mercredi 1 décembre 2021

L’inflation va continuer et accélérer dans les mois à venir

 

Le nouveau rebond du COVID avec son nouveau variant venu d’Afrique du Sud va certainement contrarier les prévisions des économistes. La politique sanitaire, restrictions, confinement, achat de vaccins, etc. coûte très cher, non seulement parce que les Etats doivent s’endetter, mais parce que cela freine la reprise économique. Ceci entraîne un retour inattendu de l’inflation. Beaucoup d’économistes pensent que malgré tout l’inflation sera contenue à moyen terme dans des zones tolérables. Je pense qu’ils se trompent. Pour comprendre ce qui se passe, il faut comprendre ce qu’est l’inflation. Superficiellement il s’agit d’une hausse des prix, et nous savons qu’actuellement les prix flambent, poussant les revendications salariales. Mais s’il y a hausse des prix, c’est d’abord que la masse monétaire en circulation croît plus rapidement que la production. En effet pour soutenir la demande et l’activité les banques centrales ont dû financer l’endettement croissant des Etats alors même que la production, par la force des choses, a reculé et n’a pas encore retrouvé son niveau de 2019, celui d’avant la déferlante du COVID. La crainte de l’inflation est revenue[1], et en France l’ignoble Gilbert Cette, président du groupe d’experts sur le SMIC, qui prêche les mêmes recettes quel que soit le temps, pense que si on augmente le SMIC on alimentera l’inflation, ce qui est pour ce conservateur notoire l’équivalent du diable. Il trouve, lui qui gagne au moins 10 fois le SMIC, qu’un SMIC à 1 554,58 euros brut par mois c’est bien trop, il est partisan d’abandonner cet outil indexé sur l’inflation[2]. Or beaucoup voudraient voir le gouvernement donner un coup de pouce à la revalorisation du SMIC, c’est-à-dire aller au-delà d’une simple compensation de l’inflation passée. Ce serait une manière de lutter un petit peu contre les inégalités de revenus qui sont une des revendications principales de la population française.

 

Mais ce que Gilbert Cette ne comprend pas c’est que l’inflation d’aujourd’hui ne vient pas d’un excès de partage de la valeur en faveur des salariés, mais de l’effet conjoint d’un déversement de liquidités pour soutenir les économies, et de la pénurie de matières premières. Cette tendance lourde n’est pas près de disparaître, d’autant qu’avec le nouveau variant Omicron, la reprise économique qui était assez forte depuis le printemps, va être remise en question. Déjà les secteurs du tourisme ou de l’aviation civile sont durement touchés et la fermeture progressive des frontières va ralentir les échanges. Pour résumer il y a une bonne inflation qui résulte de la pression des salaires sur la valeur ajoutée, et une mauvaise inflation qui vient d’un excès de liquidités qui ne trouve pas à s’employer dans la production. Ces excédents de liquidités vont alors se porter sur des valeurs refuges, l’immobilier et les actions, c’est ce qui explique que malgré les difficultés évidentes de la situation économique mondiale, on achète des actions sur le marché de l’occasion, c’est-à-dire en Bourse. 

Cependant l’inflation aujourd’hui pose plusieurs problèmes. En effet dans un monde où on a pris l’habitude d’octroyer des prêts assortis de taux d’intérêts négatifs ou très faibles, lorsque l’inflation repart, c’est un désastre pour les banques. Déjà on considérait avant la crise sanitaire que les taux d’intérêt étaient trop faibles pour que les banques puissent être rémunérées dans leur activité naturelle de prêteurs. Mais le système tenait parce qu’on pouvait le réalimenté par des émissions de monnaie et surtout par une baisse régulière des taux. Mais dès lors que cela s’arrête, les banques sont en grande difficultés. C’est ce qui est en train de se passer aujourd’hui, car non seulement l’inflation repart, mais les taux d’intérêts vont se durcir, et cela va rendre plus difficile le refinancement des banques de second rang. De même les dettes qui sont financées par les marchés se dévalorisent avec l’inflation, surtout si les taux ont été négociés sur le long terme avec des valeurs négatives. 

 

Dans cette sorte de Mistigri, c’est comme si on avait finalement refourgué le fardeau de la dette au secteur bancaire, alors que pendant longtemps la charge de la dette était une plaie pour les finances publiques. Comme on le voit la situation est pour l’instant favorable pour les Etats qui ont pu et qui peuvent encore s’endetter à bas coût. Ils n’ont pas profité cependant de cette situation favorable pour investir dans les équipements collectifs, poursuivants infatigablement l’idée farfelue d’une baisse des dépenses publiques. C’est seulement avec Joe Biden aux Etats-Unis qu’on a pris une autre voie. Cet argent facile si on veut a surtout servi à payer les vaccins et à enrichir les grands laboratoires pharmaceutiques. Si la crise du COVID est une raison évidente d’une croissance faible depuis deux ans, il y en a cependant d’autres. Il y en a au moins deux d’importance. D’abord le sous-investissement chronique en Europe et aux Etats-Unis dans trois domaines importants, l’éducation, la santé et les transports. Tandis que les pays asiatiques et notamment la Chine continuaient à investir massivement, les pays occidentaux laissaient leurs infrastructures à l’abandon. Comme on l’a dit déjà, la question de l’inflation va dépendre de la gestion de la monnaie. 

Si les Etats-Unis on relancé fortement l’inflation, c’est parce qu’ils ont décidé d’investir massivement dans les biens publics, l’ensemble des programmes de Joe Biden représente plus de 6000 milliards de dollars. Cette dette ne sera pas remboursée mais sera sanctuarisée dans une structure spéciale et ne sera pas financée par les marchés[3]. Ce type de positionnement qui fait passer la lutte pour la croissance et l’emploi avant le remboursement de la dette, est en adéquation avec la logique de la Fed qui n’a jamais fait de la lutte contre l’inflation sa priorité. Vous noterez qu’aux Etats-Unis le débat sur la monnaie et la dette est public et les responsables de la Fed viennent devant le Congrès rendre des comptes sur leur travail. Dans la zone euro, au contraire, la BCE est indépendante et n’a de comptes à rendre à personne. Le fait que le nouveau ministre de l’économie allemand soit un ultra-libéral[4] – donc conservateur – en matière de monnaie, va certainement raviver les divergences entre l’Union européenne et les Etats-Unis en matière de politique économique et de croissance. Si les Etats-Unis ont choisi clairement de laisser filer l’inflation pour soutenir les salaires et la demande, l’Union européenne et la BCE ne savent pas trop ce qu’ils doivent faire. Le programme de relance timide de la Commission risque d’être rapidement dépassé par les nouvelles difficultés qui apparaissent dans la gestion de la crise sanitaire dont l’Europe apparaît maintenant comme le foyer principal[5]. Ces mauvaises nouvelles non seulement signe l’inefficacité du tout vaccinal dans les politiques sanitaires, mais également une nouvelle obligation pour les Etats européens de soutenir l’économie en injectant des milliards d’euros. Cela va renforcer l’inflation puisque ces excédents de liquidités ne trouvent pas à s’employer dans l’investissement et qu’ils dépassent les volumes produits. Les hausses de prix à la consommation sont douloureusement ressenties depuis au moins le mouvement des Gilets jaunes en novembre 2018. Bien que les manifestations et les grèves soient peu coordonnées par les syndicats, elles sont quotidiennes, et parfois dans des secteurs un peu inattendus comme Carrefour ou Séphora. Ces mouvements ont une double origine, d’une part la stagnation des salaires par rapport à la productivité du travail et à la hausse des prix à la consommation.  Et d’autre part l’extravagance des bénéfices distribués aux actionnaires. On a des mouvements similaires aussi en Allemagne par exemple[6]. 

Manifestation du personnel de Séphora à Paris, la Défense, le 25 novembre 2021 

Le contexte social et économique est explosif. Contrairement à ce que croient les hommes politiques ignorants, et particulièrement Zemmour, les premières préoccupations des Français en dehors de la crise sanitaire, sont le pouvoir d’achat, la protection de l’environnement, la délinquance et le pouvoir d’achat. Or financer la santé ou accroître le pouvoir d’achat aura forcément des effets inflationnistes. Certains économistes qui se croient malin pensent qu’on peu augmenter le pouvoir d’achat sans augmenter les salaires, soi en baissant les « charges » sociales, soit en distribuant une prime aux plus pauvres, mais si on abaisse les cotisations sociales pour augmenter les salaires, il faudra augmenter les primes pour les mutuelles. De même si l’Etat distribue des primes comme il veut le faire avec la prime énergie de 100 €, il faudra bien la financer soit par une hausse des impôts soit par une création nette de monnaie. Je ne parlerais pas du montant ridicule de cette prime qui ne couvrira même pas 10% de la hausse des prix de l’énergie et qui ressemble à une distribution de miettes[7].

 

Les préoccupations des Français en 2021 

Comme on le comprend, nous sommes dans une situation inédite, c’est-à-dire une inflation en hausse avec une stagnation de la production et d’un autre côté un excédent d’épargne et des taux d’intérêt encore bas. Le tout dans un contexte social très tendu et un désintérêt pour les jeux politiciens qui sont censés représenter les problèmes de la société. Il est impossible de savoir à quel niveau l’inflation sera contenue. Les taux d’inflation sont très disparates. Les Etats-Unis ont un différentiel de deux points par rapport à la zone euro, mais l’Allemagne et l’Espagne ont aussi une inflation très supérieure à la France et l’Italie. Dans un contexte de taux de change fixes dans la zone euro, cela devrait entraîner mécaniquement un réaménagement des hiérarchies industrielles dans la zone au profit de la France et de l’Italie. Mais il est très difficile de prédire ce qui va se passer même à court terme parce que la situation politique et sociale est très incertaine. La seule chose certaine est que l’inflation va continuer et probablement augmenter, même le MEDEF contrairement à ce réactionnaire de Gilbert Cette – anciennement proche du parti socialiste, version strauss-kahnienne de droite, puis macronien – est maintenant favorable à une hausse des salaires[8].



[1] https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/11/30/l-inflation-en-zone-euro-au-plus-haut-depuis-trente-ans_6104195_3234.html

[2] https://www.lopinion.fr/economie/gilbert-cette-le-smic-est-a-bout-de-souffle

[3] https://www.bfmtv.com/economie/joe-biden-va-t-il-frapper-une-piece-de-1000-milliards-de-dollars-pour-rembourser-la-dette-americaine_AD-202110010168.html

[4] https://www.marianne.net/monde/europe/la-france-doit-elle-avoir-peur-de-christian-lindner-nouveau-ministre-allemand-des-finances

[5] https://www.liberation.fr/societe/covid-19-leurope-redevient-le-principal-foyer-de-la-pandemie-20211106_J3QAVY4Z6BFYFI64CJNZ4346LQ/

[6] https://www.lepoint.fr/monde/l-allemagne-goute-aux-greves-a-la-francaise-07-09-2021-2441918_24.php

[7] https://www.linternaute.com/argent/guide-de-vos-finances/1427598-cheque-energie-en-decembre-2021-100-euros-mais-pour-qui/

[8] https://www.latribune.fr/economie/france/smic-une-revalorisation-plus-forte-que-prevu-en-janvier-selon-elisabeth-borne-897553.html

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