jeudi 16 octobre 2025

La démondialisation des échanges, un changement de doctrine capital

 

Trump annonce de nouveaux droits de douane, dont 100% pour les médicaments

Ce qu’on appelle la guerre commerciale, ce n’est rien d’autre que la fin de la mondialisation. L’inconstant Trump vient une fois de plus d’annoncer des surtaxes démentes sur un certain nombre de produits : 100% sur les médicaments importés, 50% sur les éléments des meubles de cuisine, 25% sur les camions[1]. Ces nouvelles taxes entreront en vigueur dès le 1er octobre. Les européistes et en général ceux qui pensent que l’abaissement des barrières tarifaires et le libre-échange sont un facteur de développement économique vont hurler. La décision de Trump est, quoiqu’on pense de lui, d’abord fondée sur le creusement du déficit commercial qui clairement ruine les Etats-Unis. Le déficit commercial des États-Unis s'est fortement creusé pour atteindre 78,3 milliards de dollars en juillet 2025, le plus élevé depuis quatre mois, par rapport à un déficit révisé de 59,1 milliards de dollars en juin et des prévisions d'un déficit de 75,7 milliards de dollars. Depuis environ 60 ans, le déficit commercial des Etats-Unis avec le reste du monde s’est creusé. Et c’est d’ailleurs une des raisons qui ont fait de la Chine une des premières puissances économiques d’aujourd’hui. Les taxes souvent désordonnés mises en place par Trump sont d’abord une tentative de limiter ces déficits, autrement dit de rendre les Etats-Unis moins dépendants des marchés extérieurs. Le déficit commercial est toujours un appauvrissement du pays. Il est d’ailleurs curieux que les économistes qui se focalisent sur les déficits publics ne s’occupent que très peu du déficit commercial qu’ils ne voient que comme le résultat d’une trop faible compétitivité. Mais après tout on pourrait mettre des règles dans la Constitution à la fois d’un équilibre budgétaire et d’un équilibre du commerce extérieur. Car le déficit budgétaire est souvent la contrepartie du déficit commercial. 

C’est un changement de doctrine capital. En effet entre 1960 et 2025 très précisément, les Etats-Unis ont tout fait pour promouvoir le libre-échange, les Européens ont suivi et les économistes ont marché généralement pour justifier cette politique. La vieille idée théorique est celle des avantages comparatifs de David Ricardo qui, au début du XIXème siècle énonce avec un calcul bidonné que chaque pays doit se spécialiser dans la production où il est le plus compétitif. Il prend pour exemple les échanges entre le Portugal et l’Angleterre, le premier doit se spécialiser dans le vin et le second dans le textile[2]. Bien entendu depuis Ricardo on a présenté un peu différemment les choses, mais le principe n’a pas changé. Or périodiquement, tel ou tel pays, remet en question les accords de libre-échange. En 1892 c’est en France la loi Méline qui fait passer le taux de douane moyen français de 8,2 % entre 1889 et 1891 à 11,4 % sur la période 1893 et 1895. Le tarif moyen sur les importations agricoles passe de 3,3 % sur la période 1881/1884 à 21,3 % sur entre 1893 et 1895. Cette loi très décriée qui avait pour but d’abord de défendre l’agriculture française, a eu clairement pour conséquence de relancer la croissance de l’économie française, quoiqu’en ait dit ensuite Alfred Sauvy par exemple. Les défenseurs du libre-échange supposent que cela abaisse les prix mondiaux et donc stimule la consommation et la production. 

Les déterminants des échanges entre pays différents - Sciences économiques  et sociales (SES) - Terminale générale - Fiche de révision | Annabac

Les avantages du libre échange selon Ricardo 

 Mais le libre-échange a pour principal défaut de générer des déséquilibres des balances commerciales durables. C’est ainsi que depuis quarante années le déficit commercial des Etats-Unis avec les pays asiatiques et principalement la Chine se creuse comme on le voit dans le graphique ci-dessous. Les Etats-Unis pensaient que ce déficit commercial pourrait être compensé par la vente des services financiers et par les produits high-techs. Mais les pays asiatiques qui ont engendré des bénéfices colossaux du libre-échange, ne sont pas resté dans la position de simples produits manufacturiers. Leur production est montée en gamme dans tous les domaines, et les Chinois sont par exemple leaders dans la production de voitures électriques, des puces électroniques et de panneaux photovoltaïques. Cette montée en gamme était inévitable, les Chinois ayant misé sur une élévation continue du niveau d’éducation. Pire encore les Chinois se sont peu à peu passer des services financiers étatsuniens.

Rivalité Chine-Etats-Unis : le commerce extérieur et la stratégie "Made in  China 2025" dans le viseur

En France l’accroissement du déficit commercial à partir de 2000 est directement corrélé avec l’intégration de la monnaie unique qui a été très mal négociée, accroissant le prix des produits français à l’exportation et facilitant l’introduction des produits Allemands, Polonais, ou autre sur notre territoire. En 2024 pour la première fois depuis des décennies, la France importe plus de produits agricoles qu’elle n’en exporte, alors que pendant longtemps elle était leur première exportatrice au monde[3]. Ces deux exemples nous montrent que le libre-échange n’est pas une politique gagnant-gagnant, il y a des perdants et des gagnants. C’est quelque chose qu’on connait depuis au moi Antoyne de Montchrestien : le libre-échange est un jeu à somme nulle[4]. Parmi les raisons qui expliquent ces déséquilibres persistants, il y a le fait que le libre-échange est le plus souvent imposé par les nations dominantes qui trouvent là une possibilité d’exporter leurs surplus, et que ce libre-échange bloque les pays les moins développés sur les segments inférieurs du marché. Il n’a jamais été prouvé statistiquement que le libre-échange stimulait la croissance économique, autrement dit la relation entre l’ouverture et la croissance n’est pas claire : est-ce parce que la croissance est forte qu’on échange, ou au contraire est-ce que c’est parce que l’ouverture est importante que la croissance est forte. Les Trente Glorieuses qui ont été des années de forte croissance en France, bénéficiaient d’une relative fermeture des marchés nationaux. 

DÉFICIT COMMERCIAL SANS PRÉCÉDENT EN 2022 

Les enjeux d’une relative fermeture des marchés nationaux dépassent cependant la simple question du rééquilibrage de la balance commerciale. En effet on sait depuis au moins James Steuart[5] que les périodes d’ouverture des économies nationales s’accompagnent généralement d’une baisse des salaires pour cause de concurrence, et qu’au contraire les périodes de relative fermeture sont favorables à la hausse du pouvoir d’achat. Si je regarde le graphique ci-dessous, on voit qu’entre 1960 et 1983 la part des salaires dans la valeur ajoutée augmente régulièrement et de façon concomitante celle des profits diminue. 1983 correspond au tournant néo-libéral avec l’orientation européiste du gouvernement socialiste dirigé à cette époque par Laurent Fabius. C’est également à cette époque que le sinistre Jacques Delors détachera la hausse des salaires de l’inflation. L’idée stupide est de pousser la France sur la voie de la concurrence tous azimuts, avec les privatisations qui suivront. C’est bien sûr comme cela que les très riches vont s’enrichir toujours plus d’une manière indécente. Les politiciens véreux prendront le relais pour affirmer que la France doit être de plus en plus compétitive ! Mais on se rend compte que depuis 1983, les gains de productivité du travail ont été tous confisqués par les patrons, sans que cela soit le résultat du jeu du marché, mais parce que des lois ont été votées dans ce sens pour rétablir les marges d’investissement des entreprises. Ce que nous disait Steuart c’est que dans les périodes de repli de l’économie sur le territoire national, non seulement les salaires augmentaient, mais le temps de travail diminuait aussi, donnant plus de place aux loisirs. Pour James Steuart l’économie se développait d’abord au niveau international, puis ensuite elle se repliait sur le niveau national. C’était pour lui deux phases historiques consécutives. Et donc si on suit ce raisonnement il vient que l’ouverture effrénée mise en place dans les années quatre-vingts au siècle dernier est une forme de régression. 

Le partage de la valeur ajoutée | Alternatives Economiques

On voit donc que, même si c’est d’une manière brouillonne et fantaisiste, les décrets de Trump sur les droits de douane propulsent de fait les Etats-Unis en dehors de l’OMC. L’OMC est née en 1995, elle prenait la suite du GATT qui a fonctionné entre 1945 et 1995. L’ambition de l’OMC était de défaire pour toujours toutes les barrières tarifaires et non tarifaires qui entravaient les échanges commerciaux, y compris les normes sanitaires. C’est une de ces boutiques supranationales qui prétendent régner au-delà de la démocratie. C’est pourquoi elle s’était dotée de tribunaux et de juges évidemment non élus et le plus souvent issus du monde des entreprises multinationales pour faire la police et décider d’amendes plus ou moins lourdes contre les pays récalcitrants. Les décrets de Trump sont évidemment en rupture avec cette logique. Leur but est de rapatrier sur leur sol des productions dont ils dépendent un peu trop des marchés extérieurs. C’est la quête d’une nouvelle souveraineté. Il faut remarquer que la puissance de la Russie actuelle se fonde d’abord sur l’action de Poutine pour rétablir une autonomie agricole et industrielle pour son pays. Évidemment les médias occidentaux, surtout en Europe, vont crier au scandale parce que les règles changent. Tous les pays qui ne s’adapteront pas à ces nouvelles règles s’appauvriront constamment. C’est le cas de l’Union européenne où la croissance est stagnante, ouverte aux quatre vents, elle est maintenant la cible des exportations chinoises qui voient le marché étatsunien se fermer relativement. 

De fait c’est la fin de l’OMC et cela va obliger les États européens à réagir. Déjà pénalisés par la guerre en Ukraine, l’explosion des gazoduc Nord Stream, ils ont maintenant plus de difficultés à pénétrer le marché étatsunien. Or l’Union européenne dégageait un excédent commercial important avec les Etats-Unis. Les taxes en tout genre que Trump a mises en place va évidemment freiner les exportations européennes. Ce qui veut dire que l’Union européenne n’arrivera plus à compenser son fort déficit commercial avec la Chine par un excédent avec les Etats-Unis. En regardant le graphique suivant, on voit que le déficit commercial entre les Etats-Unis et l’Union européenne s’est creusé, et il ne pouvait pas durer. Quand les marchés à l’étranger se ferment, il est d’usage de rechercher des débouchés ailleurs, donc sur son propre sol, ce que font les Chinois qui voient leur consommation interne exploser et leurs salaires augmenter, ou alors en nouant de nouvelles alliances, c’est ce que font les BRICS, s’écartant des normes contraignantes de l’OMC, ils ne visent pas une gouvernance mondiale de l’économie. Autrement dit les BRICS et leurs alliés n’ont plus besoin de l’OMC pour prospérer, ils n’ont plus besoin de l’Union européenne et des Etats-Unis. Même si la politique fantaisiste étatsunienne leur pose des problèmes, ils peuvent la surmonter. Dans les mois qui viennent, il est probable que l’Union européenne doive réagir. Pour l’instant sa seule réaction a été celle d’Ursula von der Leyen qui s’est couchée honteusement devant les exigences de Trump. Il se préparerait deux actions, d’abord un durcissement des relations avec la Chine, et ensuite un renforcement des sanctions de l’Union européenne contre la Russie en visant le pétrole. Si la première va dans le bon sens, la seconde accélérera les difficultés de son économie. Mais rien n’est prévu pour compenser les mauvaises manières des Etats-Unis vis-à-vis de l’Europe. Or celles-ci vont pénaliser le commerce de l’Union européenne et donc appauvrir son économie. 

Si nous regardons la position de la France par rapport à l’Union européenne, elle est intenable. Elle se trouve en effet dans cette position inconfortable des déficit jumeaux – déficit commercial et déficit des finances publiques, celui-ci compensant celui-là. Si notre pays veut reconquérir sa souveraineté sur le plan économique, il doit sortir de l’Union européenne et protéger son marché intérieur. Bien entendu cela prendra un peu de temps, mais c’est la seule façon de sortir de l’impasse. Nous avons vu comment la logique européiste de Macron a conduit la France vers l’abime. La France est l’homme malade de l’Europe, mêle si celle-ci n’est pas en bonne santé. Les salaires sont bas, les services publics à l’abandon, plus rien ne fonctionne. Nous sommes endettés comme jamais. Une des raisons de sortir du libre-échange – donc de l’Union européenne et de l’euro qui en sont les adjuvants – est de rétablir les grands équilibres qui sont la condition essentielle de la souveraineté. Il y a aujourd’hui plus de 6 millions de chômeurs dans l’hexagone. Une résorption du déficit commercial permettrait de créer entre 1,5 millions et 2 millions d’emplois[6]. Notez que cette sortie de l’Union européenne et de l’euro, si elle s’accompagnait de taxes élevées sur les importations, engendrerait des rentrées fiscales substantielles. Malheureusement nous ne sommes pas prêts pur cette sortie. La raison en est le manque d’audace des hommes politiques, dont la logique tient plus de celle du bureaucrate appointé que de celle d’un fin connaisseur des mécanismes de l’économie. On a vu successivement le Rassemblement national puis le sinistre Éric Zemmour, renoncer à cette idée que pourtant ils avaient approuvé un temps. À gauche c’est un peu pareil, on fait comme si un programme économique novateur, favorable aux plus défavorisés, pouvait se mettre en place dans le cadre de l’Union européenne et de la monnaie unique. Tous ces gens qui, un temps, ont prôné la souveraineté de la nation, en vérité gère leur petite boutique, sans intention de se mettre en jour en situation de gouverner le pays.


[1] https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/09/26/droits-de-douane-donald-trump-annonce-des-surtaxes-sur-les-medicaments-les-poids-lourds-et-le-mobilier_6642971_3234.html 

[2] On the Principles of Political Economy and Taxation, 1817.

[3] https://www.agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/disaron/IraCex24162/detail/

[4] Traicté de l'oeconomie politique : dédié en 1615 au Roy et à la Reyne mère du Roy.

[5] An Inquiry into the Principles of Political Oeconomy, 1767. C’est sur cet ouvrage qu’Adam Smith a copié une partie de son œuvre majeure, An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations, 1776.

[6] Pour obtenir ce chiffre qui est juste là pour donner un ordre de grandeur, on peut diviser le déficit commercial de 81 milliards d’euros – chiffre de 2024 – par 50 000 € coût moyen d’un salaire annuel avec cotisations sociales, on arrive a 1 620 000 emplois. Mais avec des effets induits et une hausse des salaires que cela entrainerait, il y aurait probablement un effet d’entrainement au-delà de ce chiffre.

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