jeudi 21 novembre 2024

De la crise agricole à la crise de l’Europe

 

Depuis quelques jours les paysans sont de sortie. Ils reviennent comme les escargots après la pluie avec leurs tracteurs, mais aussi comme les traités ignobles promus par l’Union européenne qui ressortent périodiquement. Cette fois, mais ça fait 20 ans que ça dure, on ressort l’accord de libre-échange avec le Mercosur. Bien entendu cet accord suppose que de nombreux paysans en Europe mais surtout en France vont mettre la clé sous la porte ou se transformeront en domestiques pour s’occuper des touristes. Les inconvénients de cet accord sont très nombreux :

– d’abord bien évidemment la destruction de ce qu’il reste de la petite paysannerie qui a déjà du mal à joindre les deux bouts et qui continue à nous fournir tant bien que mal des « produits locaux » ;

– ensuite l’accroissement sans précédent de produits « hors normes », pour ne pas dire pourris, car pour que la viande arrive depuis les pays du Mercosur sur nos étals, il faut qu’elle ait été congelée et aussi protégée afin que son aspect ne se détériore pas, je passe sur les hormones et les antibiotiques. La viande ne voyage pas sur des milliers de kilomètres sans dégâts ;

– enfin, pour que cette viande arrive par exemple du Brésil, il faut qu’elle parcoure environ 10 000 kilomètres, et donc ces transports polluent évidemment la mer et renvoie du CO2 dans l’atmosphère bien plus encore que les vaches qui pètent.

Jadis la France était une très grande nation agricole, mais depuis qu’elle se vautre dans le marché unique et s’aligne sur la doxa de Bruxelles rien ne va plus. A la grande époque des Trente glorieuses et encore longtemps après, la France couvrait ses déficits dans d’autres secteurs grâce à l’apport des excédents agricoles. Ce temps-là est loin, l’Union européenne est passée par là. Aujourd’hui c’est à peine si la balance des produits agricoles reste encore à l’équilibre, mais sans doute plus pour longtemps. Une des raisons de cette dégradation récente est que le soutien de la guerre de l’OTAN en Ukraine nous a fermé le marché de la Russie, et il est probable que le protectionnisme que Trump mettra en place va encore un peu plus compliquer les choses pour les Européens. Il faut ajouter que le traité avec le Mercosur est mauvais pour les pays européens, mais qu’il a été voulu essentiellement par l’Allemagne qui pense, à tort bien sûr, que ce traité sera bénéfique pour son industrie, même s’il tue son agriculture. La France qui n’a quasiment plus d’industrie sera encore plus affaiblie. On voit ici que les considérations nationales – celles de l’Allemagne par exemple – priment sur les considérations européennes. Seul Macron pense le contraire. Et c’est déjà une première raison que de sortir de l’Europe, la France ne doit pas être un pays uniquement porté par le tourisme. Sur tous les sujets la guerre en Ukraine, l’énergie, l’agriculture, la défense ou l’industrie, les pays qui composent ce monstre qu’est la Commission européenne ne s’accordent pas. Les Polonais en veulent aux Ukrainiens, les Pays-Bas aux Hongrois et les Allemands à la France. Remarquez qu’une fois de plus Bruxelles, c’est-à-dire une poignée de bureaucrates totalement corrompus, décide sans le peuple soit consulté. Il est évidemment que si on demandait leur avis aux Français par la voie référendaire, ils rejetteraient ce traité de libre échange avec le Mercosur probablement à 90%. Mais nous vivons en Occident une parodie de démocratie dans laquelle les traités sont toujours supérieurs à la démocratie comme le disait naguère Jean-Claude Juncker aux Grecs.  

Regardons les produits que nous importons en masse dans le tableau ci-dessous. Nous avons une ouverture sur au moins trois mers, même sans compter les DOM-TOM, or nous importons 89% de nos consommations en poisson. Nous avons un ministre de la mer depuis 40 ans au moins mais il n’a jamais servie à rien, qu’il soit de gauche ou de droite. Les trois quarts de nos besoins en blé dur sont satisfaits par les importations. C’est d’autant plus ridicule que de nombreuses terres à blé ont été déclassées et rendue à la friche. C’est la dépendance de notre survie à la bienveillance des marchés étrangers. Une des grandes leçons de la guerre contre la Russie menée stupidement par l’OTAN par son proxy ukrainien, c’est que les sanctions contre ce pays sont inopérantes, contrairement à ce que pensaient bêtement les stratèges américains et leur disciple idiot Bruno Le Maire. Une des raisons à cela est que la Russie est un pays souverain, autosuffisant en produits agricoles et en énergie. Cette souveraineté a été construite consciemment par Poutine dès le début des années 2000. À cette date, la Russie importait jusqu’à 80% de poulets américains ! À Cette date, la Russie importait du blé pour couvrir ses besoins. Aujourd’hui elle est exportatrice dans ces deux produits, et pour ce qui concerne le blé, elle est la première exportatrice du monde. Elle peut se passer des marchés européens et étatsuniens. C’est d’autant plus vrai que les BRICS ont ouvert des perspectives économiques inattendues pour la Russie. 

Il faut comprendre que la crise de l’agriculture en France n’est pas seulement la crise de l’agriculture, elle est la conséquence de l’effondrement économique du pays. Mais cet effondrement qui se déroule sous nos yeux, ne s’est pas fait en un jour. Un des instruments qui l’y ont conduit est la PAC – Politique Agricole Commune – qui a acheté la conscience des paysans à coups de subventions qui, au nom de la productivité ont accéléré la concentration du secteur, le patron de la FNSEA n’est pas un paysan, mais un milliardaire, un entrepreneur en produits agricoles de mauvaise qualité qui n’a aucun problème pour ses revenus. En distribuant les subventions selon la taille des propriétés agricoles, l’Union européenne a favorisé la concentration qui a laissé en déshérence les petites propriétés. Pire encore, en subventionnant les concurrents directs de la France en matière agricole, l’Espagne, la Pologne, l’Ukraine[1], l’Union européenne a aggravé sciemment les problèmes de l’agriculture française. L’Union européenne s’est cachée derrière la nécessité de produire beaucoup pour faire avancer un capitalisme agricole peu soucieux des dégâts environnementaux, c’est ce qu’on appelle l’agriculture intensive qui en produisant des excédents colossaux de viande et de lait a rendu les petits paysans non rentables. Il faut bien comprendre que le problème n’est pas le traité avec le Mercosur, c’en est qu’un des énièmes aspects, mais l’idéologie du libre-échange qui élimine les plus faibles dans un darwinisme économique bien organisé. Autrement dit, même si le traité avec le Mercosur n’est pas ratifié par la France – et on ne voit pas comment il pourrait l’être vu la composition de l’Assemblée nationale aujourd’hui – le problème restera entier. A-t-on besoin en France du poulet ukrainien douteux ? A-t-on besoin du cochon allemand élevé dans des fermes ou l’ignoble le dispute à la course au profit ? Cette agriculture-là, intensive nourrie de pesticides, d’antibiotiques et d’hormones, ne peut pas être concurrencée par une agriculture normale, saine et respectueuse des animaux et de l’environnement. Cependant la faiblesse des salaires français orientés clairement à la baisse, fait que le poulet ukrainien a un prix attractif dans les supermarchés. Peu importe qu’il ait été pique, congelé, décongelé, recongelé. On pare au plus pressé en achetant pas cher, d’où le succès des supermarchés comme Lidl ou Adil, firmes allemandes installées chez nous. Il ne faut pas se tromper, on veut bien soutenir l’agriculture française et les paysans français, mais pas ceux qui sont responsables de la malbouffe et de la dégradation continue de l’environnement. Et donc on ne peut pas soutenir le combat de la FNSEA contre les normes.

 

Le premier problème de l’agriculture française avec le traité la liant au Mercosur, c’est son adhésion à l’Europe. Et cela pour trois raisons :

– d’abord parce qu’en étant en dehors de l’Union européenne, aucun politicien français n’aurait osé signer un accord aussi pourri, au risque d’être pendu. Il est comique de voir que l’ignoble Macron qui a poussé tant qu’il a pu pour l’adoption du traité, se renie complètement et nous dit qu’en l’état la France ne peut pas le ratifier. Seulement voilà, comme nous ne sommes pas en démocratie, ce traité sera appliqué même si la France ne le ratifie pas ;

– ensuite parce que la mise en concurrence des agriculteurs français avec des agriculteurs polonais, allemands ou espagnols, qui n’ont ni les mêmes combinaisons capital/travail que les agriculteurs français, des salaires plus bas et une protection sociale plus faible, ne peut que leur être défavorables. L’idéologie de la concurrence est principalement faite pour  tirer les revenus des travailleurs vers le bas ;

– enfin parce que la France chaque année abonde le budget de la Commission européenne pour environ 5 à 7 milliards d’euros, cette somme serait bien mieux employée pour soutenir une agriculture de proximité, respectueuse de l’environnement et de la santé des Français, par exemple en soutenant les reconversions de l’agriculture conventionnelle (l’agriculture pourrie) vers l’agriculture biologique (l’agriculture normale). Or à l’inverse les gouvernements de Macron, une conjuration d’imbéciles vendus à la FNSEA, ont diminué les aides de l’État à la reconversion.

 

Il est facile de comprendre que le problème de l’agriculture française ce ne sont pas les normes imposées aux agriculteurs, même si elles viennent de Bruxelles et que certaines sont stupides. Bien entendu il est plus que stupide de vouloir imposer des normes pour les productions européennes et tolérer leur contournement pour les produits importés. Mais, enlever les normes tout en restant dans l’Europe, c’est accepter la concurrence des agriculteurs français avec les autres agriculteurs polonais, roumains, sur le seul terrain de l’agriculture conventionnelle. Or c’est bien cette concurrence qui tire l’agriculture vers la médiocrité. Le renouveau de l’agriculture française passe par trois voies. D’abord, sortir de la concurrence initiée par les traités de libre-échange. Donc évidemment sortir de l’union européenne qui est un vaste traité de libre-échange et un peu plus. Contrôler ce que nous importons, c’est-à-dire ne pas importer ce que nous pouvons produire sur notre terre. Faciliter les circuits courts, contourner les supermarchés qui poussent à la baisse des revenus paysans, et donc favoriser les marchés paysans dans des regroupements de producteurs. Continuer et amplifier la transition nécessaire de l’agriculture conventionnelle vers l’agriculture biologique. C’est une nécessité absolue si on veut dans quelques années être encore capable de produire du miel et amélioré et si on veut lutter aussi contre l’obésité et différentes maladies qui sont portées par l’agriculture industrielle. Dans le sondage suivent, on voit que les Français ont parfaitement compris où se trouvaient les responsabilités de cette crise de l’agriculture.

Bien entendu il est important que les agriculteurs aient des revenus convenables, comme tout le monde. Et il semble que pour leur faire avaler la pilule du Mercosur on va tenter de leur faire croire que les dégâts provoqués par ce traité maudit peuvent être compensés par quelques subventions. Mais l’enjeu de la crise agricole n’est pas là. Il est plus global, parce que l’agriculture est le soubassement de la spécificité de la France. C’est elle qui lui a donné son identité, même si cette identité a été fluctuante, c’est la même chose pour l’Italie. Comme on l’a vu plus haut un tiers des fromages vendus en France sont importés. Ça n’a guère de sens dans un pays où la diversité et la quantité est là, marquant aussi des identités régionales. Je rappelle qu’il y a quelques années a tenté de faire interdire les fromages à pâte molle et à croute frottée, au nom de l’hygiène. Elle a dû reculer, elle a plus récemment tenté de faire interdire les fromages emballés dans des boites en bois, les époisses, les camemberts, cette fois pour sauver la planète. Elle a dû encore reculer. Mais elle y reviendra certainement, cette boutique qui prétend aseptiser la nourriture et lui ôter son caractère festif possède la patience de l’araignée. Ces exemples un peu comiques, mais très significatif cependant, montre à quel point l’agriculture est un enjeu bien plus important que le simple fait de nourrir les populations. 

 

Le moral des Français est très bas, et la colère gronde et pas seulement dans le secteur agricole. Mais il est de la dernière stupidité que les syndicats ne s’accordent pas pour faire converger les luttes comme on dit. Les cheminots démarrent à contre-temps par exemple. Ce saucissonnage des manifestations qui est de la faute des syndicats, empêche que ce gouvernement qui ne tient qu’à un fil soit directement renversé et qu’on passe à autre chose, mais cela empêche aussi que le peuple ne prenne pas le temps de réfléchir pour créer un modèle de société qu’il voudrait voir advenir contre cette bureaucratie corrompue au service des très, très riches, la France et l’Union européenne n’étant plus aujourd’hui des systèmes institutionnels vivants, mais des ectoplasmes dans avenir. Notez qu’à chaque grosse manifestation des agriculteurs, l’Union européenne est directement visée, preuve que les agriculteurs ont compris où se trouvent les responsabilités, même s’ils peinent encore à élaborer des solutions satisfaisantes pour tous. 

A Pessac les agriculteurs enlèvent le drapeau européen et le remplace par celui de la Coordination rurale


[1] L’Ukraine n’est pas dans l’Union européenne, mais celle-ci au nom du soutien à la guerre sainte contre la Russie, lui octroie des subventions et la dispense de taxes à l’exportation. En réalité cette soi-disant aide surtout les multinationales américaines qui détiennent les entreprises ukrainiennes exportatrices de blé et de poulet.

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