qui imposerait entre autres que les journalistes s’accréditent auprès du préfet pour suivre les manifestations, mais aussi que les manifestants qui filment les policiers en train de commettre des violences illégales contre eux puissent être poursuivis devant les tribunaux. Cette loi d’essence dictatoriale, nous indique que nous ne sommes plus en démocratie. Elle a cependant été votée par la canaille LREM qui vote tout ce qu’on lui demande sans sourciller. Le point le plus controversé est cette interdiction de filmer les violences policières, car c’est en effet la seule manière de dénoncer la fascisation du régime que de montrer ce que la police se permet. Sans ces preuves, les tribunaux ne feront rien pour entraver les violences policières illégitimes. Ils diront qu’ils n’ont rien vu[2]. Cette loi liberticide critiquée par l’ONU[3], par l’Union européenne et j’en passe, a été votée vendredi 20 novembre dans une Assemblée Nationale encerclée par les forces de l’ordre pour protéger les marcheurs et autres soi-disant centristes faisant leur petite saloperie dans leur coin. Claude Héron la défenseure des droits a demandé le retrait de l’article 24 controversé[4]. Mais elle n’avait aucune chance d’être entendue par les Play Mobils de Macron. 

Les Gilets jaunes sont revenus 

Cette offensive macronienne qui a de très fortes chances d’être retoquée par le Conseil Constitutionnel, dévoile ce qu’est ce régime, une sorte de trumpisme souriant bafouant tous les principes les plus étroits de la démocratie. Certains ont voté pour Macron, pensant se protéger du fascisme lepéniste, mais ils sont tombés de Charybde en Scylla. Nous savons que depuis l’élection malheureuse de Macron, jamais aucune législature n’avait été marquée par autant de violences policières. Cette loi liberticide a donc été le signal de plusieurs manifestations importantes dans tout l’hexagone. Les manifestations ont commencé vendredi 20 novembre devant l’Assemblée nationale, réunissant des étudiants, des Gilets jaunes et bien d’autres encore. Mais elles furent plus importantes encore le jour suivant. On a même vu – chose assez inédite en France – des gendarmes mobiles qui doivent commencer à en avoir marre de cogner le peuple qui manifeste, enlever leur casque devant les manifestants[5]. Il y avait donc beaucoup de monde, syndicalistes, Gilets jaunes et autres, prouvant que lorsque la cause est bonne et simple, les Français s’y retrouvent. Il y a eu des manifestations importantes un peu partout en France, ce qui correspondait aussi aux deux ans des Gilets jaunes. Des milliers de manifestants se sont retrouvés à Marseille, Rennes, Lille, au moins une vingtaine de manifestations, malgré la lourdeur du confinement. Tout ne s’est pas passé comme on le voudrait, on a vu par exemple à Montpellier quelques illuminés venir à la manifestation contre la loi Sécurité globale pour cracher sur Israël et vendre la soupe aigre des BDS et des Frères Musulmans. Mais il est inévitable que dans une manifestation large il y ait ce genre d’entrisme. Ici et là on a vu aussi la CGT – mais pas la CFDT bien sûr – la Ligue des Droits de l’Homme ou encore Extinction Rebellion. Tout cela indique d’ailleurs que l’opposition à Macron n’est pas le fait d’un parti, mais de tous les Français. 

Montpellier le 21 novembre 2020 

La conclusion est que Macron qui tente de reconquérir l’opinion en revenant sur ses élucubrations du début du quinquennat sur l’immigration et sur l’Islam, vient de retomber dans ses errements liberticides. Il a réussi à refaire venir dans la rue ses opposants qui sont, bien au-delà des clivages partisans, très nombreux. Mais ces manifestations ont montré aussi que pour les Français la liberté d’expression et d’information est aussi importante que de lutter contre les violences policières. Macron qui a une très mauvaise image à l’étranger pour ses attitudes liberticides, voit une fois de plus la presse étrangère le critiquer dans sa volonté de restreindre encore plus les libertés de manifester[6]

 

Vendredi 20 novembre, devant l’Assemblée nationale



[1] https://www.20minutes.fr/politique/2914171-20201122-sondages-popularite-emmanuel-macron-hausse-jean-castex-stable

[2] https://www.lemonde.fr/culture/article/2020/09/29/david-dufresne-la-camera-c-est-l-arme-des-desarmes_6053971_3246.html

[3] https://francais.rt.com/france/80794-proposition-loi-securite-globale-onu-emmanuel-macron-critique-severes

[4]https://www.lefigaro.fr/flash-actu/filmer-la-police-la-defenseure-des-droits-reclame-le-retrait-de-l-article-de-loi-20201120

[5] https://www.lefigaro.fr/actualite-france/securite-globale-de-nombreux-rassemblements-prevus-samedi-dans-toute-la-france-20201121

[6] https://www.mediapart.fr/journal/international/211120/la-presse-etrangere-s-inquiete-du-virage-autoritaire-d-emmanuel-macron?utm_source=facebook&utm_medium=social&utm_campaign=Sharing&xtor=CS3-66&fbclid=IwAR1aYz8b8_xQlPqhFdI48wKrRVA_T1hCwaL99N3Mj7J5dx5OHYtdwCM05vU

mercredi 18 novembre 2020

Howard Zinn, Le XXème siècle américain, Agone, 2003

  

Au moment où Trump a mis la panique dans le processus électoral traditionnel, il est bon de revenir sur l’histoire récente de ce pays par la relecture de ce livre célèbre. L’ouvrage d’Howard Zinn est un peu la bible des militants de gauche qui pensent qu’il faut en finir avec le capitalisme. L’auteur est plus ou moins historien, et prend le parti de réécrire l’histoire du point de vue du peuple et des travailleurs. Ce qui est évidemment tout à fait louable. Il va tenter de rendre en quelque sorte la parole à ceux d’en bas. C’est le même principe qu’il avait adopté dans A people’s history of the United States, son ouvrage le plus populaire. Mais ici il choisit comme fil rouge en quelque sorte l’idée d’impérialisme, tentant de démontrer que ce fut la seule politique cohérente de ce pays, et cet impérialisme qui se traduit par des coups d’Etat, des guerres, mondiales ou non, est confronté à ce que le peuple d’en bas en pense. Or évidemment ce peuple là souffre de plusieurs mots, la misère, le racisme, la répression policière et politique, et donc il n’est pas concerné par l’expansion étatsunienne. Cette approche n’est pas fausse, et il utilise un matériel assez convaincant, des articles de journaux, des publications partisanes et syndicales. Mais cette ligne aboutit à des simplifications gênantes. Pour lui, le système bipartisan n’offre aucune alternance possible, et si on lit l’histoire américaine du point de vue de l’impérialisme, il se révèle en effet une étonnante continuité entre les Démocrates et les Républicains. Mais cette approche militante l’amène cependant à des simplifications abusives. 

Soldats noirs américains durant la 1ère guerre mondiale 

Prenons le cas des soldats noirs américains durant la Première Guerre mondiale. A l’évidence ceux-ci ne se sentent pas vraiment concerné par le conflit mondial, on les enrôle contre leur propre gré dans l’armée, ce qui me parait peu discutable. Passons sur le fait que Howard Zinn ramène ce conflit mondial qu’à la seule volonté des Etats-Unis de mettre la main sur les réserves pétrolières. Mais il ne veut pas comprendre que d’une manière ou d’une autre, la participation des noirs américains à cette guerre, et sans doute encore plus à la Seconde Guerre mondiale, est aussi un facteur d’émancipation pour eux ! Puisqu’en effet, s’étant battus pour une cause nationale, ils sont d’autant plus fondés à revendiquer une égalité de droits. En ce sens-là, les deux conflits mondiaux ont bien joué un rôle émancipateur pour les noirs américains. Bien évidemment, cela ne s’est pas fait sans mal. Mais cela s’est fait tout de même. Zinn accorde une grande importance au racisme fondateur des Etats-Unis. C’est tout à fait juste, bien qu’il s’insurge plus facilement contre le racisme anti-noir que contre le génocide des Amérindiens. Mais même si ce fut très lent, et souvent dramatique, les noirs ont progressé dans la société américaine, jusqu’à ce qu’un des leurs devienne président – bien qu’il ait été un mauvais président. Donc, ne regarder la mobilisation des noirs dans une armée américaine raciste, utilisant ces hommes comme de la chair à canon est insuffisant. Parce que cette mobilisation pour la guerre a fini par produire tout autre chose, une sorte de révolution, un changement de système politique et social. 

Roosevelt vendant son programme 

Zinn détestait Roosevelt comme il détestait tous les démocrates qui pour lui détournaient les forces de gauche de leur mission historique. Mais Zinn oublie beaucoup de chose dans le procès qu’il dresse au président étatsunien qui a été élu pour quatre mandats ! D’abord Roosevelt bénéficiait d’un soutien constant et solide dans la classe ouvrière. Et donc il est difficile de croire que le Parti communiste américain qui ne comptait pratiquement pas, aurait eu plus de lucidité que le peuple qu’il voulait représenter. Rétrospectivement Zinn fait la leçon à la classe laborieuse, ce qui est une constante de l’extrême-gauche. Mais dans sa diatribe il trie les faits pour ne faire ressortir que ce qu’il veut bien voir. D’abord il nous dit que Roosevelt n’est entré que très tardivement en guerre, en fait après Pearl Harbor. C’est vrai, mais Zinn oublie que l’opposition à la guerre était très forte aux Etats-Unis. Roosevelt était prêt depuis plusieurs longs mois à entrer en guerre, mais il n’arrivait pas à avoir une majorité pour l’y aider. Il y avait à cette époque un lobby pro-allemand qui était très puissant. Mais évidemment après Pearl Harbor plus personne ne pouvait s’opposer à la volonté rooseveltienne d’en découdre avec les forces de l’Axe. Zinn présente Roosevelt comme le sauveur du capitalisme, mais il ne voit que ça. Certes Roosevelt n’est pas un révolutionnaire, mais les Etats-Unis des années trente l’étaient-ils ? Cependant le but premier de Roosevelt n’était peut-être pas de sauver le capitalisme, ou de passer au socialisme, deux choses très abstraites, mais plus simplement de trouver des solutions pour donner du travail et des revenus décents à des millions de chômeurs. Zinn oublie que si Roosevelt avait un appui large auprès des masses populaires, il était conspué et harcelé par l’establishment d’où il venait pourtant. Les milieux d’affaires ne le soutenaient pas et les économistes dans leur grande majorité étaient hostiles à son plan social. Mais au final Roosevelt a imposé des réformes sociales  qui ont été comme une révolution, que ce soit sur les salaires, ou sur les droits des syndicalistes, et bien sûr je passe sur le plan de réembauche de tous les chômeurs, non pas en fonction des besoins du marché, mais en fonction de leurs qualifications. Mais Zinn ne regarde que du côté de ceux qui ont recommencé à faire des affaires et à réinstaller un capitalisme décomplexé. L’approche de Zinn est tellement fausse, qu’il oublie que ce capitalisme pur et dur n’a pu se réinstaller que cinquante ans plus tard, avec Reagan, et après un très long travail de sape idéologique pour y arriver. Cette approche hémiplégique ressort du fait que pour Zinn, rien ne change s’il n’y a pas de révolution socialiste. On peut souhaiter une révolution socialiste, mais on ne peut pas dire que le capitalisme américain des années soixante est le même que celui des années vingt. Très souvent Zinn semble dire que la conscience de classe des travailleurs n’est jamais assez avancée. C’est bien possible, mais comme cette réflexion est récurrente depuis au moins le milieu du XIXème siècle, il faut réfléchir aux causes. Des décennies d’endoctrinement de la classe ouvrière par des gens instruits qui veulent son bien, n’ont mené à rien. C’est donc que la méthode d’approche est mauvaise. 

Minneapolis, 1934, les travailleurs affrontent la police 

Par contre l’ouvrage de Zinn est beaucoup plus convaincant et intéressant quand il montre la sauvagerie de la répression contre la classe ouvrière. Cette description explique pourquoi finalement la conscience de classe progresse si lentement. On peut également reprocher à Zinn de regarder le capitalisme comme un système très organisé qui poursuit un but très bien pensé. Donc par exemple, il suppose que si Roosevelt a aidé à une redistribution des richesses en faveur des classes les plus pauvres, c’est par duplicité. C’est aussi bien pour relancer une économie moribonde que pour faire en sorte que la consommation freine les luttes sociales. Mais cette approche ne tient pas compte de la situation initiale : 40% des Américains sont au chômage. Alors évidemment, il y a des émeutes, des mouvements de chômeurs qui tentent de s’organiser, car quelles que soient les intentions du gouvernement, il faut tout de même un peu de temps pour remettre en route une économie anéantie par la crise financière. Dans ce contexte les actions de l’Etat sont ambiguës, obligatoirement. Et bien sûr auprès de celui-ci certains capitalistes vont tenter de profiter de l’opportunité, qui pour baisser les salaires, qui pour capter des commandes de l’Etat. Ce qui veut dire que la méthode de Zinn qui consiste à capter telle ou telle séquence qui montre des capitalistes en train de magouiller, dans le pétrole ou ailleurs, est mauvaise. Ce ne sont pas les intentions qui permettent de juger, mais les résultats, en termes d’emplois, de resserrement des inégalités, de droits syndicaux ou de hausse des salaires. Il utilise souvent des journaux d’époque représentatif d’une mouvance révolutionnaire assez marginale, et il fait comme si ces textes étaient représentatifs d’une large partie de la classe ouvrière. Je ne dis pas que ces témoignages ne valent rien, bien entendu, mais il faut les resituer en permanence dans ce qu’on perçoit comme une masse compliquée et divisée. Mais très souvent, bien que très peu lus et diffusés, ces textes donnent aussi une bonne image de la misère dans laquelle le peuple se trouve. 

 

L’ouvrage est écrit dans un ordre chronologique, d’un point de vue chaque fois singulier, d’une dominante.  On avance ainsi au rythme du développement de la Guerre du Vietnam qui fit beaucoup pour le discrédit des Etats-Unis dans le monde entier. Zinn décrit parfaitement comment la conscience contre la guerre s’est développée : manifestations monstres, refus de la conscription, refus d’aller au front. Si dans le début des années soixante l’approbation de l’entrée en guerre était largement approuvée, on était encore dans l’hystérie anti-communiste, dix ans plus tard, c’était exactement l’inverse. L’opinion publique s’était retournée et pesait pour stopper la présence américaine au Vietnam. C’est à mon sens un des rares conflits qui fut stoppé par la mobilisation du peuple. Zinn avance que cette mobilisation contre la guerre venait d’abord des classes pauvres qui étaient les plus mobilisées. Il donne des chiffres très intéressants d’ailleurs où il montre que la consicence d’une guerre ruineuse et injuste venait d’abord des couches inférieures de la société. Lui-même venait d’un milieu pauvre, il avait été aussi ouvrier un temps. Les plus pauvres ne se sentaient pas concernés par la guerre, sans doute se sentaient ils mal intégrés comme on dit aujourd’hui. C’est au fur et à mesure que les Etats-Unis durent élargir la conscription à la classe moyenne que celle-ci rejoint le mouvement. En vérité dans ce refus de la guerre il y avait plusieurs dimensions, d’abord la peur de se faire trouer la peau pour rien – par opposition sans doute à la nécessité de défendre son pays contre un envahisseur – ensuite les horreurs réelles de la guerre qu’on commençait à voir à la télévision et à lire dans les journaux. Il est assez clair que cette longue mobilisation contre la guerre non seulement a obligé le gouvernement à capituler, mais elle a préparé aussi à la mobilisation anticapitaliste en 1968 aux Etats-Unis. Ce que Zinn n’analyse pas vraiment. Il met très bien par contre en relation la lutte contre la guerre avec la montée en puissance de la mobilisation pour les droits civiques. En matière de diffusion des idées, on a assisté à cette époque aux Etats-Unis à de nouvelles formes de production et de diffusion des idées. Les grands médias étant largement peu enclins à aller contre la guerre, les contestataires durent faire preuve d’imagination pour créer des journaux clandestins et les diffuser. Les grands médias interviendront ensuite sur ce terrain que quand le mouvement contre la guerre était très massif, avait gagné les couches bourgeoises de la société, et que les crimes de guerre étaient évidents. Selon moi c’est la partie la plus intéressante du livre de Zinn, montrer comment le peuple engendre une révolution par le bas. Car il s’agissait bien d’une révolution qui non seulement contestait l’implication du pouvoir dans la guerre, Johnson puis Nixon, mais qui faisait évoluer la loi dans un sens plus favorable au peuple. Il ne faut pas oublier que Johnson était tellement contesté sur le plan de son investissement guerrier au Vietnam qu’il fit voter des lois sociales très importantes qui firent de lui le président le plus à gauche depuis Roosevelt[1]. Nixon n’osa pas remettre en question ces lois. C’est seulement en 1980 avec l’élection de Reagan qu’elles furent attaquées frontalement. Reagan se fit élire non seulement en attaquant les lois sociales mais en se présentant comme un raciste convaincu, arguant que les noirs fainéants de nature touchaient un peu trop d’allocations sociales, et en voulant réhabiliter l’action des Américains au Vietnam. Trump sous la forme d’une caricature ridicule reprendra l’idée  de MAGA – Make America Great Again – sans beaucoup de succès une fois la sidération passée. 

Howard Zinn a commencé l’activisme anticapitaliste contre la Guerre du Vietnam 

C’est donc bien dans les années soixante, au milieu de la décennie que s’enracine la contestation tout azimut du capitalisme américain, y compris dans ce qui deviendra ensuite le mouvement féministe. C’est vrai aux Etats-Unis, mais ça l’est tout autant en France et en Europe. Malgré les différents rafistolages du système, les formes hiérarchiques qui fondent l’ordre capitaliste, sont mises à mal. Un des points qui a focalisé les luttes féminines c’est bien sûr la question de l’avortement sur lequel la canaille trumpiste a tenté de revenir et qu’on voit ici et là remis en question que ce soit dans l’Islam ou sous la pression des extrémistes chrétiens. On sait que ce sont les femmes qui ont contribué plus fortement que les hommes à la défaite de Trump pour sa réélection[2]. Cette lutte pour le droit à l’avortement prend ses racines dans les années soixante, mais aujourd’hui c’est encore un combat actuel face à la montée des fondamentalismes. Zinn décrit l’enracinement de ce combat dans deux réalités factuelles : d’abord la montée en puissance de l’éducation des femmes et de leur insertion consécutive sur le marché du travail, mais aussi, ce qui est plus important peut-être c’est la critique de la consommation et de la marchandise ; autrement dit la conscience que la libération de la femme passe obligatoirement par une critique claire de la marchandise. C’est un combat difficile parce que le système médiatique et publicitaire travaille sur le corps des femmes, et tente de les apprivoiser avec des images de stars, des cosmétiques ou les magazines de mode. Ce qui veut dire que le combat féministe, s’il revendique l’égalité ne saurait se borner à l’égalité de salaire entre les hommes et les femmes, ou encore ne peut pas être perçu dans sa forme incohérente des néo-féministes qui défendent le voile islamiste en France et qui oublient ce qui se passe en Iran. L’émancipation des femmes ne peut pas se passer d’une condamnation des religions, ni de la marchandise. Il est risible de voir à ce propos des journaux comme Le monde pleurnicher sur le fait qu’on ne trouve pas assez de femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises. Tout mouvement social même lorsqu’il est des plus justes est souvent caricaturé non par ceux qui l’ont initié, mais par ceux qui tentent de le récupérer pour se placer à sa tête. 

 

Il y a plusieurs manières d’analyser les batailles pour les droits. Pour Habermas c’est une nouvelle époque politique, la lutte des classes n’existe plus. Mais Zinn pense qu’au contraire cet émiettement des luttes pour les droits qu’on constate vers le milieu des années soixante-dix, avec comme toile de fonds la crise pétrolière, se ramène toujours d’une manière ou d’une autre à la lutte des classes. Donc s’il analyse le mouvement féministe, il le verra avec les lunettes de l’exploitation du travail de la femme par l’homme. La lutte contre la discrimination raciale est également pour lui le résultat de l’exploitation du travail des noirs. Je ne le suivrais pas tout à fait sur ce terrain glissant. A mon sens cet émiettement des luttes est le résultat à la fois de l’échec de la lutte contre le capitalisme à la fin des années soixante, et le développement de l’individualisme qui fait que le mouvement des droits reconstruit des séparations bien étanches entre les genres, les races – voir ce que sont devenues les luttes des racialisés – ou les préférences sexuelles et religieuses. C’est en quelque sorte l’extension de la logique du marché qui fait qu’on préfère exercer un monopole sur un segment étroit de la communication, plutôt que de nier l’existence d’un pouvoir économique fondamental. Zinn relie l’histoire de son malheureux pays du point de vue du seul impérialisme américain. Certes il y a des continuités évidentes depuis au moins Wilson, mais les choses changent. Zinn remarque que depuis la Guerre du Vietnam et la défaite, l’Etat américain a perdu de son autorité. Et donc dans cette brèche se sont engouffrés tous les mouvements de contestation. Pour lui l’impérialisme américain est d’abord et seulement une réalité économique. Mais ce raisonnement est insuffisant, d’abord parce que l’impérialisme est bien plus qu’une réalité économique. Mais ensuite tous les pays développés ont connu un effondrement de la crédibilité des politiques, même quand ils n’avaient pas perdu de guerre ou quand manifestement ils n’avaient pas eu vraiment de pratiques impérialistes. Et cette défiance arrive dans la seconde moitié des années soixante, de partout. Puis évidemment, la crise pétrolière va aggraver les choses et dévoiler que les petits arrangements entre fausses alternances n’améliorent pas le système global. En relisant le livre de Zinn, on se rend compte que le système capitaliste, dominé par les Etats-Unis vit un état de crise permanent, mais qu’il n’y a pas de solutions qui arrivent à changer quelque chose. Ce n’est pas tant que les gens ne sont pas capables de formuler une critique suffisante, cette critique est d’ailleurs souvent dispersée comme on l’a dit plus haut, mais c’est qu’ils n’arrivent pas à proposer quelque chose d’enthousiasmant, qui entraîne l’adhésion. C’est pour l’instant encore ça l’assurance survie du système : cette incapacité à agir en dehors des partis complètement dépassés. Mais en même temps, les problèmes demeurent, s’aggravent et s’accumulent. Les solutions avancées n’en sont pas, à peine peut on les comprendre comme des palliatifs de court terme. Prenons un exemple : Zinn donne des chiffres pour nous expliquer que le capitalisme étatsunien dans sa volonté de dominer le monde et de conquérir des marchés, investit à l’étranger des sommes fabuleuses et en retire des profits colossaux. Mais en même temps nous nous rendons compte que les Etats-Unis eux-mêmes voient leur puissance s’effriter sous la poussée de capitalismes concurrents, européens ou chinois. Les restauration que Reagan, Thatcher, et plus tardivement Trump ont tenté se sont soldées par échecs, échecs seulement masqués par l’effondrement de ce qu’on appelait le bloc de l’Est en 1989. 

 

Prenons le cas de l’industrie de l’armement américaine. C’est une puissance incroyable et source de corruption. Certes elle sert à faire des guerres et éventuellement mettre la main sur des ressources pétrolières comme en Irak par exemple. Mais en même temps cette industrie tourne pour elle-même, sans but autre que celui de faire des profits. En ce moment, avec le changement de président attendu aux Etats-Unis, on parle de ce que fera Biden pour moderniser l’armement nucléaire américain qui pourtant ne sert à rien : on sait que Trump proposait un plan de 1200 milliards $ étalé sur trente ans[3]. Mais à l’heure actuelle il est difficile de justifier ces dépenses parce qu’on ne connaît pas vraiment d’ennemi. L’OTAN peine à mettre en scène un danger qui viendrait de la Russie, et Trump joue les gros bras face à une menace peu crédible de la Chine. Zinn ne prend pas assez en compte cette dimension de lobbies et de sous-lobbies qui vivent pour eux-mêmes et leurs profits de court terme plus que pour asservir la planète à leurs désirs. 

 

Il y a une contradiction importante dans l’ouvrage de Zinn. Pour lui les démocrates et les républicains, c’est la même chose, une fausse alternance. C’est un lieu commun qu’on entend très souvent, et aujourd’hui encore avec l’opposition des deux septuagénaires Trump et Biden. Mais la continuité entre les deux partis ne peut se démontrer vraiment que sur le plan de la politique étrangère. Si les deux partis étaient tout à fait de même nature, Ronald Reagan n’aurait pas pris la peine de propulser une contre-révolution destinée à restaurer un hypothétique capitalisme flamboyant comme il pouvait en exister avant le début du XXème siècle. Ce que Zinn n’analyse pas, et ce qui est selon moi fondamental, c’est pourquoi les caciques du Parti Démocrate ont abandonné Roosevelt et ont adopté les standards de la réflexion économique qui fait du marché une loi naturelle incontournable. Là il faut peut-être en revenir à Naomi Klein qui explique comment les milliardaires américains ont financé très richement des universités des journaux, des hommes politiques pour porter leur doctrine et combattre violemment les thèses rooseveltiennes d’un interventionnisme étatique sur le plan social[4]. Zinn montre d’ailleurs que c’est avec Reagan qu’on a basculé des milliards de dollars du secteur de l’aide sociale vers le soutien aux dépenses militaires. Reagan a fait ce que les démocrates n’osaient pas faire, et ensuite ceux-ci – au moins jusqu’à Obama, puisqu’on ne sait pas encore ce que fera Biden[5] – se sont alignés sur la doxa néo-libérale. 

 

La difficulté qu’on a avec le livre de Zinn c’est qu’il s’appuie sur l’idée d’un sens de l’histoire, mais que ce sens est contrarié par une classe qui ne veut pas s’y résoudre. En vérité les éléments qu’il nous livre sont très intéressants, passionants, mais on peut les lire aussi simplement comme les convulsions d’un système à l’agonie au moins à partir du milieu des années soixante. Je retiens trois périodes, la mise en place d’un capitalisme flamboyant, prédateur mais offensif, jusqu’à la sortie de la Première Guerre mondiale, puis un capitalisme régulé, à la fois sur le plan économique et sur le plan des mœurs, qui va de 1932 – élection de Roosevelt – à 1965 quand il est apparu que les Etats-Unis n’arrivaient plus à se dépêtrer du bourbier vietnamien. Enfin un capitalisme dégénéré et prédateur à partir de la contre-révolution reaganienne qui a abouti en 2016 à l’élection d’un clown atrabilaire et hystérique. L’élection de 2020 a confirmé que les Etats-Unis étaient un pays qui avait vieilli très vite, encore plus vite que l’Europe : deux vieillards se sont affrontés, l’un à demi-fou, 74 ans au compteur, promis à la camisole de force dans son refus de regarder la réalité en face, et l’autre un vieux cheval de retour de 78 ans. Ce dernier l’a emporté non pas parce qu’il était plaisant et avait un progrès très attractif, mais surtout parce que son prédécesseur était trop anxiogène, la société ne pouvant plus supporter cette épreuve de le voir à cette place. Le livre de Zinn a été écrit au tout début des années 2000, c’est un livre très pessimiste. Mais depuis lors les choses n’ont fait qu’empirer sur à peu près tous les plans, économique, social, inégalités, environnement, et j’en passe. Cet ouvrage a cependant le grand mérite de mettre en lumière les ressorts de la rébellion sous-jacente qui ne demande qu’à s’exprimer et qui explose de temps en temps. Il y a donc un grand intérêt à lire Zinn, même si ici et là nous ne sommes pas d’accord tout à fait avec sa méthode, au moins révèle-t-il une lutte des classes sous-jacente qui s’inscrit dans un temps long.

[1] Joseph A. Califano jr, The Triumph and Tragedy of Lyndon Johnson: The White House Years, Simon & Schuster, 1991.

 

[2] https://ingirumimusnocte2.blogspot.com/2020/11/elections-aux-etats-unis-resultats-et.html

[3] https://www.latribune.fr/opinions/armes-nucleaires-ce-qui-attend-joe-biden-et-ce-qu-on-peut-attendre-de-lui-862223.html

[4] The shock doctrine: the rise of disaster capitalism, Random House, 2007.

[5] Bien que beaucoup soient très sceptique sur ses capacités à vraiment changer quelque chose en profondeur dans ce malheureux pays. https://www.marianne.net/agora/entretiens-et-debats/avec-lelection-de-biden-la-classe-dirigeante-americaine-retrouve-sa-possession

Henri Barbusse, Le feu, journal d’une escouade, Flammarion, 1916

  C’est non seulement l’ouvrage de Barbusse le plus célèbre, mais c’est aussi l’ouvrage le plus célèbre sur la guerre – ou le carnage – de...