lundi 8 février 2021

Révolution culturelle en Occident, l’ombre de Mao plane sur les débris de notre démocratie

 

Il y a une soixantaine d’années la Chine entamait une Révolution culturelle ravageuse, on brulait les livres qui représentaient la bourgeoisie et le capitalisme, on renvoyait les récalcitrants se faire rééduquer par le travail dans les campagnes. Dans les écoles et les universités les enseignants devaient écouter les élèves. Cette Révolution culturelle avait été saluée comme une très grande victoire par les intellectuels maoïstes du monde entier, une avancée sans précédent, comme une autre forme de socialisme plus vraie. Les Russes avaient fait leur révolution bolchévique tout de même en conservant des pans entiers de la culture occidentale et bourgeoise, supposant que cela avait contribué au progrès de l’esprit et à la marche vers le socialisme. C’était une question de méthode. En France parmi les apôtres de ce changement culturel qui venait de Chine, on trouvait des jeunes bourgeois comme Bernard Kouchner, Olivier Duhamel, Dominique Strauss-Kahn ou encore Denis Kessler qui sauront se recycler au Parti socialistes, ou au MEDEF, voire chez Sarkozy. Je cite ces noms exprès, parce que ce sont des individus qui ont tous très mal fini, des hommes avides de pouvoir et assez peu intelligents, passant sans transition d’une fausse critique du capitalisme à son vrai soutien décomplexé. Assez rapidement cependant beaucoup se méfièrent des extravagances de la Révolution culturelle chinoise, malgré les éloges dithyrambiques qu’un Alain Peyrefitte était capable d’adresser à ce régime criminel[1]. Guy Debord avait publié sur ce thème un article fameux qui montrait que cette fausse révolution n’était en fait qu’une lutte pour le pouvoir entre des fractions ennemies de la bureaucratie[2]. En 1971 Simon Leys, un sinologue, publiait sur le même thème un ouvrage plus complet et plus documenté, Les habits neufs du président Mao[3]. Il devenait alors évident que cette « révolution » qui faisait des millions de morts, s’abritait derrière une nécessité de rénovation culturelle pour d’autres objectifs politiciens peu avouables. 

L’histoire se répète aujourd’hui. Dans Le 18 brumaire de Louis Bonaparte, publié en 1852, Marx écrivait d’emblée : « Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce » Et bien c’est ce qui se passe en ce moment avec la Cancel culture importée des Etats-Unis dans le monde entier, essentiellement dans les pays occidentaux dits développés. Du passé faisons table rase. C’est le mot d’ordre de tous les fascismes qu’ils soient rouges ou bruns. Les nazis et les « communistes » chinois brulaient les livres et punissaient ceux qui les avaient écrits et ceux qui les lisaient. Nous en sommes là aujourd’hui. La cancel culture doit être comprise, non pas comme une vraie révolution, mais comme une parodie de révolution culturelle. Elle s’exprime en trois points :

– d’abord en affirmant que ce qui est le plus important c’est de renverser la domination des hommes blancs. Sous entendant par là que la domination de femmes noires ou grises serait un moindre mal, mais surtout une revanche, un renversement. Les néo-féministes pleurnichent d’ailleurs sur le fait qu’il n’y a pas assez de femmes parmi les grands patrons du CAC40. D’ici à ce qu’on nous dise que la lutte des classes est une connerie patriarcale, inventée par Marx un homme issu de la bourgeoisie, y’a pas loin.

– donc tout ce qui vient des hommes blancs est mauvais par définition. Seuls les blancs seraient racistes et les tenants d’un pouvoir oppresseur des femmes, des musulmans et des noirs. Tout ce qu’ils ont produits, livres, films, musiques, doit être éradiquer, sans discussion. Par exemple on triera les livres dans les bibliothèques, et on enlèvera ceux qu’on a décidés être mauvais. Là c’est la revanche des ignorants qui va s’affirmer. Dans certaines bibliothèques étatsuniennes, Mark Twain, pourtant un des pères de la littérature américaine, est traqué au prétexte qu’il aurait employé le mot negro[4].  J’ai déjà dit que de vouloir éradiquer les mots détestés de la littérature aboutissait sans discernement à un négationnisme et à une censure[5]. On a le même mouvement dans la musique où c’est presqu’une infamie que d’écouter de la musique de blancs et Beethoven est devenu une cible à abattre[6]. Mais qui décide de ce qui est bien et de ce qui est mal en matière de culture ? Qui décide que les Aristochats est un film nocif qui doit être plus ou moins interdit ? C’est forcément une petite élite ou prétendue telle qui va interdire l’accès à telle ou telle œuvre.

– enfin pour ces militants, les mots étant importants, il est bon de réviser la grammaire et l’orthographe. Une petite caste travaille à la propagande pour l’écriture inclusive et tente de l’imposer. A lire leurs travaux, on se rend compte que l’écriture inclusive est tellement compliquée qu’elle est une rupture d’avec les formes antérieures[7]. Cette horreur sans poésie se voudrait une refondation totale de la langue. Là encore c’est une petite « élite » qui réécrit la langue et ses règles. Cette nouvelle écriture « révolutionnaire » serait nécessaire pour que les femmes et les transgenres et autres puissent mieux s’émanciper. Elle accompagnerait un combat émancipateur. Je fais remarquer que le Parti communiste chinois même avant de prendre le pouvoir visait à réformer l’écriture et donc la langue[8]. Officiellement il s’agissait d’accélérer l’alphabétisation, mais il y avait bien un axe secondaire : établir une rupture telle que l’avenir ne dépendrait plus du passé, mais des hommes qui fabriquaient un présent mortifère. Des imbéciles comme Philippe Sollers ou même Roland Barthes appuieront cette dérive fascisante[9].

Aujourd’hui il n’est pas rare dans les universités américaines et maintenant françaises de voir des étudiants à demi-illettrés dénoncer des enseignants au motif qu’ils auraient employé des mots qui ne leur plaisent pas. Même si on fait un cours sur l’emploi du mot « nègre » dans la littérature, cela devient interdit[10]. On a créé des tabous au cœur même des Universités. Procéduriers en diable, ces militants gauchisants multiplient les plaintes et les procès contre des propos supposément sexistes ou islamophobes. 

 

Pour ce qui est de l’écriture inclusive, on fait comme si elle était indispensable à la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes, et donc comme si avant le français courant, cette langue qui avait été le fer de lance de la construction de la nation, ne permettait pas le combat féministe. Je vous fait remarquer d’abord que l’écriture inclusive se trouve dans une impasse tragique parce qu’elle ne tient pas compte des transgenres ! Et donc il va falloir recommencer à zéro le détricotage. Mais il y a deux problèmes plus importants en ce qui concerne l’écriture inclusive. D’abord il y a une rupture entre l’oral et l’écrit. Car si la langue française a toujours évolué, cette évolution venait d’abord de la rue et de l’usage que le peuple faisait de cette langue. Or l’écriture inclusive c’est avant tout un coup d’Etat d’une petite élite plus ou moins cultivée contre le parler courant du peuple. Voici ce qu’écrit l’Académie française : « Il est déjà difficile d’acquérir une langue, qu’en sera-t-il si l’usage y ajoute des formes secondes et altérées ? Comment les générations à venir pourront-elles grandir en intimité avec notre patrimoine écrit ? Quant aux promesses de la francophonie, elles seront anéanties si la langue française s’empêche elle-même par ce redoublement de complexité, au bénéfice d’autres langues qui en tireront profit pour prévaloir sur la planète »[11]. Pour une fois nous serons d’accord avec l’Académie française, profitons-en c’est rarement le cas. Ajoutons que de tout temps la langue écrite et la langue parlée cultivaient un rapport étroit, ce n’est évidemment pas le cas de l’écriture inclusive puisque personne, même chez les défenseurs de celle-ci ne s’exprime oralement de la sorte ! Cette disjonction entre l’oral et l’écrit condamne forcément à terme cette fantaisie puisqu’on le sait de tout temps la langue écrite a évoluée sous la pression de la langue parlée. 

Djihadistes détruisant des œuvres d’art au musée de Mossoul 

La distance qui peut exister entre l’écriture inclusive et la novlangue d’Orwell est très faible, mais le principe est le même. C’est aussi une manière de dresser le peuple au bon usage de la langue. Ensuite, apprendre ce langage est tellement compliqué, surtout pour des gens jeunes qui ne maitrisent pas vraiment le français qu’on se demande bien quel peut être le but poursuivi.

La langue française visait d’abord à réunir la nation française. L’écriture inclusive au contraire accélère les séparatismes. Un peu comme quand Macron prétend qu’en apprenant l’arabe les jeunes issus de l’immigration se sentiront plus français et plongeront moins dans le communautarisme.

Guy Debord qu’on ne peut guère soupçonner d’être pour le maintien d’un pouvoir capitaliste, patriarcal ou blanc avait recopié un morceau de phrase d’un Petit poème en prose de Baudelaire, Solitude. « Je voulais parler la belle langue de mon siècle. ». En vérité il ne parlait pas de la langue de son siècle, le vingtième du nom, mais de celui de Baudelaire, le XIXème, comme si c’était dans ce siècle que la langue avait trouvé une apogée et qu’ensuite elle ait commencé à être travaillée par des démolisseurs, et donc qu’elle avait tendance à s’enlaidir. Et pourtant il connaissait et appréciait aussi l’argot que ce soit celui de Villon, ou plus près de nous celui qui était encore en usage entre les deux guerres. La langue plus ou moins classique de Guy Debord permettait tout à fait de remettre en question la marchandise et ses méfaits. Il semble que cette remise en question de la langue usuelle est un activisme dévergondé qui ne fait que masquer l’absence d’objectif à un militantisme sans bornes. On remarquera d’ailleurs que cette volonté de réformer le langage pour soi-disant accélérer les revendications féministes s’exerce de partout où l’égalité homme-femme est déjà la plus avancée, c’est-à-dire là où elle n’est plus un problème théorique, philosophique ou programmatique. Evidemment je ne veux pas dire que les revendications féministes n’ont plus de sens, bien au contraire, mais je pense que ce n’est pas la bonne méthode pour faire valoir des droits. La plupart de ces inégalités sont les résidus d’un système capitaliste moribond, et elles ont été renforcé par l’islamisation de l’Europe. D’un point de vue féministe, il me parait plus urgent de combattre le port du voile que de développer l’écriture inclusive.

Il y a quelques années on désignait les musulmans démolisseurs de statues et d’objets archéologiques comme des sauvages, des dangereux psychopathes[12]. Des organismes internationaux, l’ONU, l’UNESCO, se sont émus de ce crime. Le rapprochement est facile à faire avec la maladie hitlérienne de bruler les livres et d’expurger les bibliothèques. Mais quand les BLM décapitent les statues de Christophe Colomb et quoi qu’on pense de ce personnage, ils procèdent de la même vision du monde : tuer tout le passé qui pourrait apparaitre finalement meilleur et plus intéressant que le présent. Cet acharnement à débaptisé des écoles, des rues, à enlever des statues[13] est un négationnisme. S’il est légitime et important d’interroger l’histoire, ce n’est pas en enlevant toutes ses marques que la critique avancera. Les nazis l’ont cru, les maoïstes aussi, puis la fièvre retombée, le passé est revenu discréditer le présent. Mais comme d’habitude on trouve des intellectuels pour trouver ce mouvement très intéressant, croyant y voir un renouvellement de la pensée critique. C’est le cas du malheureux Enzo Traverso qui reprend l’antienne de la stigmatisation des noirs qui ont été dans le temps stigmatisés et dont les descendants réclameraient à juste titre vengeance et compensation[14]. Il fait comme si ceux qui déboulonnaient les statues savaient ce qu’ils faisaient. Très lent dans sa réflexion Enzo Traverso n’a pas encore compris le lien qu’il y avait entre les nazis et les islamistes. Il suppose que le négationnisme porté par ces nouveaux militants d’un ordre nouveau est juste parce qu’il serait porté par des vaincus de l’histoire, amalgamant stupidement les djihadistes à des vaincus. On dirait du Badiou ! On sent qu’il lui brûle les lèvres de nous dire aussi que l’écriture inclusive n’a rien à voir avec la novlangue d’Orwell.

Statue de Christophe Colomb décapitée à Boston le 10 juin 2020 

On fera remarquer que cette fausse révolution qui prétend réécrire l’histoire, pose deux problèmes. Le premier est que les lobbies qui se manifestent pour la cause des noirs ne se mobilisent jamais pour les autres « victimes » du passé. En France le racisme anti-jaune est passé sous silence parce qu’il est le plus souvent le fait des musulmans ou des noirs. Quand les asiatiques ont manifesté en France en 2016 et 2017 pour protester contre les exactions qu’ils subissent, ils n’ont pas été appuyé par la France Insoumise ou par les autres groupes gauchistes qui réservent leur soutien exclusivement aux noirs et aux musulmans[15]. Cette indifférence en dit long sur le paternalisme de ces militants qui se posent en défenseurs de la diversité et comme les remparts au racisme et au fascisme. C’est une lutte anti-raciste opportuniste, à deux vitesses. Aux Etats-Unis on a du mal à parler du génocide des Amérindiens qui a été à l’origine de ce malheureux pays, et on ne le fait que par raccroc, comme une obligation. Cependant ce fractionnement des luttes pour la mémoire et la rectification d’une histoire officielle aboutit à l’inverse de ce qu’elle se donne comme but : à une concurrence mémorielle et à une balkanisation des mobilisations, chaque groupe ethnique voulant être considéré comme le plus martyrisé de l’histoire parce que ça peut procurer un certain nombres d’avantages notamment une visibilité qui fait de vous du jour au lendemain un homme ou une femme politique qui compte, on l’a vu avec Assa Traoré qui avec l’aide de Paris Match, journal macronien officiel, a parfaitement bien mené sa barque publicitaire, mais en même temps a montré qu’elle avait des appuis hauts placés[16]. 

Les Amérindiens à la pointe du combat écologiste en 2016 à Standing Rock 

La différence entre la Révolution culturelle chinoise et celle qui se joue depuis quelques années dans les pays occidentaux c’est que la première a fait des millions de morts, parce qu’essentiellement la première était le fait d’un parti organisé pour la prise du pouvoir et la dictature, tandis que la seconde est menée dans le désordre par des bandes d’intellectuels ou de semi-intellectuels sans boussole. On note cependant qu’en France comme aux Etats-Unis, elle est encouragée par une partie de la classe politique. Les soutiens de ce mouvement négationniste très étroit et divisé, chacun travaillant pour sa petite boutique, se trouve à l’aile gauche du Parti démocrate, et en France un peu partout dans la classe politique. Si les gauchistes ont abandonné la lutte contre le capitalisme, ils ont essaimé vers les autres partis en matière culturelle. En France ces thèses, bien qu’elles soient très marginales dans la population, sont vues avec une étrange bienveillance, à gauche comme à droite par les hommes politiques. Sans doute parce que ça sert de repoussoir, mais également à une fausse mobilisation antifasciste pour des militants désœuvrés. Aux Etats-Unis on sent aussi une grosse fatigue, notamment dans les rangs des afro-américains qui sont désignés comme des masses de manœuvres pour une fausse révolution culturelle ; et qui en ont un peu marre d’être désignés exclusivement comme des misérables à défendre ou comme chair à canon d’une révolution culturelle aux contours très obscurs. Un clou chassant l’autre, il est probable que ce mouvement disparate et mal encadré s’éteindra de lui-même dans l’indifférence, mais il faut le comprendre aussi comme le reflet d’un chaos que plus personne ne semble maitriser.   


[1] Alain Peyrefitte qui avait publié avec un grand succès Quand la Chine s’éveillera en 1973, était le même qui trouvait très bien le coup d’Etat de Pinochet au Chili cette même année.

[2] « Le point d’explosion de l’idéologie en Chine », in, Internationale situationniste, n° 10, 1967.

[3] Champ Libre, 1971.

[4] https://www.lefigaro.fr/livres/2016/12/08/03005-20161208ARTFIG00009-harper-lee-et-mark-twain-interdits-pour-racisme-dans-les-ecoles-de-virginie.php

[5] https://ingirumimusnocte2.blogspot.com/2020/10/des-mots-et-de-leur-usage-de-quoi-le.html

[6] https://www.diapasonmag.fr/a-la-une/aux-etats-unis-beethoven-victime-de-la-cancel-culture-31216

[7] https://www.motscles.net/blog/comment-ecrire-en-ecriture-inclusive

[8] http://j.poitou.free.fr/pro/html/cjk/reforme.html

[9] Qingya Meng, L’échec du voyage en Chine (1974) de Sollers, Kristeva, Pleynet et Barthes, Editions complicité, 2020.

[10] https://www.ledevoir.com/societe/education/588098/le-milieu-universitaire-denonce-une-attaque-contre-la-liberte-academique

[11] http://www.academie-francaise.fr/actualites/declaration-de-lacademie-francaise-sur-lecriture-dite-inclusive

[12] https://www.lalibre.be/international/statues-detruites-par-daesh-une-tragedie-atterre-affligee-54f0305f3570c187a8a88e6b

[13] https://ingirumimusnocte2.blogspot.com/2020/09/histoire-de-statues-charles-fourier.html

[14] https://acta.zone/enzo-traverso-les-deboulonneurs-de-statues-neffacent-pas-lhistoire-ils-nous-la-font-voir-plus-clairement/

[15] https://www.lemonde.fr/societe/article/2016/09/04/manifestation-a-paris-de-la-communaute-chinoise-contre-le-racisme-envers-les-asiatiques_4992321_3224.html

[16] https://www.parismatch.com/Actu/Societe/Assa-Traore-au-nom-du-frere-1690872

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