L’appel du 18 juin 1940 est le symbole de la Résistance
Il est de bon ton aujourd’hui de se réclamer du général de
Gaulle, même chez ceux qui, comme Macron ou Sarkozy n’ont aucun rapport avec
ses idées, notamment sur les questions de souveraineté de la France. Le général
de Gaulle est un des tout-derniers politiciens français d’envergure, si ce
n’est le dernier. C’est un fait d’évidence, tant le personnel politique
français s’est vautré dans la médiocrité, continuant ainsi le travail commencé
avant la guerre, puis poursuivi activement par Pétain et son gang. Il avait
montré du courage sur le terrain militaire, puis en s’obstinant à défendre la
France, face aux vichystes et face aux ambitions américaines qui rêvaient de
s’entendre avec Pétain, puis Giraud, pensant faire ainsi de la France une
nouvelle colonie. Les Américains y sont arrivés finalement, mais ça a pris du
temps, il aq fallu que la classe politique française, de droit comme de gauche,
y collabore. Ce fut définitif et officiel quand Sarkozy se flatta devant George
Bush qu’on l’appelle Sarkozy-l’américain.
De Gaulle était un bon stratège, par exemple en développant cette idée, contre les anglo-saxons d’ailleurs, de se servir de l’Empire français pour partir à la reconquête du pays martyrisé par les Allemands. Même si la France Libre était faible sur le plan militaire, elle participa cependant clairement à la libération de la France, contrairement à la légende post-pétainiste qui voudrait laisser croire que les Français n’ont dû leur libération du joug nazi et pétainiste que par la grâce du débarquement américain. A la Libération, il lutta pied à pied contre les tenants d’une économie globalisée sous la houlette des Etats-Unis qui mettaient déjà en place le carcan européen par l’intermédiaire de ses agents comme Jean Monnet. L’inconséquent Pierre Mendes-France, chouchou de la seconde gauche, c’est-à-dire la droite molle avec un faux nez, démissionnera du premier gouvernement de Gaulle parce qu’il soutenait que les réformes sociales, applications du programme du CNR, mèneraient la France à l’abîme. Ce médiocre politicien pensait que cela amènerait de l’inflation et donc que d’abord il faudrait mettre en place un programme violent d’austérité avant que de faire des réformes sociales. Il se trompait très largement. Et à ce moment là on peut dire que de Gaulle était plus à gauche que Mendes-France[1].
Le 4 juin 1958 de Gaulle
lance sa fameuse phrase : « Je vous ai compris »
Cependant le parcours de de Gaulle, s’il a bien été celui d’un souverainiste convaincu, n’a pas été dépourvu d’errements et d’ambiguïtés. La première ambiguïté de taille est son rapport justement à l’Empire. D’un côté il avait souligné très tôt l’importance de l’Empire pour la reconquête, mais de l’autre il s’efforça de s’en débarrasser au plus tôt. Et cela commença d’ailleurs dès les années quarante quand le général Catroux fit avancer au Levant la cause de l’indépendance du Liban et de la Syrie en échange d’un soutien à la France Libre contre Pétain et son gang. Puis, encore plus curieusement, il n’intervint pas dans la question indochinoise, supposant que la guerre contre le vietminh était perdue, mais considérant que c’était « le prix du sang à payer pour que la France redevienne la France » ! Il laissa à Mendes-France la tâche de signer une paix aussi hâtive que catastrophique. Il n’est pas question pour moi de dire que l’indépendance n’était pas une réalité nécessaire, puisqu’il est normal que les peuples puissent être maîtres de leur destin. Mais simplement de contester d’une part la faiblesse de l’engagement en Indochine et l’évacuation précipitée de la France. Curieusement les errements de la France en Indochine ne servirent pas de leçons pour résoudre la question algérienne. Mais cette fois de Gaulle en fut responsable au moins pour une grande partie. Là encore je ne conteste pas l’idée d’indépendance, mais la manière dont de Gaulle l’a conduite. À l’origine de ce désastre, il y a une tromperie. C’est le fameux « je vous ai compris » prononcé à Alger devant une foule pourtant enthousiaste et qui pensait avoir contribué à son retour au pouvoir un mois plus tôt. Mais outre la tromperie, deux fautes graves ont plombé la politique algérienne du général. D’abord le fait d’avoir remis les pouvoirs politique et de police au FLN, ensuite d’avoir évacué les Pieds-Noirs dans la honte et la précipitation.
Le 14 décembre 1965 : « on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant : “L’Europe, l’Europe, l’Europe”
Sur le plan économique et social, de Gaulle, après son retour au pouvoir en 1958, s’entoura de représentants très louches de la banque. Je n’ai jamais compris pourquoi. Pompidou venait de chez Rothschild, il n’avait pas participé à la Résistance, il haïssait ce que les pétainistes appelleront le « résistancialisme », et il accorda sa grâce à Paul Touvier, chef de la milice lyonnaise qui, à ce titre avait les mains couvertes de sang, ce qui déclencha un scandale dans le pays. On l’a oublié, mais c’est Pompidou qui commença le démantèlement de la Sécurité Sociale, au nom de l’Europe ! Les manifestations massives en 1967 contre cette dérive étaient un prélude à Mai 68. C’est également Pompidou qui fit entrer les Anglais dans ce qui allait devenir l’Union européenne, et on sait que les Anglais, avant de quitter ce bateau ivre, travaillèrent pour faire en sorte que l’Union européenne ne devienne qu’une colonie des Etats-Unis, préférant l’élargissement toujours plus large vers l’Est à un approfondissement des règles, mais aussi à fixer les orientations néo-libérales avec les conséquences néfastes que l’on sait. Mais il n’y avait pas que Pompidou aux côtés du général, il y avait aussi Valéry Giscard D’Estaing, fils de collaborateur et porte-voix des milieux de la finance, et avant lui le banquier Jacques Rueff qui militait pour imposer un modèle libéral en France. Il ne faut pas s’étonner si ce désordre déboucha sur Mai 68, la plus grande grève générale de l’histoire de France, et aussi sur le fait que dans le parti du général de Gaulle les gaullistes historiques étaient plus que minoritaires, la critique du résistancialisme avait d’ailleurs comme un des buts de saper l’aura du général de Gaulle. La preuve de cette dérive restera la trahison de Jacques Chirac qui, au lieu de soutenir Jacques Chaban-Delmas, candidat naturel des gaullistes historiques, pour les élections présidentielles de 1974, apporta son poids électoral à Valéry Giscard d’Estaing, avant un peu plus tard de trahir celui-ci.
De Gaulle avait un art consommé de la comédie, il maitrisait parfaitement la télévision. Il savait être grave et drôle tour à tour. C’était un acteur de grand talent, et aucun de ses successeurs n’est arrivé à ce niveau de communication. Cette maitrise du jeu d’acteur lui permettait d’en imposer à ses interlocuteurs, y compris aux Américains qui dès les années quarante traitaient la France comme un paillasson, une sorte d’Ukraine d’aujourd’hui qu’on pouvait manipuler facilement à son avantage. Il avait aussi compris le premier l’intérêt qu’il y avait à s’introduire à des heures de grande écoute dans le foyer des Français. Il avait à la fois ce côté familier et rassurant, et en même temps cette distance qui lui donnait de l’autorité, même aux communistes qui ne se gênaient pas pour le critiquer dans ses orientations sociales, ils avaient encore beaucoup de poids ç cette époque, et en 1965 ils aidèrent Mitterrand à le mettre en ballotage pour l’élection présidentielle. Ceux qui n’avaient pas d’argent pour avoir un poste de télévision allaient l’entendre dans les bars, ou dans la rue, à la devanture des magasins de télévision qui retransmettaient gratuitement les propos du général. A la description de ce phénomène, on se rend compte de cette ambiguïté, ce mélange de modernité et d’archaïsme qui finira par s’évanouir en 1968.
Mais cela n’évite pas de faire le bilan. Comme on le voit, si la politique du général de Gaulle, elle ne fut pas aussi lamentable que celle de ses successeurs, elle ne fut ni ferme, ni rectiligne. Elle ne s’épargna pas les errements multiples. Je passe volontiers sur les coups de canif qu’il donna dans la gestion des libertés individuelles, certes il ne fut pas un apprenti-dictateur à la Macron, ne serait-ce que parce qu’il décida de partir lorsqu’il se sentit désavoué par les Français lors du référendum malheureux de 1969. C’était à l’origine un homme de droite, catholique, un militaire de carrière. Puis les évènements le feront évoluer, l’épreuve de la Résistance lui donnera une conscience plus précise de ce qu’est le peuple dans sa diversité. Mais il restera malgré tout un homme de droite, assez peu capable de dépasser ses réflexes de classe, sauf par intermittence. Même si son souverainisme lui permit de préserver un petit peu des intérêts de la France, sa méconnaissance de l’économie le brida dans sa volonté de rechercher la grandeur et l’éloigna du peuple français. Il avait composé d’ailleurs avec des ennemis de la France comme Jean Monnet qu’il appelait à juste titre « l’agent des Américains » mais qu’il nomma pourtant Commissaire général au Plan, ce qui lui laissa beaucoup de temps et lui facilita ses manœuvres tordues pour créer par des jeux de couloir ce qui allait devenir l’Union européenne. Pourtant de Gaulle savait que Jean Monnet était un homme très louche, louvoyant et manipulateur, n’est-ce pas celui-ci qui avait proposé stupidement en son temps une « fusion » entre la France et l’Angleterre ?
« La
prospérité de notre communauté européenne est indissolublement liée au
développement des échanges internationaux. Notre Communauté contribuera à
régler les problèmes d’échange qui se posent dans le monde.... Nous sommes
déterminés à rechercher sans délais dans des conversations directes, les moyens
de mettre en œuvre l'intention déclarée du gouvernement britannique d’établir
l’association la plus étroite avec la Communauté. Nous sommes convaincus que
nous pouvons envisager une collaboration étroite et fructueuse avec les
États-Unis, qui depuis la proposition faite par Monsieur Schuman le 9 mai
1950, nous ont donné des preuves répétées de leur sympathie active.... Mais,
nous ne sommes qu'au début de l'effort que l'Europe doit accomplir pour
connaître enfin l'unité, la prospérité et la paix. », écrivait Jean Monnet en 1950
La référence à la tutelle des Américains dont Jean Monnet était l’obligé, a au moins ici d’être directe. Melnik le confirmera, Jean Monnet et le pétainiste Robert Schuman travaillaient bien pour les Etats-Unis et aujourd’hui on peut encore s’étonner que ces traitres à la patrie voient encore leurs noms attachés à des avenues, des Universités ou des Lycées.
Pour les plus jeunes qui ne le savent pas Robert Schuman, autre père putatif de l’Union européenne, était un ancien pétainiste, collaborateur des Allemands et qui aida énormément d’anciens nazis à se recycler justement dans les sphères des travailleurs de l’ombre qui projetaient la construction européenne comme une prolongation de l’Empire américain. Comment de Gaulle a pu tolérer dans son entourage des gens qui non seulement le haïssait, mais qui ne travaillaient que pour l’étranger ? Certaines décisions du général de Gaulle, notamment sur le plan de l’économie et du social sont régulièrement expliquées par ses origines bourgeoises. Cependant, même en s’étant entouré de libéraux comme Jacques Rueff par exemple, il ne remit jamais en cause les nationalisations, comme les liquidateurs qui lui succéderont et en 1968 il lança l’idée de la participation. Je crois qu’il ne comprenait pas beaucoup de choses à l’économie, et il se laissait séduire par les beaux parleurs qui lui promettaient les joies de l’équilibre budgétaire et de l’austérité, compatibles avec sa rigueur de la discipline militaire. À l’inverse on a bien du mal à comprendre pourquoi des économistes bourgeois comme Jacques Rueff, restaient dans son ombre, alors qu’il était un anti-keynésien convaincu. Pensait-il finir par convaincre de Gaulle des bienfaits de la logique des marchés et de la mondialisation ? Jacques Rueff avait épousé une filleule du Maréchal Pétain, mais surtout il était membre de la Société du Mont Pèlerin, boutique destinée à la promotion de la mondialisation et du marché. C’était aussi un européiste et il siégea un long moment à la Cour de Justice Européenne. il faut rappeler que Rueff combattait entre les deux guerres justement l’idée d’un système d’allocation chômage, il perdit évidemment ce combat douteux puisque le CNR imposa exactement l’inverse et cela fut validé par de Gaulle.
Le monde faisait déjà dans les années soixante la réclame pour la déréglementation en mettant en valeur Jacques Rueff et Louis Armand
Autour de de Gaulle on retrouvera d’autres personnages louches, dont Maurice Papon qui sera finalement condamné pour son rôle actif dans la déportation des Juifs. Papon était une petite main de la collaboration active dans la région bordelaise. Au-delà de la déportation des Juifs pour le compte des Allemands, il s’occupa de répression policière, notamment la sanglante répression du métro Charonne le 8 février 1962 qui fera une dizaine de morts et des centaines de blessés. Cette manifestation interdite était dirigée contre l’OAS et contre ceux qui voulaient garder l’Algérie à la France. Cet épisode sera pour beaucoup dans le début de divorce des Français d’avec le général de Gaulle. Le 13 février la riposte du PCF et de la CGT sera massive et spectaculaire, elle démontrait que ces deux organisations, si elles soutenaient la politique gaulliste en Algérie, elles posaient des limites claires au pouvoir gaulliste.
Le cortège du 13 février 1962
Après la fin de l’Algérie française, de Gaulle va se retrouver face à une contestation sociale de plus en plus puissante jusqu’en 1968. Cette contestation s’incarnera en 1965 dans le soutien de la gauche à la candidature de François Mitterrand pour l’élection présidentielle. Puis dans les très mauvais résultats du parti gaulliste en 1967 aux élections législatives, obligeant celui-ci à s’appuyer plus encore sur les « Indépendants » de Valéry Giscard d’Estaing, un parti représentant la droite affairiste et européiste. De Gaulle du affronter ensuite Mai 68. Il hésita un long moment entre la répression brutale et la réforme. Il choisit finalement la réforme en développant l’idée de la participation, idée qui condamnait le capitalisme sans limite, sans aller toutefois à une forme de cogestion. En 1969, il eut la curieuse idée d’un référendum sur la régionalisation de la France. Ce référendum présente en effet une décentralisation qui se fera tout de même sous l’impulsion des européiste et qui affaiblira peu à peu le pouvoir central face d’un coté à Bruxelles qui est maintenant l’essentiel des lois françaises, et de l’autre aux baronnies locales qui voient l’explosion de leurs dépenses et de leurs bureaucraties. Mais en vérité ce référendum posait la question du maintien ou non du général de Gaulle au pouvoir. Lui-même le voyait ainsi, c’est pourquoi on a parlé à son égard de suicide politique. Il perdra cette élection et se retirera. Sa défaite fut en sous-main menée par l’européiste Valéry Giscard d’Estaing qui avait hâte d’éliminer le vieux général pour faire avancer sa carrière.
Evidemment de Gaulle ce n’était pas Macron qui vient bêtement d’annoncer que quel que soit le résultat des élections législatives de juin-juillet 2024, il resterait au pouvoir. De gaulle avait tout de même un peu plus de dignité que l’histrion qui se trouve aujourd’hui à l’Elysée. Mais Macron n’a en vérité aucune estime pour lui-même et aime se vautrer dans l’ignominie et la honte d’exister. Que reste-t-il aujourd’hui du général ? Rien dans les partis politique. Le monde qui est d’une stupidité effarante appelle encore Les Républicains « le parti gaulliste ». Tous les partis qui sont représentés à l’Assemblée nationale ou au Sénat ont accepté la tutelle des Etats-Unis, de l’OTAN et de Bruxelles. Et pour cela ils se sont alignés plus ou moins sur les positions étatsuniennes et otaniennes de la guerre à la Russie. Mais de Gaulle avait pourtant montrer le chemin de l’indépendance. Il est vrai qu’il savait ce que valaient les Américains qui durant la Seconde Guerre mondiale préféraient soutenir Pétain ou Giraud que lui-même. Il avait compris le coût de cette servitude quand ils essayèrent d’imposer l’AMGOT dans notre pays. Et donc il affronta directement les Etats-Unis et provoqua le départ des bases de l’OTAN, sortant du commandement intégré. On retrouvera cette même idée d’indépendance dans son discours de Phnom Penh du 1er septembre 1966 qui rompait avec la vision occidentale de la guerre du Vietnam.
Comme on le comprend, de tout cela il ne reste rien aujourd’hui, en dehors d’un vague souvenir, de ces positions souverainistes sur le plan international. Une des raisons est que la classe politique française s’est peu à peu soumise, de la gauche comme de la droite, à Washington. Cela fut acté par Sarkozy qui signa le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN. En juin 2024, aucun des partis politiques français susceptibles d’avoir des élus à l’Assemblée nationale ne revendique la sortie de l’OTAN, et encore moins celle de l’Union européenne. Sur le plan social, à gauche comme à droite, on ne dit rien de la participation. Bien entendu les idées de de Gaulle sur la participation étaient tout à fait timide, mais la gauche d’aujourd’hui est en deçà de ces propositions. Une des leçons qu’on peut retenir du général de Gaulle c’est au moins que sans souveraineté de la France, rien n’est possible dans ce pays. Récemment on a vu le journal Le monde, antigaulliste historique, avancer que si le Rassemblement National avait la majorité des sièges à l’Assemblée nationale, il ne pourrait pas exercer son pouvoir parce que ses mesures se heurteraient de front à la fois au Conseil constitutionnel et aux traité européens[2]. Autrement dit que quel que soit le désir des Français de changer de politique, ce serait impossible ! Le Figaro, le journal de la droite européiste, affairiste et cosmopolite, avance à peu près la même chose pour le Nouveau Front Populaire[3]. Ce qui signifie que la politique n’appartient pas aux Français, mais aux institutions opaques qui gouvernent à leur place.
[1]
Mendes-France resta quelques mois au pouvoir, juste le temps de liquider
l’Indochine au profit des Américains qui s’y installeront.
[2] https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/06/19/legislatives-2024-en-cas-de-victoire-du-rn-les-mesures-d-urgence-promises-par-jordan-bardella-seraient-delicates-a-mettre-en-uvre_6241220_823448.html
[3] https://www.lefigaro.fr/vox/politique/legislatives-une-victoire-du-front-populaire-ou-du-rassemblement-national-ne-renversera-pas-la-table-20240621