dimanche 13 novembre 2022

La saison des prix littéraires, les tendances de 2022

  

Les prix littéraires sont d’abord des machines promotionnelles qui permettent surtout et principalement de mettre en avant des produits qui se vendront ainsi plus facilement. Evidemment n’importe quel auteur aime avoir des prix littéraires, parce que cela veut dire que son livre, bon ou mauvais, sera dans la lumière et donc un peu plus lu. Il est par ailleurs bien connu que les prix littéraires ne font pas la qualité d’un ouvrage, que ce soit les nobélisables ou les lauréats du Goncourt, nombreux sont les écrivains qui ont disparu de la mémoire et d’autres auteurs jamais primés conservent une réputation élevée, après tout Victor Hugo n’a jamais été primé ! Jean-Paul Sartre refusa le prix Nobel en 1964, mais avant lui Boris Pasternak avait fait la même chose en 1958, dans les deux cas ces écrivains refusaient de servir une distinction qu’ils jugeaient politique. Un livre primé peut être bon ou mauvais, ça n’est pas la question. On peut très bien avoir un prix littéraire pour un bon livre ou pour un mauvais. Ainsi en est-il à l’ère de la production industrielle de la culture[1]. L’idée de la multiplication de ces prix est en réalité un accompagnement de la transformation marchande du secteur du livre. En 1949, Julien Gracq dans un ouvrage devenu célèbre, La littérature à l’estomac, publié par José Corti, rendait déjà compte de cette dérive, conservant cependant des illusions sur une démarche différente pour accéder à une littérature émancipée des codes du marché. Et donc si les prix sont des outils de promotion, que leurs résultats soient truqués ou non[2], il faut s’interroger sur les choix des lauréats. Les jurés n’étant pas de purs esprits, ils sont tributaires de l’air du temps. A la vue des derniers « grands » prix, on retient plusieurs tendances du marché. D’abord que la féminisation du secteur s’accélère encore, ce qui est normal puisque le public des roman est largement féminin et donc fait le marché[3]. Il existe d’ailleurs un prix Femina, mais il n’existe pas de prix particuliers pour les mâles ! Le Femina est décerné par une jury de femmes et couronne massivement des auteurs femmes. Cette année, c’est tombé sur Claudie Hunzinger. Son roman Un chien à ma table raconte comment l’arrivée d’une jeune chienne change la vie d’un couple installé au fin fond des Vosges. Peu importe si ce livre est passionnant ou non. Le prix couronne une femme de 82 ans, contemporaine donc d’Annie Ernaux, ce qui ne ressort pas particulièrement d’un renouveau des lettres françaises. Le fait que les femmes dominent maintenant les prix littéraires, cela induit une forme d’écriture plus particulière, on l’a vu avec Annie Ernaux et Brigitte Giraud, l’écriture de soi, l’autofiction, domine. « Je regrette qu’on n’ait pas couronné un grand livre », a déclaré Tahar Ben Jelloun, ravalant Vivre vite au rang de « petite autobiographie ». C’est un choix éditorial que de pousser ces textes, car des femmes sont par ailleurs capables de tout autre chose, mais il n’est pas innocent. C’est un sujet qu’il conviendrait de creuser un peu plus. Par ailleurs les jurés qui ne voulaient pas de Brigitte Giraud qui n’a obtenu le prix tant convoité qu’au quatorzième tour du scrutin, 5 contre 5, avec la voix prépondérante du président de l’Académie Goncourt, soutenaient mordicus la candidature de Giuliano Da Empoli pour Le mage du Kremlin qui avait déjà été couronné par l’Académie Française une semaine plus tôt pour un ouvrage de propagande russophobe. On va y revenir un peu plus loin. 

 

Les prix sont donc aussi une machine politique, on vient de le dire en évoiquant les refus de Sartre et de Pasternak. Aujourd’hui la tendance dans le monde est à la promotion de l’Ukraine et symétriquement à la russophobie, c’est la participation hasardeuse et un peu honteuse du milieu de l’édition à la guerre contre la Russie. J’avais dit tout le mal que je pensais des éditions de l’Aube pour cette démarche de publier tout et n’importe quoi pour peu que ce soit russophobe[4]. Deux prix majeurs ont été décernés pour soutenir cette entreprise oiseuse. C’est tout juste si on n’a pas donner ces prix à Zelensky ! Le Grand Prix de l’Académie Française 2022, couronne un ouvrage destiné avant tout à faire passer Poutine pour un dictateur, et prétend du même coup nous dévoiler les dessous de l’histoire contemporaine, mais aussi à nous rassurer sur le fait que nous vivrions en Occident dans une belle démocratie qu’il nous faut défendre contre les barbares russes et chinois. Cette seconde tendance dominante du marché du livre induit d’ailleurs qu’une grande partie de la production romanesque s’apparente à de faux reportages, à du journalisme. On veut faire « vrai », souvent au prix d’un style des plus indigeste. Le prix Médicis étranger 2022 est pour Andrei Kourkov. Celui-ci a pour lui d’avoir un parcours étonnant, né en Russie, il fut gardien de prison à Odessa, ses parents étaient communistes, lui est un chantre de l’Amérique. Il a tout du traître de comédie. Son « roman » est destiné à l’édification de la conscience occidentale. Il surjoue les martyres, affirmant qu’il est menacé physiquement par le pouvoir russe, comme s’il n’avait pas un dégré d’importance nulle pour celui-ci. Propagandiste infatigable, il sillonne les salons littéraires aux Etats-Unis et en Europe, avançant qu’il fait son devoir. Il a des idées extrêmement cadrées par le Pentagone, Poutine est fou, c’est pourquoi il fait la guerre, et la Crimée reviendra un jour dans le giron de l’Ukraine, c’est nécessaire et c’est écrit. Bien avant le 24 février 2022, date de l’entrée de l’armée russe en Ukraine, on considérait qu’un des grands écrivains russes de la nouvelle génération c’était Zakhar Prilepine, mais comme celui-ci défend les populations du Donbass et donc l’intervention russe, il est totalement exclu qu’on lui donne un quelconque prix[5]. Bien heureux s’il peut continuer à voir ses ouvrages traduits en français. L’appareil éditorial et la critique ne juge pas seulement de ce qui est beau, mais aussi de ce qui est politiquement correct. Ce qui ne l’empêche pas de célébrer le nazi Céline pour la publication de ses brouillons plus ou moins bien bidouillés pour les rendre présentable[6]. Mais Céline et sa réputation sulfureuse, ça fait vendre et c’est important.

 

Ma diatribe sur les prix littéraires n’a pas pour but de montrer que ces écrivains sont mauvais, mais plutôt qu’ils sont adéquats principalement aux formes modernes et hyperconcurrentielles du marché du livre. La production est surabondante, et le nombre des lecteurs ne varie guère, même si la crise sanitaire a ravivé le goût de la lectre. Pour le cinéma c’est encore pire, on a en même temps une surabondance de films, mais une raréfaction des spectateurs. Et c’était pareil sur le marché de la musique enregistrée avant qu’il ne meure tué par le progrès technique de la numérisation et des réseaux. Le livre ne mourra pas de si tôt et même la forme roman perdura, bien qu’elle s’apparente de plus en plus à des formes de reportage sans style, soit de l’autofiction comme on l’a vu. Le dernier prix Renaudot a été décerné à Simon Liberati pour Performance, une histoire où le reportage sur les vieux Rolling Stones, quatre-vingts balais aux prunes, est mâtiné de réflexions sur l’amour et la différence d’âge dans un couple hétérosexuel, sur la vieillesse, réflexions qui semblent avoir été empruntées à la page philosophique de Gala ou de Closer. Tout cela me donne l’impression que les romanciers français qui sont légitimés par la critique aujourd’hui, n’ont plus aucune capacité technique à savoir écrire. Et la littérature dans tout ça ? Et bien on va retourner à la lecture d’Isidore Ducasse ! 


[1] Walter Benjamin, L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique [1935], Payot, 1939.

[2] Périodiquement on dénonce et on prouve que tel ou tel prix a été acheté par telle ou telle maison d’édition, par l’intermédiaire de membres du jury obligés de ces maisons. Guy Konopniki, Prix littéraires, la grande magouille, Jean-Claude Gawsewitch, 2004

[3] https://video.lefigaro.fr/figaro/video/les-lecteurs-de-romans-sont-devenus-des-lectrices-pour-etienne-de-montety/

[4] https://ingirumimusnocte2.blogspot.com/2022/09/les-editions-de-laube-partent-en-guerre.html

[5] https://ingirumimusnocte2.blogspot.com/2022/06/zakhar-prilepine-ceux-du-donbass.html

[6] https://www.lemonde.fr/livres/article/2022/10/19/un-nouvel-inedit-de-celine-est-paru-les-lecteurs-de-londres-auront-une-image-fausse-de-celine_6146491_3260.html

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