Langueux
Ce week-end, les salariés de Carrefour se sont mis en grève et ont bloqué 110 hypermarchés dans toute la France. Ils sont environ 100 000. Les revendications sont relativement simples : avec la pandémie de COVID le groupe a fait un chiffre d’affaire énorme et bien entendu les salariés ont dû travailler un peu plus intensément. Bien que certains aient touché quelques primes dont la prime Macron, ils réclament de participer un peu plus aux bénéfices, mais aussi ils contestent la politique d’embauche de cette chaîne de magasins qui use et abuse des possibilités d’emplois en alternances et des CDD, alors que la prospérité de la marque devrait lui permettre un peu plus de largesses. Ils dénoncent également les conditions de travail. Ils contestent également la vente des licences en franchise des petites Carrefour market qui pourrait aboutir à faire baisser les salaires. Comme on le voit les revendications ne manquent pas. Ce n’est pas la première grève des salariés de Carrefour, en 2018, ils avaient mené une grève exemplaire lorsque la direction prétendait diminuer les primes. Et ils avaient finalement gagné. Cette grève est très importante parce qu’elle annonce que les salariés sont très en colère et qu’ilsq ne supporteront pas d’être méprisés et maltraités tandis que les actionnaires encaissent les bénéfices sans travailler. En 2020 le bénéfice net de Carrefour a été de 1,06 milliards d’euros, soit une augmentation de 732 millions d’euros[1] !
Mérignac en Gironde
Cela nous amène aux réflexions suivantes. D’abord au fait que les trois syndicats présents dans l’entreprise, CGT, CFDT et FO, ont trouvé une forme d’unité syndicale qui est payante. La tactique mise en œuvre est de bloquer les entrées avec des chariots et de distribuer des tracts aux visiteurs éventuels. C’est ce qui avait été fait aussi en 2018. La combativité et l’unité sont les clés du succès. On remarque aussi que Carrefour est l’enseigne où les salariés ont un peu plus d’avantages sociaux que chez Auchan ou Géant Casino. Mais dans ces deux autres enseignes, les syndicats sont beaucoup moins actifs que chez Carrefour et que peut-être ils ne méritent pas le nom de syndicats de travailleurs. Il est vrai que la combativité des salariés de Carrefour ne s’est pas construite en un jour, il y a quelques années elle était encore relativement faible. Mais maintenant les salariés ont pris l’habitude de la lutte ce qui est assez amusant, car en sus de quelques avantages tangibles, on obtient la joie de voir le patronat reculer et baisser la tête. A Carrefour la grève est donc nationale. Et l’étendue de celle-ci pourrait donner des idées à ceux qui n’en ont pas encore sur les moyens de continuer à lutter. C’est le mouvement de grève le plus important depuis la grève de la SNCF qui a été si mal conduite en 2018 et qui n’a débouché sur rien.
Mont Saint Aignan
Les syndicats de Carrefour avancent que la mobilisation est
exceptionnelle. Elle a été particulièrement forte dans les Bouches du Rhône. C’est
une première étape qui teste la combativité des salariés dans une période très
difficile où les mesures limitatives prises pour combattre le COVID n’encouragent
pas les manifestations de masse. Ils rappellent que les élections ne sont pas
la seule façon de faire de la politique, il y a la grève, et puis aussi les
mobilisations autour des ronds-points, ou encore les occupations des théâtres. Plus
fortes sont les mobilisations, et plus les politiciens sont obligés d’en tenir
compte. Car en effet si on n’a pas trop d’idée pour qui voter en 2002 – du moins
moi je n’en ai pas – on peut toujours chercher des voies alternatives. La grève
générale n’est peut-être pas pour demain, mais nous devons rappeler que la
grande grève de Mai 68 a été précédée d’une kyrielle de manifestations pour la
défense de la Sécurité sociale, et de nombreux débrayages, notamment dans l’Ouest
du pays. Et que c’est consécutivement à ces mouvements de grève répétés que les
choses ont changé. Les lois ont été meilleures pour les droits des salariés,
les salaires un peu meilleurs. N’oublions pas que c’est aussi pendant les
grèves que les travailleurs prennent mieux confiance de leur force collective.
Bonneveine à Marseille les drapeaux CGT, FO et CFDT sont mêlés
La grève est donc un acte politique en qui se développe dehors des partis. Nous devons la soutenir, surtout à Carrefour où ce sont de nouveaux prolétaires qui y travaillent. Certes ils ne produisent pas directement la valeur, mais ils la font circuler et sans eux le profit n’existerait pas pour les actionnaires fainéants qui les exploitent indirectement simplement parce qu’ils ont des liquidités à leur disposition. Dans le monde gris où nous vivons aujourd’hui, c’est un moment de réjouissance, de rupture d’avec le train-train quotidien. C’est un premier pas vers la recherche de l’égalité. Mais c’est aussi un coup d’arrêt à la dégradation des conditions de travail dont tout le monde se plaint aujourd’hui pas seulement parce que les salaires sont faibles, mais aussi parce que les directions arrogantes refusent d’introduite un peu de démocratie dans l’entreprise et abusent de leur pouvoir dans la chaîne de commandement. Depuis une bonne douzaine d’années à la suite de la crise de 2008, la DARES analyse la dégradation des conditions de travail, notamment sur le plan psychologique[2]. Mais lorsque la crise économique dure trop longtemps, même si dans un premier temps elle n’incite pas les salariés à relever la tête, elle engendre des réactions afin que les salariés retrouvent leur dignité. Les Gilets Jaunes en furent une, la grève en est une autre. C'est tout de même plus sérieux que de déconner avec l'écriture inclusive ou le décolonialisme. En tous les cas, les grèves contestent cette idée débile selon laquelle le travail serait une marchandise comme une autre qu'on achète et qu'on vend comme on l'entend selon les lois du marché.
[1] https://investir.lesechos.fr/actions/actualites/carrefour-renforce-son-plan-d-economies-apres-une-hausse-de-ses-resultats-en-2020-1949897.php#:~:text=En%202020%2C%20ann%C3%A9e%20marqu%C3%A9e%20par,am%C3%A9lioration%20de%2017%2C9%25.
[2] https://www.20minutes.fr/economie/2191347-20171220-rythme-travail-comportements-hostiles-conditions-travail-salaries-francais-continuent-degrader
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