dimanche 30 août 2020

Des soins sans industrie ? Jean-Pierre Escaffre, Jean-Luc Maletras, Jean Michel Toulouse, Manifeste, 2020

  

Si on veut comprendre pourquoi l’accord du Ségur de la santé qui a été officiellement signé le 13 juillet, est un très mauvais accord signé par les syndicats vendus, il faut lire ce livre, car comme le souligne Patrice Pelloux, la casse de l’hôpital va continuer jusqu’à la prochaine pandémie[1]. La crise sanitaire initiée par le COVID-19 a mis en plein jour le délabrement quasi-total du système de santé français. Certes nous savions que l’hôpital avait été malmené par des réformes stupides destinées à faire d’abord la place à la logique managériale, et donc à introduire toujours un peu plus le secteur privé dans la gestion des soins. On s’est aperçu aussi que les pays qui avaient les meilleurs résultats en matière de lutte contre le COVID-19, étaient aussi les pays qui avaient su défendre une certaine de forme de souveraineté en la matière. Par exemple l’Allemagne qui avait un meilleur équipement médical que la France, mais aussi des lits de soins intensifs plus nombreux a eu beaucoup moins de morts que la France, environ 5 fois moins pour une population de 83 millions d’individus contre 67 millions. Le bilan est sans appel, la France a fait beaucoup moins bien que son voisin d’outre Rhin. On a vu que la France manquait d’à peu près tout, des masques des appareils de respiration, de blouses et même de personnel. Même Macron a avancé que notre problème était de n’avoir pas une indépendance suffisante en la matière, qu’on ne produisait pas assez de médicaments et d’équipements médicaux sur notre territoire. Quand on remonte la longue filière du démantèlement de l’hôpital public, on retrouve à son début, en 2005 Jean Castex qui est malencontreusement devenu premier ministre ces jours-ci, prouvant ainsi que Macron ne retenait jamais rien des cruelles leçons de la réalité. 

 

Ce petit ouvrage se propose deux buts, d’abord montrer comment la France a détruit dans un même mouvement son tissu industriel et son système de santé. En somme pour les auteurs, en se désindustrialisant, un pays perd sa souveraineté, ce qui est mauvais pour son économie, mais en même temps il détruit son propre système de santé, or le système de santé non seulement est un atout pour le dynamisme économique – un capital si on veut – mais aussi une richesse inestimable pour les patients. On a vu qu’un pays comme la Corée du Sud, pays très souverainiste, avait eu très peu de morts dus au COVID-19, contrairement à la France et aux Etats-Unis. Par exemple Trump qui est très critiqué pour son inaction, mais aussi pour le délabrement quasi-total du système de santé américain, voulait que le pays retourne rapidement travailler, arguant que cela serait nécessaire pour l’emploi et éponger les immenses dettes du pays. Mais cela s’est révélé impossible. A l’inverse là où la crise a été relativement bien gérée, l’économie ne s’est pas arrêtée ou bien a redémarré rapidement. Il y a donc un lien entre souveraineté industrielle et système de santé (Allemagne, Corée du Sud, Taïwan). Autrement dit c’est quand on a un bon système de santé que l’économie prospère, et à l’inverse quand on a un système de santé médiocre que l’économie décline. Il y a donc un lien direct entre désindustrialisation et dégradation du système des soins (France, Etats-Unis).  

 

Les solutions proposées par les auteurs sont de trois ordres :

- d’abord ils réclament une plus grande intervention de l’Etat dans la reconstruction d’une filière industrielle qui serait orientée vers la santé, que ce soit pour le médicament ou pour l’équipement. On sait que via le CICE, mais aussi via les subventions de l’Etat, le gouvernement actuel aide directement à la délocalisation de la filière.

- ensuite reconstruire dans le domaine de la santé un pôle innovation-recherche. Cette idée pose de nombreuses questions. D’abord celle de la formation des scientifiques et des médecins qui a été laissé à l’abandon. Il est anormal que dans un pays comme la France il n’y ait plus suffisamment de médecins de spécialité dans des secteurs comme l’ophtalmologie ou la gynécologie. Mais dans tous les pays désindustrialisés c’est la même chose, les métiers de la finance sont très bien payés, ceux de la recherche scientifique, beaucoup moins.

- enfin ils proposent de revenir aux racines de la Sécurité sociale telle qu’elle avait été pensée par le CNR et par Ambroise Croizat, non seulement en réunifiant les caisses en une seule, mais aussi en redonnant le pouvoir aux soignants et aux usagers. Ce qui veut-dire clairement se sortir de la gangue du pouvoir financier et de la privatisation des lieux publics. Ce dernier point est maintenant bien documenté, et c’est ce qui anime la révolte des soignants. L’ouvrage revient sur cette manière particulière de voir le secteur privé pomper l’argent de la Sécurité sociale qui est d’abord l’argent des salariés qui ont cotisés. 

 

Malgré tout l’intérêt que suscite cet ouvrage, il pose deux limites. La première est celle de croire que les performances en matière de santé reposent sur le progrès scientifique et sur l’innovation. C’est une vision « progressiste » que je ne partage pas parce qu’elle renvoie à l’idée que ceux qui ont créé les problèmes sont aussi ceux qui sont capables de les résoudre. Les auteurs ce livre mettent en avant les avancées en matière de traitement des données, en matière d’imagerie médicale, alors que probablement pour améliorer l’état sanitaire d’un pays il serait plus judicieux de reconstituer un environnement acceptable où l’air serait bon à respirer, l’eau serait potable, et où l’agriculture industrielle ne nous empoisonnerait plus. A quoi bon vivre plus vieux, si c’est pour vivre vieux en mauvaise santé dans un EPHAD où votre vieux corps n’est plus qu’une marchandise qui permet de gras profits[2]. Un système de santé dépendant de l’industrie qui elle-même dépend du capital, finit par aboutir à ce qu’on connait aujourd’hui, notamment avec les luttes que se livrent les entreprises de Big Pharma pour imposer leurs marchandises.

La seconde limite tient à l’idéologie du progrès. C’est l’idéologie de la croissance économique. Pour ce qui concerne le domaine de la santé, on suppose que le progrès c’est de découvrir de nouvelles techniques de soin, ou de nouveaux médicaments, sans voir tout ce qui se perd de la connaissance traditionnelle de ce domaine. Cette idéologie se nourrit de deux axiomes principaux :

- d’abord l’idée selon laquelle le médicament d’aujourd’hui est forcément meilleur que celui d’hier et donc que ce dernier doit être abandonné. C’est ce qui a conduit certains à privilégier le médicament de Gilead, le remdesivir, à la place de la chloroquine prônée par Raoult ;

- ensuite que la recherche c’est forcément cher et donc qu’il y faut des milliards. On a vu tous les gouvernements du monde donner de l’argent pour découvrir un vaccin qui mettrait un terme à la pandémie du COVID-19. Trump aurait débloqué une somme de 1,6 milliards de dollars pour le groupe Novavax[3]. Dans le même temps les pays européens ont donné beaucoup d’argent à Sanofi ou à AstraZeneca. Cette démarche pose deux questions :

- d’abord pourquoi mettre autant d’argent sur la recherche d’un vaccin, alors que certains avancent que le vaccin en lui-même n’aura aucune efficacité ?

- ensuite peut-être y-a-t-il des démarches alternatives et beaucoup moins coûteuses et que le vaccin risque d’être obsolescent au moment de sa sortie ?

 

Le livre a le mérite d’ouvrir un débat sur une approche globale de la santé publique. Un système de santé ne peut pas exister en dehors d’un système économique et social particulier. Quand la Sécurité sociale a été créée, c’était clairement une rupture d’avec le monde d’avant. Mais elle accompagnait dans son esprit l’évolution d’un système vers plus de droit et de justice pour les travailleurs. L’explosion de notre système de santé est juste la conséquence du développement du modèle néolibéral en France, en Europe et dans le monde. Ma conclusion personnelle est que pour retrouver un système de santé cohérent qui échappe à la dictature de la rentabilité chère à cette canaille de Jean Castex, il faut retrouver la souveraineté économique de la nation et celle-ci passe forcément par un préalable : la sortie directe et sans marchander de l’Union européenne.

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