La mobilisation du 18 septembre 2025 a été un demi-succès ou un demi-échec, comme on veut. Comme d’habitude, la police politique dénombrait 500 000 manifestants et les syndicats 1 000 000. Mais quoi qu’il en soit de ces chiffres et de leur exactitude, c’était inférieur au moins de moitié au rassemblement syndical contre l’ignoble réforme des retraites. Le 18 septembre 2025 l’ensemble des syndicats étaient présents, même le syndicat jaune de la CFDT, conscient de l’impopularité du gouvernement démissionnaire et de celui qui arrive, était venu. Le mouvement aurait dû s’appuyer sur une grève très large pour lui donner de la force. Ce ne fut pas le cas. Les débrayages furent sporadiques, même dans les secteurs comme la SNCF et l’Éducation nationale qui en général fournissent les plus gros bataillons de grévistes. Il y a eu des blocages, notamment l’hypermarché de Carrefour en Seine Saint-Denis, mais ce fut anecdotique. Dans le tableau suivant, on a rassemblé quelques chiffres des mobilisations syndicales depuis 1995, chiffres issus aussi bien de la police politique que des organisateurs, et on voit assez bien que ce ne fut pas un grand rassemblement. Le chef de la milice, Bruno Retailleau, démissionnaire, était très content de la relative faiblesse de cette mobilisation. Il avait déployé un dispositif policier impressionnant pour étouffer toute velléité de débordement, et cela d’ailleurs avec l’assentiment des bureaucraties syndicales. Comme d’habitude, on voyait les manifestants très sagement guidés et encadrés par la milice suivre le parcours qu’on leur avait demandé de suivre pour ne pas trop déranger.
D’une manière ou d’une autre, la question du nombre est décisive. Si les rassemblements sont très fournis, ils échapperont à la récupération des partis politiques et des bureaucraties syndicales, et ils encourageront une éventuelle suite à donner. Il va de soi que la colère est là. Mais les Français qui considèrent le nouveau premier ministre comme un clone du précédent, sont sans illusion, autrement dit, ils ne croient pas en eux et à leur capacité de renverser la vapeur. Les lycéens, les étudiants qui devaient fournir le fer de lance de la contestation ont été très discrets, les velléités de blocage se heurtant à l’indifférence de leur public. Sans doute le fait que le gouvernement de Lecornu n'ait pas encore été nommé a pu freiner la mobilisation, mais cela ne suffit pas à expliquer cette relative faiblesse. Parmi les raisons qu’on peut avancer, il y en a qui tiennent à la difficulté des salariés de trouver un emploi et d’arriver jusqu’à la fin du mois, ce qui veut dire qu’en faisant grève tu perds une journée de salaire nécessaire.
La seconde raison est, il faut le dire, la très mauvaise image des syndicats. Moins de 8% des salariés sont syndiqués en France, soit encore moins qu’aux Etats-Unis, et la moitié de ce qu’il en est au Japon ou en Allemagne. A la sortie de la Seconde Guerre mondiale ce taux de syndicalisation était de 45% ! On peut parler d’un effondrement. Cette mauvaise image des syndicats est évidemment de la responsabilité des bureaucraties syndicales qui apparaissent souvent en décalage par rapport à ceux qu’elles sont censées représentées. La presse n’y est pas pour rien non plus. En 1968 elle leur était plutôt favorable, aujourd’hui dès qu’il y a une grève, les journalistes corrompus se jette sur l’appât pour dénoncer les blocages ou « les voyageurs pris en otages ». Globalement les médias de grand chemin déversent toute l’année et en toute occasion une image négative. Mais elle est aussi construite par les différents gouvernements, notamment ceux de Macron, qui ont tout fait pour déposséder les syndicats de leurs capacités de négociations. Pour dire les choses plus clairement, l’État s’est substitué aux syndicats pour les négociations avec le patronat. Or celui-ci a trouvé une échappatoire avec les gouvernements successifs qu’il a soutenu depuis la Libération pour contester toutes les avancées sociales. Autrement dit les salariés ont obtenu plus d’avantages sociaux grâce à la loi – Sécurité sociale, réforme des retraites de 1981, salaire minimum, etc. – que par la négociation directe avec le patronat. Le MEDEF, anciennement CNPF, c’est clairement le bureau des pleurs. Et le patronat a obtenu beaucoup grâce aux hommes politiques corrompus qu’il a contribué à nommer, réforme du droit du travail, grasses subventions, abaissement des taxes et des cotisations sociales patronales. Quand le gouvernement penche nettement à gauche, comme à la Libération ou en 1981, les salariés obtiennent une amélioration nette de leurs conditions d’emploi. Mais cela n’est plus le cas depuis 1983 en France. La France est devenue le pays de la plus faible syndicalisation en Europe. Et c’est pour ça que les pleurnicheries du MEDEF sur les nuisances engendrées par les syndicats sont une comédie honteuse qui ne révèle que la cupidité de cette engeance. Mais aussi pour cela que sporadiquement en France les mouvements sociaux prennent une tournure un peu sauvage, c’est-à-dire qu’ils débordent un encadrement traditionnel. Ce fut le cas avec le grand mouvement des Gilets jaunes, et avant bien sûr avec Mai 68 qui s’est appuyé sur une grève générale qui fut la plus longue de l’histoire de la France. Cette grève inattendue s’est d’ailleurs développée en dehors de la volonté syndicale, dans ce cas précisément, les bureaucraties syndicales furent contraintes et forcées de s’aligner ! Bien évidemment les bureaucraties syndicales ont aussi leur part de responsabilité dans ce désamour.
A Toulouse la manifestation
était sage et encadrée par la milice
Dans l’échec relatif de la mobilisation du 18 septembre
2025, il y a sans doute aussi les formes de celle-ci qui ne semblent plus
adaptées. Défiler en fanfare avec des camions munis de haut-parleurs, des forêts
de drapeaux de la CGT pour marquer le territoire, tout cela dissuade, comme les
drapeaux palestiniens qui polluent les cortèges. La plupart des personnes
révoltées contre Macron et son gang ne se sentent pas forcément proche de la
CGT, de FO ou de la CFDT, comme ils ne se sentent pas représentés par les
partis de gauche. 80% des Français rejettent Macron, mais seulement 25% des
électeurs votent à gauche. C’est dire que le mouvement social ne peut trouver
son renouveau que dans une démarche transpartisane. D’ailleurs tous les
mouvements qui ont fortement mobilisé depuis la fin de la dernière guerre étaient
des mouvements transpartisans, pratiquement jamais organisés par les syndicats
et les partis de gauche. Il ne faut pas sous-estimer non plus dans l’échec
relatif de ces mobilisations le rejet des formes niaises de la manifestation. Cela
va de la musique bruyante et idiote, jusqu’aux slogans ânonnés sous la
direction du détenteur du portevoix qui donne le la. Cela tue la spontanéité
il me semble cette forme soi-disant festive de déambulation, déguisés avec des
gilets rouges.
Montauban, le 18 septembre
2025
Dénoncer les formes inadéquates de ces manifestations ne veut absolument pas dire que je les dénigre, bien au contraire. Mais il faut en dénoncer les insuffisances si on veut que les choses changent. La caporalisation des mouvements de révolte finit toujours par les vider de leur sens. Si à court terme je ne vois pas de débouché sérieux dans la lutte contre l’oligarchie, je suis plus optimiste pour le moyen et long terme. Mais il faudra abandonner l’illusion gauchiste qui consiste à croire qu’une avant-garde soi-disant instruite puisse guider le peuple. Celui-ci possède bien plus de sagesse et de savoir que les militants des groupuscules politiques – j’y inclus les partis de gauche, y compris la FI – qui sont le plus souvent en décalage avec ceux qu’ils prétendent représenter. Je ne prendrais que deux faits : les militants sont hostiles à toute limitation de l’immigration, les Français massivement sont pour à 80%, les militants approuvent Macron dans sa volonté de reconnaitre un État palestinien, alors que la très grande majorité des Français considère que reconnaitre un État palestinien qui n’existe pas alors que le Hamas existe encore est un non-sens. Ces deux questions ne concernent pas directement le mouvement social, mais elles montrent comme les militants semi-habiles de groupuscules politiques visent à la récupération afin de faire avancer leurs idées qui ne sont pourtant pas soutenues par la base. C’est sans doute pour cette raison que les groupuscules trotskistes qui racontent toujours la même chose depuis au moins Mai 68 sur l’immigration comme sujet central, restent des groupuscules, alors qu’ils ont cette prétention extravagante à devenir des partis de masse ! Il y a là sans doute une forme de schizophrénie à vouloir d’un côté incarner les aspirations des masses laborieuses et d’un autre avancer des mots d’ordre auxquels ces mêmes masses ne sont pas près d’adhérer.
À Marseille on a étiré le
cortège comme d’habitude
Il n’y a pas lieu de se réjouir de la mobilisation du 18
septembre, il n’y a pas lieu non plus de se désespérer. Il est temps de
réinventer des formes de lutte plus adéquates à la situation décomposée de la France
d’aujourd’hui. Tenter de répéter les formes anciennes de mobilisation qui ont
eu du succès semble relever de la paresse intellectuelle et voué à l’échec.
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