La stupidité des médias occidentaux est stupéfiante. France Info pour rendre compte du sommet des BRICS à Kazan avançait que la Russie n’avait rien obtenu de ses partenaires[1]. Soit le plumitif qui a pondu cette brève est un imbécile, soit c’est un ignorant qui tente de se faire plaisir à peu de frais. Si ce russophobe invétéré avait un peu de culture, il se serait souvenu de ce que disait Poutine à Munich en février 2007[2]. Dans ce discours historique, il mettait en garde l’arrogance étatsunienne et de ses valets européens, avançant que le refus d’aller vers un multilatéralisme plomberait la sécurité internationale et serait rejeté par le plus grand nombre. C’est ce qui s’est passé, et la guerre en Ukraine, voulue par les Etats-Unis et l’OTAN pour séparer la Russie de l’Allemagne a accéléré le processus de développement des BRICS. Ce que revendiquait alors Poutine c’est d’être mieux traiter au sein des organisations internationales et d’aller vers une coopération sans brader sa souveraineté. On se souvient que Poutine avait proposer à Bill Clinton l’adhésion de la Russie à l’OTAN, ce qui aurait été un facteur de paix mondiale. Mais Bill Clinton, après lui avoir dit que c’était possible, a changé son fusil d’épaule et lui avait ri au nez, le traitant comme un parent pauvre qui avait des prétentions exagérées à vouloir manger à la table des grands. C’était en 2000[3]. Mais en 2000 la Russie était à genou, consécutivement à la purge que les méthodes néolibérales lui avaient administrée pour se réformer après la chute de l’URSS, et si la Chine était encore une puissance secondaire, les choses ont bien changé depuis. Conséquence de la mondialisation, au fur et à mesure que la Russie se redressait et que la Chine se développait avec une industrie qui montait en gamme, l’Occident régressait. Le différentiel de croissance entre le G7 et les BRICS a fait qu’aujourd’hui ce sont les BRICS qui sont plus puissants que le G7, aussi bien sur le plan économique que sur le plan démographique. Comme le montre le graphique ci-dessous, la dynamique est clairement du coté des BRICS.
Mais longtemps les Occidentaux se sont aveuglés, pensant qu’ils conserveraient de toute éternité leur avantage technologique. La guerre en Ukraine a prouvé que la Russie avait de l’avance en matière de technologie militaire sur les Etats-Unis. Et le différentiel de taux de croissance entre le G7 et les BRICS ne joue pas en faveur de l’Occident. La tendance ne peut que s’aggraver avec le temps, ne serait-ce que parce que de nombreux pays asiatiques qui sont membre des BRICS ont énormément investi dans l’éducation. Les classements des niveaux d’éducation – que ce soit les classements PISA ou le nombre de publication scientifiques par université – montrent tous que tandis que l’Occident régresse, les pays asiatiques sont maintenant en tête, loin devant les pays occidentaux. Or c’est bien dans l’Asie Pacifique et dans l’Asie de l’Est que l’économie est la plus dynamique. Dans le phénomène de la mondialisation, les Occidentaux n’ont vu que les avantages de court terme : le faible coût du travail, un accès facilité aux matières premières et de nouveaux débouchés pour leurs productions. Cette arrogance des Etats-Unis – la valetaille européiste ne faisant que suivre le mouvement – a eu pour conséquence que les pays émergents à la croissance rapide, au commerce extérieur florissant et surtout avec des taux d’endettement assez faibles, ont contourné les oukases étatsuniens et ont commencé de s’organiser entre eux. L’Union fait la force, et les BRICS, créés en 2008, alors même que la crise économique ravageait l’Occident, ont pris des décisions qui montrent qu’aujourd’hui c’est l’Occident qui est isolé ! L’échec des sanctions imposées par les Etats-Unis à la Russie le prouve, malgré les effets de manche et la propagande outrancière des médias occidentaux. Rappelez-vous comment au début de la guerre en Ukraine les médias français présentaient l’armée russe, comme possédant une technologie défaillante – les soldats obligés de voler des machines à laver ukrainiennes pour récupérer les puces électroniques.
BRICS représentent 36 % du PIB mondial et 45 % de la population mondiale contre 29% du PIB mondial et un petit peu moins de 10% de la population mondiale pour le G7
Ainsi qu’on le voit sur la carte ci-dessus, les BRICS se sont renforcés cette année avec de nouveaux adhérents. Mais le pire reste à venir. D’abord on attend la ratification de l’Arabie Saoudite qui ces dernières années s’est rapprochée de la Russie. Mais des pays partenaires comme l’Indonésie et la Malaisie qui à eux deux pèsent presque 300 millions de personnes sont susceptibles d’adhérer rapidement au système. Or ces deux pays dont la progression économique est spectaculaire, sont aussi des pays pétroliers. À cela on peut ajouter l’Algérie et le Nigéria, et cet ensemble contrôlera la majorité de la production mondiale de pétrole et de gaz. Il y a quelques années, on avait remarqué que le commerce mondial était très dynamique en Asie du Sud-Est. On parlait alors de recentrage asiatique[4], parce que justement les échanges augmentaient rapidement entre les pays de cette région, et que la croissance était plus forte que dans le reste du monde, notamment en Occident, au point qu’on anticipait que cette région n’aurait bientôt plus besoin de l’accès aux marchés occidentaux pour poursuivre son développement. Cette approche n’a pas été comprise par ceux qui jouent un rôle dans l’orientation des politiques économiques en Occident. Ce déni de la montée en puissance des BRICS et de l’importance de la zone asiatique dans la croissance du monde entier est le résultat d’une arrogance injustifiée. Ça fait tout de même trente ans qu’on voit sous nos yeux que la mondialisation, voulue par les Etats-Unis et leurs affidés européens, a surtout dynamisé la zone Asie-Pacifique.
Et ainsi les journalistes qui ont parlé en pinçant les narines du sommet des BRICS, voulant croire à une simple opération publicitaire de Poutine, ont passé à travers ce qui est essentiel. En effet de la guerre en Ukraine les BRICS ont assez peu parlé. Bien sûr ils sont pour la paix – d’ailleurs tout le monde est pour la paix, sauf les Etats-Unis et l’OTAN – et cette guerre, même si elle a servi d‘accélérateur à la montée en puissance de leurs économies, elle est une gêne évidente pour tout le monde. En vérité des décisions importantes d’un point de vue économique ont été prises. D’abord il a été programmé de mettre en place une organisation de clearing entre les pays membres, ce qui permettra de se passer du dollar et de faciliter les règlements. Selon Jacques Sapir, cela pourrait fonctionner d’ici un an ou peut-être même avant[5]. Ensuite un marché des matières premières spécifique au BRICS, devrait voir le jour assez rapidement. Il concernera bien entendu les produits agricoles, mais aussi l’or, l’uranium, le pétrole, etc. Les prix mondiaux sont aujourd’hui établis en dollars à la bourse de Chicago et les matières premières et les produits agricoles sont cotés aussi aux Etats-Unis. Cette volonté de créer des marchés spécifiques est une forme d’autonomisation financière des BRICS. Tout cela est appuyé par le développement d’un secteur particulier aux BRICS en assurance et réassurance. C’est une manière supplémentaire de s’affranchir de la tutelle des pays anglo-saxons dans le domaine de la finance.
L’idée de la création et du développement des BRICS a été pensée par Poutine en 2007. Le Brésil en 2025 prendra la présidence su prochain sommet des BRICS et, coïncidence, aussi du G20. On sait que le Brésil et Lula en particulier sont très hostiles non seulement aux Etats-Unis, mais aussi à Trump ! les conséquences de cet aveuglement vont être difficiles pour les Occidentaux. Trump ou pas, la dédollarisation partielle du commerce international est en marche. Cela va avoir des conséquences directes sur la détention des bons du Trésor américain. Déjà la Chine a commencé à vendre ses avoirs en bons du Trésor américain. Or si de nombreux pays se détournent de ces valeurs, cela entrainera forcément une baisse de leur prix. Cette baisse enclenchera automatiquement une hausse des taux d’intérêt puisque ces bons seront moins faciles à placer. Cette hausse des taux d’intérêt va entrainer à son tour une hausse de la dette publique, tous les pays occidentaux étant endettés de ce point de vue et les Etats-Unis d’une manière colossale : la dette fédérale est de 125% du PIB, et si on y ajoute la dette des collectivités locales, on arrive à 140% du PIB. Mais une dédollarisation du commerce international pèserait aussi sur le financement de ce déficit. La conséquence de cette situation déplorable est que l’inflation devrait être forte et s’amplifier au fur et à mesure que la dédollarisation s’amplifiera. Ce qui pourrait à terme engendrer un krach obligataire avec une énorme crise financière comme les Etats-Unis en ont pris l’habitude depuis le début de ce siècle. La politique protectionniste de Trump qui accentuera le racket des Etats-Unis sur les pays européens, ne va certainement pas arranger les choses, bien au contraire. Il faut bien comprendre que la réindustrialisation des pays occidentaux ne pourrait se faire sérieusement que sur une vingtaine d’années. Mais les investisseurs ne peuvent pas attendre une telle échéance, d’autant que les BRICS ne resteront pas les bras croisés.
On avance très souvent que les Etats-Unis visent surtout de s’attaquer à la Chine qu’ils considèrent comme étant leur principal concurrent, et donc qu’ils prendraient le prétexte de Taiwan pour s’attaquer à Pékin, une fois leur armée remise à niveau. Cela réglerait leur problème de leadership. Mais cela ne parait pas vraiment faisable parce que sur le plan militaire à part lâcher des bombes nucléaires sur la Chine continentale, ils n’ont pas les moyens de gagner une guerre de haute intensité. C’est la leçon de la guerre en Ukraine. La Chine peut mobiliser 50 millions de soldats, et même si on n’a pas trop de détails là-dessus, elle est maintenant très solidement équipée et la coopération avec la Russie lui permet d’accéder aux armements les plus modernes. Les Américains non seulement sont en retard sur les Russes, par exemple en matière de missiles hypersoniques, mais ils mobiliseront difficilement au-delà de 2 millions de soldats dont la motivation pour aller se faire trouer la peau pour Taiwan parait difficile à trouver. Il faut bien comprendre que la montée en puissance de l’économie des BRICS est accompagné d’une montée en puissance de leurs armées. Les stratèges américains sont divisés. Certains pensent qu’on peut leur faire la guerre au prétexte de Taiwan, mais d’autres pensent que les sanctions économiques contre ce pays pourraient être efficace. Dans les deux cas il semble que cette vision de choses est erronée, c’est trop tard. On considère souvent que les Etats-Unis sont la première armée du monde. C’est vrai du point de vue du budget, c’est faux si on considère ses capacités à faire la guerre, depuis la piteuse fin de la guerre du Vietnam, les Etats-Unis n’ont subi presque que des défaites, les obligeant à laisser tomber leurs alliés, comme ils laisseront tomber probablement l’Ukraine.
Cette réflexion qui met en avant la puissance économique et la puissance militaire montre que la seule voie est la diplomatie et donc les négociations. C’est dans la culture des Russes, des Chinois et même des Turcs. Ce n’est pas la culture des Etats-Unis qui pensent toujours que la politique de la trique est toujours la meilleur pour eux. Je pense qu’ils n’en ont plus les moyens, ni militaires, ni économiques, le déclassement de ce pays doit être pris en compte. C’est en ce sens que la période qu’a ouvert la guerre en Ukraine est totalement nouvelle. Elle signe la fin programmée de l’hégémon étatsunien. Est-ce que cela ouvrira à une politique d’apaisement, ou, au contraire une nouvelle escalade dans les guerres afin de tenter de conserver une suprématie qui n’existe manifestement plus ? Personne ne peut le dire aujourd’hui, car si d’un côté Trump – les affidés européens ne comptent pas – pourrait bien mettre un terme à la guerre en Ukraine, il est bien capable d’ouvrir de nouveaux fronts, en Asie ou en Iran. Les Etats-Unis auront du mal admettre qu’ils sont une puissance en déclin et qu’ils ne peuvent plus dicter leur loi aux quatre coins du monde. Que feront alors les Européens, sachant que la classe politique européenne est vendue depuis longtemps à l’oncle Sam ? Le refus des Européens de se plier aux fantaisies américaines pour faire pièce aux BRICS pourrait les mener sur la voie d’une indépendance, d’une souveraineté retrouvée, mais pour cela il faut trouver les hommes politiques qui oseront sortir de l’Union européenne et de l’OTAN.
Pour l’instant les Européens se contente de dire que les
BRICS sont une construction faite de bric et de broc, pensant que l’Union européenne
produirait plus de convergences que les BRICS ! C’est oublié que les 27
pays européens ne sont d’accord sur rien, et que la forme que prennent peu à peu
les BRICS ne visent justement pas l’intégration : il n’y a pas de gouvernance
supranationale. Un « chercheur »
appointé par l’UE avance que les BRICS n’ont obtenu aucun résultat. Soulignant que
la Chine et l’Inde se détestaient, mais oubliant que justement grâce aux BRICS
la Chine et l’Inde se parlent et entament des négociations qui leur évitera peut-être
une nouvelle guerre[6]. Ce qui
n’est pas rien. Que les pays africains se tournent de plus en plus vers les
BRICS pour leurs échanges et pour leurs investissements, allant jusqu’à chasser
les Français pourtant installés depuis longtemps, est un autre résultat qui
rétrécit l’espace économique des échanges pour les Européens. Pire encore
certains commencent à se dire que peut-être il serait préférable de sortir de l’UE
et de chercher des alliances avec les BRICS. Cela pourrait se concrétiser dans
le fait que personne de sérieux n’a une grande confiance dans les Etats-Unis et
son nouveau président. Autrement dit, le dynamisme des BRICS pourrait avoir des
répercussion sur la sortie de tel ou tel pays de l’Union européenne, par
exemple, on voit bien la Hongrie faire le premier pas.
[1] https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/sommet-des-brics-une-demonstration-de-pouvoir-des-russes-qui-a-montre-ses-limites_6859169.html
[3]
https://lanouvelletribune.info/2024/02/otan-poutine-revele-une-troublante-anecdote-concernant-bill-clinton/
[4] Michel Fourquin, Evelyne Dourlle et Joaquim Oliveira-Marins, Pacifique : le recentrage asiatique, Economica, 1990.
[5] https://www.youtube.com/watch?v=QJZieWl9Ox8
[6]
Balazs Ujvari, L’Union européenne face aux BRICS dans la gouvernance
mondiale : Une réponse efficace ? Bruges Regional Integration & Global
Governance Papers, 2/2024.
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