mercredi 10 janvier 2024

Thierry Baudet, Indispensables frontières : pourquoi le supranationalisme et le multiculturalisme détruisent l’État de droit, éditions du Toucan, 2015

  

Cet ouvrage est indispensable à tous ceux qui veulent réfléchir un peu et de façon argumentée sur le devenir des États nationaux et sur le supranationalisme. Certains diront pour éviter de le faire que Thierry Baudet est un complotiste, un populiste et autres balivernes du même genre. Ça leur évitera de chercher des arguments à lui répondre. Évidemment il a un point de vue tout à fait politique, mais ce point de vue n’a pas grand-chose à voir avec un positionnement traditionnel gauche-droite. Le droit est l'arme principale du supranationalisme. Juriste de formation, il examine les conséquences des différents traités qui au niveau institutionnel permettent de déléguer des pouvoirs à une bureaucratie complètement opaque dans son identité et dans ses intentions. Il définit d’abord ce qu’est un État, puis ensuite ce qu’est la coopération  internationale nécessaire entre les États, celle-ci est déterminée par des traités qui fournissent des règles auxquelles les différents États souscrivent et dont ils peuvent sortir suivant une procédure particulière. Puis il décrit les différents sortent de coopération internationale : les organisations comme l’ONU par exemple qui est un lieu d’échanges et de coopération non contraignant pour les participants en ce sens qu’elles n’entament pas la souveraineté des États mais au contraire elles lui permettent de s’exprimer. Enfin il y a les organisations supranationales, celles-ci sont d’essence juridique vont réécrire le droit pour les États membres. Ces juges qui se permettent ce genre de fantaisie ne sont pas élus, et finissent par s’opposer à ce que les peuples des différents États voudraient pour leur pays. 

 

Baudet prend deux exemples importants, celui de l’immigration et celui de la peine de mort. Les décisions de de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) vont régulièrement contre la volonté politique des citoyens, justement au nom des droit de l’Homme qui le plus souvent s’empilent et se multiplient. La question n’est pas de discuter de la pertinence de la peine de mort – c’est un sujet certainement passionnant, mais qui relève de la philosophie – ou des bienfaits de l’immigration – c’est un sujet d’économie politique difficile et compliqué – mais quand les juges tranchent de la question de l’immigration ou de la peine de mort contre le peuple et même contre ses représentants, il vient qu’ils imposent une vision politique des choses contre l’avis de la majorité et même des élus. Bien entendu ils justifient dans le secret de leurs cabinets en invoquant des droits de l’homme qui seraient universels ! Cette démarche risible l’est moins quand elle est appliquée. Baudet cite de nombreux exemples où la CEDH qui siège à Strasbourg, contredit complètement les arrêts des juges des pays concernés. Il est quasiment impossible pour un pays de l’Union européenne d’expulser un terroriste étranger au nom des droits de l’Homme justement. 

 

Cette approche qui exaspère les populations, et qui est mollement combattue par les hommes politiques, vide peu à peu le contenu de la souveraineté des nations, mais en même temps que la souveraineté des nations, c’est l’idée de démocratie qui s’évanouit. Cette question est apparue avec les errements des institutions de l’Union européenne : ce sont des juges nommés et non élus qui dans l’anonymat de leurs cabinets édictent les interprétations du droit qui font jurisprudence par-dessus toutes les décisions que le peuple – même via une démocratie très naine comme dans les pays occidentaux – pourrait prendre. Les lois contraires à la démocratie qui sont prises par ces instances ne se compte plus. En vérité le plus souvent ces lois sont justifiées non par le droit, mais par des principes moraux qui se tiendraient comme ça en suspension au-dessus des citoyens. Autrement dit les juges qui créent ces lois et ces normes s’élèvent au-dessus du jugement du peuple, comme s’ils en savaient forcément plus que le peuple. Bauchet va donc détailler le fonctionnement de plusieurs institutions supranationales, l’Union européenne où la Cour de Justice Européenne et la CEDH tiennent une place privilégiée dans la gouvernance de cet ensemble hétéroclite. Mais aussi la redoutable OMC qui n’hésite pas à aller contre les règles nationales en matière de santé ou d’environnement, au nom des lois sacro-saintes du commerce, tout ce qui entrave la libre circulation des biens et des services doit être combattu. Évidemment on va retombé aussi sur les pouvoirs exorbitants du Conseil de sécurité de l’ONU par exemple quand les Etats-Unis veulent déclencher une guerre comme ils l’ont fait en Irak ou en Yougoslavie, avec les centaines de milliers de morts. 

 

Bauchet revient longuement sur la douteuse légalité du procès de Nuremberg. Il ne s’agit pas de dire que les personnes jugées – enfin celles que les Etats-Unis n’avaient pas décidé d’exfiltrer – n’ont pas eu ce qu’elles méritaient, mais seulement de comprendre que ce procès était seulement le fait du vainqueur, contrairement au procès de Pétain par exemple qui fut mené par les Français, sur leur territoire. Le tribunal qui siégeait à Nuremberg était finalement l’ancêtre de la Cour Pénale Internationale. Cette juridiction trouble à laquelle n’adhèrent pas les États-Unis, juge principalement des vaincus, mais elle ne s’est jamais risquée à envisager de traîner les Etats-Unis devant sa juridiction pour les évidents crimes de guerres commis à Hiroshima ou plus tard en Yougoslavie et en Irak. Ces formes opaques de juridiction font en réalité le travail pour l’Empire étatsunien. Récemment cette sinistre boutique qui n’a jamais inquiété un seul Américain – ceux-ci sont protégés de toute poursuite par la loi américaine – a émis la prétention de juger Poutine pour crimes de guerre, lançant même un mandat d’arrêt contre lui ! Cette démarche serait un peu plus crédible si dans le même temps la CPI poursuivait Zelensky pour les bombardements non seulement des civils de Belgorod en Russie, mais aussi pour les bombardements qu’il a ordonnés, juste avant l’entrée en guerre de la Russie, sur les civils du Donbass. Notez que cette CPI a défini elle-même, seule dans son coin, ce qu’était une guerre d’agression ou des crimes de guerre, autrement dit elle a construit des lois pour elle-même sans en rendre compte à quiconque… sauf à Washington ! Ici il n’est pas question de savoir si les crimes de guerre sont ou non constitués, mais seulement de montrer que cette forme de justice possède deux défauts majeurs, les juges font la loi, et ils l’appliquent selon une grille de lecture qui est forcément politique. Bauchet va même plus loin, il assure que cette démarche peut-être un frein à la paix, dans la mesure elles peut empêcher des négociations de crainte qu’une partie des belligérants ne se retrouve dans le collimateur de la CPI. Après que l’armée israélienne soit rentrée à Gaza, consécutivement aux pogroms organisés par le Hamas le 7 octobre 2023, cinq États ont porté plainte devant la CPI, l'Afrique du Sud, le Bangladesh, la Bolivie, les Comores et Djibouti. Ne serait-il pas plus judicieux de chercher à mettre en place des négociations de paix sérieuse dans cette région ?

   

Comme on le comprend en lisant ce gros livre fort bien documenté, nous sommes à l’ère où le droit est une forme de triomphe politique. Il s’appuie à l’évidence sur le juridisme pointilleux et croissant des sociétés occidentales, mais son plus grave défaut est en même temps de détruire la démocratie, même dans sa forme plus que naine de la démocratie parlementaire. Que ce soit la liberté du commerce ou les droits de l’homme, il s’agit en vérité de restreindre toujours un peu plus les marges de manœuvre des États et de penser le monde à la place de ses citoyens. Si les « experts » de l’économie nous disent comment doit être le monde, les juristes le mettent en musique sans tenir compte de ce que veut le peuple. Baudet souligne que ces nouvelles règles de droits, concoctées dans des officines obscures, supposent une forme de « droit naturel » immuable, pendant de l’idée saugrenue de la fin de l’Histoire. Cependant, les évènements récents montrent que cet ordre mondial est contesté et au contraire, comme c’est le cas en Ukraine, mène directement au chaos et à la guerre.

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