Les tenants de l’écriture inclusive dont je suis évidemment
un ennemi déclaré, vous disent pour tenter de défendre leur petite révolution que
la langue française a toujours évolué. C’est incontestable, mais elle
n’évoluait pas sous le diktat d’une poignée d’hurluberlus, elle changeait en
fonction des usages qu’en faisait le peuple, notamment à travers le langage
parlé. Autrement dit, malgré les codifications des différents pouvoirs qui
notamment visaient l’unification des territoires par la langue, c’était le plus
souvent une appropriation qui venait d’en bas, soit des mots étrangers qu’on
répétait, soit des expressions argotiques qui dynamisaient la langue, souvent
pour la rendre plus drôle et plus imagée. Ces changements ressortaient le plus
souvent d’une volonté de simplification qui donnait de la vitesse à l’expression
langagière. Également cette réappropriation populaire intégrait des images dans
la façon de parler. Ce n’était pas une construction abstraite. A l’inverse, l’écriture
inclusive a rompu avec ces principes pourtant bien connus. D’abord elle rompt
le lien entre le langage parlé et le langage écrit[1],
il est quasiment impossible de lire un texte écrit en écriture inclusive à haute
voix. Pire encore si on le fait on rallonge le temps de l’expression, non
seulement parce que le texte débité est plus long, il ne peut plus respecter le
rythme donné par le créateur du poème. Mais en outre, celui qui reçoit le texte,
doit faire un effort bien inutile pour le retraduire en français et n’en
éprouve plus aucune émotion immédiate.
Je donne ci-dessous plusieurs versions de la fable pour illustrer mon propos. Celle de Jean de La Fontaine est déjà assez drôle et cette farce marque facilement les esprits des enfants à qui on la fait apprendre par cœur. Ça leur plait, le rythme leur plait. Mais les transpositions de cette fable de Jean de La Fontaine en argot ou en verlan ajoutent énormément de drôlerie. Passer de Le corbeau et le renard à le corbac et le racniaud permet à la fois de s’inscrire dans la continuité du texte et en même temps de prendre de la distance. La version en verlan est bien moins intéressante et inventive, mais elle est en rapport avec le texte initial. Les versions vosgienne et vaudoise suggèrent un dépaysement qui fait évoluer de fait le texte, sans se séparer des formes linguistiques généralement admises par la population. Un seul coup d’œil à la version en écriture inclusive montre qu’il s’agit d’une langue étrangère qu’il faudra retraduire ensuite en français courant. Comme on le comprend cette gymnastique montre que cette forme ne va pas de soi. Etant totalement impopulaire, à la fois parce qu’elle la revanche d’une classe moyenne semi-lettrée, et parce que le peuple la rejette[2], elle ne peut s’imposer que par une obligation. Et si elle s’impose ainsi, par décret par exemple, alors ce sera contre le peuple forcément. On comprend que ceux qui ont initié cette forme barbare de langage n’aiment ni le peuple, ni la langue française, et sans doute encore moins la poésie et la littérature, ces formes indispensables qui nous permettent de voir au-delà de la simple raison linguistique. La riposte s’est mise lentement en place. L’Académie française, avec qui pour une fois nous serons d’accord, a dénoncé de manière sévère cette idée barbare d’introduire dans la langue des formes secondes qu’elle juge discriminantes[3]. Le Conseil d’Etat avait déjà rejeté la possibilité d’écrire des textes officiels[4]. Ceux-ci sont déjà assez compliqués comme ça sans en rajouter. Une tribune signée par des linguistes et publié sur le site Marianne.net avançait aussi que l’écriture inclusive n’avait pas de fondement sérieux et ouvrait la porte à l’arbitraire de la langue, ce qui veut dire qu’au lieu d’être une forme rassembleuse, la langue devient une forme excluante[5].
Comment interpréter ce mouvement qui gagne les formations politiques de gauche ? Un des leaders de ce mouvement, le semi-intellectuel Raphaël Haddad, pilier du médiocre journal progressiste Slate, a même publié des ouvrages, notamment ceux d’Éliane Viennot, sur les normes qui devraient présider selon lui à la réforme de l’écriture. Sans être méchant on pourrait dire que cette adoption de l’écriture inclusive est l’accélérateur de la décomposition de la gauche. Le défaut principal de cette gauche-là est encore une fois d’éduquer le peuple pour qu’il se réforme et pense bien, c’est-à-dire comme on voudrait qu’il pense. Il ne vient pas à l’idée de ces apprentis-dictateurs qu’ils pourraient écouter le peuple, ou à tout le moins qu’ils pourraient avoir tort. Un des points importants qui n’est que rarement soulevé est que la généralisation de l’écriture inclusive renverrait forcément à l’éradication de l’histoire. Au bout d’une ou deux générations de cette réforme linguistique peu pourraient encore lire correctement les grands textes de la littérature française. Il faudrait tout retraduire dans un charabia moderne. Il n’est donc pas étonnant que cette volonté de réforme accompagne les revendications des tenants de la Cancel culture. L’idée serait compatible avec une révolution culturelle telle qu’on l’a vue en Chine au début des années soixante-dix[6]
LE CORBEAU ET LE
RENARD Jean de La Fontaine
Maître Corbeau, sur un arbre perché,
Tenait en son bec un fromage.
Maître Renard, par l'odeur alléché,
Lui tint à peu près ce langage :
"Hé ! bonjour, Monsieur du Corbeau.
Que vous êtes joli !
que vous me semblez beau !
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois."
A ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie ;
Et pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le Renard s'en saisit, et dit :
"Mon bon Monsieur,
Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l'écoute :
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute."
Le Corbeau, honteux et confus,
Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.
LE CORBEAU ET LE RENARD, Version Vosgienne, Francis Martin
Une espèce de corneille, accroupi sur un sapin des Vosges,
Tenait un joli Géromé dans son bec.
Vint alors un fieffé goupil , qui, évidemment,
Avait subodoré la chose,
Il s'approcha alors sournoisement,
Bonjour, bel oiseau, .Vous êtes joliment musclé,
Et votre teint reste merveilleux,
Alors, voilà , je ne peux que m'incliner devant tant de beauté
Et vous laissez cueillir toutes les myrtilles de la forêt,
Alors le bel oiseau, si gourmand,
Et si fier de son charisme,
Celui-ci bande ses muscles , montre qu'il est le plus fort,
Il ouvre son bec et laisse tomber le fromage odorant !
Bien sûr, le renard s'en empare illico : pauvre idiot ,
Lui souffle-t-il quand je souffre de la faim,
Rien ne m’arrête et surtout pas
Un oiseau sans cervelle .
Tu es victime du véritable cinéma
Que tu te permet dans toute la forêt,
Le corbeau, désormais en pleine névrose,
Décida de bouder à jamais.
LE CORBAC ET LE RACNIAUD En argot
Le corbac sur un
touffu planté
Tenait dans son fuel
un coulant baraqué
Le racniaud par
l'odeur alléchée
Lui tint à peu près
cette jactance
Salut beau canari tout
déplumé
Si tu jactes aussi
bien que tu es fringué
T'es vraiment le plus
beau caïd du quartier
A ces mots le corbac
ne se senti plus pisser
Ouvra un large fuel et
laissa tomber le coulant
Moralité : Il ne faut
jamais se laisser influencer
Par les durs à fesses
molles
Qui vous lance à la
gueule
Des bobards à la
gomme.
Le mec La Fontaine.
Le corbeau et le
renard en Verlan
Le Beaucor et le
Narreu
Maître Beaucor, sur un
arbre chéper,
Naitteu en son quebé
un magefro.
Maître Narreu, par la
deuro alléché,
Lui tint à peu près ce
gagelan :
"Et jourbon,
Sieurmon du Beaucor,
Que vous êtes lijo ! que
vous me blessen beau !
Sans tirmen, si votre
magera
Se portra à votre
mageplu,
Vous êtes le Nixphé
des hôtes de ces wab"
A ces mots le Beaucor
ne se sent pas de joie :
Et pour trémon sa
belle voix,
Il ouvre un large
quebé, laisse béton sa proie.
Le Narreu s'en zissai,
et dit : "Mon bon Sieurmon,
Apprenez que tout
teurfla
Vit aux pendé de
luiceu qui le couté.
Cette çonleu vaut bien
un magefro sans doute."
Le Beaucor teuhon et
fucon
Raju, mais un peu tard, qu'on ne l'y draipren plus.
Le Corbeau et le renard en Vaudois Cabaret Show 7
C't ami Corbeau, sur
un arbre ganguillé
Tenait à plein bec une
tomme.
C't ami Renard, le
tarin chatouillé
Lui tint ce discours à
la gomme :
Hé! salut c't ami
Corbeau,
T'es rude joli, t'es
même fin beau!
Crénom de sort, si ta
batoille
Vaut ce plumage qui
pendoille,
T'es le tofin des
forêts du Jorat.
A ces mots, le Corbeau
qui trouve ça estra
Ouvre tout grand son
four
Et lâche ses
dix-heures.
Le renard chippe la
tomme et dit :
Pauvre niolu,
méfie-toi toujours des lulus
Qu'ont la langue bien
pendue.
Cette leçon vaut bien
une fondue!
Le Corbeau dépité,
conclut:
Ch'us tondu, j'ai
perdu,
plus jamais je s'rai eu!
LI CORBE.AU.ILE ET II
RENARD.E
Maître.sse Corbe.au.lle sur un
arbre perché,
Tenait en son bec un fromage.
Maître.sse Renard.e par l'odeur
alléché.e
Ellui tint à peu près ce langage :
Et bonjour. Monsieur/Madame di
Corbe.au.lle
Que vous êtes joli.e ! que vous me
semblez be.au.Ile !
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage.
Vous êtes li Phénix des hôte.sse.s
de ces bois.
À ces mots li Corbc.au.lle ne se
sent pas de joie :
Et pour montrer sa belle voix.
Ici ouvre un large bec, laisse
tomber sa proie.
Li Renard.e s’en saisit, et dit :
Maon bon.ne Monsieur/Madame.
Apprenez que tout.e flalteur.se
Vit aux dépens de cellui qui
l'écoute.
Cette leçon vaut bien un fromage
sans doute.
Li Corbe.au.lle honteu.x.se et
confus.e
Jura, mais un
peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.
[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/11/20/alain-bentolila-ce-n-est-pas-avec-l-ecriture-inclusive-que-l-on-fera-reculer-la-discrimination-sexuelle_5217365_3232.html
[2] https://ingirumimusnocte2.blogspot.com/2021/03/nicolas-sarkozy-na-plus-confiance-dans.html
[3] http://www.academie-francaise.fr/actualites/declaration-de-lacademie-francaise-sur-lecriture-dite-inclusive
[4] https://www.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/2019/02/28/37002-20190228ARTFIG00247-l-ecriture-inclusive-rejetee-par-le-conseil-d-etat.php
[5] https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/une-ecriture-excluante-qui-s-impose-par-la-propagande-32-linguistes-listent-les
[6] https://ingirumimusnocte2.blogspot.com/2021/02/revolution-culturelle-en-occident.html
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire