lundi 16 mai 2022

Annie Lacroix-Riz, Aux origines du carcan européen, Editions Delga, 2014

  

Pour tous ceux qui s’intéresse à l’Europe et qui veulent en comprendre la logique, ce livre est indispensable. Il y a deux façons de dévoiler les buts d’une action politiques, soit en regardant ses origines et qui sont les hommes qui l’ont construite, soit en regardant ses résultats qui ne peuvent être que ses finalités. Dans le premier cas, c’est l’objet du livre d’Annie Lacroix-Riz, on va voir que c’est une alliance du grand capital financier français avec le grand capital industriel allemand qui a conçu ce projet, et ce projet est très ancien, il remonte au début du XXème siècle, autrement dit, il n’est pas et n'a jamais été une réponse aux deux guerres mondiales. Dans le second cas, nous voyons que la réalisation des buts de la construction européenne est de construire un vaste ensemble continental qui devra s’étendre jusqu’à l’Ukraine, sous la direction de l’Allemagne. Cela a abouti à la destruction de l’industrie française et donc au rabaissement de la nation. On se plaint aujourd’hui de la disparition de notre industrie. Mais le problème est ancien et remonte au moins à l’entre-deux-guerres. L’Allemagne a toujours trouvé des hommes politiques corrompus pour appuyer son projet d’hégémonie continentale, de canailles comme André François-Poncet, l’homme du Comité des Forges, jusqu’à Macron, celui qui a revendu l’Alsace et la Lorraine à l’ennemi héréditaire, en passant par le banquier d’affaires Jean Monnet et le collaborateur Robert Schuman. Derrière cette soi-disant alliance – il faudrait parler plutôt d’allégeance – on mettait en avant la peur de voir l’Europe contaminée par le bolchévisme, comme aujourd’hui on vend la nécessité de renforcer l’Union européenne pour faire pièce aux soi-disant avancées des Russes sur le continent.

André François-Poncet et François Lehideux chevilles ouvrières de la collaboration avec l’Allemagne 

L’approche d’Annie Lacroix-Riz, basée évidemment sur des documents d’archive, est de montrer que l’idée européenne est une réaction de l’Allemagne pour faire pièce à la puissance américaine en dépeçant les autres pays européens, mais de façon aussi à s’entendre sur le partage du monde avec les Etats-Unis. Aujourd’hui nous voyons clairement que ce plan a réussi, en ce sens qu’en Europe le capitalisme français s’est contenté de la finance et a consciencieusement abandonné l’industrie à l’Allemagne. Annie Lacroix-Riz va montrer d’ailleurs que consécutivement à la fin de la Guerre d’Espagne, les grandes banques françaises, y compris la Banque de France, étaient favorables à ce que l’Allemagne mette la main sur les réserves d’or de la Tchécoslovaquie, de l’Autriche et de l’Espagne. Cet or sera très utile ensuite à Hitler pour renforcer son potentiel militaire et se lancer dans la guerre. Franco devant rembourser des soi-disant dettes de guerre, la Banque de France œuvra pour redonner l’or que les Républicains espagnols avaient confié à sa garde, à l’Allemagne. Indirectement, mais en toute conscience, les grands banquiers et industriels français travaillaient en sous-main pour l’avènement d’une Europe sous la direction de l’Allemagne, et donc aussi pour la mise en place d’un régime politique autoritaire en France, comme en Allemagne, en Italie et en Espagne, avec comme but ouvertement revendiqué une baisse des salaires, une cure d’austérité à l’échelle du continent. Cela devrait nous rappeler quelque chose. Mais les européistes sont tellement bornés qu’ils ne veulent pas voir la continuité du projet européiste d’aujourd’hui avec le projet capitaliste de l’entre-deux-guerres, et ils vont bêtement répétant que L’Europe c’est la paix comme des perroquets. Notez à ce propos que les classes supérieurement éduquées, la bourgeoisie dont, sont très sensible à cet argument qui est destiné à cacher la merde au chat. Les classes dites inférieures, les prolétaires, y sont moins enclines et comprennent assez facilement que l’Europe c’est l’austérité et la dégradation des conditions de travail au profit des grands capitalistes. On l’a vu lors du mouvement des Gilets jaunes. Les assemblées tiraient à boulets rouges contre l’Union européenne et avançaient que si le mouvement voulait être efficace il fallait proposer la sortie de l’Europe. On sait également que le succès du Brexit est largement issu d’un vote de classe. Les classes soi-disant instruites se bercent d’illusions et font semblant de croire les slogans de la propagande européiste, et que peut être un jour il y aura une Europe sociale ! Ce mensonge a été porté par les sociaux-démocrates à une époque où leurs partis étaient dominants sur le continent, sans que cela entraînât une amélioration visible des conditions sociales, au contraire, comme on le sait c’est à partir du tournant européiste de François Mitterrand que la part des salaires dans le partage de la valeur ajoutée a baissé. C’est le rôle que le grand capital a réservé à la gauche anti-communiste qui s’en est très bien accommodé depuis au moins la fin de la Première Guerre mondiale. 

Vous me direz que de relier directement dans le temps la situation d’aujourd’hui avec celle des origines et du mûrissement du projet de l’Europe institutionnelle, n’est pas le projet d’Annie Lacroix-Riz, pourtant il est latent. Dans l’entre-deux-guerres, ce sont les grands capitalistes allemands qui avancent ce projet, sous leur domination évidemment, mais à partir de 1945 – en fait un peu avant – ce sont les Américains qui vont mettre en place une Europe allemande. Leur but est triple, faire pièce au communisme qui pourrait se développer dans l’Europe de l’Ouest, ensuite reconstruire la puissance allemande afin qu’elle prenne le leadership de l’Europe future. Les Allemands auront énormément d’argent, comme en 1918 pour se refaire une santé, tandis que le refus des Américains d’envisager le paiement des réparations pour les pays qui avaient été pillés, comme la France, pénaliserons le redéploiement des pays européens du sud de l’Europe. Enfin, évidemment profiter du marché européen pour y déverses ses marchandises et grâce à leur abondance de capitaux mettre la main sur de belles affaires. Incidemment les Américains mettront aussi un peu plus sur la touche l’Angleterre pour l’affaiblir dans son Empire et peu à peu la remplacer. 

Les pères de l’Europe, à gauche, Jean Monnet, banquier et agent des Américains, à droite Robert Schuman, pétainiste et déjà défenseur avant-guerre d’une Europe allemande 

De Gaulle ou pas, la France fut roulée dans la farine au nom de la nécessaire construction européenne. Tout était en place à la Libération pour commencer la désindustrialisation de la France, et celle-ci s’est achevée avec Macron. Bien pire que la désindustrialisation qui a fondé la puissance allemande d’aujourd’hui, il y a cet abandon de l’idée de souveraineté nationale par la plupart des hommes politiques de tout de bord. Malgré les échecs accumulés tout au long du vingtième siècle et au début du XXIème siècle, force est de constater que le monde d’aujourd’hui est construit sur une longue patience des grands capitalistes. Les lettres que Annie Lacroix-Riz exhibent sont édifiantes de l’existence d’un plan à long terme. On ne peut pas dire que c’est Annie Lacroix-Riz qui est complotiste, mais ce sont bien les agents de la canaille du grand capital qui complotent, même si ces complots ne marchent pas toujours comme ils le drvraien. Oublier cette dimension c’est passer complètement à côté du sujet, par exemple en pinaillant sur l’existence ou non de la Synarchie en tant qu’organisation formellement structurée comme le fait bêtement Olivier Dard[1]. Les archives parlent d’elles-mêmes. Annie Lacroix-Riz valide l’existence de cette organisation complotiste à la solde du grand capital par des notes des RG avant la Seconde Guerre mondiale. 

Femmes françaises, 10 août 1945 

Le passage sur la question du protectionnisme est très intéressant. C’est en luttant contre le protectionnisme que l’idée de grand marché européen s’est imposée dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il y avait des réticences du côté français, essentiellement parce que le libre échange ne profite qu’à la partie la plus forte, celle qui a l’avance technologique et capitalistique. C’est ce que disait déjà Friedrich List[2]. Et donc dès 1946 on voyait clairement que le projet européen qu’on habillait avec les habituelles stupidités du type L’Europe c’est la paix, était un projet germano-américain. Les Etats-Unis pendant que les capitalistes français et allemands qui pour la plupart avaient adhéré au projet européiste nazi, déversait des milliards de dollars pour rentre l’Allemagne encore plus compétitive. Pour le reste ils se contentaient de l’appui des grandes banques française et du chantage exercé sur les politiciens français pour qu’ils se plient à leurs exigences. Cette collusion n’empêchait pas toutefois des rivalités entre le capitalisme allemand et le capitalisme étatsunien, mais ils savaient se retrouver pour dépouiller la France de ses industries, ce qui commence avant la Seconde Guerre mondiale avec le développement des cartels sous domination allemande, et ce qui s’accélérera vraiment après la création du Grand Marché en 1968. L’élargissement a poursuivi un triple but, d’abord désamorcer les contestations, si par hasard quelque trublion souverainiste arrivait au pouvoir en France, et on a consolidé cet immobilisme avec des traités quasi-impossibles à modifier autrement que dans le sens d’un renforcement de l’hégémonie allemande. Ensuite faire en sorte que l’idée même de nation apparaisse incongrue et déplacée – sauf pour l’Allemagne dont la constitution est toujours au-dessus des traités européens. Enfin se doter de capacités pour s’étendre à l’Est, vieux rêve germanique depuis la nuit des temps et qui se précise sérieusement avec la guerre en Ukraine. Symétriquement ce projet ruineux pour les plus pauvres s’appuie sur la mise en scène d’un ogre russe qui nous menacerait. Ce fut le cas avec la lutte contre le bolchévisme, mais c’est encore toujours le cas, alors que la Russie de Poutine n'a plus rien de communiste. Une des raisons qui a fait que les industriels français ont accepté les clauses léonines de la construction européenne, est explicitement la possibilité de maintenir des bas salaires, preuves à l’appui bien entendu. C’était, et c’est toujours l’obsession du grand patronat et de ses valets – aujourd’hui c’est le clown Gilbert Cette qui au nom de la commission du SMIC réclame une non-revalorisation du SMIC, ce qui veut dire en réalité une baisse des salaires – que de maintenir une pression constante sur les salaires pour que les profits soient le moins rognés possible. Que cela passe par la mise en œuvre du projet européiste hitlérien ou du projet germano-américain, cela l’indiffère. Après la guerre on le sait les hommes de main du grand capital, Monnet, Schumann, De Menthon, etc. Mettrons en place cette construction dans des rencontres secrètes, à l’abri du regard des curieux, avec l’aide de l’argent américain, mais aussi des syndicalistes de FO et de la CFTC au nom d’un anticommunisme pourtant hors de saison. 

L’idée même de monnaie unique basée sur la valeur du mark était déjà dans l’air avant la guerre et repris beaucoup de sa vigueur ensuite. On sait ce que cela nous a coûté en termes de désindustrialisation, de chômage et de niveau de vie. Récemment une étude allemande a montré à quoi aboutissait l’intégration totale des économies européennes[3]. Cette étude que je cite souvent a été contesté, évidemment par ceux qui tentent de nous convaincre que l’Europe c’est la paix et la prospérité pour les mille prochaines années. Hitler avait tenté ce coup-là, mais personne n’y a cru, aujourd’hui les Grecs qui ont été pillés dans tous les sens du terme par l’Allemagne, savent parfaitement à quoi s’en tenir, et s’ils restent dans l’Europe encore aujourd’hui, c’est seulement parce que les hommes politiques qui sont censés les représenter sont totalement corrompus. On remarque que l’obsession de l’austérité salariale se double également dans la construction européenne de l’idée de récupérer sur le long terme les pays d’Europe centrale et orientale passés sous la tutelle de la Russie. Déjà il était fait mention de l’importance de l’Ukraine pour l’élargissement de l’impérialisme allemand, mais c’était simplement une reprise de la quête allemande d’un élargissement à l’Est dans les années trente. Ce qui nous éclaire un peu sur ce qui se passe aujourd’hui dans cette région qui va sans doute, neutralisation ou non, basculer dans le camp occidental. 

Edmond Giscard d’Estaing, ancien du PSF, détenteur de la francisque, collaborateur avéré et synarque, promoteur de l’austérité salariale au début des années cinquante, à droite le Pape Pie XII, farouche défenseur de la construction européenne qui a tant fait pour sauver les nazis allemands, les exfiltrer ou le remettre dans leurs droits 

A mon sens l’ouvrage d’Annie Lacroix-Riz est un livre capital pour tous ceux qui veulent comprendre quels ont été les buts de la construction européenne qui reçut la bénédiction du Pape Pie XII, le recycleur en chef de nazis. En vérité ces buts étaient non seulement déjà là au début du XXème siècle, mais ils étaient déjà les mêmes dans la démarche brutale d’Hitler pour les réaliser. L’idée fut reprise avec la patience de l’araignée par les droites, en France, en Allemagne et bien sûr avec le soutien actif des Etats-Unis, mais cette fois avec d’autres moyens, on utilisa l’arme de la distribution des crédits américains, puis celle de l’union monétaire, en lieu et place des tanks et des avions. L’Allemagne n’en continua pas moins à piller le reste de l’Europe, sans même avoir eu l’idée un jour de rembourser ses dettes de guerre. Les Grecs en ont fait l’amère expérience lors de la crise de l’euro. Ils ont eu beau réclamer le remboursement de l’or que les Allemands avaient volé. Manolis Glezos évaluait le préjudice à 162 milliards d’euros[4]. Mais les Grecs ont dû subir la double peine, non seulement les Boches leur ont craché dessus en refusant de verser quoi que ce soit, mais ils ont exigé par l’intermédiaire du docteur fou Wolfgang Schaüble des malheureux Grecs un dépeçage de leur économie, une braderie en fait où la canaille allemande a fait des affaires inattendues, entre autres parce qu’Alexandre Tsípras a démontré sa capacité inouïe de fourberie et que les autres nations, dont la France, ont laissé faire.  Aujourd’hui, si les peuples sont très hostiles à l’Europe, la Grèce, l’Italie, les Pays-Bas et la France, proches de la sortie, les hommes politiques ne veulent pas en entendre parler. Ils font comme s’il était possible de retrouver la souveraineté nationale dans le cadre européen ! Les plus audacieux font semblant de croire que les traités européistes peuvent être changés. Du reste quand on attend quelque chose des hommes politiques de profession, on est certain d’être toujours déçu. Leur remettre le pouvoir du peuple les incite forcément à la trahison. En ce moment on joue beaucoup avec la peur de la guerre pour tenter de nous rallier à l’idée d’une défense européenne à cause de la guerre en Ukraine. En annexe de son ouvrage Annie Lacroix-Riz publie une note du Commissaire adjoint de la République en Allemagne, dans laquelle, en 1952, il met en garde contre l’idée d’une armée européenne qui rapidement tomberait sous la coupe de l’Allemagne, avec tous les inconvénients qu’on imagine. Macron, agent de l’Allemagne et du grand capital, young leader aussi, donc formé aux Etats-Unis, milite dans ce sens sans vergogne bradant le peu qu’il reste de notre souveraineté nationale. 

Voilà le livre qu’il faudrait faire lire à nos lycéens pour leur donner des armes pour comprendre ce qu’est vraiment l’Union européenne et son projet. Bien que je sois anti-européiste depuis que je suis né, j’ai tout de même appris énormément de choses dans cet ouvrage d’Annie Lacroix-Riz, des éléments qui précisent notre combat contre l’Union européenne, boutique à la solde du grand capital, aussi bien faite pour accroitre les profits et abaisser les salaires, mais également pour distiller le poison d’une pensée au service de la destruction des nations et de leur culture. 



[1] Olivier Dard, La synarchie ou le mythe du complot permanent,

[2] Système national d’économie politique, Capelle, 1857

[3] https://www.cep.eu/fileadmin/user_upload/cep.eu/Studien/20_Jahre_Euro_-_Gewinner_und_Verlierer/Les_Etudes_du_cep_L__euro_a_20_ans.pdf

[4] https://www.lemonde.fr/europe/article/2012/02/17/l-allemagne-a-t-elle-une-dette-de-guerre-envers-la-grece_1644633_3214.html

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