lundi 22 avril 2024

Henri Barbusse, Le feu, journal d’une escouade, Flammarion, 1916

 

C’est non seulement l’ouvrage de Barbusse le plus célèbre, mais c’est aussi l’ouvrage le plus célèbre sur la guerre – ou le carnage – de 14-18. Il y en a d’autre bien entendu, d’excellents et de très forts, Les croix de bois de Roland Dorgelès, publié en 1919, ou, un peu plus tard, Pain de soldat d’Henry Poulaille. Ce livre a cependant cette singularité d’avoir été édité durant le conflit. Publié en 1916, il traite de l’année 1915, il est couronné par le prix Goncourt, il parait alors qu’il reste encore deux ans de guerre entre la France et l’Allemagne. Le plus étonnant est que personne n’ait eu l’idée de contester son importance, alors qu’il fait état d’une démoralisation importante des soldats – aussi bien français qu’allemands d’ailleurs. La contestation viendra plus tard de l’obscur Jean Norton Cru qui avait fait la guerre et s’était donné pour curieuse tâche de démolir les témoignages des gens qui, comme Barbusse, racontaient les horreurs de ce qu’ils avaient vécu dans les tranchées. En quelque sorte ce pointilleux instituteur vérifiait le nombre des boutons de guêtres et la position des cadavres de ceux qui laissaient leur peau dans cette sanglante fantaisie[1]. Quel était son but ? Essentiellement de dire par exemple que Henry Barbusse avait exagéré par goût du morbide, ou encore qu’il ne comprenait pas le poilu sur le plan psychologique. Norton Cru n’a pas tout à fait compris cet ouvrage, et se trompe quand il pense que c’est seulement un témoignage brut. D’abord parce que pour témoigner on n’a pas besoin de le faire avec une exactitude de géomètre, ensuite justement parce que la littérature permet d’atteindre un niveau de compréhension différent de celui du documentaire qui aurait la prétention de donner une vérité complètement objective et désincarnée. 

Les morts dans les tranchées sont nombreux 

Quand Henry Barbusse écrit ce livre, il est déjà assez âgé, il a 41 ans, et il s’est volontairement engagé pour sauver la patrie attaquée, ce n’est pas tant qu’il soit patriote, mais il considère que les armées allemandes n’ont rien à faire en France. Il a déjà produit plusieurs textes, c’est un écrivain expérimenté et reconnu dans le milieu littéraire parisien. D’origine petite-bourgeoise, son père était journaliste, spécialisé dans les chroniques du théâtre. Mais du côté maternel, il était anglais, il sera rapidement orphelin de mère, comme beaucoup d’écrivains qu’on classe dans la catégorie de la littérature prolétarienne. Le conflit auquel il participe va le changer non seulement dans la compréhension de la société et de ses mécanismes, admirateur de la Révolution russe, il adhérera ainsi au parti communiste, mais aussi dans ses rapports à l’écriture. Cet ouvrage emblématique va aussi changer le cours de la littérature française, il aura une influence considérable sur de nombreux écrivains, par exemple Henry Poulaille, ou Louis-Ferdinand Céline, deux écrivains qui s’affronteront pour le prix Goncourt de 1932. Il est très probable que l’opportuniste littéraire Céline n’aurait pas écrit Voyage au bout de la nuit, sans Le feu. Non seulement parce qu’il traite lui aussi pour partie de son expérience de la Grande guerre, mais aussi du point de vue de la langue utilisée. 

Les nombreux blessés témoignent de la sauvagerie du conflit

Ce qui est frappant quand on relit Le feu, c’est la proximité qu’on peut y voir avec le conflit ukrainien. Ce qui est décrit c’est la guerre des tranchées, très peu de mouvements donc, mais les obus ou les « marmites » qui tombent du ciel. Les soldats doivent rester de longues heures, de longs jours, terrés – c’est bien le mot juste – dans ces tranchées. Puis de temps en temps on donne l’assaut, avec les conséquences qu’on comprend. Les hommes qui se battent là ne contestent pas vraiment l’idée qu’il faut se battre pour défendre sa patrie, le récit n’est pas franchement pacifiste, même si par la suite Henri Barbusse sera plus précis sur cette question. Comme en Ukraine aujourd’hui, il y a la chair à canon faite de pauvres gens, et puis ceux qui décident de son utilisation sur le front. La tactique est rarement comprise par les hommes qui risquent leur vie. Également il y a les planqués de l’arrière, ceux qui font la guerre sans y être vraiment, trainant dans les bureaux, organisant les ravitaillements. Dans le conflit ukrainien, on a un peu la même situation, un front qui menace sans cesse de céder et que les Occidentaux colmatent comme ils peuvent en fournissant des armes qui permettent au conflit de se perpétuer, souvent avec retard, n’empêchant pas les centaines de milliers de morts. Et donc dans les deux cas, nous avons des croix de bois, des cimetières et des fosses communes bien garnies avec des corps déchiquetés, impossibles à identifier. Barbusse décrit ces routes, ces champs longés par des croix de bois innombrables. Les croix de bois c’est aussi le titre du roman de Roland Dorgelès qui lui aussi fut surpris par ces alignements funèbres. Ces horreurs de la guerre devraient normalement pousser les parties en conflit vers la négociation, mais c’est très rarement le cas, pour des raisons très compliquées à exposer ici. L’ouvrage de Barbusse se termine juste un peu après cette phrase ambiguë :

– Si la guerre actuelle a fait avancer le progrès d’un pas, ses malheurs et ses tueries compteront pour peu.

Barbusse ne croyait pas si bien dire. Les économistes ne savent pas grand-chose, mais ils savent que les guerres sont toujours des périodes de fortes innovations, que ce soit les avions, le nucléaire ou Internet, l’explosion du progrès technique quand revient une paix provisoire donne un coup de fouet à la croissance et consécutivement à un changement dans le mode de vie. Les guerres engendrent le progrès, cette idée devraient nous donner à réfléchir d’ailleurs sur les finalités du progrès dans le monde moderne.  

Les chevaux seront pour leur malheur mis à contribution dans la guerre 

Dans la guerre de 14-18, les chevaux furent largement mis à contribution, et nous avons une multitude de témoignages de Poilus qui justement prennent en pitié ces pauvres bêtes innocentes mobilisées et dont beaucoup mourront sur le champ de bataille. Henry Barbusse n’échappe pas à ce constat. Ce n’est pas seulement pour plaindre les bêtes, mais c’est aussi une manière de raconter comment l’homme s’est rabaissé au niveau de la bête, et peut-être encore bien plus bas parce qu’il n’a pas d’innocence. Le soldat a une vie difficile et peut mourir comme ça, pour rien, sans même s’en rendre compte. C’est pourquoi il a la nostalgie de sa vie d’avant la guerre, aussi misérable soit- elle, il la regrette et la dureté des temps la lui fait apparaître comme une sorte de bonheur. Le soldat se conduit plutôt mal, il vole un peu, et quand il le peut, il se saoule. Il peut mépriser le Boche, évidemment. Mais cependant il trouve de temps à autre des réserves d’humanité. Entre eux les soldats peuvent manifester une solidarité qui va jusqu’à l’abnégation, sauver un ami, un camarade au risque de perdre sa vie. Barbusse parle de scènes où les Allemands et les Français se parlent et parfois s‘accordent une trêve, le temps de ramasser leurs morts. L’historien Remy Cazals parlera même de trêves localisées durant la nuit de Noël 1914[2]. Récemment, en 2018, on a mis à jour les carnets de guerre de Frédéric Branche qui sera tué au combat en juin 1918. Il y parle justement d’une trêve où l’officier allemand vient serrer la main à l’officier français ce qui fait ressortir encore un peu plus l’absurdité de ce conflit que la diplomatie n’a pas su prévenir[3]. Cependant les soldats sont soumis à une discipline qu’il est presqu’impossible de contourner, sous peine d’être fusillé pour l’exemple. Il est d’ailleurs assez curieux que ces exécutions pour l’exemple soient décrites par Barbusse en 1916, alors que les gouvernements ultérieurs les nieront en bloc, au point d’interdire même la projection du film de Stanley Kubrick, Les sentiers de la gloire en 1957 ! 

Fusillé pour l’exemple

Du point de vue stylistique Le feu est construit d’une manière originale et cela en fait aussi sa force. D’abord, il n’y a pas d’histoire. Les chapitres sont des impressions vécues directement et de manière décousue parce que les soldats ne savent pas trop ce qu’ils font, ce à quoi ils doivent s’attendre. Ils sont déstructurés, comme des errants dans la pluie, la boue et le brouillard. La boue c’est déjà une manière de s’ensevelir. Ensuite, le récit de ces journées est fait du point de vue d’un narrateur qui essaie de conserver de la distance avec son sujet, tout en y restant à l’intérieur. Ce n’est pas un récit neutre, ni sans sentiment pour autant, c’est comme si Henry Barbusse se demandait constamment ce qu’il fait là. Il rapporte aussi ce que disent les soldats qui se moquent allégrement de la propagande gouvernementale et des communiqués triomphants. Dans un passage étonnant, il rapporte qu’un soldat récité les arguments habituels de la propagande guerrière, le Kaiser est fou, les Allemands ne tiendront pas une semaine, ils n’ont plus de munitions. Ce qui nous rappellent les guignols de plateaux télévisés qui aujourd’hui encore nous disaient que l’armée russe allait s’effondrer et que Poutine, rongé par de multiples cancers était fou. Toujours la même chanson, le mensonge à répétition pour masquer les incertitudes de la guerre. Mais si les soldats sont désabusés, et s’ils vivent avec des cadavres, ils ne sont pas pour autant capables de construire des analyses de leur triste sort. 

 

On n’est pourtant pas très loin d’une analyse de classes quand les soldats parlent de ceux qui ne servent à rien ou qui sont abrités à l’arrière.

« Ah ! mon vieux, ruminait notre camarade, tous ces mecs qui baguenaudent et qui papelardent là-dedans, astiqués, avec des kébrocs et des paletots d’officiers, des bottines – qui marquent mal, quoi – et qui mangent du fin, s’mettent, quand ça veut, un cintième de casse-pattes dans l’cornet, se lavent plutôt deux fois qu’une, vont à la messe, n’défument pas te le soir s’empaillent dans la plume en lisant le journal. Et ça dira, après : « j’suis t’été à la guerre. »

On voit que le choix des formes argotiques que beaucoup ont remarquées, est un marqueur de vérité sociale et non pas une fantaisie ornementale. Les dialogues seront marqués par les différents accents de la France de cette époque, avec des formules familières, des allitérations, c’est l’introduction massive des formes orales, donc d’une langue populaire qui exprime les sentiments de ceux qui la parlent, mieux que ce que pourraient en dire un écrivain plus académique. Henry Barbusse avait construit cet ouvrage à partir des notes qu’il prenait quotidiennement quand le front lui laissait des plages de longs ennuis.    

 

Henry Barbusse brille, si on peut dire, dans la description de la violence banalisée sur le terrain. Avec Poterloo, son camarade de combat, le narrateur visite un village qui a quasiment disparu, haché menu par les bombardements incessants qui l’ont réduit presqu’à l’état de poussière. Ce qu’il traverse ce n’est même pas un cimetière, à peine un charnier, sans aucun signe de vie, ni animale, ni végétale.

« Sur le terrain vague, sale et malade, où de l’herbe desséchée s’envase dans du cirage, s’alignent des morts. On les transporte là lorsqu’on en a vidé les tranchées ou la plaine, pendant la nuit. Ils attendent – quelques-uns depuis longtemps – d’être nocturnement amenés aux cimetières de l’arrière. On s’approche d’eux doucement. Ils sont serrés les uns contre les autres ; chacun ébauche, avec les bras ou les jambes, un geste pétrifié d’agonie différent. Il en est qui montrent des faces demi-moisies, la peau rouillée, jaune avec des points noirs. Plusieurs ont la figure complètement noircie, goudronnée, les lèvres tuméfiées et énormes : des têtes de nègres soufflées en baudruche. Entre deux corps, sortant confusément de l’un ou de l’autre, un poignet coupé et terminé par une boule de filaments. D’autres sont des larves informes, souillées, d’où pointent de vagues objets d’équipement ou des morceaux d’os. Plus loin, on a transporté un cadavre dans un état tel qu’on a dû, pour ne pas le perdre en chemin, l’entasser dans un grillage de fil de fer qu’on a fixé ensuite aux deux extrémités d’un pieu. Il a été ainsi porté en boule dans ce hamac métallique, et déposé là. »

Devant le désastre des destructions massives, Poterloo va se raccrocher à ses souvenirs, c’est le premier pas qui le conduira plus tard à manifester l’espoir que ce village détruit renaîtra en mieux, et qu’on retrouvera une vie qui vaut tout de même le coup d’être vécue.

« Il s’éponge le front : il lève sur moi des yeux de suppliant. Il essaye de comprendre, d’embrasser cette destruction de tout ce coin de monde, de s’assimiler ce deuil. Il bafouille des propos sans suite, des interjections. Il ôte son vaste casque et on voit sa tête qui fume. Puis il me dit, péniblement :

Mon vieux, tu peux pas te figurer, tu peux pas, tu peux pas…

Il souffle :

Le Cabaret Rouge, où c’est qu’il y a c’tetête de Boche et, tout autour, des fouillis d’ordures… c’t’espèce de cloaque, c’était… sur le bord de la route, une maison en briques et deux bâtiments bas, à côté… Combien de fois, mon vieux, à la place même où on s’est arrêté, combien de fois, là, à la bonne femme qui rigolait sur le pas de sa porte, j’ai dit au revoir en m’essuyant la bouche et en regardant du côté de Souchez où je rentrais ! Et après quelques pas, on se retournait pour lui crier une blague !

Oh ! tu peux pas te figurer… »

Comme on l’a compris la Première Guerre mondiale a révolutionné la manière d’écrire et a fait entrer en force le langage du peuple. On n’a pas attendu Céline pour cela, ni même la fin du conflit. Ce sera le modèle ensuite pour le roman noir à la française d’utiliser ce langage familier et imagé où la métaphore fleurit. D’autres cependant iront plus loin dans la déconstruction, les dadaïstes et les surréalistes, qui trouveront que de se servir de cette langue abâtardie c’était encore trop d’honneur à faire à la littérature du passé qui avait failli en ne prévenant pas le conflit. Mais ce dernier point de vue ne touchera pas beaucoup les masses parce que leurs sentiments ne peuvent pas s’inscrire dans ces jeux.

 

Tout le monde est d’accord pour dire que cette Grande guerre a été une abomination, vingt millions de morts, sans parler des millions de blessés et de gueules cassées. Mais l’enjeu n’est pas là, il se trouve plutôt dans le fait que suite à ce conflit ruineux dans tous les sens du terme, on ait remis le couvert pour une Seconde Guerre mondiale encore plus sanglante qui fera, selon les estimations entre soixante et quatre-vingts millions de morts, couronnée par les bombes atomiques américaines larguées sur le Japon ! La Société des Nations dont la mission était de garantir la paix, ayant failli, on l’a remplacée par l’ONU qui n’est pas mieux arrivé à contenir les guerres. Également les élans pacifistes d’écrivains, de certains politiciens, des anarchistes, n’ont jamais empêché le retour des conflits militaires. Il est relativement difficile de comprendre les origines d’une guerre. Certes pour le conflit de 14-18 on a utilisé des analyses empruntées à la théorie de l’Impérialisme. Pour la Seconde Guerre mondiale c’est plus confus parce que le discours du principal fauteur de guerre – l’Allemagne – s’était ornementé d’une rhétorique nazie, raciste et expansionniste. Aujourd’hui encore on peut expliquer les velléités guerrières des Etats-Unis envers la Russie par Ukraine interposée par le but de mettre la main sur les richesses naturelles. Mais cette rationalisation n’explique cependant pas tout, et en particulier le pourquoi du comment les masses ne s’opposent que très mollement à la guerre qui revient toujours dans notre quotidien.

 

Bibliographie 

Félicien Champsaur, L’enfer de Verdun [1917], Orgie latine, 2013

Roland Dorgelès, Les croix de bois, Albin Michel, 1919.

Henry Poulaille, Pain de soldat, 1914-1917, Grasset, 1937.

Paroles de poilus, lettres et carnets du front, édité par Jean-Pierre Guéno et Yves Laplume, Editions Librio, 1998.  


[1] Témoins : essai d’analyse et de critique des souvenirs de combattants édités en français de 1915 à 1928, Les Étincelles, 1929.

[2] https://www.france24.com/fr/20141224-treve-noel-premiere-guerre-mondiale-match-football-britanniques-allemands-francais-fraternisation

[3] http://lescarnetsdefrederic.over-blog.com/

mercredi 17 avril 2024

La droite extrême de retour à Matignon navigue entre incompétence et haine des pauvres

 

La Macronie a un principe affirmé, elle déteste les pauvres, les travailleurs et les retraités, ceux qui ne sont rien et qu’on pourrait peut-être croiser malencontreusement dans une gare, les sans dents comme aurait dit cet imbécile de François Hollande. Dans une note de décembre 2019, France Stratégie assurait que l’emploi « paie significativement plus qu’une situation d’inactivité », mais par une vieille impulsion électoraliste le faible communicant Attal, ivre de son pouvoir pour emmerder les plus faibles, nous dit qu’il faut serrer encore un peu plus la vis aux chômeurs, autrement dit de les priver des droits pour lesquels ils ont cotisé. Ce crétin malveillant qui n’a jamais travaillé, suggère donc qu’il y aurait un lien positif entre allocations chômage et chômage, autrement dit que les chômeurs sont des fainéants et des profiteurs. Regardons la courbe ci-dessous qui concerne spécifiquement la France sur la période 1960-2010., nous remarquons deux choses, tout d’abord qu’entre 1983 et 2024, l’État a systématiquement restreint les droits des chômeurs, baisse des allocations chômage et diminution de la durée d’indemnisation. Or nous voyons que le chômage malgré une petite vingtaine de réformes brutales, n’a pas reculé significativement. Il n’y a donc pas de lien entre les conditions de couverture du risque chômage et le chômage lui-même. C’est une certitude corroborée par les statistiques. Le deuxième enseignement de ce graphique est que le taux de chômage n’est pas lié aux allocations plus ou moins généreuses, mais plus sûrement au taux de croissance du PIB. Autrement dit les deux courbes – croissance et chômage sont dans une relation négative. 

 

Quand la croissance est élevée, le chômage tend à diminuer, quand elle faiblit, le chômage augmente. C’est ce que nous voyons clairement, à vue d’œil, dans le graphique suivant qui utilise les données des pays de l’OCDE. Le premier graphique est en données chronologiques, le second c’est un graphique en coupe, c’est-à-dire qu’on a réuni pour chaque pays le taux de chômage et le taux de croissance. Mais le résultat est exactement le même. Évidemment les économistes mainstream vous diront qu’en fait si la croissance n’est pas forte c’est parce que les salaires sont trop hauts ! La stratégie de la triplette Macron-Attal-Le Maire, est maintenant la suivante : pour augmenter les salaires on va prendre de l’argent aux chômeurs et sur les cotisations sociales ! Ce ne sont plus les pauvres qui sont assistés, mais bien les entreprises. Tout ça en diminuant les dépenses étatiques. 

 

Sur le plan théorique si je puis dire, on ne fait plus confiance au marché. L’État, un peu à la manière soviétique subventionne des tas de secteurs. Par exemple au nom de la transition écologique. On donne des milliards pour l’industrie des automobiles électriques dont l’avenir apparait très incertain. On achète l’électricité produit par les éoliennes ou les champs, de panneaux photovoltaïques après en avoir subventionné les lourds investissements. Outre le fait qu’on dépouille EDF pour faire plaisir aux amis, on transfère ainsi les fonds publics vers le secteur privé. Dans le graphique ci-dessous on voit que si les aides sociales ont bien augmenté sur les prestations de protection sociale, allocations chômage, retraites, RSA, APL et tout ce qu’on veut, les aides aux entreprises ont carrément explosé. Dans une note récente de la Cour des comptes, celle-ci évaluait les subventions aux entreprises à environ 260 milliards d’euros[1] ! Elle pointait plus de 2000 dispositifs d’aide, sous des tas de formes différentes, prêts garanties, subventions, prêts bonifiés, décharges de cotisations sociales, etc. je ne crois pas que les économistes soviétiques aient jamais imaginé une telle usine à gaz. Mais le pire est sans doute que la Cour des comptes considère que ces aides ne sont pas efficaces. 

Cette politique de transferts massifs d’argent public explique la très bonne tenue du cours des actions. En effet, les recettes étant excellentes et les investissements relativement bas faute de demande solvable, ce sont les impôts qui alimentent la rémunération des actionnaires. En 2023, jamais les inégalités n’ont été aussi criantes. D’un côté, les dividendes ne cessent de progresser alors que, de l’autre, les salaires réels et le pouvoir d’achat, du fait de l’inflation, baissent. Les dividendes augmentent de 40% entre 2021 et 2023 alors que le pouvoir d’achat baisse de 2% sur la même période, et que 17,3% des salariés sont au Smic en 2023, soit 3,1 millions de personnes. Les entreprises du CAC40 ont rémunéré leurs actionnaires de près de 100 milliards d’euros[2]. Ce n’est que pour les entreprises du CAC40, mais pour les autres c’est encore 100 milliards d’euros de plus. 

Évolution comparée du SMIC et de la pension moyenne des retraites en euros – source UNSA 

Récemment quelques économistes crapuleux signaient dans Le monde – toujours à l’avant-garde du démantèlement des droits des travailleurs – une tribune qui avançait avec une grande stupidité qu’il fallait serrer la vis maintenant aux retraités[3]. Les économistes sont toujours payés pour justifier l’injustifiable et lui donnait une apparence de logique. Macron s’en est pris aux retraités du futur et voilà que ce quarteron de demi-solde du patronat veut s’en prendre aux retraités. Ils justifient leur haine du retraité en disant que ce serait une mesure d’équité que de les tondre un peu plus, vu qu’il y aurait plus pauvre qu’eux ! Ce raisonnement repose sur deux idées fausses : la première est d’abord d’ajuster l’égalité par le bas, sauf pour les économistes et ceux d’en haut, autrement dit de mettre les vieux au SMIC. La seconde idée repose sur un mensonge éhonté que Le monde ne dénonce pas : comme le montre le graphique ci-dessus, le SMIC progresse depuis Macron beaucoup plus vite que les pensions de retraite. La raison en est simple, le SMIC reste indexé sur l’inflation, alors que les pensions de retraite non. Depuis que Macron est président, les pensions de retraite perdent du pouvoir d’achat comme le montre le graphique suivant. L’inflation étant supérieure à l’évolution des pensions, c’est une évidence visible à l’œil nu. Mais ces économistes répugnants mentent – ou alors ce sont des ignorants – en proposant que les pensions soient désindexées, elles le sont déjà ! leur argument massue est que les retraites sont depuis cinquante ans les responsables de la dette publique, ce sont des fainéants et des profiteurs ! Sous-entendant par là que l’État s’est endetté pour combler les déficits des caisses de retraite. Lors de la loi scélérate sur les retraites, nous avons vu que c’était un autre mensonge. En effet le déficit des caisses de retraites ou de la Sécurité Sociale, vient principalement des décharges de cotisations sociales dont profitent les entreprises pour soi-disant embaucher. C’est là qu’on voit tout le vice, non pas des économistes bornés et vendus, mais d’un système : en baissant les cotisations sociales, on baisse en fait le salaire indirect, et ensuite on reproche le déficit aux retraités. 

 

Également il vient que les cotisations sociales étant proportionnées au salaire, sauf dérogation, on comprend que si le salaire augmente, par exemple en suivant la hausse de la productivité du travail, les cotisations sociales seront plus abondantes et le déficit disparaîtra. Comme on le voit dans le graphique suivant, les rémunérations en France n’ont pas suivi, depuis 1983 et le tournant dit de la rigueur, l’évolution de la productivité du travail, autrement dit ces gains ont été confisqués par le capital et ont permis entre autres choses l’explosion de la fortune des très riches. L’imbécilité native des économistes de salon qui ne travaillent qu’en tant que domestiques, est qu’il faut toujours plus taxer les pauvres et les vieux. Mais on voit que ceux qui suivent cette logique, les différents ministres de l’économie qui se sont succédés en France depuis la malheureuse nomination de Macron à ce poste, le font au nom de m’équilibre budgétaire. Or plus ils tapent sur les pauvres et les retraités et moins la dette se résorbe, c’est même l’inverse : Bruno Le Maire et Macron sont les recordmen en France de la dette publique et du déficit commercial ! Ces déficits jumeaux qui mettent la France dans une mauvaise passe, sont la preuve de leur incompétence, mais au lieu de reconnaître celle-ci et leurs erreurs, ils persistent dans cette mauvaise voie, essentiellement parce qu’ils travaillent en tant que domestiques des oligarques, pour des bénéfices de court terme. Et ensuite cela leur permet de montrer du doigt les chômeurs, les retraités comme les fauteurs de dettes. Mais ces économistes en tant que propagandistes du vieux patronat, sont relativement bien payés, eu égard leurs compétences médiocres. 

 

La tendance est donc bien à la déflation salariale accélérée : celle-ci va sans doute se poursuivre avec la désindexation du SMIC de l’inflation. Évidemment si on désindexe le SMIC de l’inflation ce n’est pas pour augmenter les salaires ! Mais pour les baisser. Cette bataille est menée aujourd’hui par Gilbert Cette, médiocre entremetteur, richement rémunéré, de tous les côtés par la Commission européenne, par la commission du SMIC par d’autres think tanks, mais cette petite crapule qui n’a jamais créé un jour dans sa vie de domestique bien payé de la valeur concrète, trouve encore que le SMIC c’est bien trop. Remarquez que tous les Attal, Macron, Cette, sont issus du Parti socialiste, ce même parti en déshérence qui se sent tellement mourir qu’il engage un agent des Américains, Glucksmann, comme tête de liste pour les élections européennes. Formés à l’école américaine de la loi du marché, ils répètent platement les vieilles niaiseries du XIXème siècle de la théorie de l’offre, théorie dont on se passe pourtant très bien pour créer des déficits en finançant un vaccin hors de prix et probablement inefficace, ou la guerre en Ukraine. On comprend que vu ce qui s’est passé depuis 1983 et le malheureux tournant de la rigueur les choses ont été de pire en pire, au point que nous avons aujourd’hui au pouvoir un gouvernement haï du peuple d’en bas comme jamais depuis le Maréchal Pétain, une droite extrême, pire que tout, mais aussi une gauche médiocre et peu offensive sur les vrais problèmes de notre pays. Je ne parle même pas du PS qu’Hollande a achevé, mais que ce soit le PCF ou la FI, ces deux partis n’ont pas les armes intellectuelles pour faire face, ils restent européistes et pour le marché, avançant seulement quelques arguments pour aménager la dégringolade des droits sociaux. Du modèle économique et social issu du CNR il ne reste rien, nous sommes devenus des Américains !

  

Il faut trouver de l’argent pour complaire à Bruxelles, 20 milliards d’euros et tout ça sans s’attaquer au capital et aux plus riches. Parmi les autres ides stupides les macroniens visent à taxer le livre d’occasion[4] ! L’ineptie de cette nouvelle crétinerie est facile à comprendre. D’abord ce sont globalement les plus pauvres qui vont payer cette nouvelle taxe, même si une partie des érudits achètent des livres un peu rares et un peu cher. Il faut vraiment haïr la culture pour procéder ainsi, tout en payant une chanteuse de rap 700 000 € pour chanter une seule chanson ! Cette taxe va évidemment, si elle est mise en œuvre, ralentir la circulation des biens culturels. Là encore on couvrira cette sottise en disant que c’est pour le bien des libraires qui vendent du neuf et qui souffrent. Mais en réalité ce ne sont pas les mêmes publics. Ceux qui font un travail de lecture de fond, au-delà qu’un simple divertissement, achètent énormément de livres et donc beaucoup d’occasion, notamment des livres qui ne sont plus disponibles sur le marché. Ce gouvernement d’ignorants et d’imbéciles, n’a jamais pris une loi qui depuis au moins 2014 soit favorable aux plus pauvres, au monde du travail, à l’éducation ou à la santé. Seuls les riches, les très riches, peuvent y trouver quelque chose de bon. Cette clique haineuse n’aime rien que l’argent et les riches, pour eux tout le reste que la plupart du temps ils ignorent, passe après. En instaurant une taxe sur la vente des livres d’occasion, les idiots du gouvernement risquent d’envoyer à la poubelle une grande quantité d’ouvrages qui méritent pourtant de prolonger leur vie et en plus le rendement fiscal d’une telle fantaisie sera franchement très faible. Ce genre de bricolage en dit long à la fois sur la haine de ces politicards imbéciles envers le peuple et en même temps sur leur niveau d’incompétence.


[1] https://www.ccomptes.fr/fr/documents/65356

[2] https://www.cgt.fr/comm-de-presse/971-milliards-deuros-de-dividendes-en-2023-le-cac-40-atteint-encore-des-sommets-pas-les-salaires#:~:text=Les%20dividendes%20augmentent%20de%2040,3%2C1%20millions%20de%20personnes.

[3] https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/04/15/dette-publique-nous-proposons-de-mettre-davantage-a-contribution-les-retraites-pour-des-raisons-d-efficacite-economique-et-de-justice-sociale_6227963_3232.html

[4] https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/04/15/marche-du-livre-controverse-sur-la-taxation-des-ouvrages-d-occasion_6228022_3234.html#:~:text=Cette%20nouvelle%20taxe%20envisag%C3%A9e%20%C3%A0,a%2Dt%2Dil%20ajout%C3%A9.

vendredi 12 avril 2024

Georges Fleury, Histoire secrète de l’OAS, Grasset, 2002

  

Voilà un sujet que les Français n’aiment guère aborder, surtout à gauche. L’histoire de l’OAS qui est une page d’histoire de la France, se confond avec la fin de l’Algérie française, donc avec la fin de l’Empire français dans convulsions violentes. En 1954 la France s’était retiré d’Indochine, possession lointaine de l’Empire, se faisant remplacer par l’Empire américain qui y restera jusqu’en 1975. Cette aventure s’achevant déjà en débandade pour les Américains. Tout cela se confond bien entendu avec le vaste mouvement de décolonisation qui toucha aussi l’Empire britannique. Avec le recul de l’histoire, on pourrait dire que la fin de la Guerre d’Algérie, son indépendance en 1962, était le début de la fin de la domination de l’Occident sur le monde. L’Empire britannique se défaisait lui-aussi. La guerre en Ukraine, les menées guerrières des Américains du côté de Taïwan, ne semblent pas devoir changer grand-chose à cette évolution. Seulement quelles que soient les raisons du déclenchement du conflit algérien en 1954, les Pieds-Noirs n’entendaient pas quitter ce pays qu’ils pensaient être le leur, ils y étaient nés et à leur manière, ils l’aimaient. Georges Fleury était d’ailleurs de ceux qui défendaient l’Algérie française. Mais ceux qui voulaient une Algérie française avaient des buts relativement hétéroclites. Une partie qui d’ailleurs formera le noyau de l’OAS, avait des tendances fascistes affirmées, considérant que l’abandon de l’Algérie à son destin était une victoire du bolchévisme ! Mais des anciens résistants, comme Jacques Soustelle, voulaient préserver l’intégrité de la nation. Il y eut aussi quelques tenants d’une partition, partition qui fut même évoquée un moment par le général de Gaulle. D’autres plus prosaïquement défendaient leurs biens et leur vie. L’Algérie était considérée d’ailleurs comme le plus beau fleuron de l’Empire français, on parlait de la France de Dunkerque à Tamanrasset. 

L’Empire colonial français tel qu’on le présentait aux élèves de l’école primaire au début des années cinquante 

Mais après la défaite des Allemands en 1945, l’Empire français s’est décomposé, les mouvements d’indépendance se sont développés de partout dans le monde. La France a perdu peu à peu la Tunisie, le Maroc, l’Indochine, les pays d’Afrique noire et Madagascar. Si l’indépendance du Maroc et de la Tunisie s’est bien passée ou à peu près, il n’en a pas été de même pour l’Indochine. L’Armée française considérait qu’elle avait été trahie par les politiciens qui l’avaient conduite à une défaite humiliante. Cette rancœur sera pour beaucoup dans l’implication de l’Armée française dans la guerre d’Algérie, une partie de celle-ci s’engageant dans la sédition. C’est d’ailleurs la Guerre d’Algérie qui va ramener le général de Gaulle au pouvoir. C’est le 13 mai 1958. Mais ce retour se fait sur un mensonge, de Gaulle promettant de conserver l’Algérie française, alors qu’il pensait évidemment à se débarrasser du problème en liquidant l’Algérie. Le 4 juin 1958, devant la foule franco-musulmane d’Alger qui vient de le rappeler au pouvoir, le général de Gaulle déclare au nom de la France : « Dans toute l’Algérie, il n’y a qu’une seule catégorie d’habitants : dix millions de Français à part entière. » Deux jours après, à Mostaganem, il s’écrie : « Vive l’Algérie... française ! ». Bientôt, il parlera différemment, dans sa conférence de presse du 11 avril 1961, il exprime pour la première fois, en public et en toute clarté, sa conviction que l’Algérie sera un État indépendant : « Cet État sera ce que les Algériens voudront. Pour ma part, je suis persuadé qu’il sera souverain au-dedans et au-dehors. » Sans doute cette indépendance était-elle inéluctable, et les Français n’y avaient plus leur place, essentiellement pour des raisons démographiques. Mais le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle s’est très mal passée et qu’elle a été mal conduite.  De Gaulle avait la volonté de lâcher l’Algérie au plus vite, il avait l’idée que l’Algérie ce n’était pas la France. Rapidement, pour les Pieds-Noirs ce fut la déception, ils se sentirent trahis, les journées des barricades à Alger reflétaient cette angoisse d’être abandonnés par la Métropole. En outre à Paris on faisait comme si les Pieds-Noirs étaient tous des colons, donc un ramassis d’exploiteurs qui spoliaient les Arabes. On n’avait même pas conscience qu’à côté des Arabes qui tous n’étaient pas musulmans, il y avait aussi des Kabyles, et des Juifs qui étaient là depuis la nuit des temps, bien avant la colonisation arabe. Mais il fallait tourner la page au plus vite. En donnant tous les pouvoirs au FLN – ce qui n’était pas la seule option possible – dont les pouvoirs de police, on voit que l’indépendance fut bâclée, et cela aboutit à la catastrophe des massacres d’Oran qui firent des centaines de morts dans l’indifférence honteuse de la Métropole[1]. 

Les barricades à Alger 

Après les journées des barricades, c’est le putsch des généraux. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce putsch fut une mauvaise comédie. Il était très mal préparé et ne tenait pas compte du vrai rapport de force. De Gaulle savait très bien que la métropole était derrière lui dans cette affaire, mais aussi que les militaires séditieux étaient très minoritaires dans l’armée. Cette fantaisie dura cinq jours. En outre les putschistes n’avaient pas vraiment de plan. Ils pensaient vaguement que quelques régiments prendraient Alger, puis Paris. Mais les officiers qui devaient conduire la révolte à Paris se firent rapidement arrêter ou alors se récusèrent. Certains voulaient inclure dans ce nouvel élan les civils et provoquer une révolution, d’autres non. La question de rallier dans un même mouvement les musulmans et les Algériens d’origine française semblait très difficile également et assez peu pensée. On l’oublie trop souvent la        plupart des tenants de l’Algérie française étaient pour l’intégration, c’est-à-dire donner une égalité de droits aux Français et aux Musulmans. Si le putsch avait réussi, cela aurait-il pu être mis en œuvre ? Rien ne permet de l’affirmer. De Gaulle qui n’aimait pas les Musulmans, pensait quant à lui qu’en séparant l’Algérie de la France, la France resterait éloigné de l’Islam. Il s’est évidemment totalement trompé sur ce point puisque l’Algérie post-indépendance en ne se développant pas, alors qu’on venait de trouver des grandes quantités de gaz et de pétrole dans le Sahara, a envoyé en France son surplus de main d’œuvre, avec les conséquences qu’on sait. Georges Fleury nous dit que l’échec du putsch vient de la volonté des généraux de ne pas faire couler le sang, donc de refuser de déclencher une guerre civile. Il est vrai qu’on ne peut pas gagner une guerre sans la faire. Cependant, si Challe le premier refusa l’affrontement entre Français, c’est aussi peut-être qu’il ne croyait pas vraiment à la victoire. En évitant un bain de sang, il reconnaissait implicitement que l’armée française était majoritairement acquise à de Gaulle.

 

Bien que l’OAS était en gestation depuis les journées des barricades, c’est l’échec du putsch des généraux à Alger, adossé sur les déclarations de de Gaulle qui voulait se débarrasser au plus vite de ce fardeau encombrant en négociant directement avec le FLN qui va être le déclencheur de son entrée en scène. Autrement dit, c’est le désespoir qui est le moteur de cette forme singulière de révolte. Si le noyau fondateur de l’OAS avait des accointances avec le fascisme de type espagnol, Franco les protégeaient, ce n’était pas le cas des Pieds-Noirs qui massivement voyaient dans l’OAS leur dernier recours car ils considéraient que l’armée et les gendarmes qui obéissaient aux ordres de Paris ne les protégeaient plus contre les meurtres aveugles du FLN. La situation en Algérie et dans la métropole était à front renversé. En France 80% de la population était pour de Gaulle, en Algérie, 80% des Français était contre de Gaulle. Celui-ci pouvait à juste titre se targuer d’un soutien très majoritaire des Français. Cette asymétrie fait évidemment que les rancœurs sont encore présentes plus de soixante ans après les faits, rancœurs contre le pouvoir gaulliste, mais aussi contre les Français de la métropole qui se désintéressaient de leur sort. Les accords d’Évian étaient censés garantir aux Français d’Algérie la possibilité d’une vie paisible sur leur terre natale, il n’en fut évidemment rien. La valise ou le cercueil fut le seul choix possible des Pieds-Noirs qui de surcroit furent assez mal accueillis en métropole, peut-être parce qu’ils renvoyaient une image de gens modestes ou pauvres et non de colons enrichis en faisant suer le « burnous ». Les conditions de l’indépendance, alors que l’ALN avait été vaincu militairement sur le terrain, furent bâclées. Plus que l’indépendance, ce sont ses conditions qui ont attisés les rancœurs contre le général de Gaulle.

L’exode fut dramatique. Car bien au-delà de la vie qu’ils laissaient derrière eux, il y avait eu le 5 juillet 1962 l’assassinat à Oran de milliers de Français qui avaient été massacrés par le FLN tandis que les soldats français qui auraient pu facilement les protéger, étaient consignés pendant des heures avant qu’ils puissent intervenir. Quelles que soient les explications qu’on avance sur cette question, on retombe sur l’incompétence d’un pouvoir qui se désintéressait de ses citoyens qui se trouvaient de l’autre côté de la Méditerranée. D’autres exactions eurent lieu, moins massives un peu partout, et elles justifièrent évidemment le passage à l’acte de l’OAS, comme une nécessité défensive. Les Pieds-Noirs en partant abandonnaient aussi leurs ancêtres dans des cimetières qui n’étaient plus entretenus, voire qui étaient profanés. Si on peut comprendre les raisons qui ont poussé le général de Gaulle à se débarrasser de l’Algérie, le moins qu’on puisse dire, c’est que la gestion de l’indépendance a été incroyablement mauvaise, voire criminelle. La logique de la politique d’indépendance de de Gaulle apparait avec le recul comme contradictoire, si on se souvient que celui-ci se félicitait pendant l’Occupation de l’immensité de l’Empire français qui lui permit de travailler à la recréation d’une armée française dans les colonies pour restaurer la république en France. La plupart des Français d’Algérie ont été dupés, y compris d’ailleurs les communistes qui soutenaient le FLN et qui croyaient à la possibilité de créer un pays socialiste et ouvert en Algérie. En un sens ils ont seulement aidé le général de Gaulle qui les a bien utilisés. Ils le payeront à Charonne le 8 février 1962 avec plusieurs morts, officiellement 9, mais sans doute plus. Parmi les hommes qui assuraient la répression contre l’OAS et contre le Parti communiste, il y avait le sordide Maurice Papon. Soutien de tous les pouvoirs, passant du pétainisme sans complexe au gaullisme sans état d’âme, il sera comme on le sait rattrapé par son passé et sera incarcéré. De Gaulle s’entourait de personnes extrêmement louches, de Papon à Pinay, collaborateurs, en passant par le sinistre Pompidou qui fut le premier à détricoter la Sécurité Sociale. 

Les Pieds-Noirs arrivent à Marseille

Comme on le comprend, le mouvement de l’histoire se fait le plus souvent dans la confusion. Ceux qui soutenaient l’Algérie française étaient profondément divisés sur le sens de ce mouvement. Mais ceux qui luttaient, en Algérie ou en métropole pour l’indépendance n’étaient pas moins divisés sur leurs objectifs. La masse des personnes impliquées dans les manifestations plus ou moins violentes en réalité ne répondait pas à des analyses complexes et solides. Mais ils agissaient avec leurs tripes et leurs ressentiments, c’est évident pour les Pieds-Noirs, mais ça l’est aussi pour ceux qui militaient contre la guerre d’Algérie et pour son indépendance. Sans doute le plus grave c’est que ceux qui se croyaient ou qui se voulaient les chefs d’un mouvement insurrectionnel naviguaient à vue, dans le désordre, mais aussi à contretemps. Pour la gauche les Pieds-Noirs qui défendaient l’Algérie française étaient des fascistes et des colons, et pour certains tenants de l’Algérie française, leur combat était le dernier rempart contre le bolchévisme. Comme on le comprend les choses étaient un peu plus compliquées. Mais dans cette confusion, c’était aussi l’occasion de montrer son courage, comme un peu aujourd’hui ceux qui partent en Ukraine pour défendre une cause qu’ils ne connaissent pas vraiment. Après tout on n’a pas souvent de nos jours l’occasion d’éprouver notre courage, encore faut-il présenter à soi-même cela comme un idéal, recouvert d’une certaine rigueur morale. 

 

Georges Fleury a le grand mérite de ne pas cacher ses engagements passés, tout en maintenant une froideur et une grande minutie dans son récit.  C’est un gros livre d’un peu plus de 1000 pages, et à mon sens le plus complet sur le sujet. Bien entendu on ne saurait nier que la dramatisation des faits dont joua avec beaucoup d’aplomb de Gaulle, a engendré des vocations pour le statut de soldat perdu. Et on trouve évidemment dans l’OAS des soldats révoltés qui vont presqu’au-devant de la défaite en le sachant pertinemment, ce qui demande un certain panache. Ils savent qu’ils sont minoritaires, et c’est peut-être ce qui les motive, car cela rend plus grand leur dévouement. Très souvent on apprécie les combats du point de vue de la justesse de la cause qu’ils défendent, mais il faut prendre aussi en compte cette volonté de s’engager pour un idéal, fut-il flou, ou erroné. Contrairement à ceux qui se sont engagés pendant l’Occupation dans la LVF parce qu’ils se croyaient du côté du vainqueur, ceux qui ont fait l’OAS, n’avaient pas cet espoir sauf quelques fanatiques qui pensaient en finir avec la république et restaurer une société fasciste, voire une monarchie, mais cela étaient minoritaires. La logique de l’OAS était confuse, de Gaulle, lui, avait l’idée de se séparer au plus vite de l’Algérie pour s’atteler à la modernisation de la France, quel qu’en soit le prix, et le prix fut élevé pour les Pieds-Noirs. Quand le pouvoir gaulliste commença à négocier avec le FLN, celui-ci sachant que ses actions ne seraient plus réprimées – la trêve unilatérale avait été décidée par la France – se lança dans une forme de terrorisme sauvage, viols, égorgements, bombes, etc. Il est vrai que le FLN ayant été vaincu sur le terrain militaire avait besoin de se refaire une santé auprès de la population musulmane de façon à apparaître comme le seul interlocuteur possible du pouvoir central français. Ce terrorisme contre les populations non musulmanes, fit que celles-ci ne se sentaient plus en sécurité, protégées par le pouvoir gaulliste. Et bien sûr cela renforça le soutien qu’ils apportaient à l’OAS.

  

Fleury ne passe sur rien, ni sur les attentats des commandos de l’OAS, ni sur la répression radicale de la police contre ceux qui soutenaient l’Algérie française. Il précise ce qu’on savait depuis longtemps, la torture des militants, les descentes dans les caves. Certains compareront ce traitement abject – barbouzes comprises – avec les méthodes de la Gestapo. Et bien sûr cela avec la couverture des médias de la métropole. Cette répression féroce de l’OAS et de ses soutiens, alors que le FLN reprenait du poil de la bête et n’était plus vraiment réprimé par le pouvoir central, renforça la détermination des rebelles à se débarrasser de de Gaulle. Et évidemment il y eut de nombreux attentats contre ceux qui réprimaient férocement l’OAS. Il y a un point qui m’interroge. Degueldre assassinera à Alger un agent de l’Intelligence Service qui alimentait le FLN avec des armes. On sait aussi que les Etats-Unis, via la CIA, joueront un double jeu, aussi bien en finançant le FLN qu’en alimentant – un peu –  l’OAS, le but étant de nuire à de Gaulle et éventuellement de remplacer la France en Algérie pour y exploiter le gaz et le pétrole. Cet aspect de la Guerre d’Algérie n’est qu’effleuré, or les Anglo-Saxons ont toujours fait de leur mainmise sur les réserves de pétrole un des axes majeurs de leur politique étrangère. On le voit encore aujourd’hui avec la Guerre en Ukraine qui vise au démantèlement de la Russie. Éric Branca parle de l’ingérence anglo-saxonne en Algérie dans L’ami américain, mais à peine[2].

 

Par-delà les différences d’opinion qui balayaient les tenants d’une Algérie française, en regardant d’un peu loin les choix possibles, il y en avait trois. Le premier était le statu quo, la répression du FLN, et le maintien de la situation antérieure. Cette solution semblait très difficile à tenir pour cause de déséquilibre démographique entre la population musulmane et la population d’origine européenne. La seconde possibilité était l’intégration, c’est-à-dire de faire de la population musulmane des citoyens français à part entière. C’est ce que prônait Albert Camus par exemple, mais c’était aussi la ligne officielle de l’OAS défendue par le général Salan, ce qu’on cache le plus souvent et ce que rappelle constamment Fleury dans son ouvrage. Cette option n’a jamais été envisagée sérieusement par le gouvernement français qu’il soit gaulliste ou non d’ailleurs. Or elle aurait eu bien des avantages sur le long terme. D’abord de développer l’Algérie dans un univers laïque et démocratique, ce qui aurait permis à ce pays de retenir sur ses terres ses propres enfants, en les instruisant, notamment les filles, ce qui est un gage de développement, et ce qui assure la transition démographique. Ensuite, la France aurait pu ainsi bénéficier aussi de l’exploitation et du gaz du Sahara. Mais de Gaulle – et ce fut peut-être sa plus grande erreur qui n’aimait pas les musulmans, considérait qu’en séparant la Métropole de l’Algérie, cela empêcherait les migrations des Algériens musulmans vers la France. Il semble qu’il pensait aussi qu’en abandonnant l’Algérie au FLN, la France pourrait conserver la main sur le gaz et le pétrole du Sahara, comme ce sont trompés les intellectuels de gauche qui croyaient que l’Algérie deviendrait une nation socialiste. À l’évidence de Gaulle s’est lourdement trompé sur ces deux points. Il est vrai qu’il était entouré de canailles, dont le fameux collaborationniste Maurice Papon pour la répression à Paris, et Georges Pompidou, l’employé de la Banque Rothschild, qui poussait à l’abandon et qui sera à la fin des années soixante le premier à encourager les migrations des Algériens vers la France pour faire baisser les salaires. On peut très bien approuver de Gaulle lorsque le 18 juin 1940 il lança son fameux appel, on peut l’approuver encore lorsqu’il se heurta aux Américains pour conserver la souveraineté de la France, mais on n’est pas obligé d’approuver ses dérives en ce qui concerne la question difficile de l’Algérie. 

La question de l’indépendance de l’Algérie était posée, et comme je l’ai dit au début de ce billet, il n’était pas stupide de vouloir la réaliser. Non seulement de Gaulle choisit la pire des solutions sur le long terme, solution dont souffre encore aujourd’hui l’Algérie qui a régressé sur à peu près tous les plans, mais il choisit la pire façon de l’imposer. Dès 1961 il prévoyait de rapatrier les Français d’Algérie, mais surtout remettre en selle le FLN était franchement une bévue que les Algériens eux-mêmes, notamment les Kabyles, payent encore aujourd’hui. Même en choisissant la solution de l’indépendance, il était possible de prendre son temps pour le faire, et laisser la possibilité pour qu’autres forces politiques puissent émerger. En se cachant derrière la nécessité du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, de Gaulle trahissait l’envie de liquider l’Algérie et les Français d’Algérie. Mais le FLN n’était pas un partenaire fiable dans les négociations, et cette dérive aboutira aux massacres honteux du 5 juillet 1962 à Oran déjà évoqués ci-dessus. Cet épisode douloureux est rarement rappelé, et quand il l’est, c’est dans l’indifférence. Il ne faut pas s’étonner ensuite que les Pieds-Noirs aient été les plus farouches opposants au général de Gaulle, au point d’appeler à voter Mitterrand en 1965 avec les communistes ! Au-delà du caractère dramatique de ces assassinats, c’est la démonstration que la manière de de Gaulle d’abandonner l’Algérie était mauvaise et mal pensée. On s’est retrouvé dans la pire des situations, non seulement la guerre que le pouvoir de la métropole livrait à l’OAS a causé des dégâts considérables, mais elle a permis la résurrection d’un FLN qui était moribond sur le plan militaire et imposa finalement une forme de dictature dont l’Algérie n’est jamais sortie. 

5 juillet 1962, les Français sont enlevés et massacrés par le FLN, tandis que les militaires français sont consignés 

L’OAS était une structure très faible, même si elle a pu mener des actions spectaculaires contre les barbouzes du général de Gaulle qui agissaient en toute illégalité. Les barbouzes étaient finalement assez peu critiquées en métropole, à la fois parce que l’information était très contrôlée, mais aussi parce que la gauche qui était pour le FLN et l’abandon de l’Algérie, tacitement approuvait ces méthodes. Critiques en vitrine les hommes politiques de gauche, laissaient faire, et préféraient dénoncer le fascisme supposé de l’OAS que les dérives autoritaires du général de Gaulle. Une des faiblesses de l’OAS tenait à ce qu’elle n’avait pas de ligne claire, bonne ou mauvaise, et donc que ses leaders passaient beaucoup de temps à se déchirer sur des points de détail, voire même à s’entretuer. Curieusement on trouve à cette époque un clivage entre les forces de maintien de l’ordre. D’un côté les gendarmes et les CRS qui comme aujourd’hui ne s’embarrassaient pas de respecter la loi pour appliquer les consignes qui venaient de l’Élysée, il n’y eut pratiquement pas de déserteur dans leurs rangs, et de l’autre l’armée qui en quelque sorte fit jouer une clause de conscience pour se ranger du côté de l’Algérie Française, c’est de ce côté que vinrent les hommes les plus déterminés au combat.

 

C’est sans doute un des passages les mieux construits et les plus intéressants de l’ouvrage de Georges Fleury que d’avoir détaillé l’activité barbouzarde. Structure, elle aussi faite de bric et de broc, elle était alimentée par des sortes de truands dont la subtilité n’était pas la qualité première, même si ceux qui les manipulaient, comme Lucien Bitterlin, avaient une vision claire de ce qu’ils recherchaient. Fleury montre que s’ils furent certainement criminels, ces barbouzards ne furent pas particulièrement efficaces. Les barbouzes du général de Gaulle curieusement lui causeront beaucoup de tort par la suite. En effet celles-ci avaient pris la mauvaise habitude des coups tordus en toute illégalité. Quand en octobre 1965 Ben Barka fut enlevé et assassiné, la France qui avait fermé les yeux sur les exactions des barbouzes en Algérie, découvrit effarée que cette police parallèle travaillait encore dans l’ombre, se vendant de ci de là. Le général eut beau dire que cette affaire était « vulgaire et subalterne », elle n’en contribua pas moins à affaiblir le régime. Si l’opinion avait fermé les yeux sur l’action des barbouzes en Algérie, elle ne les supportait plus. La lente décomposition du régime gaulliste était entamée. 

L’ouvrage de Georges Fleury est écrit comme une chronique presqu’au jour le jour. On y verra en détail les exactions des forces de l’ordre, CRS et gendarmes mobiles, qui s’illustreront plus tard dans la sauvagerie répressive en Mai 68, mais aussi plus près de nous dans les manifestations des Français contre la réforme des retraites dont ils ne veulent pas. On verra par exemple la sauvagerie des forces de l’ordre qui encerclent et investissent Bab El Oued, usant de tanks qui bombarderont jusque les appartements des Français d’Algérie blessant plus ou moins volontairement des femmes et des enfants. Mais ça ne s’est pas arrêté là, l’armée française le 26 mars 1962 tire sur les manifestants, avec des dizaines de personnes désarmées assassinées. On a tenté de mettre cette fusillade sur le dos de l’OAS, mais Georges Fleury démonte de façon convaincante cette présentation mensongère. C’est le massacre de la rue d’Isly. Une tâche sombre sur l’État gaulliste dont peu de monde ose parler encore aujourd’hui. À travers cet ouvrage, Georges Fleury dresse d’ailleurs un portrait singulier du général de Gaulle, loin des images d’Épinal. Certes personne ne nie l’importance de de Gaulle dans la préservation et la restauration de la souveraineté française, et c’est d’ailleurs pour ça qu’il a pu réunir autour de lui des Français de métropole comme d’Algérie pour revenir au pouvoir en 1958. Mais que dire de ses mensonges qui servaient à camoufler l’abandon programmé de l’Algérie ? Que dire de sa hargne à poursuivre de sa vindicte les Salan et les Jouhaud, qu’il se refusait à gracier, tandis que les tueurs du FLN étaient amnistiés au nom d’un retour de la paix entre la France et l’Algérie ? 

Le massacre de la rue d’Isly 26 mars 1962 

De Gaulle, ayant échappé à l’attentat du petit Clamart avec une chance inouïe, utilisera politiquement l’émotion des Français de métropole pour modifier la Constitution et faire élire le président au suffrage universel direct, accentuant ainsi la dérive autoritaire des institutions dont nous payons le prix encore aujourd’hui, car si malgré tout de Gaulle pouvait toujours s’abriter sur un soutien très large de l’opinion, un jeune crétin totalement récusé par les Français comme Macron, utilisera les possibilités des institutions pour mettre littéralement le feu au pays lors de ces deux malheureux quinquennats. Le 4 mars, les trois initiateurs de l'opération du petit Clamart sont condamnés à mort dont Bastien-Thiry. De Gaulle gracie ses deux comparses, mais pas lui. « Les Français ont besoin de martyrs. Je leur donne Bastien-Thiry. Ils pourront en faire un martyr. Il le mérite », justifie curieusement le général. Une semaine plus tard, au petit matin, un chapelet à la main, l’officier est fusillé au fort d’Ivry. Ce sera la dernière exécution politique en France. Le Canard enchaîné qui a l’époque n’était pas le torchon qu’on connait aujourd’hui, écrit : « C'est la honte qui rase les murs. Une certaine justice aussi semble-t-il. Le lieutenant-colonel Bastien-Thiry est mort, je ne dis pas pleuré mais plaint par un très grand nombre de Français, même parmi ceux les plus farouchement hostiles à sa cause ». En 1968, les autres condamnés seront tous graciés. Aujourd’hui avec le recul on est stupéfait aussi bien de la précipitation qu’il y a eu à condamner lourdement les gens de l’OAS, que par cette hargne du belliqueux de Gaulle. En effet, non seulement les terroristes du FLN avaient été tous graciés au nom d’une réconciliation qui n'est jamais venue, mais en 1962 l’OAS n’existait tout simplement plus. Ça me rappelle d’ailleurs la même hargne obtuse de la justice italienne à poursuivre Cesare Battisti, brigadiste rouge, donc d’extrême-gauche poursuivi encore quarante années après. Il n’est pas besoin d’être en accord avec l’OAS ou les Brigades Rouges pour critiquer cet esprit mesquin de vengeance.

 

La fin de l’Algérie française est une vraie tragédie, et l’histoire de l’OAS en est le contrepoint naturel. C’est un des deux ou trois événements majeurs de l’histoire de la France après la Libération. Comme je suis né à Marseille, j’ai assisté à l’arrivée des Pieds-Noirs en France, c’était pitoyable, cela m’a amené à les côtoyer et à être sensible à ce qu’ils avaient perdu. Mais je me souviens aussi que je regardais les journaux placardés sur le kiosque de notre quartier, et bien sûr j’épluchais les gros titres, car chez nous on ne lisait que La marseillaise et L’Humanité. Il y avait le journal Jeune nation, journal fasciste, qui parlait du fusillé Bastien-Thiry, et devant cette une je me souviens d’un homme qui pleurait. C’est sans doute cette scène qui m’a amené à m’intéresser d’une manière un peu moins conformiste à la Guerre d’Algérie et à ses séquelles. Pour conclure, afin qu’on me comprenne bien, je répéterais deux choses, la première est que l’indépendance de l’Algérie en tant qu’État musulman était probablement inévitable, la seconde est que nous payons encore aujourd’hui la médiocrité avec laquelle cette indépendance a été conduite, les rapports de la France avec l’Algérie sont très mauvais, alors qu’avec le temps, plus de soixante années ont passé, les vieilles querelles auraient dues être dépassées. C’est un cas unique dans l’histoire du monde moderne, quand on pense à ce que la Japon a fait à la Corée, ou encore ce que les Américains ont infligés aux Japonais, et pourtant ces pays s’ils n’ont pas oublié les offenses les ont mises de côté.



[1] Guillaume Zeller, Oran, 5 juillet 1962, Tallandier, 2012.

[2] https://ingirumimusnocte2.blogspot.com/2023/04/blog-post.html

Henri Barbusse, Le feu, journal d’une escouade, Flammarion, 1916

  C’est non seulement l’ouvrage de Barbusse le plus célèbre, mais c’est aussi l’ouvrage le plus célèbre sur la guerre – ou le carnage – de...