dimanche 20 octobre 2024

Les anars de droite existent-ils ?

   

C’est une vieille lune que de parler d’anars de droite. Ça revient périodiquement. Cette saison c’est Valeurs actuelles qui s’y colle. Dans doute en manque de liquidités, ce triste canard nous pond un hors-série. L’idée générale est que la droite – plus ou moins extrême – serait productrice d’idées et de valeurs drôles et attrayantes, voire même intelligentes. La droite entend donc profiter de l’effondrement de la gauche sur le plan intellectuel pour tenter de nous dire que c’est bien à droite que le sens de l’histoire s’inscrit. On notera facilement l’imposture qui consiste à mettre ensemble anarchie – qui caractérise clairement la critique de toute forme de pouvoir – avec l’idée de droite – qui à l’inverse est un soutien avoué d’un pouvoir fort et des institutions. Le nazi Céline est la tête de gondole de ce petit commerce des idées fausses. Or, l’auteur de Bagatelles pour un massacre était un soutien militant des nazis et de l’éradication des Juifs de la surface de la terre, ce qui se marie difficilement avec l’idée d’une négation du pouvoir. Petite crapule corrompue, il hantait pendant l’Occupation les salons afin de se faire distribuer quelque prébende par le maitre allemand. Bien entendu Valeurs actuelles qui aime mentir par omission n’insiste pas sur ce passé peu ragoutant. Dans la même lignée que Céline, on nous présente des résidus de collaborateurs, Michel Audiard, comique troupier, dont on passe l’antisémitisme à la trappe ou Albert Simonin qui fit plusieurs années de prison pour ses écrits antisémites. Une partie de cette bande sera recyclée par les Hussards à la Table ronde ou chez Gallimard. L’idée globale de ce numéro hors-série est, en dehors de vendre du papier, de démontrer qu’à droite aussi on peut rigoler et avoir une attitude iconoclaste. Mais enfin certaines de ces vedettes qui prônent le retour de la monarchie ou d’une église catholique de combat, ne peuvent, malgré leurs cris d’orfraie, se réclamer de l’anarchie en voulant restaurer un ordre hiérarchique ancien.     

 

L’antisémite Michel Audiard fut rattrapé très tardivement par son passé[1]. Dans certains articulets de cette époque, cet histrion parlait de Joseph Kessel comme d’un petit youpin. Il s’était fait passer un petit moment pour un résistant, se procurant une carte de résistant on ne sait trop comment. Mais en vérité c’est cet antisémitisme initial qui va plus tard alimenter ses positions anti-résistancialistes. Il mettra donc en scène quelques souvenirs – sans doute inventés – de l’épuration pour nous faire croire deux choses : d’une part que les épurateurs étaient des résistants de la 25ème heure et d’autre part que cette épuration sauvage a été aussi sordide que les exactions des Allemands au moment de l’Occupation[2]. Cet amalgame honteux lui permettant de se situer dans un entre-deux qui n’existait pas. On peut d’ailleurs voir un peu de cette position dans des films comme Un taxi pour Tobrouk. Valeurs actuelles parle également de José Giovanni comme ayant été jugé pour faits de collaboration, ce n’est pas le cas. Il avait été condamné à mort pour avoir à la fin de la Seconde Guerre mondiale torturé et tué un juif dont il voulait s’emparer de ses biens avec quelques complices[3]. José Giovanni avait été aussi membre du PPF de Jacques Doriot, parti qui ne prônait pas l’anarchie, loin de là. Il est  très probable que Giovanni ait ensuite regretté ses engagements de jeunesse, et à la limite son profil est devenu par la suite celui d’un anarchiste apolitique, il ne votait pas et évitait de se mêler des débats politiques, militant pour l’abolition de la peine de mort allant jusqu’à célébrer l’assassinat d’un dictateur qui ressemblait à Franco dans Où est passé Tom ?    

Michel Audiard, écrivait des textes antisémites pendant l’Occupation

Le cas de Léo Malet devrait être traité à part et cela pour deux raisons, la première est que ses écrits publiés, tous intégralement peuvent se réclamer de l’anarchie.  C’est d’ailleurs par ce biais qu’il rencontra les surréalistes et André Breton et qu’il manifestera dans Brouillard au pont de Tolbiac une sourde nostalgie pour son compagnonnage avec les anarchistes révolutionnaires. Il est vrai que par la suite il effectuera un virage à droite, d’abord en se rapprochant des gaullistes et de l’Algérie française, puis en prenant des positions de plus en plus ouvertement hostiles à l’immigration ce qui avait horrifié Libération[4]. Si cette dernière partie de son parcours est véritablement le fait d’un homme de droite, son œuvre publiée milite pour nous dire exactement le contraire. Lui-même dira qu’il est normal qu’en vieillissant on évolue de l’anarchie vers la droite. Le cataloguer comme anarchiste de droite est complètement abusif au vu de son parcours, car c’est en abandonnant ses positions initiales anarchistes justement qu’il devint un homme de droite, un homme d’ordre. Mais il reniera jamais son anticléricalisme.

 

On nous dit qu’anar de droite ce serait finalement non pas une position politique, mais une sorte d’état d’esprit léger et moqueur. En vérité cette soi-disant légèreté que périodiquement on nous vend à propos des Hussards et de Blondin, n’est que la conséquence du fait que ces gens-là, proches de la collaboration appartenaient au camp des vaincus politiquement et c’est cela qu’ils mettaient en scène. Évidemment si on s’en tient à l’étymologie du mot anarchie, il est difficile de voir de l’anarchie chez des gens comme Barbey d’Aurevilly voire Bernanos défenseur de l’Église et de la calotte. Et donc cet incongru canard de Valeurs actuelles qui soutient que Brassens et son ami René Fallet seraient des gens de droite qui s’ignoraient relève évidemment de l’imposture. Je n’ai pas une grande estime pour les positions politiques de Brassens, mais de là à le classer à droite, il y a de la marge. Pour agréger ces deux derniers noms à leur catalogue, Valeurs actuelles qui sent tout de même un peu l’encensoir, va invoquer une forme de conservatisme qui en quelque sorte serait de droite, mais il me semble qu’on peut avoir un regard critique sur les excès du progrès dans la vie moderne sans pour autant être de droite. Cet étiquetage louche qui veut faire rentrer à tout prix n'importe qui dans un face à face gauche-droite aboutit nécessairement à des fautes graves. Par exemple dire que Frédéric Dard est un homme de droite n’a strictement aucun sens, lui-même disait qu’il n’était pas anarchiste et qu’il avait toujours voté à gauche, pour la gauche modérée si vous voulez, mais à gauche tout de même. Ce fut d’ailleurs un des motifs de sa dispute avec Léo Ferré qui, anarchiste révolutionnaire et anticlérical ne votait pas. Également le confusionnisme règne à propos du sinistre Gérard de Villiers qui a vendu des millions d’exemplaires des aventures de son héros S.AS. Même en cherchant bien on ne voit pas très bien ce qui peut de près ou de loin rattacher cet individu à l’anarchie. De droite il l’était certainement, raciste, atlantiste, prônant la domination des Etats-Unis sur le reste du monde.     

Mais ce catalogue hâtif nous intéresse pour autre chose. Le fait que ce qui domine et qui est réuni abusivement ici, soit principalement des gloires du passé. Et aujourd’hui s’il n’existe pas d’intellectuels de gauche de dimension sérieuse, il n’existe pas plus d’intellectuels de droite intéressants. Boudard est décédé depuis un quart de siècle et peu de gens le lisent encore, mais s’il avait un vieux fonds d’anarchie en lui – il ne votait pas – je ne crois pas qu’il se serait reconnu dans « les idées de droite ». Également aller chercher Desproges qui n’en demandait pas tant ou Sylvain Tesson montre que si la droite et la droite extrême peuvent avoir un succès très relatif sur le plan électoral, culturellement c’est aussi proche du néant qu’Annie Ernaux ou Edouard Louis. Plus sérieusement il semble que les notions de droite et de gauche soient aujourd’hui totalement périmées. Je crois qu’il faut plutôt parler de systèmes économiques et sociaux opposés, l’un qui considère que le capitalisme et la réussite individuelle à n’importe quel prix sont le but, et l’autre qui considère que l’accumulation de biens, et la consommation de marchandises nuisent à l’épanouissement des mœurs. Vouloir faire rentrer des personnalités du monde de la culture dans des cases étriquées, gauche ou droite, revient à la caricature. 



[1] Temps noir, numéro 20, octobre 2017.

[2] La Nuit, le jour et toutes les autres nuits, Denoël, 1978.

[3] Temps noir, n° 16, 2013.

[4] Cédric Pérolini, Léo Malet mauvais sujet, Nestor Burma passe aux aveux (préface de Patrick Pécherot, avec un inédit de Léo Malet : Sur le roman policier), L'Atinoir, 2010

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