dimanche 27 décembre 2020

Brexit fin de partie, une double défaite pour l’Union européenne et pour Macron

  

Les négociations entre l’Union européenne et les Britanniques se sont soldées avec un accord final dont chacun s’est empressé de dire qu’il était à son avantage. Les libéraux sont comme ça, ils pensent être dans le sens de l’histoire et donc que la vie sociale, politique et économique va dans un seul sens, celui du progrès, bien que ce terme de progrès reste la plupart du temps particulièrement flou. Le cas de Jacques Attali, sans doute un des plus médiocres intellectuels de Cour, est emblématique. Toujours dans le déni, il pensait que le Brexit non seulement ne serait pas voté, mais qu’en outre il ne serait pas appliqué et que cela conduirait au suicide du Royaume Uni[1]. Il a ainsi bâti toute une théorie fumeuse pour nous expliquer que par-delà les volontés politiques, il y avait le marché qui crée des irréversibilités politiques et institutionnelles et parmi celles-ci il y aurait l’Union européenne dans quasiment tous les domaines. Jacques Attali est le champion toutes catégories de la prédiction erronée. Admettons que les lois du marché guident le monde. Mais il est assez évident que l’avenir du marché débridé et mondialisé conduit toujours à la crise et qu’on le veuille ou non la crise conduit inévitablement à un recul via les faillites et le chômage. Et donc il ne faut pas être bien malin pour comprendre que la mondialisation et ses excès conduisent forcément au retour de l’idée nationale et des frontières. Le Brexit n’est qu’une des expressions de la fin programmée de la mondialisation. En France et dans le reste de l’Union européenne on se garde bien de proposer un référendum sur la sortie ou non de ce « machin », c’est vrai depuis au moins 2005 et la défaite des européistes, et c’est encore plus vrai depuis la sortie programmée du Royaume Uni. Il est d’ailleurs très étonnant que nous puissions encore trouver à gauche des soutiens à l’Union européenne étant donné que celle-ci ne fonctionne que sur l’idéal de la concurrence, idéal qui est mauvais aussi bien pour les travailleurs, pour les services publics que pour l’environnement. Les lois du marché conduisent inexorablement à la diminution des droits des travailleurs. L’idéal de compétitivité exige aussi la braderie des services publics au secteur privé. Une des raisons qui avaient poussé Margaret Thatcher à démissionner c’est que les infrastructures britanniques s’effondraient au point de menacer le marché lui-même. C’est que le marché ne peut pas se passer de l’Etat. C’est d’ailleurs ce qu’a compris le néolibéralisme qui s’y entend à le piller. 

Le libre-échange, valeur fondatrice de l’Union européenne, n’est pas une valeur socialiste, mais bien capitaliste, c’est ce que Marx avait compris[2]. Et depuis Friedrich List on sait que le libre-échange n’est profitable qu’à la partie la plus avancée[3]. Parmi les raisons qui ont décidé les Britanniques à sortir de l’Europe et à retrouver leur souveraineté, il y a le déficit récurrent de la balance commerciale, déficit qui n’est pas contrebalancé par des aides ou des subventions puisque les Britanniques versaient plus d’argent qu’ils n’en recevaient. Autrement dit la participation des Britanniques à l’Union européenne ne produit aucun gain : le libre-échange est un jeu à somme nulle, au mieux. La France est dans le même cas que le Royaume Uni et c’est bien pourquoi il y a chez nous un puissant courant anti-européen. N’oublions pas que quand nous avons un déficit commercial cela se traduit par des pertes d’emplois, toujours. Et donc évidemment ces pertes d’emplois ne sont pas perdues pour tout le monde puisque certains pays, au premier rang l’Allemagne, ont grâce à l’Europe et à l’euro des excédents très importants et qui ont tendance à s’accroître avec le temps. En somme les Britanniques se sont rendus compte que l’Union européenne ne leur était pas profitable – sauf à certaines franges particulières de la société – et ils en ont tiré les conséquences. Parmi les autres méfaits de la mondialisation, dont l’Union européenne est la pointe la plus avancée, il y a évidemment les problèmes créés par l’immigration massive et l’islamisation rampante de la société britannique. On sait que si le vote de classe a joué en faveur du Brexit, jusqu’à disqualifier pour longtemps le parti travailliste, la question de l’immigration a aussi été décisive, car pour le peuple, le libéralisme qu’il porte sur la circulation sans contrôle des marchandises, des capitaux ou des personnes est toujours une mauvaise chose. Contrairement aux idées loufoques de Jacques Attali, un traité quel qu’il soit peut-être dénoncé et remis en question. Cette illusion de croire qu’on peut se passer de la politique n’a aucun sens. Tôt ou tard celle-ci reprend le dessus. 

On notera cependant que la peine des Britanniques à rester dans l’Europe a été partiellement compensée par le fait qu’ils ont gardé, comme la Suède et le Danemark, leur propre monnaie, la livre. C’est ce qui leur a permis d’avoir des performances économiques légèrement supérieures à celles de la France, conservant même une part plus importante de leur valeur ajoutée dans l’industrie. Le monde qui n’est jamais en retard pour faire la propagande pour l’Europe a prédit les pires calamités pour le Royaume Uni[4], comme s’il n’y avait pas de vie avant l’adhésion de la Grande-Bretagne à la CEE puis à l’Union européenne. Ce journal s’est placé du côté de Michel Barnier, l’acclamant comme un vainqueur qui a su protéger les intérêts de l’Union européenne face à ces Britanniques qui réclamaient bien trop de ce qu’on pouvait leur donner. Il est difficile de faire mieux dans la désinformation. Si les négociations menées par Barnier ont traîné aussi longtemps, c’est particulièrement de sa faute. Encore qu’il n’en soit pas le seul responsable. Il a en effet mis énormément de hargne pour freiner le plus longtemps qu’il le pouvait le processus de divorce. La raison en était simple, il était poussé par Macron pour ce faire, celui-ci lui ayant fait miroiter qu’il pourrait obtenir le poste convoité de Président de la Commission européenne. Il a été lui aussi trompé parce que les Allemands l’ont lâché bien avant que les accords de sortie de l’Union soient finalisés, préférant la docile et sûre Von Der Leyen. Quelle était la mission de Barnier ? Elle était double, d’abord trainer en longueur en espérant un second référendum qui renverserait le précédent résultat, ça ne s’est pas produit. Ensuite il pensait pouvoir faire très mal à l’économie britannique, tellement mal que celle-ci ne s’en remettrait pas et que cela dissuaderait les éventuels prétendants à une sortie. Ces deux objectifs ont été ratés. Ils ont cependant indiqué quelle serait à l’avenir la bonne méthode pour prendre la porte : sortir d’abord, négocier ensuite ! On a vu que chaque fois qu’on discute trop longtemps avec la bureaucratie bruxelloise, on se met en difficulté. Ce fut l’échec de Tsípras qui pensait que grâce à la négociation il obtiendrait quelques miettes. Mais il n’a obtenu que le déshonneur d’avoir bradé son pays et l’Union européenne lui a craché dessus. 

 

Macron évidemment a fanfaronné comme à son habitude, il ne sait faire pas grand-chose d’autre, arguant que grâce à la fermeté et à l’union du reste de l’Europe contre l’ennemi britannique il aurait gagné une guerre difficile « l’unité et la fermeté européennes ont payé »[5]. Oubliant au passage que les Britanniques ont été souvent aux avant-postes de la lutte contre la tyrannie allemande. C’est faux, cet accord est une défaite en rase campagne pour lui et pour Merkel, et une victoire pour le camp souverainiste, qu’il soit britannique ou autre. L’Union européenne est perdante sur au moins deux points : d’abord sur le fait que le Royaume Uni abondait le budget européen pour un niveau net de 7 milliards d’euros. Or ce manque va se répercuter inévitablement sur les subventions que la Commission européenne distribue vers les pays de l’Est comme la Pologne et la Hongrie. C’est seulement parce qu’elle achète à prix d’or les gouvernements de ces pays qu’elle peut continuer à développer son programme, mais qu’en sera-t-il dans les années qui viennent ? Bien avant la conclusion du Brexit, la Pologne manifestait déjà des tentations de se séparer de l’Union européenne. Cela veut dire que la Commission de la faible Von Der Leyen va encore plus de mal à imposer sa politique d’immigration de masse dans les pays membre du Groupe de Visegrad. Le second point est que les Européens ont parié sur le fait que la croissance économique du Royaume Uni s’écroulerait. Comme je l’ai dit au début de ce billet, il n’y a pas plus de raison pour que l’économie s’écroule dans ce pays plutôt qu’en Europe. C’est même l’inverse. Dans la mesure où l’Union européenne entretenait un commerce excédentaire avec le Royaume Uni, une sortie des accords ne peut que lui être défavorable. Theresa May avait commencé à développer un plan de réindustrialisation de son pays. La sortie effective de l’Union européenne devrait accélérer ce mouvement y compris grâce à des relocalisation ou des IDE. Contrairement à ce que certains avaient prédit en 2016, au prétexte que la confiance ne serait plus là, la croissance britannique ne s’est pas effondrée et s’est maintenue. Même si le contenu est difficile à connaître, il fait près de 2000 pages tout de même, il ne semble pas que fondamentalement la position du Royaume Uni sera celle d’une île isolée comme font semblant de croire certains députés européiste[6] ! On continuera à circuler et à commercer avec ce pays, même si ce sera un petit peu moins. En outre les sommes que les britanniques récupéreront en ne participant plus au budget commun permettront de réinvestir comme l’ont promis Theresa May puis Boris Johnson dans les services publics qui ont été très dégradés depuis les mandatures de Margaret Thatcher puis de Tony Blair. Sur le plan commercial, c’est un autre camouflet pour l’Europe, les Britanniques, cela n’a pas encore été trop discuté, ont ainsi obtenu exactement ce qu’ils voulaient, un accord de libre-échange pour les marchandises, sans obligation aucune, alors justement que les équipes assez incompétentes de Barnier menaçaient de mettre des taxes et des quotas en veux-tu en voilà pour gêner le Royaume Uni[7]. Également les Britanniques ont obtenu une victoire capitale sur les équipes de Barnier en refusant d’adhérer à la tutelle de la Cours européenne de justice dont on connaît les travers anti-démocratiques et autoritaires poussés jusqu’à l’absurde[8].  En échange ils ont accepté, mais ce n’est pas un mal pour eux finalement, des normes de production plus contraignantes sur le plan sanitaire et environnemental. 

Le problème du Royaume Uni est ailleurs. Bien que l’accord ait ménagé l’Irlande en ne rétablissant pas une frontière effective, les tentations indépendantistes risquent de reprendre de plus belle. L’Ecosse va réclamer son indépendance. La première ministre Nicola Sturgeon a avancé que c’était le moment, puisque tout le monde est sous le choc de remettre sur le tapis l’indépendance de son pays[9]. Cet opportunisme prétend ne pas attendre de voir ce que donnera concrètement le Brexit car en effet celui-ci risque de démontrer aussi ses vertus. Les Ecossais qui ont toujours souffert de la domination de l’Angleterre, pensent qu’ils seraient mieux lotis dans le cadre de l’Union européenne. Il va de soi que l’Union européenne soutient cette idée qui affaiblirait le Royaume Uni. Tout ce qui peut démontrer que sortir de l’Union européenne est puni d’une manière ou d’une autre est bon pour la propagande européiste. C’est un peu la boîte de Pandore, le souverainisme risque aussi de faire des dégâts ailleurs qu’au sein de l’Union européenne. 

 

Les Britanniques ont donc franchi l’ultime étape de la sortie. Ils ont créé un précédent dans la logique de dissolution de l’Union européenne. Ils ont donc mis un terme à l’idée selon laquelle l’histoire ne pourrait aller que dans le sens d’une intégration toujours plus grande des marchés dans la dissolution des entités nationales, vers un monde sans frontières[10]. Le Royaume Uni était entré dans le cirque européen en 1973, ils en sortent 47 ans plus tard, après avoir d’ailleurs refuser d’adopter la monnaie unique, démontrant par ce simple fait que l’Union européenne n’a pas su convaincre les britanniques de son utilité : l’idée générale était que le coût de demeurer dans l’Union était finalement bien plus élevé que les avantages y afférant ! Certains européistes considèrent qu’il sera plus facile d’avancer sans eux qu’avec eux. Mais on suppose qu’ils diront cela chaque fois qu’un pays membre se retirera de ce cirque. En 2011 on parlait déjà de mettre à la porte la Grèce, puis les Allemands se sont dit que tout de même en gardant ce pays dans l’Union il serait plus facile de le piller. Car il ne faut pas se faire d’illusion, la politique européenne se fait à Berlin et non pas à Bruxelles. Si on voit très bien comment Merkel a mis en place un gouvernement de l’Union européenne sous la direction de Berlin, on ne voit pas qu’elle est la dissidence ce Von Der Leyen ou même de Macron avec cette logique. Macron qui n’a peur de rien a twitté « l’Europe avance et peut regarder vers l’avenir, unie, souveraine et forte »[11]. Il est stupide de parler de souveraineté de l’Europe puisque ce n’est ni une nation, ni un peuple, à peine un marché, mais en outre se féliciter qu’un des pays membres parmi les plus importants la quitte pour dire que l’Europe avance c’est plutôt fort !  C’est un peu comme décréter que le groupe parlementaire des LREM se renforce au fur et à mesure que les députés le quittent ! 


[1] https://www.businessinsider.fr/jacques-attali-brexit-royaume-uni-suicide-2019

[2] Karl Marx, Discours sur la question du libre-échange, 1848.

[3] Friedrich List, Système national d’économie politique, 1841.

[4] https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/26/accord-sur-le-brexit-amer-soulagement_6064549_3232.html

[5] https://www.lefigaro.fr/politique/emmanuel-macron-se-felicite-de-l-accord-post-brexit-l-unite-et-la-fermete-europeennes-ont-paye-20201224

[6] https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/la-grande-bretagne-et-l-ue/brexit-le-royaume-uni-va-etre-isole-les-relations-avec-l-europe-seront-difficiles-s-inquietent-des-deputes-francais_4234363.html

[7] https://www.lesechos.fr/monde/europe/brexit-londres-est-parvenu-a-repliquer-la-quasi-totalite-des-accords-commerciaux-europeens-1276524

[8] https://www.dhakatribune.com/opinion/op-ed/2020/12/26/op-ed-brexit-deal-done

[9] https://www.leparisien.fr/international/apres-le-brexit-la-tentation-de-l-independance-en-ecosse-26-12-2020-8416166.php

[10] https://ingirumimusnocte2.blogspot.com/2020/12/retour-sur-la-question-des-frontieres.html

[11] https://www.ouest-france.fr/europe/grande-bretagne/brexit/brexit-pour-emmanuel-macron-l-unite-et-la-fermete-europeennes-ont-paye-7100020

mercredi 23 décembre 2020

Théories du complot, causes et conséquences

  

Les théories du complot existent depuis très longtemps, sans doute parce qu’elles fascinent ceux qui se livrent à leur développement comme ceux qui les suivent, mais aujourd’hui, elles sont tellement déchaînées qu’elles fracturent la société dans tous les sens et rien ne semble pouvoir freiner leur expansion. Trop souvent elles sont analysées comme de simples aberrations de l’esprit et non comme un élément structurant de la vie politique. Les récentes élections américaines et la tentative de coup d’Etat de Trump ont mis en lumière la profondeur que ces théories peuvent atteindre. Si nous suivons les trumpistes dans leur folie furieuse, nous comprenons que Trump a perdu les élections, on, pas parce qu’il était mauvais, mais parce que le vieux Biden avait monté une fraude à grande échelle dans laquelle se trouvaient impliqués Hugo Chavez – bien qu’il soit mort depuis sept ans maintenant – George Soros (le repoussoir parfait), les communistes, les sectes satano-pédophiles et j’en passe. Cette liste s’est allongée au fur et à mesure que les juges, l’Attorney general et la Cour Suprême récusaient la fraude massive et géénralisée. Si ces gens souvent proches de Trump ne voulaient pas reconnaitre ce complot, c’était bien la preuve que celui-ci existait puisque les complotistes démocrates avaient infiltré toutes les institutions pour voler le résultat promis à Trump désigné comme une sorte de preux chevalier descendu parmi nous pour combattre le dragon. Peu importe que les personnes porteuses de cette idée aient transformer les Etats-Unis en une sorte d’asile d’aliénés géante, peu importe si les leaders de la diffusion de cette idée de complot sont des escrocs notoires qui sont tous en difficulté avec la justice. Peu importe tout ce que vous pourrez dire, vous demanderez des preuves ? Ils vous diront que c’est bien connu du monde entier. Cette dérobade couvre évidemment ce profond désarroi de ne comprendre rien, et c’est pourquoi les théories complotistes prospèrent outre-Atlantique. C’est aussi un business tranquille pour peu qu’on ait le « talent » de se positionner sur ce marché singulier.

  

Cette folie a gagné maintenant l’Europe. On trouve même des trumpistes français, à droite comme à gauche qui reprennent cette idée loufoque selon laquelle la fraude a été massive sans broncher. D’autres théories du complot de grande ampleur fleurissent actuellement, par exemple en ce qui concerne les vaccins, on ne se contente pas d’être contre la vaccination pour des effets secondaires plus ou moins connus, mais on suppose que le virus du COVID-19 a été créé soit pour dépeupler la planète, soit pour nous obliger à nous faire vacciner de façon à ce qu’on se fasse implanter des puces invisibles qui nous contrôlerons et nous réduirons en esclavage, soit pour enrichir Big Pharma sur notre compte. Alex Jones un escroc notoire très proche de Trump développe ces thèses sur son site Infowars qui est suivi par des centaines de milliers d’Américains. Il fait suivre ces analyses d’un appel à la rébellion, donc à la guerre civile pour sauver l’Amérique du communisme, et lui-même des tracas de la justice qui le poursuit dans plusieurs dossiers copieux. Les médias dominants aux Etats-Unis s’appliquent à démontrer que les thèses qu’Alex Jones développe sur Bill Gates sont totalement sans fondement, mais les croyants n’en ont cure. Que les grands médias veuillent démasquer cette bêtise à front de taureau est au contraire la preuve que Jones a raison et qu’on cherche à le persécuter. Les complotistes cependant sont assez bien aidés par l’antipathie que dégagent naturellement des gens comme George Soros ou Bill Gates.

  

La bonne question est de savoir pourquoi les thèses complotistes ont-elles un aussi grand succès alors que manifestement elles sont construites sur du vent ? Le site Conspiracy watch passe son temps à démonter ces théories complotistes, en regardant ceux qui y adhérent comme de simples imbéciles[1]. Ce n’est pas faux, mais c’est très insuffisant, on pourrait tout aussi bien renvoyer de la même manière l’ensemble des croyants, chrétiens, musulmans, juifs, ou autres à un manque flagrant de pensée rationnelle. Lordon soutient fort justement que si les théories complotistes fleurissent comme jamais, c’est d’abord le résultat d’une dévalorisation continue des paroles institutionnelles[2]. Dans cet effondrement de la parole institutionnelle, il y a deux phénomènes, le premier est cette idée selon laquelle il faut apprendre à penser par soi-même et donc douter de tout ce qu’on nous raconte. Dans ce sens la         pensée scientifique parait elle aussi participer d’une sorte de « complot » destinée à nous contraindre. C’est une manière détournée de critiquer la technologie. Parmi les théories complotistes, on trouvera de nombreux développement sur les méfaits de la 5G par exemple ou des compteurs Linky, ou encore sur le fait que des accidents nucléaires soit cachés, ce qui n’est pas sans fondement. 

Et puis, il y a que les gouvernements, la presse, nous ont tellement habitués aux mensonges répétés que par principe on ne les croit plus. On se souvient d’Agnès Buzyn avançant que le risque que le COVID-19 s’installe chez nous était proche de zéro, avant d’ajouter plus qu’elle avait tout fait pour prévenir la pandémie[3]. Autrement dit nous avons le choix entre une théorie officielle et officialisée par les médias dominants et une théorie développée par des semi-fous, intéressés par sa propagation dans le but de faire fortune ou d’alimenter les tensions sociales. Les « décodages » qu’on trouve vie Le monde ou Libération sont très souvent peu convaincants, et pire encore ils semblent être là pour conforter une théorie vaseuse. La première raison d’une croyance dans une théorie du complot est bien que des complots il y en a eu, il y en a et il y en aura encore. Regardons le tableau ci-dessous. On voit qu’il mêle tout et n’importe quoi. Par exemple en France 16% des personnes interrogées pensent que l’homme n’a jamais été sur la lune, 9% pensent que la terre est plate. Il est facile de voir que ces croyances ne sont pas de même nature que celles qui avancent qu’il y a une collusion entre le gouvernement et l’industrie pharmaceutique ou qu’il y a un grand remplacement, ou encore que la CIA a été impliquée dans l’assassinat de Kennedy. Dans le second groupe nous avons un taux d’adhésion entre 48 et 55 %. Mais il faut dire que cela repose aussi sur des faits. La collusion entre les laboratoires et les gouvernements est avérée, bien que cela ne veuille pas dire que ce sont les laboratoires qui s’amusent à créer des virus pour se faire de l’argent. La théorie du grand remplacement est alimentée par le fait que des quartiers entiers deviennent des territoires perdus de la République c’est visible à l’œil nu[4].

  

En vérité dans le développement des théories du complot il y a bien autre chose encore. Il y a une forme d’impuissance politique qui se manifeste. « A une époque de supercherie universelle, dire la vérité est un acte révolutionnaire » disait Orwell dans 1984. Orwell qui est malheureusement récupéré maintenant par les complotistes. Et donc dès qu’on se trouve désemparé devant un mensonge officiel, alors on s’empare d’une théorie loufoque comme d’un acte révolutionnaire au nom de la vérité. Par exemple une partie des Américains qui soutiennent Trump pensent que celui-ci se bat dos au mur contre l’oligarchie. Ils ne réfléchissent pas au simple fait que celui-ci appartient lui-même à l’oligarchie la plus corrompue. Ils ne tiennent pas compte même du fait qu’il aura été le plus grand menteur de tous les temps en politique, alors que pourtant sur ce terrain la concurrence est pourtant rude[5]. Mais justement c’est là qu’il devient intéressant parce qu’en mentant ouvertement il soude derrière lui les croyants, plus il ment, plus il les soude, plus il fait apparaître ceux qui combattent ses théories complotistes comme des gens qui ont quelque chose à cacher. Autrement dit si les Américains, gens crédules par principe, adhèrent facilement aux théories du complot – même d’ailleurs si celles-ci se contredisent l’une l’autre – c’est parce qu’ils pensent qu’ainsi ils produisent une réflexion et qu’ils retrouvent une autonomie politique. On pourrait ainsi qualifier les adeptes des théories du complot comme des révolutionnaires paresseux. Très mécontents de la société dans laquelle ils vivent pour des raisons multiples et variées, ils se rabattent vers des discours qui confortent leurs aigreurs et qui en même temps les paralysent pour agir puisqu’en effet si la vie sociale et politique est dominée par des sectes pédo-satanistes surpuissantes, il n’y a pas de possibilité d’y échapper. Les complotistes adorent les discours de violence, par exemple pour les conséquences des élections perdues par Trump, ils en appellent à la loi martiale et à un coup d’Etat. Ils répandent même que ce coup d’Etat est déjà en marche et programmé parce que Trump a vu beaucoup plus loin que tout le monde ! Le 19 décembre, on a fait état d’une réunion houleuse à la Maison Blanche où certains affidés de Trump, dont le délinquant Michael Flynn récemment sorti de prison par la grâce du président battu, ont tenté de lui forcer la main pour qu’il accomplisse un coup d’Etat et réorganise une nouvelle élection[6]. Mais il semble que cette forme de fascisme ne soit pas compatible avec les Etats-Unis et Trump y aurait renoncé. S’il avait accéder à cette demande, il aurait entraîné les Etats-Unis dans la guerre civile avec la quasi-certitude de perdre. On voit que dans ce cas-là le développement des thèses complotistes aurait servi de justification du coup d’Etat, un peu comme l’incendie du Reichstag qui servi à Hitler de prétexte pour suspendre les libertés et établir une dictature. Mais dans la réalité les trumpistes sont très peu nombreux pour s’engager réellement dans une guerre civile, heureusement sans doute. Ils préfèrent paresser devant leur ordinateur à lire les dépêches de The epoch times en buvant leur café, du reste même les manifestations programmées pour aider Trump dans sa tentative de coup d’Etat n’ont pas mobilisé grand monde. C’était autre chose au moment de la Guerre du Vietnam. 

Les Proud boys sont peu nombreux pour mener une guerre, heureusement 

A première vue le complotisme actuel s’apparente à une régression intellectuelle, une incapacité à analyser des phénomènes sociaux, économiques et politiques complexes. Et en effet, cela s’accompagne d’une régression du niveau scolaire principalement dans les pays occidentaux qui ont fait une mue vers le néolibéralisme, tandis que les mêmes tests dans les pays asiatiques indiquent une progression nette[7]. Mais ce défaut éducatif n’est pas suffisant pour expliquer cet engouement pour les théories complotistes. C’est un peu comme si on avait longtemps mis un couvercle sur cette possibilité et que maintenant tout le monde se lâche dans cette forme nouvelle de créativité. Gavin McInness, le leader des Proud boys est ouvertement raciste et nazi. Et cette position en marge le fait connaître et lui permet de mener un business florissant via les réseaux sociaux. Mais dans la réalité, s’il prône la violence, il n’a pas beaucoup de troupes prêtes à le suivre sur ce chemin scabreux. Alex Jones est sur la même ligne très symboliquement enragée. Ces théories pour violentes qu’elles soient ne mènent pas à grand-chose sur le plan concret, au contraire elles confortent les consommateurs dans leur passivité. Au fond elles sont le symétrique des mensonges officiels : les uns nous disent tout va bien, tout est sous contrôle, les autres, tout va mal, le monde s’effondre. Elles sont là non pas pour combattre les mensonges mais par leur extravagance, elles les confortent. Elles ne dénoncent pas les complots, elles les appellent. Ces tendances qui existent depuis que l’homme sait écrire, sont maintenant amplifiées par les réseaux sociaux sur lesquels l’information comme la désinformation ne sont pas filtrées. Là où Trump a innové et de beaucoup, ce n’est pas tellement qu’il ait menti plus qu’aucun autre président avant lui, c’est qu’il s’est placé en même temps des deux côtés de la barrière, il a fait du mensonge d’Etat dont il était le garant à la fois un instrument de propagande, mais aussi un objet de haine en prétendant combattre l’Etat profond, comme si cela était possible qu’en tant que chef de l’Etat sensément le plus puissant de la planète, il se devait de le combattre comme une sorte de Moloch, comme s’il n’appartenait pas lui-même de par sa fortune, de par sa naissance et de par sa fonction à l’oligarchie ! Le complotisme est toujours une avancée de la décomposition d’un système. 

Les trumpistes aiment jouer avec l’idée de pédophilie qui serait l’apanage de l’Etat profond, ça les émoustillent

Le succès des thèses complotistes reposent largement sur leur grande simplicité. A un problème quelconque on désigne un ennemi tapis dans l’ombre qui guette le moindre de vos faux pas. Cela a deux avantages, d’abord d’être compréhensible par à peu près n’importe qui, ensuite de donner la satisfaction à ceux qui adhéreront à cette « théorie » de découvrir quelque chose de cacher, et donc d’être à leur tour des initiés. Le développement inattendu des thèses complotistes de ces dernières années a eu un résultat surprenant, celui de ramener la thèse du complot juif, aussi criminelle soit-elle, à une dimension qui va au-delà de l’antisémitisme. Elles font apparaitre l’antisémitisme comme une théorie complotiste parmi tant d’autres et dévoile en quelque sorte son fondement. Bien sûr de très nombreux complotistes continuent à amalgamer Soros, Rothschild et quelques autres avec un complot juif destiné à dominer la planète, mais ils sont en train de devenir minoritaires : plus le complotisme devient massif et moins le complot juif a d’importance. Il est vrai que Trump en se déclarant soutien inconditionnel d’Israël a quelque peu fait baisser le poids de l’idée selon laquelle les Juifs sont toujours dans les mauvais coups. Aujourd’hui ils sont officiellement remplacés par les sectes pédo-satanistes ou bien entendu les enfants sont sacrifiés à des cultes sexuels orgiaques. C’est une reprise en mineur de la thèse selon laquelle les Juifs sacrifient les enfants non-Juifs pour leurs rituels. Le fait que Jeffrey Epstein ait été impliqué dans des scandales sexuels avant de se suicider – ou d’être suicidé c’est selon l’idée qu’on se fait de l’étendue du complot – bien sûr est souvent mis en avant. Certains ont même avancé que Trump avait libéré des caves des centaines d’enfants enlevés et abusés. Cependant les complotistes ne sont pas vraiment des révolutionnaires épris de liberté, ils sont partisans d’un ordre policier, de faire le ménage par tous les moyens, donc d’épurer ceux qui se révèlera irréformables. En ce sens ils sont dans la ligne des dictatures nazi et stalinienne qui désignait tout opposant comme un individu complotant contre le régime et par voie de conséquence contre la patrie ! On a vu ça dans l’Allemagne nazi, dans la Russie de Staline, dans la Chine de Mao ou encore au Cambodge avec Pol Pot. Le complotisme est une autre façon d’élargir la notion de trahison à tout ce qui conteste le pouvoir en place sans donner d’explication précise, toute justification- est superflue. 

 

Un des phénomènes importants dans le complotisme et qui est rarement souligné, c’est pourtant l’esthétisme particulière qui l’accompagne dans son imagination créative. Il utilise à la fois des slogans simples et en même temps mystérieux – par exemple dans l’usage détourné des symboles de la Franc-maçonnerie. La pieuvre est présente pour montrer à quel point le danger est important, car une pieuvre a plusieurs tentacules et les couper tous n’est pas un travail facile car elles repoussent au fur et à mesure. C’est le mythe de la Méduse et de Persée, il faut frapper à la tête, la décapiter si on veut s’en débarrasser. Mais frapper la tête n’est-ce pas aussi d’une certaine manière vouloir aussi s’écarter de la connaissance et de la rigueur que cela implique ? Revenir à des formes instinctives de prises de position ? Comme on le voit ci-dessus, l’image de la pieuvre qui renvoie au complotisme si elle a été véhiculée d’abord par l’extrême-droite, n’est pas seulement l’apanage de celle-ci. On a utilisé ce terme pour représenter la mafia qui a forcément un pouvoir occulte. La France Insoumise de Mélenchon dans un confusionnisme extrême l’a utilisée aussi comme si elle entendait libérer l’Europe – il n’est donc plus question d’en sortir – d’un lobby forcément complotiste. Eux-aussi nous demandent d’ouvrir les yeux comme n’importe quel disciple de QAnon.

Mais il y a une certaine poésie ches les complotistes, à condition de ne pas les prendre au sérieux bien sûr. Ils récréent une vérité alternative, c’est du domaine des contes de fées, peuplés de perosnnages malfaisants qui perdent l’ultime bataille.  Leur langage c’est celui de l’Apocalypse ou des films de zombies. Ils jouent à se faire peur, après l’effondrement à cause de nos péchés, viendra le recommencement sur la base d’un ordre vertueux fondé sur les vertus supposées d’un ordre nouveau. C’était évidemment la rhétorique nazie qui avait largement utilisé ce besoins de pureté des masses qui ont l’impression de vivre dans la fange et de patauger dans une vie sans avenir. La question du virus et du vaccin qu’on a créé pour tenter de vaincre la pandémie amène les complotistes à refaire surgir la figure du savant fou qui de la figure fictive du docteur Frankenstein à celle bien réelle du docteur Mengele ravive les peurs d’une manipulation à grande échelle pour transformer l’humanité en quelque chose de peu acceptable. 

Evidemment le 18 décembre il ne s’est rien passé !



[1] https://www.conspiracywatch.info/

[2] https://blog.mondediplo.net/paniques-anticomplotistes

[3] https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/direct-coronavirus-la-direction-generale-de-la-sante-tient-une-conference-de-presse-a-19h15_3794499.html

[4] Emmanuel Brenner, Les territoires perdus de la Républiques, Editions des milles et une nuit, 2002.

[5] https://www.rtl.fr/actu/international/etats-unis-donald-trump-a-depasse-la-barre-des-20-000-mensonges-7800667836

[6] https://edition.cnn.com/2020/12/19/politics/trump-oval-office-meeting-special-counsel-martial-law/index.html

[7] https://www.linternaute.com/actualite/education/1310839-pisa-2022-le-dernier-classement-et-les-resultats-de-la-france-mis-en-perspective/

samedi 19 décembre 2020

Nouvelles manifestations contre la loi sécurité globale dans toute la France

 

Strasbourg le 19 décembre 2020 

Samedi 19 décembre on a encore manifesté dans toute la France. Les Gilets jaunes s’étaient annoncés pour cette journée. Le thème était le retrait de la loi Sécurité globale, et il est vrai que les Gilets jaunes depuis plus de deux ans maintenant sont ceux qui ont payé le plus lourd tribut pour aux violences policières. Aux Gilets jaunes s’étaient joints d’autres petits groupes, comme Attac par exemple. Ce ne fut pas une très grande journée de mobilisation, mais il est tout de même singulier que depuis que Macron a été élu, ça manifeste avec constance pratiquement tous les samedis, malgré la répression et malgré les conditions rendues difficiles par le COVID-19 et le confinement. Cette mobilisation relativement faible montre cependant que la colère des Français est toujours bien présente, tandis que Macron est à son tour à l’isolement pour cause de COVID-19, avec la plupart de ses convives qu’il avait invités à partager des agapes à plus de 6 autour de la table et bien sûr sans masque et sans gestes barrières ! Cela ne peut qu’exaspérer encore un peu plus contre lui qui semble dire faites ce que je vous dit mais ne faites pas ce que je fais. Sur les réseaux sociaux on a moqué le gouvernement et Macron, comme d’habitude, un peu plus que d’habitude. Mais on a moqué aussi l’ineffable Jérôme Salomon qui est venu faire la leçon en disant que pour Noël, si on le pouvait pour les réunions familiales, il valait mieux manger dehors[1] ! On se prend à penser que les SDF ont finalement beaucoup de chance puisque non seulement ils mangent dehors, mais en plus ils profitent du bon air de la nuit. Encore que cette affaire n’est pas très claire puisqu’en théorie nous vivons avec le couvre-feu parce que le COVID-19 semble comme Dracula sortir de sa boîte plutôt la nuit entre 20 h et 6 h précisément. Vous me direz que les bêtises de Salomon vaut bien la farce de Castex qui nous disait d’aller au ski mais surtout de ne pas prendre les remontées mécaniques. 

Brest le 19 décembre 2020 

Tout cela fait apparaitre ce gouvernement comme bon à rien et même mauvais à tout. Incapable de définir une politique cohérente face à la pandémie, il mise tout sur la répression. Et pourtant après trois ans de répression aussi sauvage que continue, Macron en est au même point : les Gilets jaunes sont toujours là ! En dehors de la Résistance entre 1940 et 1945 et de la Guerre de cent ans, je ne vois pas quel autre mouvement aura duré autant. On peut toujours discuter du contenu de ces manifestations, où se retrouvent des Gilets jaunes, des gauchistes ou encore des indigénistes. Mais ce n’est pas une nouveauté de constater ce mélange des genres. Doit-on s’en désoler ou s’en réjouir ? C’est difficile à dire. Mais cela augure bien mal de ce qui va se passer en février lorsque le filet du chômage partiel n’existera plus et que les inscriptions au chômage vont s’envoler avec la multiplication des faillites. Il est très probable que le réveillon du Jour de l’An se passe très mal aussi pour cause de confinement.

Paris le 19 décembre 2020

Evidemment les grands médias n'ont pas pris la peine de relayer ces informations, ils sont dans la position de l'autruche et feignent de ne pas voir, attendant que tout cela se passe, sans même se donner la peine d'analyser. 




[1] https://fr.sputniknews.com/france/202012181044953951-manger-en-exterieur-a-noel-la-recommandation-de-jerome-salomon-qui-divise/

vendredi 18 décembre 2020

Macron, l’écologie et son référendum

  

Ainsi que le signalait Françoise Fressoz, la marraine de Macron en politique si on veut, dans un articulet publié dans Le monde où elle est payée pour définir la ligne politique du journal, le bilan de son petit protégé sur le terrain de l’écologie est désastreux[1]. Parmi les actes effectifs qu’il a pris en faveur de la destruction de l’écosystème, il y en a deux qui sont très emblématiques de ce qu’il est : d’abord la réautorisation du glyphosate dans la culture de la betterave pour faire plaisir au lobby de Bayer-Monsanto, et puis la ratification du CETA, je passe sur le fait qu’il a fait basculer l’Union européenne vers la prolongation de l’utilisation du glyphosate et que cela avait été antérieurement une des causes de la démission du pourtant très conciliant Nicolas Hulot. De la même manière il soutient – comme le lobbyiste Edouard Philippe – le secteur du nucléaire en disant que cette énergie est très propre, sauf évidemment que la question des déchets n’a jamais été réglée et n’est pas près de l’être[2]. Je ne parle même pas des décisions ignobles en faveur de la chasse et de la chasse à courre. L‘impossible implication de Macron dans la lutte contre le réchauffement climatique provient de deux choses :

– d’abord d’un manque de connaissances en matière de théorie économique qui lui fait croire qu’en dehors de la croissance économique, il n’y a pas de solution, et donc qu’il faut absolument augmenter les capacités productives de la nation dans tous les domaines, produire de l’énergie « propre » ce qui est un oxymore, produire plus dans l’agriculture pour qu’elle soit rentable, etc. ;

– ensuite du fait qu’il est complètement prisonnier ou complice, ce qui revient au même, des lobbies qui le financent et qui le soutiennent.

Pour résumer Macron et la plupart des politicards sont prêts à faire de l’écologie à condition que cela n’enraye pas la trajectoire de la croissance et des profits. C’est ce qu’il veut dire lorsque devant la Convention citoyenne il affirme « Les choix pris pour l'écologie doivent être acceptables par les Français »[3]. Pour lui, les Français ce sont lui-même et les « décideurs » économiques. Il reste dans le moule de la pensée dominante selon laquelle la croissance est un impératif, ou encore qu’elle permettra, comme le prétendent certains économistes, de financer la transition écologique. En disant cela il fait deux choix :

– le premier est de mentir effrontément une fois de plus aux Français, car il avait dit antérieurement qu’il appliquerait les recommandations de la Convention citoyenne « sans filtre », or non seulement il va récuser toutes les propositions qui ne lui plaisent pas, mais il a aussi envoyé des experts surveiller les travaux de cette convention pour tenter de les circonvenir et de les orienter vers ce que eux jugent possible de faire ;

– le second de n’accepter qu’une forme de transition écologique qui serait celle d’un simple remplacement de techniques polluantes par des techniques moins polluantes mais qui viseraient toujours le même but d’augmenter la consommation. Donc on va faire de l’éolienne, ou on va financer le remplacement des automobiles diesel par des voitures électriques, avançant que cela créera de la valeur, des emplois et des profits, tout le monde serait gagnant. Mais nous savons maintenant que d’une manière ou d’une autre il n’y a pas d’énergie propre, ou de voiture propre[4], tout au plus déplace-t-on le problème. 

Le piège de la Convention citoyenne s’est refermé sur Macron. Celui-ci avait dans l’idée lorsqu’il a été malencontreusement élu de libérer les forces du marché, privatiser tout ce qui pouvait encore l’être, appuyer sur une majorité de Play mobil sans conscience qui voteraient tout et n’importe quoi. Mais les Gilets jaunes ont soudainement fait leur apparition et ont commencé à pourrir la vie de Macron et à enrayer l’expansion du néolibéralisme, ce que ni les partis d’opposition, ni les syndicats n’étaient arrivés à faire. Cette irruption spontanée a obligé Macron à revenir complètement sur son projet :

– d’abord il a dû trouver de l’argent pour satisfaire au moins partiellement les revendications des Gilets jaunes, alors que jusque-là il prônait un équilibre budgétaire douteux comme la règle incontournable de la bonne gouvernance et une référence aux saines lois du marché qui garantissent la prospérité et l’amélioration du sort des plus démunis. Il prétendait appliquer sans filtre les recommandations de Bruxelles.

ensuite il a dû, contraint et forcé, prendre en considération les revendications de démocratie directe portées par les Gilets jaunes. Cette revendication a encouragé la lutte contre la privatisation d’ADP qui a lamentablement échoué. Mais l’idée de RIC – Référendum d’Initiative Citoyenne – l’a engagé lors du Grand débat à promettre un référendum pour mimer une parodie de consultation populaire.

Depuis cette période il cherchait donc un référendum qu’il pourrait gagner facilement. Il pense maintenant tenir le bon bout en proposant d’inscrire dans l’article 1 de la Constitution l’addendum suivant : « La République garantit la préservation de la biodiversité, de l'environnement et la lutte contre le dérèglement climatique. » L’idée stupide des communicants cyniques qui entourent Macron est que personne ne pourra se déclarer contre le climat et donc que la victoire sera aisée. En outre en orientant les débats vers un référendum destiné à faire passer Macron pour un écologiste permettront de passer sous silence le fait que lui-même n’a tenu aucun de ses engagements sur le réchauffement climatique. Jadot, toujours prêt à trahir une cause quelle qu’elle soit, s’est d’ailleurs précipité pour dire qu’il voterait « oui », certes en y mettant les formes, mais il votera « oui », ce sera une sorte de soutien critique[5]. Ce sera d’autant plus payant pour Macron qu’une telle inscription dans la Constitution ne garantirait rien du tout en termes d’action en la matière et ne modifierait en rien les règles qui se concoctent d’abord à Berlin et ensuite à Bruxelles. Par exemple, l’article 2 de la Constitution nous dit Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Mais ce type d’affirmation ne dit pas de quelle égalité il peut bien s’agir, et justement la manière de gouverner de Macron, montre que c’est au contraire une oligarchie qui gouverne contre le peuple. Jadot s’apprête donc à voter pour Macron, comme il l’a fait en 2017, comme de nombreux « gens » de gauche l’ont fait pour éviter le chaos, on connait la suite. Le premier but de la manœuvre est donc de court-circuiter la Convention citoyenne pour le climat qui est très récalcitrante et qui ne se prive plus de critiquer le comportement dilatoire de Macron[6]. Il nous présentera cette fantaisie référendaire comme l’apothéose de cette convention vidée de son sens premier.

  

Macron a cependant une qualité, celle de ne douter de rien, mais c’est aussi un défaut, car il n’a pas bien calculé les conséquences de sa proposition de référendum. D’abord elle doit être approuvée dans les mêmes termes à la fois par l’Assemblée nationale et le Sénat. Bien que la majorité macronienne se soit considérablement effritée depuis trois et demi[7], ce projet de référendum sera approuvé avec l’aide éventuelle des EELV. Il n’en va pas de même pour le Sénat qui pourrait juger ce projet « dangereux et inutile ». Selon le professeur Dominique Rousseau « Sur le fond, cette réforme est totalement inutile car la protection de l’environnement et de la biodiversité a déjà un rang constitutionnel. Le 31 janvier 2020, le Conseil constitutionnel a validé l’interdiction de produire en France et d’exporter des pesticides interdits par l’Union européenne. Par cette décision, il a fait prévaloir la protection de l’environnement sur la liberté d’entreprendre et le droit de propriété. Donc sur le plan juridique, réviser la Constitution ne changera rien. »[8] Mais supposons que ce projet arrive à son terme, il va y avoir une campagne électorale qui va démontrer très facilement que ce projet n’est qu’une manœuvre politicienne pour masquer l’inertie de Macron en matière de lutte pour la défense de l’environnement. Ce qui veut dire que le peu d’appétence des Français pour les élections se traduira sur ce thème du réchauffement climatique par une abstention probablement énorme qui démontrera le peu de sérieux de l’exécutif. Obtenir 60% pour le oui avec une abstention de 80% sera tout autant un échec qu’une victoire du non. C’est d’ailleurs toujours un peu comme ça avec Macron, ses coups de publicité se retournent le plus souvent contre lui. Le Grand débat comme la Convention citoyenne sur l’environnement furent des publicités ruineuses qui ne produisirent finalement absolument aucun changement. Tout le monde le sait. Au mieux il bénéficiera de l’indifférence des Français, au pire ils voteront contre lui.  

Pour ma part je pense que la meilleure position est encore de s’abstenir de participer à cette farce, sans même se déranger pour voter non. On voit d’ici les belles âmes qui nous diront qu’on ne joue pas le jeu de la démocratie, c’est exactement le contraire, en s’abstenant on refuse de participer à ce jeu de dupe, à ce détournement de l’idée de démocratie. La démarche est biaisée parce que la question n’a pas de sens et qu’elle n’émane pas du peuple lui-même. On ne peut pas en même temps défendre l’idée d’une démocratie directe, et admettre que seule une élite autoproclamée autant que corrompue peut poser les questions. Je rappelle que non seulement les politiciens gauche et droite confondues ont refusé de valider le vote référendaire de 2005 contre le TCE, mais qu’en outre Macron et son premier ministre de l’époque, le lobbyiste Philippe, ont refusé qu’on organise un référendum sur la vente au secteur privé des biens de l’Etat en l’occurrence ADP – Aéroport de Paris. C’est seulement la pandémie du COVID-19 qui a empêché ce pillage manifeste du bien public. Déjà que les Français ont de plus en plus de mal à se rendre aux urnes, l’initiative du référendum de Macron va sans doute les éloigner encore plus de ce jeu sans objet. S’abstenir c’est refuser de déléguer son pouvoir de décision à des hommes politiques de profession. Le combat pour un monde moins pollué et un peu plus vivable ne passe pas par le vote de trois lignes dans la Constitution.


[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/15/les-faibles-signaux-que-la-gauche-emet-suffisent-a-inquieter-les-macronistes-qui-font-tout-pour-ne-pas-perdre-l-electorat-social-democrate_6063395_3232.html

[2] https://reporterre.net/Les-contre-verites-d-Emmanuel-Macron-sur-le-nucleaire

[3] https://www.20minutes.fr/planete/2932151-20201214-ecologie-doit-etre-acceptable-francais-affirme-macron-devant-convention-climat

[4] https://reporterre.net/Non-la-voiture-electrique-n-est-pas-ecologique

[5] https://www.bfmtv.com/politique/referendum-climat-jadot-denonce-un-coup-politique-mais-fera-campagne-pour-le-oui_AV-202012150093.html

[6] https://reporterre.net/En-coulisses-le-gouvernement-a-dezingue-des-propositions-de-la-Convention-citoyenne-pour

[7] https://www.nouvelobs.com/politique/20201216.OBS37637/nouveau-depart-chez-lrem-la-deputee-fiona-lazaar-claque-la-porte.html

[8] https://www.liberation.fr/france/2020/12/15/referendum-pour-le-climat-une-reforme-inutile-au-service-d-une-operation-politique_1808713

mardi 15 décembre 2020

Retour sur la question des frontières

 En hommage à Coralie Delaume qui vient de nous quitter et qui combattit la construction européenne avec talent et beaucoup d’humour aussi 

Dans la perspective des élections de 2022 auxquelles tous les politiciens se préparent, la question de la souveraineté s’avère centrale. L’idée de souveraineté monte en puissance un peu partout dans le monde, elle explique le score extravagant de Trump aux dernières élections présidentielles, même si celui-ci n’en a pas fait un véritable usage, à part des pitreries du type on construit un mur. On avance aussi que le nouveau président des Etats-Unis, Joe Biden, qui sera intronisé le 21 janvier prochain, devrait poursuivre dans cette voie protectionniste. Le sondeur Stéphane Rozès vient de le rappeler une nouvelle fois que c’est un sujet qui est décisif[1]. On explique d’ailleurs souvent la montée des populismes ici et là par l’abandon de cette notion, comme s’il s’agissait d’une notion désuète.  Curieusement cette idée de mondialisation sans frontières est largement partagée par les politiciens de droite et de gauche. Les premiers parce qu’ils considèrent que les lois du marché démontrent que les frontières ne sont pas une forme naturelle, et les seconds très souvent au nom d’un internationalisme fumeux qui laisse de côté le fait que l’internationalisme ne peut pas exister sans les nations. On oublie trop souvent que la nation est d’abord une idée de gauche, issue de la Révolution française[2], puis cette idée devint vraiment très puissante pour unifier la Résistance à travers le Conseil National de la Résistance qui a imposé certainement les avancées sociales les plus puissantes de l’histoire de la France. Abandonnée progressivement par la gauche au fur et à mesure que l’Union européenne se consolidait, cette idée a été récupérée ensuite par le Front National – dont le sigle était un détournement du nom d’un réseau de la Résistance parmi les plus importants, tandis que les fondateurs du Front national étaient dans le fond plus européistes que nationalistes puisqu’ils étaient pétainistes et collaborationnistes – sans que la gauche n’y trouve rien à redire. C’est un peu comme la laïcité, ce fut un cheval de bataille fondateur de la gauche, et puis au fil du temps on l’a abandonné au Front national.

 

Apprendre à distinguer le vrai Front national du faux 

Mais l’idée nationale qui semblait en sommeil est redevenue populaire. La cause doit en être cherchée dans le marasme évident de l’Union européenne qui non seulement apparaît comme une construction technocratique loin des gens, mais surtout comme le résultat de la mondialisation sans frontière avec son cortège de dégâts sur l’emploi et les inégalités sociales. Mais on ne peut pas être contre la mondialisation, pour le développement du local et en même temps ne pas se poser la question du cadre spatial dans lequel une société se développe. Depuis Marx, on sait que le capitalisme a pour horizon un monde sans frontière dans l’unification du marché. En vérité c’est un débat très compliqué car Adam Smith, dans La richesse des nations, concevait l’économie de marché seulement dans un cadre national qui en désignait les limites plus ou moins naturelles. Ce qui veut dire que les nations, et donc les frontières avaient forcément un rôle à jouer bien au-delà de la question de la production des marchandises puisqu’elles unifiaient une nation, une communauté. Mais par la suite la plupart des économistes, à partir de Ricardo et de ses lugubres théories sur le libre-échange, reviendront sur cette idée et réduirons la question spatiale à la question du marché mondial, ce qui de fait revenait à réduire la question politique à sa seule dimension économique. L’intégration de l’Union européenne dans un marché sans frontière est la preuve de l’inefficience du libre-échange : plus l’intégration économique se réalise, et plus la croissance est faible et le chômage élevé. Une des raisons est que dans un monde sans frontières, l’Etat s’efface et la redistribution des richesses ne se fait pas, c’ets pourquoi le libre-échange qui met en concurrence le travail et les travailleurs du monde entier aboutit à une hausse des inégalités de revenus. On sait cela depuis au moins le XIXème siècle. Ce n’est pas un hasard sur les Trente Glorieuses correspondent à une accélération de la croissance, un resserrement des inégalités et une baisse drastique du chômage. Ce n’est pas un hasard non plus si les directives du CNR – Conseil National de la Résistance – ont été appliquées dans un cadre national. Dans un cadre de concurrence internationale, donc d’une ouverture des frontières, on aurait évoqué cette fameuse compétitivité pour ralentir les réformes ou les vider de leur sens. La première attaque contre la Sécurité sociale est venue de Georges Pompidou en 1967. Alors premier ministre du général De Gaulle, il avançait qu’il fallait réformer la Sécurité sociale pour se mettre en conformité avec les autres nations européennes. Sous-entendant par là qu’il fallait s’aligner sur un standard moins coûteux. Il ajoutait que c’était là la voix du progrès. Et qu’on ne pouvait pas aller contre le progrès ! Cette attaque concertée avec le patronat, entraîna des manifestations de masse très nombreuses et furent sans doute une répétition pour le mouvement social de 1968.

 

Deux hommes politiques de gauche, pour une fois, François Ruffin[3] et Arnaud Montebourg[4] ont soulevé officiellement cette question à travers l’existence nécessaire des frontières justement. En vérité ils sont tous les deux sur ces positions depuis pas mal de temps, Montebourg avec la défense de l’industrie française[5], mais aussi Ruffin qui se faisait traiter de lepéniste parce qu’il voulait sortir de l’euro et de l’Union européenne. Avoir des frontières, cela signifie que l’Etat contrôle ce qui rentre et ce qui sort du territoire : les marchandises (c’est le protectionnisme), les capitaux et les hommes. C’est une question de souveraineté. On voit bien à quoi correspond cette souveraineté. Elle est une défense de l’économie nationale, et elle est une défense de la civilisation et de la culture nationale. La mondialisation et l’Europe se sont attaqué aux deux : elles ont détruit l’économie française, et elles détruisent la culture nationale. Le déclin de l’économie nationale peut se lire d’abord dans la désindustrialisation du pays. Dans le tableau ci-dessous, nous voyons que si l’Allemagne n’a rien perdu de sa capacité industrielle, la France est devenue un pays de services, pour le meilleur il s’agit de services financiers, pour le pire, il s’agit du développement de la domesticité dans le tourisme et l’hôtellerie par exemple. La désindustrialisation de la France signifie au moins trois choses :

- d’abord une dépendance accrue aux marchés extérieurs, notamment l’Allemagne et la Chine, en termes de produits manufacturés, donc une perte de souveraineté. Les auteurs mercantilistes savaient parfaitement cela qui avaient comme règle de ne vendre que le produit du travail à l’étranger, et de n’acheter que les matières premières qu’on ne trouvait pas sur notre territoire, même si les produits étrangers sont en apparence moins chers[6] :

- ensuite un effondrement de nos capacités dans le domaine médical, effondrement qui s’est traduit par un taux de mortalité lié au COVID-19 très élevé, et les palinodies des macroniens qui attendaient que la Chine nous livre des masques pour changer de politique. La destruction de notre appareil industriel qui est le résultat de notre adhésion à l’Union européenne et à l’euro, a des répercussions sur la santé publique[7] ;

- enfin la création d’un chômage structurel dont on ne peut plus sortir, car lorsqu’on détruit un emploi industriel, on détruit en fait cinq ou six emplois liés à la filière considérée. C’est ce qu’on appelle le multiplicateur d’emploi, il est faible dans les services et très élevé dans l’industrie.

  

Mais la question des frontières dépasse cet aspect économique. Les mondialistes, qu’ils soient de gauche ou de droite, qu’ils s’appellent Emmanuel Macron, ou Cédric Herrou, supposent que la fin des frontières ne signifie pas la fin de la culture. C’est évidemment faux. Les propositions de Macron d’enseigner l’arabe ont choqué, parce que le français est la langue qui a unifié la nation – sans même parler du fait qu’apprendre l’arabe à des jeunes élèves est une manière leur refuser le droit d’apprendre le français qu’ils ne maitrisent pas. La question des frontières c’est aussi comme l’affirme Ruffin le contrôle de l’immigration, les flux de personnes dit-il histoire de na pas avoir d’ennui avec la police de la FI. On va prendre seulement deux faits. Le premier concerne le multiculturalisme. Nous voyons que l’immigration de masse a engendré une montée en puissance de la religion islamiste. Or celle-ci est hégémonique, en ce sens qu’elle ne suppose pas une séparation effective entre le politique et le religieux : « Bien sûr l'écrasante majorité des musulmans ne sont pas terroristes ou n'ont de sympathie pour les terroristes. Assimiler tous les musulmans à des terroristes est stupide et incorrect. Mais reconnaître qu'il y a un lien entre islam et terrorisme est approprié et nécessaire." "J'ai été musulmane, souvenez-vous, et c'est quand j'étais le plus dévote que j'étais le plus remplie de haine », écrit Ayaan Hirsi Ali qui sait de quoi elle parle puisqu’elle est originaire de Somalie. Ce qui veut dire que nous n’avons pas défendu nos frontières au non du libéralisme économique et sociétal justement. Et l’immigration de masse a créé de nombreux problèmes, allant de la transformation de quartiers entiers en zone de non droit, jusqu’aux attentats que la France, pays le plus généreux dans son accueil, a subis plus que n’importe quel autre pays européen. Or le communautarisme ce ne sont pas des communautés diverses qui vivent ensemble, mais des communautés qui se replient sur elles-mêmes dans l’hostilité des autres communautés. On l’a vu récemment en Seine Saint-Denis, les Chinois sont agressés systématiquement par des Musulmans qui par ailleurs se plaignent du racisme des Français[8]. Les Chinois de la région parisienne ont alors manifesté pour que l’Etat prenne enfin en charge leur problème de sécurité face au communautarisme islamiste. Nous n’avons pas vu la Mélenchon et autre Obono manifester à ce moment-là contre la sinophobie. Il est vrai que les asiatiques qui manifestaient ne se camouflaient pas avec un voile et surtout, ils agitaient des drapeaux français au lieu de les brûler.

 

Manifestation de la communauté chinoise le 4 septembre 2016 

Chaque communauté enfermée dans ses préjugés manifeste à sa manière. Si les asiatiques ont été bien seuls à manifester contre l’insécurité – entendez contre les agressions des musulmans – il s’est trouvé de nombreux « intellectuels » ou politiciens pour soutenir la séparation des musulmans au nom de la lutte contre le racisme. Ça va du soutien qu’on accorde à des semi-idiots poètes d’occasion qui slament en crachant contre le France, aux prières de rue qui sont qu’on le veuille ou non une occupation du territoire en vue de sa transformation, une enclave en quelque sorte au cœur de la République. Il y a en vérité des frontières invisibles misent en place par telle ou telle communauté qui refuse de s’adapter et qui prétend imposer ses normes. Tout le monde connaît des quartiers de Paris où les Juifs sont interdits de paraître, d’autres quartiers où les femmes ne peuvent pas se promener comme elles l’entendent sans risquer de se faire agresser, des bars où elles ne peuvent pénétrer. Ces frontières informelles sont connues, mais comme elles ne sont pas officielles et ne ressortent que de la tradition, elles permettent aux associations musulmanes de porter plainte pour diffamation[9]. On note que devant l’évidence de ces faits trop nombreux pour ne pas faire sens, Macron est passé du « vivre ensemble » à la lutte contre le séparatisme. Mais il s’agit toujours de frontières !

  

Entendons-nous bien, pointer du doigt les conséquences négatives de l’immigration de masse, ce n’est pas vouloir boucler les frontières à double tour, c’est refuser que la nation se transforme en quelque chose qui ne ressemble plus à rien dans la perte de ses racines dans le déploiement d’un déséquilibre ingérable pour l’Etat. De même développer une politique économique ce n’est pas refuser de commercer avec le reste du monde, c’est simplement commercer en conservant son autonomie, soit ne pas générer un déficit commercial important qui correspondrait à un transfert de richesses vers l’étranger, et donc à un transfert d’emplois. Il faut savoir que notre déficit commercial avec l’Allemagne s’aggrave tous les ans, et il s’est accéléré depuis l’arrivée de Macron à l’Elysée. Ce déficit commercial avec l’Allemagne signifie trois choses :

– d’abord que nous dépendons de l’Allemagne de plus en plus pour les biens d’usage, d’équipements, mais plus encore de l’agriculture car les Allemands sont en avance sur nous si on peut dire dans le domaine de l’agriculture industrielle, porcs, bovins, laits et fromages, parce qu’ils ont créé des fermes industrielles de dimension démente avec les problèmes environnementaux et sanitaires qui vont avec[10] ; 

Ferme industrielle en Allemagne 

– ensuite que nous transférons notre savoir-faire et notre technologie vers l’Allemagne, puisque nous les détruisons pour leur faire plaisir. Ce transfert pose de gros problèmes à terme, notamment si nous sortons de l’Union européenne et de l’euro, il faudra refaire tout le chemin en sens inverse, acquérir à prix d’or la technologie que nous ne possédons plus. Cela pose également le problème de la formation de la main d’œuvre. La désindustrialisation   s’est accompagné d’un effondrement de l’enseignement professionnel et supérieur, nous n’avons plus d’ouvriers qualifiés, ni d’ingénieurs ;

– enfin, ce transfert continu de richesse équivaut à un transfert d’emplois industriels de notre pays vers l’Allemagne. Un calcul grossier nous montre que c’est entre 20 000 et 30 000 emplois qui tous les ans partent vers l’Allemagne, c’est bien mieux que le STO de sinistre mémoire et nos hommes politiques de droite ou de gauche ont collaboré à ce pillage.  

Notez que ce pillage de la France par l’Allemagne n’a été possible que grâce à la complicité des « élites » françaises. Ce sont en effet les élites autoproclamées qui sont toujours à l’avant-garde de la collaboration. Je note deux inflexions importantes qui ont « tué » l’industrie française, d’abord en 1983 la volte-face de Mitterrand sur la question européenne, et par suite celle du Parti socialiste. Il faut rappeler que jusqu’à une date assez récente le Parti socialiste, comme l’ensemble de la gauche d’ailleurs considérait que l’intégration européenne était d’abord une politique de droite – Giscard si on veut – au service des multinationales. En 2005 une large majorité des électeurs socialistes a voté contre le TCE. Puis la social-démocratie s’est vendue progressivement à l’idéologie du libre-échange. Pascal Lamy, membre éminent du PS, fut par la suite Commissaire européen au commerce, puis directeur de l’OMC. Ce rocardien manœuvrier était donc aux premières loges pour démanteler toutes les règles qui auraient pu protéger l’intégrité de la France, sa spécificité et son économie. Il faut dire qu’il avait été diplômé des trois pires boutiques qui en France diffusent la logorrhée néolibérale, Sciences Po, HEC et l’ENA.  

Le second outil du saccage de la France fut la mise en place de l’euro, car en effet sans l’abandon du franc, le pillage eut été plus difficile parce que la France aurait pu comme elle le faisait dans le temps dévaluer sa monnaie pour conserver ses parts de marché à l’international et surtout limiter le déficit commercial. Autrement dit la monnaie nationale protège la nation. Si je regarde le graphique ci-dessous, je me rends compte que jusqu’à l’introduction de l’euro, l’excédent commercial français était supérieur à celui de l’Allemagne. Et puis la rigidité des taux de change empêchant la France d’ajuster la valeur de sa monnaie a produit cette évolution catastrophique. Mais il y a autre chose, c’est que l’entrée de la France dans l’euro a été un jeu de dupes. C’est le médiocre Dominique Strauss-Kahn, alors ministre de l’économie, qui négocia le tarif d’entrée. Il avait le choix, soit une entrée sur une parité de 6,557 francs pour un euro, soit 10 francs pour un euro, soit comme certains le suggéraient 15 francs pour un euro. Plus le franc était surévalué vis-à-vis de l’euro, et plus la concurrence avec l’Allemagne allait être difficile. Les négociateurs allemands qui n’en sont pas encore revenus, ont obtenu ce qu’ils voulaient sans avoir à se battre, comme en quarante quand l’armée français a été coulée par ses propres généraux. En adoptant le taux de 6,557 francs pour un euro, c’est comme si on avait dévalué le mark et réévaluer le franc. 

Evolution du solde commercial de la France et de l’Allemagne 

Les raisons de cette escroquerie manifeste sont doubles :

– d’abord le fait qu’on s’est basé sur la balance des paiements pour décider de ce taux, à un moment où l’Allemagne était en mauvais état. Nous aurions pu obtenir bien d’avantage de l’Allemagne à ce moment-là, en effet ce pays était encore plombé dans sa dynamique par le financement de la réunification et avait besoin de notre soutien. Peut-être que nous n’aurions pas obtenu 15 francs = 1 €, mais il semble que la parité 10 francs pour 1 euro était tout à fait à notre portée et cela nous aurait causé bien moins d’ennuis ;

– ensuite le fait que Dominique Strauss-Kahn pensait – bien que « pensait » soit pour lui un trop grand mot – qu’en acceptant la parité 6,557 francs = 1 €, cela obligerait les capitalistes français à réorienter leurs investissements vers les secteurs à haute valeur ajoutée, entraînant la France sur la voie de la modernisation accélérée. Mais ça ne s’est pas passé comme ça, les capitaux français ont préféré se réfugier dans le développement d’un capitalisme financier sans morale et au contraire cette fantaisie strauss-kahnienne a accéléré la désindustrialisation de la France. Et cela s’est traduit par un chômage structurel dont nous ne sommes jamais sortis.  

Ce rappel est nécessaire car s’il est bien connu des économistes comme Jacques Sapir[11] et quelques autres, on ne rattache pas toujours la défense des frontières à la question de la monnaie. Or les Allemands ont tiré les leçons de leurs deux dernières défaites militaires, ils ont compris qu’il était plus simple et moins coûteux de piller l’Europe et donc la France avec une monnaie qui enchaîne ses partenaires qu’avec des tanks. Les frontières représentent la souveraineté, elles se défendent aussi bien par l’armée que par les règles qu’une nation impose au reste du monde. Il faut des règles pour le contrôle des marchandises, des capitaux et des hommes. Seules ces règles sont susceptibles de construire une communauté de destin. La monnaie est une de ces règles, comme l’est la laïcité comme le sont les frontières politiques de la nation.  

C’est sans surprise donc qu’une étude allemande dont est issue le tableau ci-dessus montre le résultat de la disparition des frontières monétaires entre les pays européens[12]. Cette étude émane d’un think tank pro-européen et donc n’affiche pas de malveillance vis-à-vis de l’Union européenne et de la monnaie unique. Chaque français a donc perdu 56 000 € entre 1999 et 2017, du fait de l’introduction de la monnaie unique, tandis que chaque allemand avait gagné sur la même période un peu plus de 23 000 €. Le bilan est encore plus désastreux en Italie où la perte par italien serait sur l’ensemble de la période d’étude serait de 73 000 €. On remarque que ce dernier pays qui a détruit systématiquement son système de soins pour rentrer dans les normes budgétaires imposées par Bruxelles a été celui qui a le plus souffert de la crise sanitaire. C’est aussi dans ce pays que la volonté de sortir de l’Union européenne parait la plus forte. Globalement dans ce jeu à somme nulle, ce que l’Allemagne et les Pays Bas ont gagné, c’est ce que la France et l’Italie ont perdu. Sur le plan commercial, les excédents de l’Allemagne sont le déficit commercial des autres pays européens, à commencer par la France.

Ce long détour nous permet de revenir à Montebourg, celui-ci teste manifestement une possible candidature à l’Elysée, pour cela il se démarque de François Hollande dont il a été le ministre éphémère de l’économie avant d’être remplacé par Macron. Il nous dit que son point de vue est en dehors du clivage gauche-droite qui est en effet de plus en flou, de moins en moins lisible. Il raconte à qui veut l’entendre que, devant Obama, Hollande s’était ridiculisé en se déclarant impuissant face aux oukases de Merkel[13]. Il a avancé semble-t-il sur cette question des frontières, mais il ne nous dit pas ce qu’il fera de l’euro, ni même s’il œuvrera pour sortir de l’Union européenne. Il ne peut pas nous refaire le coup du plan A, plan B à la Mélenchon, ambigüité qui du reste a été sanctionnée en 2017 par les électeurs, ambiguïté qui plombe aujourd’hui l’idée selon laquelle Mélenchon qui passe beaucoup plus de temps à combattre l’islamophobie qu’à développer un programme sérieux. Mélenchon qui pleurniche pour décider les communistes à le soutenir – mais pourquoi le feraient-ils – pourrait-il figurer au second tour de l’élection présidentielle ? Personne à gauche ne le croit, ses palinodies, ses retournements de veste l’ont discrédité pour toujours. Pour avancer Montebourg doit préciser sa démarche sur les points suivants :

– que faire avec l’Union européenne ? A l’heure actuelle circule une pétition pour réclamer un référendum sur cette question, mais d’autres pétitions reste en retrait, réclamant seulement un meilleur contrôle des frontières européennes. Or comme nous l’avons vu, à l’intérieur des frontières européennes, nous resterons désarmés car l’Union européenne n’est pas une nation et ne le sera jamais, ce qui l’encline à être dirigée par une bureaucratie corrompue ;

– que faire avec l’euro ? Nous avons vu que la monnaie nationale est une autre manière de défendre nos frontières économiques ;

– à l’heure actuelle on doit être clair sur la question environnementale et remettre en question le dogme de la croissance économique comme solution.

Terminons par ce point important, Montebourg est un critique de longue date de la Vème République et donc d’une plus large implication du peuple dans les affaires qui le concerne. Cette idée relativement simple d’un peuple souverain, fait apparaître plus que jamais la centralité de l’idée de nation.



[1] https://lvsl.fr/stephane-rozes-la-presidentielle-doit-remettre-letat-au-service-de-la-nation-et-de-sa-souverainete/?fbclid=IwAR2otdDpDW9uPKeJN0mRmIAAgPRVMZMEwQkPSKkNmyVsSQpERNWP_MmTbnY

[2] Patrick Cabanel, « La gauche et l'idée nationale », Jean-Jacques Becker éd., Histoire des gauches en France. Volume 1. La Découverte, 2005

[5] Antoine Montebourg, L’engagement, Grasset, 2020. https://ingirumimusnocte2.blogspot.com/2020/11/arnaud-montebourg-lengagement-grasset.html

[6] Antoyne de Montchrestien, Traicté d’oeconomie politic, 1615.

[7] https://ingirumimusnocte2.blogspot.com/2020/08/des-soins-sans-industrie-jean-pierre.html

[8] https://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/aubervilliers-93300/aubervilliers-condamnes-pour-11-agressions-contre-des-chinois-09-08-2016-6027649.php

[9] https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/bar-interdit-aux-femmes-a-sevran-david-pujadas-et-delphine-ernotte-seront-juges-pour-diffamation-1592588019

[10] https://www.novethic.fr/actualite/environnement/agriculture/isr-rse/allemagne-indigestion-generale-due-aux-elevages-de-porcs-142735.html

[11] Jacques Sapir, L’euro contre la France, l’euro contre l’Europe, Cerf, 2016.

[12] Dr. Matthias Kullas & Alessandro Gasparotti, 20 Jahre Euro: Verlierer und Gewinner Eine empirische Untersuchung, CEP, Februar 2019.

[13] https://actu.orange.fr/politique/meme-obama-nous-faisait-la-lecon-quand-arnaud-montebourg-raconte-sa-honte-de-francois-hollande-magic-CNT000001vx6oC.html

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