Avant toute chose, sachant que je vais me faire traiter de
facho une nouvelle fois, je précise que je n’ai pas de sympathie particulière envers
le Rassemblement National et que je n’ai jamais voté, et que je ne vote pas, ni
pour cette formation, ni pour les autres partis d’ailleurs qui ne représentent
qu’eux-mêmes et leurs propres inconséquences. Tout ça pour dire que je ne me
sens proche en rien des « idées » de Fournas ou du RN. Mais le
problème de ce spectacle dérisoire est ailleurs. Le député du Rassemblement
national (RN) Grégoire de Fournas a été sanctionné, vendredi 4 novembre,
d’une « censure avec exclusion temporaire », soit l’interdiction
de paraître au Palais-Bourbon pendant quinze jours de séances, et la privation
de la moitié de son indemnité parlementaire pendant deux mois. C’est le second
député ainsi sanctionné pendant la Vème République, après l’élu
apparenté Parti communiste français Maxime Gremetz en 2011, à l’origine d’une
altercation en raison de voitures ministérielles, mal garées selon lui. Le
crime de Grégoire de Fournas est celui-là : il avait lancé dans
l'hémicycle « qu’il retourne en Afrique » lors d'une question au
gouvernement de l'insoumis Carlos Martens Bilongo qui se préoccupait du sort
des migrants en Méditerranée. En vérité on ne sait pas si Fournas voulait dire
« qu’ils retournent en Afrique » ou « qu’il retourne en
Afrique ». La première forme critiquant la politique de l’immigration et
les gémissements qui vont avec, la seconde s’adressant au député FI d’origine
africaine. France Info par exemple penche pour la première
interprétation[1], tandis
que Le figaro, comme l’ensemble des médias dominants, au
contraire penche pour la seconde. Cette question n’est pourtant que d’une
importance secondaire. Ce qui l’est moins par contre ce sont les questions que
soulèvent la sanction contre le député. A l’évidence la Macronie s’est servi de
cet incident mineur pour deux raisons :
– la première
permettre ainsi de faire apparaître une alliance RN-NUPES lors des votes des
motions de censure contre le 49-3 comme une alliance contre-nature, comme pour
montre l’inconséquence de ces deux formations. Et tant que les oppositions seront
divisées, le gouvernement fera passer tout ce qu’il voudra à l’Assemblée,
soutenus par les Playmobils élus sur son étiquette, alliés aux Républicains qui
sont aujourd’hui à l’état gazeux. Notons que les Insoumis et l’ensemble de la
NUPES, piètres tacticiens, ont approuvé cette exclusion, sans même se rendre
compte qu’ils travaillaient à leur propre marginalisation ;
– la seconde est qu’en faisant tout un pataquès sur cette
affaire de faible intensité, on empêche de discuter du fond, soit de la
politique migratoire en France et en Europe et des difficultés d’intégration
des migrants et de leurs descendants. Mais cela n’est pas étonnant quand on
sait le manque d’intelligence pour ne pas dire plus des opportunistes qui encombrent
les bancs de l’Assemblée Nationale et qui tentent de se donner de l’importance en
jouant les censeurs indignés, alors qu’ils ne servent vraiment à rien.
Mais le plus grave est sans doute qu’en excluant pour 15 jours un élu, on met en place une censure qui ne dit pas son nom. Il y a les paroles autorisées et celles qui ne le sont pas, même si les députés sont censés bénéficier par ailleurs d’une protection contre les tracas judiciaires. C’est l’idée de restaurer un nouvel ordre moral. Je ne discuterais pas du contenu de l’intervention de De Fournas, personnage pour lequel je n’ai pas de sympathie, mais plutôt du fait qu’un quarteron de députés décide de ce qui est raciste et de ce qui ne l’est pas, alors que ces individus ont le plus souvent du mal à distinguer leur devant de leur derrière. Raciste, c’est le mot à la mode, le sésame qui vous certifie une probité politique sans tache, avec le mot fascisme utilisé à tout bout de champ pour écarter ses concurrents sans avoir à argumenter quoi que ce soit. Si ce siècle n’était pas envahi par une judiciarisation excessive de la vie sociale, on pourrait imaginer que l’on puisse critiquer ce député sans pour autant l’exclure et le censurer. Mais en en le désignant comme un danger public sans discussion, un précurseur du nazisme à venir, on en fait une sorte hérétique à combattre et à exclure. Le monde, journal de longue date cosmopolite et mondialiste, a montré tout son contentement, arguant que cet écart de langage était bien la preuve que RN ne pourrait jamais se normaliser et donc que le barrage contre lui était justifié en 2017, en 2022 et sans doute encore en 2027[2]. En prétendant combattre un fascisme qui n’existe plus qu’à l’état résiduel, on occulte beaucoup de choses. D’abord la nullité des députés, toutes tendances confondues et aussi le fait qu’ils ne servent à rien à cause justement du temps qu’ils perdent dans des débats oiseux et sans intérêt, incapables d’enrayer la manière autoritaire de gouverner de l’impopulaire Macron. Ensuite qu’un fascisme cache l’autre, le député Carlos Martens Bilongo traficote dans la mouvance islamiste qui est une autre forme de fascisme et de racisme. Mais pour cela, il n’est pas condamné ou exclu temporairement de l’Assemblée Nationale. Dans l’image que nous avons mise ci-dessus, Bilongo vient fairer la retape auprès de la CIMG – Communauté Islamique Millî Görüş – une organisation islamiste d’origine turque et très proche du dictateur Recep Erdogan, c’est-à-dire contrôlée par l’AKP. En victimisant Bilongo à cause de la couleur de sa peau, cela évite de parler de ses liens avec le panislamisme turc. Mais en même temps cela attire aussi la lumière sur ce terne député, et donc sur ses louches accointances. Millî Görüş, très active à Sarcelles et dans le département, avait il y a quelques années attiré l’attention à cause d’une vente à prix cassé d’un terrain par le maire de la ville. Cette association – cette secte devrait-on dire – d’origine turque fait du prosélytisme un peu partout en France. Elle est arrivée à faire subventionner la mosquée de Strasbourg par la municipalité à hauteur de 2,5 millions d’euros[3].
Elu d’une circonscription marquée d’une grande diversité comme on dit, Bilongo défend aussi une laïcité très particulière, celle qui consiste surtout à défendre le port du voile en tout lieu et en toute circonstance, ce n’est pas lui que nous trouverions à la pointe du combat contre le voilement. En cela il est exemplaire du tournant que la Nouvelle Gauche a pris depuis les études de Terra Nova qui montraient que la prise du pouvoir ne pouvait s’accompagner que d’un renversement de perspective politique, passant d’une logique de classe à une logique identitaire. Cette démarche qu’on appelle clientéliste est la logique de marché appliquée à la politique. On sait que ce fractionnement de l’électorat a été le tombeau de la gauche, qu’elle se dise radicale ou de gouvernement. Cette affaire va mettre encore plus en lumière les déchirements de la gauche, tandis que la droite néolibérale, de Macron aux Républicains en passant par le MODEM et les résidus du PS, sortira renforcée de cette épreuve, car qu’elle ait ou non la faveur de la population, elle survit essentiellement par l’impéritie de la gauche qui non seulement éloigne d’elle les classes populaires, mais qui stérilise le débat en l’amenant sur des sujets sans intérêt et dégoûte la plupart d’entre nous de la politique.
[1] https://la1ere.francetvinfo.fr/guyane/qu-ils-retournent-en-afrique-la-seance-des-questions-au-gouvernement-suspendue-apres-une-injure-raciste-d-un-depute-rn-a-l-assemblee-nationale-1336936.html
[2] https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/11/05/a-l-assemblee-nationale-la-sanction-prise-contre-le-depute-rn-gregoire-de-fournas-fragilise-la-strategie-de-normalisation-du-groupe-d-extreme-droite_6148601_823448.html
[3] https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/04/06/financement-public-d-une-mosquee-a-strasbourg-la-prefete-saisit-la-justice_6075772_3224.html
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