vendredi 12 mars 2021

L’évolution de la langue française, de Jean de la Fontaine à l’écriture inclusive

 

Les tenants de l’écriture inclusive dont je suis évidemment un ennemi déclaré, vous disent pour tenter de défendre leur petite révolution que la langue française a toujours évolué. C’est incontestable, mais elle n’évoluait pas sous le diktat d’une poignée d’hurluberlus, elle changeait en fonction des usages qu’en faisait le peuple, notamment à travers le langage parlé. Autrement dit, malgré les codifications des différents pouvoirs qui notamment visaient l’unification des territoires par la langue, c’était le plus souvent une appropriation qui venait d’en bas, soit des mots étrangers qu’on répétait, soit des expressions argotiques qui dynamisaient la langue, souvent pour la rendre plus drôle et plus imagée. Ces changements ressortaient le plus souvent d’une volonté de simplification qui donnait de la vitesse à l’expression langagière. Également cette réappropriation populaire intégrait des images dans la façon de parler. Ce n’était pas une construction abstraite. A l’inverse, l’écriture inclusive a rompu avec ces principes pourtant bien connus. D’abord elle rompt le lien entre le langage parlé et le langage écrit[1], il est quasiment impossible de lire un texte écrit en écriture inclusive à haute voix. Pire encore si on le fait on rallonge le temps de l’expression, non seulement parce que le texte débité est plus long, il ne peut plus respecter le rythme donné par le créateur du poème. Mais en outre, celui qui reçoit le texte, doit faire un effort bien inutile pour le retraduire en français et n’en éprouve plus aucune émotion immédiate.

Je donne ci-dessous plusieurs versions de la fable pour illustrer mon propos. Celle de Jean de La Fontaine est déjà assez drôle et cette farce marque facilement les esprits des enfants à qui on la fait apprendre par cœur. Ça leur plait, le rythme leur plait. Mais les transpositions de cette fable de Jean de La Fontaine en argot ou en verlan ajoutent énormément de drôlerie. Passer de Le corbeau et le renard à le corbac et le racniaud permet à la fois de s’inscrire dans la continuité du texte et en même temps de prendre de la distance. La version en verlan est bien moins intéressante et inventive, mais elle est en rapport avec le texte initial. Les versions vosgienne et vaudoise suggèrent un dépaysement qui fait évoluer de fait le texte, sans se séparer des formes linguistiques généralement admises par la population.  Un seul coup d’œil à la             version en écriture inclusive montre qu’il s’agit d’une langue étrangère qu’il faudra retraduire ensuite en français courant. Comme on le comprend cette gymnastique montre que cette forme ne va pas de soi. Etant totalement impopulaire, à la fois parce qu’elle la revanche d’une classe moyenne semi-lettrée, et parce que le peuple la rejette[2], elle ne peut s’imposer que par une obligation. Et si elle s’impose ainsi, par décret par exemple, alors ce sera contre le peuple forcément. On comprend que ceux qui ont initié cette forme barbare de langage n’aiment ni le peuple, ni la langue française, et sans doute encore moins la poésie et la littérature, ces formes indispensables qui nous permettent de voir au-delà de la simple raison linguistique. La riposte s’est mise lentement en place. L’Académie française, avec qui pour une fois nous serons d’accord, a dénoncé de manière sévère cette idée barbare d’introduire dans la langue des formes secondes qu’elle juge discriminantes[3]. Le Conseil d’Etat avait déjà rejeté la possibilité d’écrire des textes officiels[4]. Ceux-ci sont déjà assez compliqués comme ça sans en rajouter. Une tribune signée par des linguistes et publié sur le site Marianne.net avançait aussi que l’écriture inclusive n’avait pas de fondement sérieux et ouvrait la porte à l’arbitraire de la langue, ce qui veut dire qu’au lieu d’être une forme rassembleuse, la langue devient une forme excluante[5]. 

 

Comment interpréter ce mouvement qui gagne les formations politiques de gauche ? Un des leaders de ce mouvement, le semi-intellectuel Raphaël Haddad, pilier du médiocre journal progressiste Slate, a même publié des ouvrages, notamment ceux d’Éliane Viennot, sur les normes qui devraient présider selon lui à la réforme de l’écriture. Sans être méchant on pourrait dire que cette adoption de l’écriture inclusive est l’accélérateur de la décomposition de la gauche. Le défaut principal de cette gauche-là est encore une fois d’éduquer le peuple pour qu’il se réforme et pense bien, c’est-à-dire comme on voudrait qu’il pense. Il ne vient pas à l’idée de ces apprentis-dictateurs qu’ils pourraient écouter le peuple, ou à tout le moins qu’ils pourraient avoir tort. Un des points importants qui n’est que rarement soulevé est que la généralisation de l’écriture inclusive renverrait forcément à l’éradication de l’histoire. Au bout d’une ou deux générations de cette réforme linguistique peu pourraient encore lire correctement les grands textes de la littérature française. Il faudrait tout retraduire dans un charabia moderne. Il n’est donc pas étonnant que cette volonté de réforme accompagne les revendications des tenants de la Cancel culture. L’idée serait compatible avec une révolution culturelle telle qu’on l’a vue en Chine au début des années soixante-dix[6]  

LE CORBEAU ET LE RENARD Jean de La Fontaine

 

Maître Corbeau, sur un arbre perché,

Tenait en son bec un fromage.

Maître Renard, par l'odeur alléché,

Lui tint à peu près ce langage :

"Hé ! bonjour, Monsieur du Corbeau.

Que vous êtes joli !

que vous me semblez beau !

Sans mentir, si votre ramage

Se rapporte à votre plumage,

Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois."

A ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie ;

Et pour montrer sa belle voix,

Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.

Le Renard s'en saisit, et dit :

"Mon bon Monsieur,

Apprenez que tout flatteur

Vit aux dépens de celui qui l'écoute :

Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute."

Le Corbeau, honteux et confus,

Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus. 

 

LE CORBEAU ET LE RENARDVersion Vosgienne, Francis Martin 

Une espèce de corneille, accroupi sur un sapin des Vosges,

Tenait un joli Géromé dans son bec.

Vint alors un fieffé goupil , qui, évidemment,

Avait subodoré la chose, 

Il s'approcha alors sournoisement,

Bonjour, bel oiseau, .Vous êtes joliment musclé,

Et votre teint reste merveilleux,

Alors, voilà , je ne peux que m'incliner  devant tant de beauté  

Et vous laissez cueillir toutes les myrtilles de la forêt,

Alors le bel oiseau, si gourmand,

Et si fier de son charisme,

Celui-ci bande ses muscles , montre qu'il est le plus fort, 

Il ouvre son bec et laisse tomber le fromage odorant !

Bien sûr, le renard s'en empare illico : pauvre idiot ,

Lui souffle-t-il quand je souffre de la faim,

 Rien ne m’arrête et surtout pas

Un oiseau sans cervelle . 

Tu es victime du véritable cinéma 

Que tu te permet dans toute la forêt,

Le corbeau, désormais en pleine névrose,

Décida de bouder à jamais.

 

 

LE CORBAC ET LE RACNIAUD En argot 

Le corbac sur un touffu planté

Tenait dans son fuel un coulant baraqué

Le racniaud par l'odeur alléchée

Lui tint à peu près cette jactance

Salut beau canari tout déplumé

Si tu jactes aussi bien que tu es fringué

T'es vraiment le plus beau caïd du quartier

A ces mots le corbac ne se senti plus pisser

Ouvra un large fuel et laissa tomber le coulant

Moralité : Il ne faut jamais se laisser influencer

Par les durs à fesses molles

Qui vous lance à la gueule

Des bobards à la gomme.

 Le mec La Fontaine. 

 

Le corbeau et le renard en Verlan

 

Le Beaucor et le Narreu

Maître Beaucor, sur un arbre chéper,

Naitteu en son quebé un magefro.

Maître Narreu, par la deuro alléché,

Lui tint à peu près ce gagelan :

"Et jourbon, Sieurmon du Beaucor,

Que vous êtes lijo ! que vous me blessen beau !

Sans tirmen, si votre magera

Se portra à votre mageplu,

Vous êtes le Nixphé des hôtes de ces wab"

A ces mots le Beaucor ne se sent pas de joie :

Et pour trémon sa belle voix,

Il ouvre un large quebé, laisse béton sa proie.

Le Narreu s'en zissai, et dit : "Mon bon Sieurmon,

Apprenez que tout teurfla

Vit aux pendé de luiceu qui le couté.

Cette çonleu vaut bien un magefro sans doute."

Le Beaucor teuhon et fucon

Raju, mais un peu tard, qu'on ne l'y draipren plus. 

 

Le Corbeau et le renard en Vaudois Cabaret Show 7 

C't ami Corbeau, sur un arbre ganguillé

Tenait à plein bec une tomme.

C't ami Renard, le tarin chatouillé

Lui tint ce discours à la gomme :

Hé! salut c't ami Corbeau,

T'es rude joli, t'es même fin beau!

Crénom de sort, si ta batoille

Vaut ce plumage qui pendoille,

T'es le tofin des forêts du Jorat.

A ces mots, le Corbeau qui trouve ça estra

Ouvre tout grand son four

Et lâche ses dix-heures.

Le renard chippe la tomme et dit :

Pauvre niolu, méfie-toi toujours des lulus

Qu'ont la langue bien pendue.

Cette leçon vaut bien une fondue!

Le Corbeau dépité, conclut:

Ch'us tondu, j'ai perdu,

plus jamais je s'rai eu! 

 

LI CORBE.AU.ILE ET II RENARD.E

Maître.sse Corbe.au.lle sur un arbre perché,

Tenait en son bec un fromage.

Maître.sse Renard.e par l'odeur alléché.e

Ellui tint à peu près ce langage :

Et bonjour. Monsieur/Madame di Corbe.au.lle

Que vous êtes joli.e ! que vous me semblez be.au.Ile !

Sans mentir, si votre ramage

Se rapporte à votre plumage.

Vous êtes li Phénix des hôte.sse.s de ces bois.

À ces mots li Corbc.au.lle ne se sent pas de joie :

Et pour montrer sa belle voix.

Ici ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.

Li Renard.e s’en saisit, et dit : Maon bon.ne Monsieur/Madame.

Apprenez que tout.e flalteur.se

Vit aux dépens de cellui qui l'écoute.

Cette leçon vaut bien un fromage sans doute.

Li Corbe.au.lle honteu.x.se et confus.e

Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.



[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/11/20/alain-bentolila-ce-n-est-pas-avec-l-ecriture-inclusive-que-l-on-fera-reculer-la-discrimination-sexuelle_5217365_3232.html

[2] https://ingirumimusnocte2.blogspot.com/2021/03/nicolas-sarkozy-na-plus-confiance-dans.html

[3] http://www.academie-francaise.fr/actualites/declaration-de-lacademie-francaise-sur-lecriture-dite-inclusive

[4] https://www.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/2019/02/28/37002-20190228ARTFIG00247-l-ecriture-inclusive-rejetee-par-le-conseil-d-etat.php

[5] https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/une-ecriture-excluante-qui-s-impose-par-la-propagande-32-linguistes-listent-les

[6] https://ingirumimusnocte2.blogspot.com/2021/02/revolution-culturelle-en-occident.html

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