Ce petit ouvrage a été publié avec succès aux Etats-Unis en
2006, et traduit ensuite en 2009 en français. Publié dans la collection Liber/Raisons
d'agir, cette collection créée par Pierre Bourdieu, il est donc de gauche et ne
saurait être critiqué comme émanant d’une fachosphère ou d’un esprit
réactionnaire. Ce petit livre affirme que de se battre pour « la
diversité » est une forme de régressions sociale. C’est-à-dire qu’il
abandonne l’idée de transformation sociale radicale pour défendre les
« droits » de telle ou telle communauté. Cette dérive avait été vers
la fin des années quatre-vingt-dix entérinée comme une évolution normale d’une
histoire linéaire par Jürgen Habermas vers la défense des droits, défense
adossée à ce qu’on appelle dans le jargon néolibéral l’État de droit[1].
C’était les adieux de Jürgen Habermas au marxisme et à la lutte des classes. L’ancien
philosophe de l’École de Francfort s’était ainsi rangé du coté de ceux qui
défendait la lutte pour les droits, sans se préoccuper de savoir si cette
nouvelle forme d’activisme était compatible avec la mondialisation et le
capitalisme globalisé. Lui-même s’en ira jusqu’à développer l’idée saugrenue
d’un patriotisme sans nation et sans nationalisme !
La défense des droits des minorités présente plusieurs
difficultés sur le plan logique. D’abord elle n’est pas démocratique, en ce
sens que la défense d’une catégorie particulière de la, population, les
immigrés, les transgenres, peut se heurter à la volonté du plus grand nombre.
C’est le cas de la défense des immigrés dont l’augmentation est rejetée en
Europe par plus de 70% des populations. Ensuite elle peut contourner la
question de l’égalité qui justement est, elle, d’essence démocratique. Les
exemples de cela abondent. Par exemple le HCE – Haut Conseil à l’Égalité entre
hommes et femmes – passe son temps à pleurnicher sur le fait qu’il y a moins de
femmes que d’hommes qui occupent des fonctions dirigeantes. Ce genre de
turpitude est relayée par un journal comme Le monde. Mais cette campagne
de propagande en réalité entérine l’inégalité entre les dirigeants et les
salariés de base. Les prolos qu’ils soient hommes ou femmes, ne seront pas plus
heureux d’être exploités par des femmes que par des hommes. On a pleurniché
aussi pendant des décennies sur le fait qu’il n’y avait pas assez de femmes
dans les hautes fonctions politiques, arguant parfois bêtement que les femmes
seraient moins enclines de par leur nature à provoquer des guerres. On sait
depuis Margaret Thatcher que ce n’est pas vrai, et on le voit aujourd’hui quand
la soi-disant ministre écologiste de la défense allemande, Anne Laure Baerbock
se révèle la plus enragée pour faire la guerre à la Russie. On voit que la
première utilité de ces luttes pour les droits est de détourner le regard de la
question des inégalités et de consolider l’idéologie du capital qui nous
indique que le marché récompense toujours les plus méritants ! Et on
suppose que l’inégalité des salaires entre les hommes et les femmes n’est
qu’une question d’ajustement de mauvaises pratiques. Autrement dit il y a les
inégalités justes qui sanctionnent les différences de productivité des
individus, et les inégalités injustes qui procèdent de discriminations envers
les femmes ou envers les noirs. On voit que par ce glissement sournois, le
sujet n’est plus la lutte contre les inégalités, mais contre les
discriminations !
Aux Etats-Unis il y a un grand débat depuis des années sur l’efficacité de la discrimination positive. Mais qui juge de la positivité ou de la négativité de la discrimination ? Gary S. Becker, l’économiste de Chicago, prix Nobel d’économie, considérait que la discrimination raciale persistait tant que le cout de cette discrimination restait inférieur à son avantage. Autrement dit, en suivant cette logique, on pourrait dire que le capitalisme à abandonné le racisme, la discrimination négative, parce que cela nuisait aux affaires, et donc que la discrimination positive est un élément dans la possible remontée des taux de profit ! Dans le discours de Walter Benn Michaels, la question de la race va être centrale pour plusieurs raisons. D’abord pour montrer que les identitaires qui défendent une communauté particulière, homosexuels, noirs, ou autres, font ressurgir la question de la race. Or évidemment si on suppose que les hommes sont égaux, la race est un concept vide de sens. L’auteur passe d’ailleurs un temps fou à démontrer que la race n’existe pas, en prenant l’exemple étatsunien qui supposait qu’une seule goutte de sans noir suffit à faire de vous un noir, quelle que soit la couleur de votre peau. Si la race n’existe pas en soi et pour soi, la revendiquer comme une sorte de fierté, qu’on soit blanc ou noir est un non-sens. On ne peut pas critiquer à la fois les suprémacistes blancs et développer des slogans du type « black is beautiful ». Cette mise en scène de la diversité est forcément un racisme inversé
Cet aspect est bien connu, cependant l’auteur va plus loin et explique comment les identitaires transforment les catégories sociales particulières sur le modèle de la race. En enfermant les personnes dans des catégories préétablies, on les essentialise comme auparavant on essentialisait la race noire. L’homosexualité, les transgenres, toutes ces particularités LGTQ+, enfermant des individus comme si le choix de leur orientation sexuelle n’était pas un choix, mais le résultat de tendances naturelles ! Cette question est d’autant plus pertinente que ce positionnement ne se contente pas de défendre des droits à la différence, mais se dirige vers un militantisme outrancier, comme si dans les « démocraties » occidentales il y avait encore quelque risque à prétendre à transgresser les normes des relations hétérosexuelles. Ces catégories sociales révélées par des signes extérieurs, la couleur de la peau, l’exhibition de tendances sexuelles marginales, sont autant de niches pour le marché. C’est un approfondissement du capitalisme qui découvre de nouvelles opportunités pour se développer.
Walter Benn Michaels consacre la partie centrale de son ouvrage à la question de la diversité dans les universités. C’est normal il est enseignant. Il montre qu’en s’abritant derrière la bataille pour plus de diversité, ce système en arriva à masquer le fait que justement le système élitaire des prestigieuse université américaines repose sur une domination des classes riches. Autrement dit ces universités sont un instrument de la reproduction sociale, donc des inégalités, et pire encore mettent en scène une soi-disant méritocratie qui la justifie. Que ce soit la race ou le sexe, le principe est le même, il masque ce qui est le plus important les inégalités et les justifie. Pour l’auteur, ces luttes pour la diversité sont en réalité la promotion pour l’inégalité qui est présentée ainsi comme le résultat naturel des lois du marché « naturelles ».
Le texte est parfois un peu lourd, un peu didactique, mais
il touche juste. Il explique sans doute pourquoi ce qu’on appelle la gauche
aujourd’hui est complètement en dehors du sujet, ou plutôt elle est la
supplétive de la droite. Il y a quelques années, le livre de Thomas Frank, Pourquoi
les pauvres votent à droite[2],
avait eu beaucoup de succès car il expliquait comment la gauche américaine
avait délaissé le combat sur le terrain économique. Il expliquait que d’accuser
les blancs en vrac comme des oppresseurs ne pouvait pas être entendu par les
blancs pauvres. C’est ce qui a fait le succès relatif de Donald Trump. C’est ce
qui fait le succès – relatif aussi – du Rassemblement National. Or si les plus
pauvres rejettent les « valeurs » culturelles portées par la gauche d’aujourd’hui,
c’est surtout parce que cette gauche-là a abandonné le terrain de la lutte pour
l’égalité. On trouve encore quelques soi-disant chercheurs qui nient l’existence
des petits blancs, alors que le long des routes, entre Los Angeles on trouve
des kilomètres de sans-abris de type caucasien[3]. Ce
qui ne veut pas dire bien entendu que le taux de pauvreté n’est pas plus élevé
chez les noirs que chez les blancs, mais seulement que les pauvres blancs se
sentent déclassés et n’adhèrent pas aux valeurs culturelles de la gauche. C’est
bien ce que veut démontrer Walter Benn Michaels quand il explique comment le
combat de gauche s’est déplace du terrain économique vers le terrain culturel.
[1]
Jürgen Habermas, Droit et démocratie, Gallimard, 1997.
[2]
Agone, 2013.
[3]
Sylvie Laurent, Pauvre petit Blanc, Maison
des Sciences de l'Homme, 2020
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