lundi 18 novembre 2024

Eve Dessarre, Les vagabonds autour du clocher, Pierre Horray, 1955.

   

Vous pouvez chercher longtemps, vous ne trouverez pas beaucoup de renseignements sur Eve Dessarre. Elle était née en 1926 et disparut en 1990. Les vagabonds autour du clocher n’est pas son livre le plus connu. Elle a écrit beaucoup de livres pour la jeunesse dans la collection Rouge et or. Mais elle a laissé un livre de souvenirs, Mon enfance d’avant le déluge[1]. D’origine juive, née à Sarrebruck, et ressentira violemment le racisme et bien sûr les effets de la guerre et de l’Occupation.  Chez Orban, en 1978, elle publiera aussi Les sacrifiés, un ouvrage en hommage aux militants socialistes et antifascistes allemands qui s’opposèrent au nazisme. Mais ici, il est question de l’immédiate après-guerre et plus particulièrement de Saint-Germain-des-Prés au début des années cinquante, disons en 1948-1950, juste avant que Guy Debord ne revienne dans sa ville natale. C’est un roman bien sûr sans doute pas un roman à clés, une fiction, même si c’est avec des figures idéal-typiques représentant le quartier. Elle y parlera du Lys blanc, sur le modèle de La rose rouge, et des Frères Mathieu sur celui des Frères Jacques. A l’époque qu’elle décrit, c’était déjà la fin de Saint-Germain-des-Prés qui va devenir de plus en plus un quartier de bobos friqués et de gens-de-lettres qui ont réussi. Il semble que ce quartier ait été pendant quelques brèves années une sorte d’ilot de liberté, ou du moins de la quête d’une liberté dont on ne savait pas trop que faire. Et donc cet idéal attire une jeunesse pleine d’espérance à la Libération, mais qui va être rapidement déçue, n’arrivant pas à réinventer les codes de la vie, se heurtant aussi bien aux rigidités de l’époque qu’elle sous-estime, mais aussi à ses propres désirs qu’elle n’arrive pas vraiment formuler. 

 

Le roman s’articule autour du parcours du jeune Camille, une sorte de Rimbaud sans trop de dimension. Il va être pris en charge à son arrivée au quartier par un peintre homosexuel, un peu ivrogne qui se meurt d’amour pour un jeune gigolo, Patrick. Mais Camille va se tourner vers Rosie, une jeune américaine qui vivote difficilement de sa plume, et entamer avec elle une liaison incertaine. Cependant la romance va tourner rapidement au drame, comme si cette jeune génération en voulant se débarrasser des préjugés anciens sur les relations sexuelles avait jeté le bébé avec l’eau du bain. Une grande partie du roman va donc concerner les attitudes et même les petites combines de cette faune, mensonges, jalousies, tout cela mène à ne plus rien croire. Le point de vue d’Eve Dessarre est bien entendu que cette jeunesse se gâche et se rend malheureuse en croyant renverser des valeurs bourgeoises. Mais tout rentre dans l’ordre quand Rosie se marie avec Camille et que celui-ci commence à avoir un petit succès. Les protagonistes de ce roman apparaissent curieusement comme peu héroïques, pleurnichards et faibles, comme s’ils avaient pris les valeurs inverses de leurs ainés. 

 

L’ensemble est une sorte de dérive au milieu de la pauvreté, une pauvreté qui rend parfois fou et qui exacerbe mes tensions. Presque tous ces personnages sont des traumatisés du dernier conflit. Ça vivote, ça manifeste des ambitions le plus souvent surdimensionnées. Ça peut virer au drame. Eve Dessarre ne juge pas, il y a une description assez audacieuse pour l’époque d’un milieu où l’homosexualité est extrêmement présente comme un défi. D’existentialisme il ne sera pas question, mais par contre l’ouvrage présente une mixité étrange entre les classes, d’un coté la faune artiste et intellectuelle arrivée, et de l’autre ceux qui vivotent et voudraient bien sortir de la pauvreté. Malgré une fin optimiste du type « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants », l’ensemble est plutôt désespéré et noir. Ces gens-là sont assez peu fiables et vivent les uns à coté des autres sans vraiment se rencontrer. Beaucoup finissent mal, Simone est étranglée, Charly s’en va à Sainte-Anne, Bob qui avait recueilli Camille à son arrivée à Paris, et qui se meurt d’amour pour son petit giton qui le quitte, se suicide en se jetant sous un camion ! Cette bohème crasseuse n’a rien de souriant et d’enthousiasmant. C’est comme une reprise en plus noir et plus amer de Scènes de la vie de Bohème d’Henri Murger, publié en feuilleton entre 1847 et 1849. L’écriture est simple et hâtive, parsemée de métaphores parfois curieuses, cependant elle laisse une large place à la description de la psychologie des personnages. L’ensemble reste un témoignage sur une période très brève qui a ensuite été mythifiée et vendue comme exceptionnelle.  



[1] Fayard, 1976.


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