lundi 3 octobre 2022

Un petit mot sur les élections en Italie et l’arrivée d’un fascisme supposé

 

A chaque élection c’est pareil. Voilà la gauche qui s’affole, « le fascisme arrive, attention, Hitler aussi est arrivé au pouvoir par les urnes ». Et ceux qui imaginent une rupture radicale avec l’ordre étatsunien et européiste du monde se congratulent. Tout ça c’est du cinéma. Les résultats des élections italiennes avaient été pleinement anticipés par les instituts de sondage. Ce n’était pas une surprise, sauf pour les ignorants. Selon les canons de la démocratie parlementaire représentative à l’italienne, Meloni a bien gagné les élections. Cependant, il y a eu d’abord une forte abstention, 36%, ce qui veut dire que les 44% de la coalition ne représente que 28% des électeurs inscrits. Ce premier point doit déjà nous faire douter de la légitimité de Meloni, son parti représente 26% des suffrages exprimés, soit un peu moins de 17% des électeurs inscrits. C’est un score à la Macron. Ce n’est donc ni un plébiscite, ni un vote d’enthousiasme pour le post-facsisme. C’est juste le résultat de la décomposition d’un système électoral en faillite. L’arrivée en tête d’un système électoral vicié jusqu’à la moelle est la suite logique de l’enfermement européiste dans lequel nous nous sommes mis. Ce sont en effet les pays en panne de souverainisme qui sont d’abord les premiers à voir les avancées de la pseudo extrême-droite. Mais le banquier Draghi qui la précédait dans le poste de premier ministre n’avait même pas été élu, il avait été nommé « par le système », ce qui ne l’empéchait pas de gouverner et de réformer dans le sens voulu par l’Union européenne et les banques d’affaire. Mais cela ne semblait choquer personne en France qu’un aparatchik des la haute finance dirige la troisième économie de l’Union européenne, aucun journal ne criait au viol de la démocratie. Certes Meloni est issue d’un vrai parti post-fasciste. Comme nous pourrions dire que Marine Le Pen est issue d’un parti anciennement pétainiste et raciste. Mais Meloni est-elle facsite ? La gauche hurle pour dire qu’elle est restée fasciste et qu’elle célèbre comme Mussolini autrefois les « valeurs » des fascistes, l’église, la famille et la propriété privée. Pour moi Meloni n’est pas fasciste, elle ne marche pas sur Rome, elle n’a pas à sa disposition des chemises noires, et surtout elle ne joue pas comme Mussolini savait le faire d’une sorte de programme social qui viendrait en aide aux plus pauvres. Au contraire, en Italie on l’appelle Meloni l’Américaine, comme Sarkozy. Son programme est ultra libéral, baisse d’impôts pour les riches et les entreprises. Elle ne veut pas sortir ni de l’euro, ni de l’Union européenne et encore moins de l’OTAN. En clair c’est une sorte de Renzi en plus vindicatif qui soigne son marché de niche en disant du mal des immigrés illégaux. On chercherait en vain quelque chose d’un peu social à se mettre sous la dent dans son programme. Du reste le fait qu’elle se soit alliée à Berlusconi, le comptable ultra libéral de la mafia, en dit long sur ce qu’elle représente.

 

Meloni coche toutes les cases de la pensée néo-libérale, elle a été recrutée par l’Aspen Institute, un think tank libéral américain, richement doté, destiné à promouvoir la bonne pensée américaine aux quatre coins de la planète. Son américanisme pourrait lui poser des problèmes à moyens termes, non pas parce que les Italiens sont antiaméricains, mais parce que ses recettes politiques sont à contretemps. Son inclinaison assez nouvelle vers une approche transatlantique – qu’on dit initiée par l’escroc Steve Bannon[1] – ne la range pas parmi les souverainistes, bien au contraire, elle marche avec une mondialisation ordonnée sous la houlette des conservateurs américains. De là à dire que son discours anti-immigration n’est qu’un cache-misère, il n’y a qu’un pas. Elle affirme un discours po-américain, anti-russe, anti-chinois, il est donc naturel que tout cela lui ait attiré en Italie les faveurs des milieux d’affaires[2]. Plus qu’une vraie fasciste, elle apparaît comme voulant la restauration d’un capitalisme sauvage et brutal sous domination américaine, jouant de l’exaspération naturelle des Italiens, elle est arrivée à ses fins. Mais ses orientations politiques risquent de rapidement se heurter à la réalité du terrain, ses recettes ne sont pas à la hauteur des enjeux. [Notez que l’Aspen Institute compte en son sein une autre femme, une américaine, Natalie Jaresko, qui avait été nommé par le soi-disant gouvernement ukrainien ministre de l’économie en 2014. On trouve donc au cœur même de l’Aspen Institute de bons petits soldats américains qui aident à la mise sous tutelle des pays européens. Cette Natalie Jaresko avait obtenu par décret la nationalité ukrainiennne, juste le jour précédent sa nomination au poste de ministre de l’économie. A ce poste elle a obtenu l’aide du FMI pour mettre en place une réforme radicale des dépenses publiques – autrement dit elle a procédé à une braderie des biens publics ukrainiens au profit des amis]. L’Aspen Institute qui a pignon sur rue à Kiev a maintenant ses entrées à Rome au service des grandes multinationales américaines]. Ce n’est pas être complotiste que de dénoncer un réseau international américain qui fourre son nez à peu près de partout pour diriger le monde. 

Les taux d’intérêt sur la dette italienne se sont envolés dès que les marchés ont pris connaissances des résultats italiens[3]. Les marchés à force de se faire peur avec n’importe quoi perdent la tête. On va donc voir réapparaitre rapidement la question de la dette et de l’austérité, et avec eux les programmes de privatisations de ce qui reste de biens publics. Ces mêmes taux d’intérêt explosent aussi au Royaume-Uni. Cette remontée des taux va détourner les investisseurs de la Bourse. Et rapidement cela va devenir intenable dans le contexte européen, d’autant que la très corrompue Ursula von der Leyen a averti qu’elle allait punir les Italiens s’ils avaient l’idée de mal voter, c’est-à-dire d’élire autre chose que le PD à la tête de la nation. Cette imbécilité serait presqu’une bonne raison de voter Meloni. L’Italie est un pays à cran, un candidat à la sortie de l’Union européenne, après tout, la sortie du Royaume Uni de cette usine à gaz ne s’en est pas mal sorti. Ainsi donc la question européenne va rapidement revenir sur le devant de la scène, surtout dans un contexte de récession généralisée qui va se développer à partir du dernier trimestre. La majorité qui vient d’être élue en Italie est très fragile. Elle pourrait très bien voler en éclat assez rapidement, soit pour la question de l’appartenance à la zone euro qui tue les Italiens, soit pour la question de la guerre en Ukraine quand les sanctions européennes vont se durcir et que le gaz et le pétrole vont venir à manquer. Non pas que Meloni veuille contester le système, mais plutôt que les circonstances l’y obligeront. Elle est russophobe, mais cela ne permettra pas de réchauffer les Italiens cet hiver. Encore que les Italiens viennent de signer un gros contrat gazier avec l’Algérie, ce que Macron n’a pas été capable de faire ni avant ni pendant, ni après son voyage dans ce pays[4]. 

L’Europe c’est la démocratie, l’Europe c’est la paix 

L’autre sujet de réflexion sont les commentaires idiots qui viennent de la gauche. Française ou italienne, elle fait comme si l’arrivée au pouvoir de Meloni était pire que celle de Renzi ou de Draghi. Et donc les belles âmes préféreraient voir Enrico Letta et le Partito Democratico à la place de Meloni. Mais c’est oublié que ce parti était au pouvoir en 2008 et qu’il pesait 33% des suffrages exprimés. Mais il a terriblement déçu, justement à cause de son européisme inconséquent, aujourd’hui  il est donné à 19%, en ayant ramené à lui des autres débris de la gauche dite de gouvernement, en tentant une OPA sur les classes moyennes inférieures qui sont de plus en plus laminées par l’orientation néolibérale de l’Union européenne. Les élections du 25 septembre 2022 en vérité condamnent une nouvelle fois ce néolibéralisme qui mène l’Italie et l’Europe dans le mur, l’avenir c’est le chômage de masse et la récession économique. Qu’on n’aime pas Meloni, cela se comprend. Qu’on pense qu’elle est pire que Letta, Prodi ou Renzi, c’est une aberration de l’esprit. Mais dauber sur le retour du fascisme en Italie permet de s’éviter de s’interroger sur la disparition de la gauche. Car si le premier parti est à Rome comme à Paris celui des abstentionnistes, le plus évident du résultat du vote du 25 septembre, outre l’émiettement des votes, c’est tout de même la disparition quasi-totale de la gauche. Que la droite s’appelle Meloni ou Berlusconi ou Letta, c’est du pareil au même seuls quelques détails changent, c’est ce qui la fait passer pour une alternance à la doxa de Bruxelles. Mais que la gauche disparaisse complètement cela signifie deux choses : qu’elle n’a plus d’idée à proposer, navigant à vue entre européisme et problèmes de société, et qu’elle ne saurait que faire de son pouvoir si celui-ci lui échoyait. Que Sandrine Rousseau soit devenue une figure de cette nouvelle gauche en dit long sur le divorce acté entre la gauche officielle et le peuple. 

 

Il est totalement paresseux de s’être livré pendant des années à une parodie de lutte antifasciste, ressassant des thèmes tellement éculés qu’on y voit à travers et que la lutte antifasciste n’intéresse plus personne, tellement c’est devenu un spectacle ambulant. Mais en Italie comme en France la gauche n’a rien à dire d’intéressant sur les problèmes qui préoccupent le peuple. La gauche ne dit rien de fort et d’entraînant, ni sur la crise écologique, ni sur la guerre en Ukraine, or les Italiens sont le peuple le moins russophobe de l’Europe, mais ceux qui prétendent le représenter restent à côté du sujet. Comme en France la comédie des élections n’arrive plus à masquer le manque de démocratie réelle en Italie. Allant de l’un à l’autre, les électeurs n’ont pas encore compris que s’ils veulent le pouvoir, c’est-à-dire que soient pris en compte leurs désires, il faudra qu’ils aillent le conquérir eux-mêmes et non qu’il laissassent ce travail à des représentants plus ou moins bien intentionnés. La panique des journaux français est destinée non pas à alerter les électeurs d’un danger imminent, mais à jouer la partition du vote, voter pour le moins pire serait ainsi une nécessité absolue. Mieux vaut Draghi que Meloni, mieux vaut Macron que Le Pen. En vérité cette attitude n'a jamais mené qu’à un immobilisme mortifère qui détourne les électeurs du chemin des urnes. On a vu en France que le fascisme était très bien représenté par Macron, interdiction de manifester, matraquage du cortège de la CGT un 1er mai, éborgnement des Gilets jaunes, et je passe sur l’affairisme honteux de cet emperruqué qui passe son temps à vendre ce qui reste de la France à la découpe. 

 

Les journaux italiens sont un peu plus modérés que les journaux français qui ont plongé dans l’hystérie, sans doute pour se faire pardonner d’avoir soutenu Macron aux dernières élections, et ils semblent avoir compris d’abord que cette jeune femme est seulement une conservatrice libérale, mais aussi que si son tour est venu – adesso tocca a lei – c’est bien parce que ses prédécesseurs ont failli d’une manière ou d’une autre à sortir l’Italie de l’ornière. Ils attendent donc les premières mesures qu’elle mettra en œuvre, sachant que les gouvernements ont ici une longévité assez faible. Salvini en a fait l’amère expérience lorsqu’il a provoqué la chute du gouvernement auquel il participait en pensant que cela conduirait à des élections qu’il se sentait capable de gagner, c’était sans compter sur le fourbe Mattarella, un sicilien démocrate chrétien à l’ancienne, un disciple de Giulio Andreotti si on veut. 


[1] https://www.lemonde.fr/international/article/2022/09/09/l-ex-conseiller-de-trump-steve-bannon-inculpe-de-fraude-financiere-a-new-york_6140834_3210.html

[2] https://www.politico.com/newsletters/global-insider/2022/09/26/giorgia-melonis-radical-transatlantic-playbook-00058787

[3] https://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/apres-la-victoire-de-meloni-les-taux-sur-la-dette-italienne-s-envolent-934220.html

[4] https://www.lefigaro.fr/international/l-italie-l-emporte-dans-la-course-au-gaz-algerien-convoite-par-les-europeens-20220826

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