En vue de l’élection présidentielle de 2012, les Français
souhaitaient à 64% un président de gauche pour se débarrasser de l’hurluberlu
toxique Sarkozy, à condition que ce ne soit pas DSK[1].
A l’élection de 2012 le candidat Hollande battit Sarkozy, mais beaucoup moins largement
qu’on ne le pensait, autrement dit les électeurs se méfiaient de lui ; à juste
titre puisqu’il sera un liquidateur de la gauche et de son principal parti. En
2017 les électeurs échaudés par la mauvaise expérience de Hollande et de son
ministre de l’économie fou, Macron, ne permirent pas à Mélenchon d’accéder au
second tour, il termina seulement quatrième derrière un gangster qui disait
représenter la droite ordinaire pour serrer les couilles aux plus pauvres et
démanteler les acquis sociaux – ce que fera Macron. Cela aurait dû alerter les
politiciens dits de gauche, mais trop engoncés dans leur paresse intellectuelle,
ils ont fait exactement l’inverse de ce qu’il fallait pour surmonter les difficultés
et rendre crédible un projet de gauche. La gauche officielle ne sera pas
présente au second tour des élections présidentielles en 2022, c’est même la
seule chose dont nous sommes à peu près certains. Nous sommes dans une
configuration diamétralement opposée à ce qui se passe aux Etats-Unis où on
voit le peuple plébisciter Biden qui se retrouve avec une cote de popularité
aux alentours de 60%, niveau que ni Trump ni Macron n’ont jamais atteints[2].
Malgré les critiques que Biden subissait, il a réussi a devenir très populaire.
Il y a plusieurs années que j’annonçais un virage à gauche des Etats-Unis. Obama a été un président médiocre et sans
audace, Trump étant une élection contre le cours de l’histoire, mais Trump
était déjà minoritaire en voix. Sa chance fut au-delà d’un système électoral
plutôt pourri, d’avoir en face de lui Hillary Clinton qui représentait trop ce
pourquoi le peuple américain ne voulait plus voter. C’est une leçon stratégique
et tactique qui prouve que lorsque la gauche s’effondre, c’est d’abord parce qu’elle
n’a plus de représentants crédibles. Autrement dit que les politiciens se sont
éloignés de leurs électeurs. J’emploie ici volontiers le terme de gauche d’une
manière vague, lui donnant la signification simple d’une lutte pour plus d’égalité
sociale et d’une mise au pas des puissances de l’argent.
L'idée d'un bloc de gauche qui ne pèserait plus que 25 ou 30% est totalement absurde[3]. Les pauvres, les ouvriers et les petits employés n’ont pas disparus, bien au contraire, ils ont encore plus soif qu’auparavant de plus d’égalité, d’une meilleure répartition de la richesse. En vérité la bonne question est la suivante. Pourquoi les débris des partis de gauche sont-ils devenus des repoussoirs ? Dire que le bloc de gauche ne représenterait plus rien renvoie la responsabilité aux électeurs qui choisiraient mal. Or si les électeurs boudent les partis de gauche, c'est que ceux-ci ne les représentent plus en rien. Pour reprendre un vocabulaire qui n’est pas très joli, on peut dire que l’offre politique de gauche n’est pas adéquate au public qui est visé. Stratégiquement et tactiquement les partis de gauche sont hors-jeu. Je parle ici des partis qui ont pignon sur rue et des élus, le PS, le PCF, la France Insoumise et EELV. J’exclus de mon échantillons les partis gauchistes comme le NPA qui ne sont là que pour jouer les mouches du coche depuis une bonne cinquantaine d’années, servant finalement d’exutoire aux conservateurs.
Sondage Ipsos-L’obs, février
2021
Pourquoi la gauche est-elle aujourd’hui si basse ? On peut avancer quelques éléments de réponse. Le premier tient évidemment au lamentable mandat de François Hollande. Il est le seul à avoir fait l’unanimité contre lui, chez les riches, comme chez les pauvres, à droite, comme à gauche. Lors de son élection, il faut rappeler que son parti possédait tous les pouvoirs, la majorité à l’Assemblée nationale, au Sénat, le plus grand nombre de régions, de départements et de grandes villes sous sa direction. Comment un tel parti a-t-il pu brader en si peu de temps cet héritage ? On a vu un médiocre politicien préférer perdre du temps et de l’argent dans une absurde réforme des régions[4], plutôt que de tenter d’améliorer l’ordinaire des Français qui commençaient à en avoir marre de l’austérité à la mode de Bruxelles. Bien au contraire Hollande a lancé les chantiers de la réforme du droit du travail et des retraites, devanant le président le plus détesté de toute la cinquième République, triste record. Le second élément est que la gauche n’a pas de réponse sérieuse aux problèmes de l’Union européenne, de l’immigration ou même de faire reculer les inégalités en luttant contre le chômage et pour la hausse des bas salaires. Ce sont pourtant les trois segments qui préoccupent les Français. Mais la gauche, Mélenchon en tête s’est encore un peu plus éloigné du peuple en soutenant contre vents et marées non seulement une politique migratoire dont les Français ne veulent plus, n’ont jamais voulu, mais en facilitant la vie de l’explosition du séparatisme islamiste. 74% des Français considéraient au moment où Mélenchon reniait la laïcité pour rejoindre la lutte contre l’islamophobie menée par le CCIF, que la laïcité était en danger, et 61% que l’Islam n’était pas compatible avec la République[5]. Quand nous avons un taux de rejet aussi élevé dans toutes les couches de la société, c’est qu’il y a un problème et le nier est encore pire que le mal. Généralement les politiciens de gauche nous disent que ce sont les médias dominants qui construisent une opinion qui leur est hostile. Certes les médias sont contrôlés par des milliardaires et on a vu leur rôle dans la malencontreuse élection de Macron, mais c’est très insuffisant, et une telle attitude conduit à la paresse intellectuelle et à l’immobilisme.
Mais qu’est-ce que la gauche ? Pendant longtemps, disons entre 1945 et 1983, celle-ci a été associée à trois idées simples. D’abord une réduction des inégales sociales, de revenus comme de statut, par exemple en visant l’extension du droit de vote, avec l’idée simple selon laquelle les plus pauvres étant plus nombreux, ils finiront par imposer par le biais de la démocratie parlementaire des lois qui iront dans le sens du socialisme, on trouve cette idée chez Friedrich Engels par exemple qui avance que les temps ont changé et donc qu’on peut arriver au socialisme sans pour autant faire une révolution. La seconde idée fondatrice de la gauche, au moins en France, c’est la défense de la République qui tend à donner des droits égaux à tous ses citoyens. Enfin, c’est la défense de la laïcité comme voie de l’émancipation intellectuelle et sociale. Mitterrand au moment de son élection en 1981 avançait qu’enfin la majorité parlementaire avait rejoint la majorité sociologique. Autrement dit que son élection sur son programme était approuvé par le peuple dans sa majorité. Je pense qu’il avait raison, ce fut la dernière fois qu’on vit en France un président élu sur un vote d’adhésion qui était aussi un vote de classe, et non sur le rejet de celui qui semblait le pire. Et donc si la gauche se défait dans les sondages et au fil des élections, c’est bien que les partis qui disent la représenter se sont éloignés de ceux qu’ils sont sensés représenter.
C’est à partir de 1983 que la gauche – comprise comme les partis dits de gauche – a commencé à se renier dans son virage européiste. Les raisons pour lesquelles Mitterrand s’est renié à ce point me semblent encore aujourd’hui assez obscures. Mais enfin, ce n’est pas là notre sujet. Quoi qu’il en soit, c’est à partir de ce virage austéritaire que la gauche, en France et en Europe, a changé. Les partis qui la représentaient, les partis socialistes et communistes, au lieu de mettre l’accent sur la république, les inégalités et la laïcité ont commencé à nous parler d’une Europe sociale qu’on n’a jamais vu venir, mais aussi du combat pour la défense des immigrés et des droits de l’homme. Ce fut la création de SOS Racisme avec le slogan touche pas à mon pote ou encore de la marche des beurs. Autrement dit on déplaçait le marqueur de la gauche du terrain de l’économique et du social, vers la défense des droits des minorités. Il est vrai qu’à cette époque les immigrés et leurs descendants étaient moins nombreux et bien moins remuants qu’aujourd’hui. Mais on était loin de la mise en garde de Georges Marchais : « Il faut stopper l'immigration officielle et clandestine. Il est inadmissible de laisser entrer de nouveaux travailleurs immigrés en France, alors que notre pays compte près de deux millions de chômeurs, français et immigrés. » disait-il en mars 1980. Il réitérait le 6 juin 1981 dans une lettre au recteur de la mosquée de Paris qui fut publiée dans L’humanité. Pour lui, l’immigration entrainait la fragmentation de la classe laborieuse. Ce que souhaitait manifestement le patronat et Terra Nova. En quelque sorte il avait anticipé l’abandon d’une approche de classe par la gauche qui pour conserver le pouvoir tout en mettant en place une politique de droite, défavorable aux travailleurs, mettait en avant les droits des minorités. Cette tactique réussit à Mitterrand à très court terme. Mais sur le long terme elle allait se révéler erronée.
Julien Dray
et Jean-Luc Mélenchon manifestent
A partir de ce moment le Front national qui végétait ne va faire que monter, et cette montée va s’accélérer quand le vieux Jean-Marie Le Pen sera évincé du parti qu’il avait créé pour cause de dé-diabolisation. Autrement dit les classes populaires se sont détournées de la gauche de deux façon, d’abord en s’abstenant, l’abstention est devenue le premier parti, elle a atteint un record aux dernières municipales avec 55%. Mais déjà en 2017 l’abstention aux législatives était supérieure à 50%. Ensuite, les classes populaires sont de moins en moins enclines à jouer le jeu du barrage au FN – rebaptisé entre temps RN – et à soutenir des politiciens corrompus et à la solde du patronat. Ce qui signifie clairement que l‘électorat dit de gauche se s’est pas droitisé comme on l’entend dire souvent, mais s’est émancipé de la gauche représentée par des partis dans lesquels il ne se retrouve pas. J’avais été frappé en 2017 de voir que lorsque Mélenchon défendait la laïcité et s’attaquait à l’Union européenne, menaçant d’en sortir, automatiquement il remontait dans les sondages et Marine Le Pen descendait. La gauche ne correspondant plus aux aspirations du petit peuple en matière de laïcité, d’immigration et de sécurité, elle devient un repoussoir. En enfourchant la monture de la Cancel Culture et autres conneries Woke, la gauche ne peut que s’enfoncer. C’est donc bien la faute de Mélenchon et des gens comme lui si le Rassemblement National est si haut dans les intentions de vote. C’est bien lui qui a effectué son retournement de veste en faisant de la lutte contre l’islamophobie son nouveau cheval de bataille, après avoir viré de son parti la frange souverainiste et laïcarde[6]. Je ne voudrais pas donner à Mélenchon plus d’importance qu’il n’en a, mais il est symptômatique de l’incapacité du politicien de gauche à définir une stratégie claire et une tactique adaptée[7]. On l’a dit et répété le Rassemblement National est maintenant le premier parti ouvrier de France. Ce qui veut dire que si la gauche veut revenir un jour au pouvoir elle doit aller chercher les électeurs du Rassemblement National. Je ne suis évidemment pas le seul à le dire, mais je le dis depuis longtemps. Cela parait assez simple, mais ça ne l’est pas, parce que les politicards de la gauche désunie doivent se défaire d’abord de cette idée moisie selon laquelle ils sont là pour éduquer le peuple et non pas pour l’écouter et en être d’abord les porte-paroles.
Tout cela explique pourquoi le mouvement des Gilets jaunes a surpris les politiciens de gauche, avec cette bêtise à front de taureau d’un Philippe Martinez, le malheureux leader de la CGT, celui-là même qui ne réagit pas quand les milices macroniennes attaquent son cortège le 1er mai. Il en était contre toute évidence à nier l’importance du mouvement des Gilets jaunes et à vouloir que ceux-ci soient des fachos, voire manipulés par des fachos. Le mouvement des Gilets jaunes a tout de suite trouvé un soutien énorme dans la population, et si ce soutien a été aussi élevé – jusqu’à plus de 70% – c’est bien parce que les Français avaient conscience que les partis n’étaient pas vraiment dans le coup et n’étaient plus capables de trouver une voie, de répondre aux problèmes de l’heure. Evidemment le mouvement des Gilets jaunes ne se situait pas dans une logique gauche-droite, bien que des études aient ensuite montrées qu’ils étaient initialement plus proches de la gauche que de la droite[8]. Ils avançaient sur les questions concrêtes des inégalités, et de la confiscation du pouvoir par une caste de politiciens carriéristes et sans imagination autre que de faire fortune dans cette filière, proposant une réforme complète de la démocratie, avec introduction du RIC. Autrement dit, ils avaient contourné la logique des partis et de la démocratie parlementaire parce qu’ils ne pouvaient se reconnaître dans ces mêmes partis qu’ils soient de gauche, de droite ou d’extrême-droite, et parce que manifestement la démocratie façon Macron était complètement en panne. De là s’ensuivit le procès en sorcellerie qui leur a été fait : on les qualifiait stupidement de fachos ou de gauchos, de casseurs, les sommant de se ranger dans une catégorie politique commode pour les étouffer, leur demandant de faire leurs preuves dans les élections à venir, ou alors de prendre parti contre l’islamophobie ou l’homophobie ou autre phobie à la mode de ce temps – et pourquoi pas pour l’écriture inclusive tant qu’on y est ! Ils avaient contre eux l’intégralité du système, le gouvernement et ses milices, la quasi-totalité des médias, des partis et des syndicats, et bien sûr des politologues, cette race à part qui prétend que les discussions de bistrot peuvent aussi être qualifiées de « scientifiques » par eux-mêmes. Si à la FI on a vu Ruffin les soutenir, le soutien de Mélenchon était plus circonspect, et Clémentine Autain, une des artisans de la dérive islamo-gauchiste de cette boutique, développer un argumentaire aussi douteux que répugnant pour tenter de faire croire que ce mouvement parti de la base était en fait une manipulation du Rassemblement National, comme si Marine Le Pen était assez intelligente pour imager tout ça, alors qu’elle a déjà bien du mal à gérer sa petite boutique !
Mesure du
soutien populaire aux Gilets jaunes
Les partis de gauche crèvent
de cette maladie du tout ou rien, du catalogage sommaire des opinions. Donc si
tu ne défiles pas derrière le CCIF et les Frères Musulmans tu es islamophobe et
de droite, voire raciste, donc tu n’es pas de gauche. A l’inverse si tu
critiques l’action de la police sous Macron comme une violence intolérable, tu
es un gauchiste. Plus les partis se sont effrités dans leur assisse populaire,
et plus leur langage s’est radicalisé. Il est impossible de parler de la
sécurité et des effets délétères de l’Islam dans la vie quotidienne des
Français, ou de la question nationale, sans se faire traité de fasciste. De
même on ne peut pas revendiquer pour la défense des services publics et contre
les privatisations sans être traité de gauchiste. L’extravagance de ce
vocabulaire pourtant ne masque pas le fait que les Français sont massivement
contre l’immigration, contre l’Islam, et pour le resserrement des inégalités
sociales, un redéploiement de la souveraineté de la France et pour la défense
du service public, notamment en ce qui concerne la santé et l’éducation, mais aussi
la SNCF et ADP. Ce que nous avançons ici montre que tous les partis sont en
porte-à-faux par rapport à ce que les Français souhaitent. Comment voulez-vous que les Français les plus modestes comprennent les dérives sectaires d'un syndicat en voie d'extinction comme l'UNEF et le soutien que lui accordent la FI et le PCF ? Macron avec sa
logique stupide, ni de droite, ni de gauche, réussit à prendre tout ce
qu’il y a de plus pourri dans la droite, le libéralisme, la baisse des impôt
pour les riches, l’Union européenne et l’euro, et tout ce qu’il y a de plus
stupide dans la gauche, le cosmopolitisme, le communautarisme et le
néoféminisme.
Mais ce que ces gens-là ne comprennent pas c’est que le temps est passé d’un embrigadement sans discussion derrière un programme plus ou moins bancal ou un leader. La politique au sens large du terme se fait dans la quête de l’autonomie de penser par soi-même. Avec le développement sans frein des nouveaux canaux d’information, les Français sont dans l’obligation de retrouver leur libre-arbitre plutôt que de faire allégeance à une sorte de pantin qui se prend pour un gourou. C’est une des raisons qui font que les partis sont vides d’effectifs. Plus personne ne croit qu’un politicien de métier en sait plus que la moyenne du commun des mortels. La crise du COVID a accéléré cette mise en perspective. Qui peut croire que Macron sait ce qu’il fait et où il va ?
Ce rapide tableau explique
non pas la disparition du peuple de gauche, mais l’incapacité des partis de
gauche qui ont pignon sur rue à être considérés comme capables d’amener un
changement véritable et positif. En 1933 le parti d’Hitler est arrivé au
pouvoir, non pas parce qu’il était majoritaire dans l’opinion, il ne recueillit
qu’un tiers des suffrages exprimés, mais parce que le petit peuple allemand ne
voulait plus voter pour une gauche qui l’avait trahi. Autrement dit, c’est toujours
parce que les partis de gauche déçoivent que l’extrême-droite a une chance de
prendre le pouvoir. Plus encore, on peut dire que si Marine Le Pen est si haute
dans les sondages, c’est la faute de Mélenchon parce que celui-ci au fil de son
inconstance est devenu un repoussoir. La droite peut toujours se réjouir de la
disparition de la gauche, vu les sondages d’opinion de Macron, elle doit s’en faire
tout autant. En effet, aux Etats-Unis Biden qui est fortement soutenu par le
peuple américain vient de mettre en place un programme économique et social
très à gauche, le plus à gauche sans doute depuis la mort de Roosevelt. Peu
importe les critiques qu’on peut lui trouver, ce programme est un virage
radical et surtout il évolue complètement à l’inverse de ce que mijotent les
Européens, Macron en tête. Ce qui veut dire qu’après 2022 quand la gauche se
sera débarrassée enfin de ses vieux dinausores, notamment Mélenchon, elle aura
des possibilités bien réelles de revenir au pouvoir. La ringardise de la gauche
française d’aujourd’hui est telle que je n’ai lu aucune analyse sérieuse de l’importance du virage qu’ont opéré les
Américains. Plus encore, cette gauche-là, totalement dépassée sur tous les
plans a bêtement manifesté un soutien distancié à l’abominable Trump, arguant
que ce dernier serait peut-être moins impérialiste et guerrier que son
successeur. Cette cécité de la gauche salonarde, coupée de la réalité populaire,
remplaçant celle-ci par une tolérance hors de saison des excès de l’islam
politique, la condamne. Dépassée tactiquement, ne comprenant pas où se trouvent
ses électeurs potentiels, elle est globalement sans boussole sur le plan
stratégique. Il y a bien entendu à gauche des gens qui mènent une réflexion
sérieuse, nous en connaissons même pas mal, mais pour l’instant ils ont été
marginalisés, notamment par l’action conservatrice de Mélenchon. Il est tout de
même assez curieux qu’à gauche on ne trouve plus de penseur un peu novateur,
comme si la gauche Terra Nova, cette droite avec un faux nez, avait tout
vampirisé en colonisant Sciences Po. L’avenir nous appartient, et pour
l’instant nous récusons ce clivage stupide entre gauche et droite, nous
préférons parler de capitalisme et de socialisme. Y compris pour ce qui
concerne l’écologie, quand on voit les EELV et leur approbation de l’Europe et
de l’économie de marché, nous comprenons que d’être de gauche peut-être un
qualificatif infâmant.
La gauche sans boussole, sans stratégie va encore s’enfoncer pendant un moment, elle s’apprête en effet à faire barrage à Marine Le Pen aux présidentielles. Voilà tout son programme, sans voir que ce programme n’intéresse plus personne. Libération qui n’a de gauche que l’idée de défendre un titre dévalorisé, lance le combat pour le sauvetage de Macron. Dans le journal du 22 avril 2021, ils reprennent l’étude de la Fondation Jean Jaures[9], sachant que Macron est haï par deux Français sur trois. L’idée de base est la suivante : Macron est un homme de droite, de la droite dure même, mais c’est un démocrate. La Fondation Jean Jaurès est, rappelons le, liée au Parti socialiste, mais plutôt à son aile droite, si cette boutique en déshérence a encore des ailes. Libération assigne tout de suite le rôle de la gauche, être les supplétifs de la droite dure qui matraque les manifestants, Gilets jaunes ou soignants et qui détruit peu à peu les services publics. Ils n’avancent évidemment aucune preuve que Marine Le Pen serait pire que Macron, sauf à répéter que ce serait dangereux pour la démocratie, faisant comme si Macron respectait la démocratie et ses opposants. Le problème c’est que « les gens de gauche » qui vont s’engager dans cette voie d’un soutien critique à Macron vont être balayés à plus ou moins longue échéance. Il y a déjà beaucoup d’électeurs de gauche qui ont amèrement regretté d’avoir cédé à l’illusion du barrage face aux hordes fascistes en 2017.
Jacques Ranciere : « La gauche a été très marquée par la politique des sciences sociales, qui est toujours fondée sur l’idée que les acteurs sociaux ne savent pas ce qu’ils font. C’était au cœur du marxisme : l’idée que les travailleurs sont dupés par l’idéologie bourgeoise ou petite-bourgeoise qui les empêche de comprendre leurs intérêts ou les conduisent à des révoltes spontanées, non-scientifiques. Avec le déclin du marxisme, la sociologie universitaire a pris le relais. La gauche est toujours victime d’une conception sociologique de la politique : elle se demande toujours pourquoi les membres des classes laborieuses, qui sont la majorité sociologique, se laissent dominer par la minorité bourgeoise, pourquoi ils ne font pas la révolution ou, plus modestement, pourquoi ils ne votent pas tous à gauche. »[10]
La décomposition des
institutions classées à gauche est encore plus visible avec ce qui s’est passé
le 1er mai 2021. Les différents groupes et organisations en sont à
se faire une guerre terrible pour tenter de récupérer quelques miettes d’un public
qui les fuit. Le cortège parisien s’est scindé en deux, les cégétistes voulant
s’isoler des mouvances plus radicales, trotskistes, anarchistes. Contrairement
à ce qui a été dit il n’était pas question de black blocs. La volonté de se
séparer de ce qu’on pourrait appeler les éléments gauchistes était vu comme une
manière de faciliter le travail de la police. Et donc après quelques heurts
entre le SO de la CGT et ces éléments plus ou moins incontrôlés, les uns et les
autres se sont mis à pleurnicher. La CGT de Martinez qui est de plus en plus
contesté en interne, était de dire que la CGT avait été attaquée par des bandes
fascistes ! quand au parti d’en face, il dénonçait son expulsion du cortège
principal. En 2019 la CGT avait été attaquée par les miliciens de Macron, mais
Martinez avait été incapable de riposter autrement qu’en venant pleurnicher sur
la méchanceté de la police. D’un 1er mai l’autre elle fait la preuve
de sa faiblesse structurelle, démontrant que sa bureaucratisation avancée frise
la décomposition. C’est un champ de ruines et la reconstruction prendra
certainement beaucoup de temps. Pour ce syndicat, il semble qu’il lui faille de
toute urgence changer de secrétaire général qui fait tout de travers et dont le
bilan à la tête de la centrale de Montreuil est très mauvais.
Cette image de la
décomposition de la gauche a été renforcée un peu plus avec la déclaration de
François Ruffin le 1er mai dernier disant qu’il ne voulait pas se prononcer
sur la candidature à la présidentielle. C’est incontestablement une prise de
distance d’avec Mélenchon et sa logique suicidaire[11]. On le savait
déjà éloigné sur de nombreux points, notamment sur la question de l’immigration
et de la laïcité, du leader de la FI, mais on pensait qu’il ne rendrait public
ce désaccord qu’après 2022. Sur le fond les divergences sont normales, Ruffin a
toujours été un peu à l’écoute des gens d’en bas et n’a jamais prétendu les
éduquer. C’est seulement en allant dans ce sens que la gauche pourra un jour
retrouver des couleurs. Ceux qui ne comprennent pas cela seront balayés et
marginalisés à la manière des gauchistes.
[1]
https://www.midilibre.fr/2011/08/25/sondage-les-francais-souhaitent-la-victoire-de-la-gauche-mais-sans-dominique-strauss-kahn,377183.php
[2] https://lanouvelletribune.info/2021/04/joe-biden-sa-cote-de-popularite-a-grimpe-5/
[3] https://www.marianne.net/politique/gauche/a-un-an-de-la-presidentielle-la-deroute-annoncee-de-la-gauche
[4] https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/09/24/nouvelles-regions-des-couts-supplementaires_6012857_823448.html
[5]
https://www.europe1.fr/societe/selon-un-sondage-ifop-pour-le-journal-du-dimanche-78-des-francais-jugent-la-laicite-menacee-3927717
[6]
https://ingirumimusnocte2.blogspot.com/2021/02/melenchon-senfonce-toujours-un-peu-plus.html
[7] La
paresse intellectuelle de Mélenchon a été de croire qu’en se déclarant très tôt
candidat à l’élection présidentielle, il obligerait les autres partis dits de
gauche à s’aligner derrière lui. C’est manifestement raté, aussi bien parce que
la gauche présentera d’autres candidatures, que parce qu’il plonge dans les sondages
[8]
https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/01/26/qui-sont-vraiment-les-gilets-jaunes-les-resultats-d-une-etude-sociologique_5414831_3232.html
[9]
https://jean-jaures.org/nos-productions/2022-evaluation-du-risque-le-pen
[10] https://www.frustrationmagazine.fr/entretien-jacques-ranciere/
[11] https://www.bfmtv.com/politique/presidentielle-francois-ruffin-refuse-de-se-prononcer-sur-la-candidature-de-jean-luc-melenchon_AN-202105010253.html?fbclid=IwAR3XFxoNjnxQe_82qeLRR01G0E5JNYtK5tNKJhf2amYQg_2YgwuhQX0TRlQ
"Avec le développement sans frein des nouveaux canaux d’information, les Français sont dans l’obligation de retrouver leur libre-arbitre "
RépondreSupprimerVoire, les canaux d'informations fonctionnent aujourd'hui en silo, chacun dans son couloir de nage, ignorant son voisin, fusse t'il son voisin de palier.
Difficile dans ces conditions de faire société.
Quand aux GJ, je suis interdit quand à l'idée de cantonner un mouvement social dans un catalogue politique. Sûrement parce qu'aucun mouvement politique ne pourrait les réduire.
https://laviedesidees.fr/La-couleur-des-gilets-jaunes.html