Voilà donc le nouveau livre d’Éric Zemmour. Pourquoi donc est-ce que je lis Zemmour de temps en temps ? Un personnage que je méprise. La première raison est qu’il faut connaitre ses ennemis. La seconde est d’essayer de comprendre pourquoi il a obtenu un succès très relatif d’ailleurs. Après ses échecs cinglants aux dernières élections, il est la recherche de nouveaux appuis pour essayer de donner du corps à son entreprise politique dont les objectifs à court comme à moyen terme ne sont ni clairs, ni cohérents. En effet sur tous les sujets sauf sur celui de l’immigration, il s’est renié que ce soit sur l’Europe, l’euro, la Russie et j’en passe. Mauvais stratège, il a cru qu’il arriverait à attirer à lui une partie de l’électorat de Marine Le Pen. Conduisant contre ce parti une tactique agressive, il a été rejeté, alors qu’il aurait aimé être le leader d’une alliance des droites. Je rappelle tout cela pour appuyer sur le fait qu’avant toute chose, Zemmour n’est qu’un journaliste, et rien d’autre. Ses livres font souvent appel à des citations d’hommes illustres. Ce sera encore le cas ici. Il dit donc souvent des banalités avec des citations parfois approximatives pour les appuyer. Cette manière de faire n’impressionnera que les lecteurs assez peu cultivés. Ce qui est un peu le but, mais ces citations lui servent aussi à se hausser du col afin de se mettre au même niveau que les grands hommes qu’il cite. C’est assez risible. On ne devient pas Taine ou Chateaubriand à quoi de citations et Zemmour est loin d’être un styliste ! Je n’insisterai pas sur ses nombreuses erreurs d’interprétation qui émaillent l’opuscule, par exemple en ramenant Marx seulement au slogan la religion est l’opium du peuple, il en oublie que Marx fut aussi le critique de d’Islam, le désignant comme la pire des religions qui soit. Il cite aussi Barrès, pourtant un antisémite virulent.
Quel est le but de ce petit ouvrage militant ? Si on le suit bien, il propose de sauver l’Occident tout entier dans une alliance entre le judaïsme et le christianisme – faisant une petite place tout de même à Athènes. Et donc pour faire pièce à l’islamisation croissante de l’Europe et de la France, il faudrait à nouveau remplir les Églises, les Juifs vivant dans leur ombre. Cette volonté à bien des défauts, elle ravira certainement des catholiques intégristes qui se sentent en voie de disparition, mais ça n’ira pas au-delà. Rechristianiser l’Occident, c’est la proposition du chapitre 7, est-ce possible ? Est-ce souhaitable ? Zemmour qui est assez peu instruit ne comprend pas deux choses 1. Que la France est le pays le plus athée du monde 2. Qu’il y a des raisons justement à un élargissement des Français et même des Européens de la tutelle d’une religion. Je ne veux pas dire que les Français resteront pour toujours loin des religions, mais en tous les cas à court et moyen terme, ce n’est même pas pensable.
Nous avons un problème avec l’Islam, c’est un fait majeur. Mais Zemmour se met dans la position de regarder cette question du point de vue de la concurrence. Il suppose qu’on pourrait concurrencer l’Islam sur le plan « spirituel ». Or ce n’est pas du tout là que se trouve la question. Se mettre en concurrence avec l’Islam c’est se situer sur le même plan que cette religion qui a toujours été agressive, mais qui a de plus en plus dérivé vers un radicalisme inquiétant, proche de la guerre civile. Les attentats, les provocations sont incessantes et calculées. L’Islam prospère en Europe et en France sur une masse d’individus transplantés, pauvres et quasiment analphabètes, même si une frange de cette population a réussi à gravir quelques échelons dans des professions à statut, avocat, chef d’entreprise, médecin, voire homme politique. Et le fait qu’une large partie de la classe politique collabore à cette entreprise, souvent pour des raisons d’opportunisme, est une évidence. Cela ne rend pas les choses faciles. La FI, héritière de l’idéologie trotskiste, voulait cliver l’électorat dit de gauche sur la question de l’islamophobie. Mais Zemmour d’une manière symétrique voudrait la cliver sur la question de la chrétienté. Il pense sans doute que nous pouvons basculer comme les Etats-Unis vers un conservatisme de droite qui mettrait en scène la religion comme drapeau par-delà les classes sociales. On comprend bien que son message est de se glisser dans la peau de Trump, un Trump à la française si on veut. C’est une erreur de perspective historique. Déjà on peut assurer que la France aussi dégénérée soit elle, n’est pas dans un état de délabrement intellectuel aussi avancé que les Etats-Unis pour faire retour à la religion. Il y a bien un noyau assez fort de catholiques en déshérence qui est prompt à se mobiliser pour des manifestions contre l’avortement, pour l’école « libre », ou pour voir des films, avec quelques petits groupes qui pourraient à l’occasion devenir violents. Mais les Etats-Unis vivent cette sorte de mobilisation sans que le peuple s’unisse derrière cette bannière.
Une des « erreurs » de Zemmour est de penser que la religion, son développement, ou son effacement est quelque chose d’autonome. Donc il ne comprend guère pourquoi le catholicisme recule et l’Islam se renforce chez nous. Il vient que pour lui la laïcité n’est pas une solution. Il pense qu’il est plus utile de réévangéliser les populations françaises ! Il est erroné de considérer la religion, dans sa croissance, comme dans son effacement comme une réalité autonome de toute l’évolution historique. Si la France a été le premier pays laïque du monde, c’est sans doute parce qu’elle avait fait une révolution et que cette révolution qui combattait les inégalités sociales visait aussi les structures qui soutenaient ces inégalités, avec en tête évidemment l’Église.
On croit trop souvent en France
que la défense de la laïcité est l’alpha et l’oméga de cette
politique d’« intégration ». C’est pourtant insuffisant. La laïcité fut le
moyen utilisé par la République pour lutter contre l’influence de l’Église au
sein de la société française, dans un pays que l’Église avait façonné pendant
mille ans. Or, il n’y a pas d’Église en islam, et la religion de Mahomet fut
étrangère, voire adversaire de la France pendant l’essentiel de son histoire.
Dans sa démarche même Zemmour va hérisser les catholiques, qu’un juif revendiqué comme tel prétende leur faire la leçon pour sauver leur religion, cela risque d’être pris pour de l’arrogance, voire pour une provocation. Il a déjà sur son dos les catholiques de gauche, ceux qui lisent La Croix par exemple, ou simplement ceux qui ont suivi les réorientations papales en matière d’accueil des immigrants. Vont s’y ajouter les catholiques de droite qui ne supporterons pas son pédantisme. Pour les autres il apparaitra comme un vieux con opportuniste qui se cherche un petit marché de niche pour exister.
Les Juifs doivent poursuivre la leur, c’est-à-dire
renoncer à leurs réflexes séculaires de minorités assiégées qui ne jurent que
par la défense de la liberté individuelle, afin de se protéger des éventuelles
tentations tyranniques de la majorité. Hannah Arendt expliquait que les Juifs,
chassés par les Romains de leur terre d’origine, en 70 après J.-C., n’avaient
jamais subi depuis lors les disciplines de l’État-nation et de la raison
d’État. Il faut reconnaître que l’existence d’Israël
depuis 1948 – et l’exemple qu’il donne à toutes les communautés juives de
diaspora – corrige à une vitesse folle cette inexpérience historique. C’est
notamment ce qui explique, selon moi, le « virage à droite » de toutes les
diasporas juives, en particulier celles de France et des États-Unis, dans le
prolongement de la « droitisation » de la société israélienne, sous l’influence
démographique des Séfarades, qui ont marginalisé la gauche
Parmi les nombreuses erreurs de perspectives que Zemmour
étale devant nous, il y en a une majeure, il croit que c’est l’existence
d’Israël qui a permis aux Juifs du monde entier de virer à droite. C’est une
analyse paresseuse qui vise uniquement à justifier le fait qu’il pense que
l’évolution vers le conservatisme et la religion est quelque chose de normal et
de naturel. Cependant il oublie beaucoup de choses les Juifs qui ont fondé
Israël n’étaient pas de religieux, bien au contraire les Juifs ultra s’opposaient
à la création de cet État. Jusque dans les années soixante, les Juifs athées
étaient même majoritaires en Israël. Ce qui a ramené les Juifs du monde entier
dans les synagogues c’est la Guerre des Six jours et ce moment particulier où
les Juifs ont commencé à comprendre, notamment en France avec les diatribes du
général de Gaulle, qu’ils étaient passés du statut de victimes – suite à la
Shoah – à celui de bourreau. Et le mouvement de droitisation de la société
israélienne s’est développé suite aux échecs répétés des négociations avec la
partie palestinienne, avec la kyrielle d’attentats terroristes qu’Israël a
connu sans discontinuer jusqu’au 7 octobre 2023. De manière symétrique, les
Palestiniens se sont eux aussi enfermés dans cette logique mortifère d’un
affrontement sans fin et d’un Islam radical.
Paradoxalement, le monde sans Dieu légué par leurs
parents a forgé un monde où la religion n’a jamais été aussi présente. Marcel
Gauchet est finalement démenti : « la religion de la sortie de la religion
» (le catholicisme) est ramenée à la religion par l’islam.
Le développement en France et en Europe de l’Islam
accompagne l’immigration massive, avec toutes les séquelles négatives qu’on
imagine, mais elle ne signifie pas la nécessité pour les Français de souche et
les Européens de revenir au religieux. On peut noter le renouveau d’un certain
catholicisme plus offensif, mais cela n’est pas massif et surtout ne semble pas
être visible : d’ailleurs il écrit « Les baptêmes de jeunes gens
pour Pâques ne compensent que partiellement l’effondrement du nombre de
baptêmes à la naissance : un jeune Français sur deux était baptisé à sa
naissance en 2000 ; un sur trois seulement l’était en 2024 ». Il ne
suffit pas d’écrire un livre pour réévangéliser les populations en déshérence
spirituelle, ni même d’aller taper à leur porte, sinon les Témoins de Jehova
auraient déjà conquis le monde entier. La démarche de Zemmour ressemble à
celles des trotskistes qui ont passé des années à peaufiner la théorie
révolutionnaire, pour reconstruire le parti de la révolution, sans que cette
démarche ne pénètre les masses laborieuses. Même si le livre de Zemmour se vend
bien – ce dont je doute un peu – cela ne suffira pas à engendrer un mouvement
de mobilisation massif pour la réaction vers un catholicisme rénové.
Et puis, à fréquenter cette jeunesse catholique qui
me fait l’honneur de m’accompagner depuis ma campagne présidentielle, j’y vois
beaucoup de jeunes couples se former, se marier et procréer de nombreux
bambins. Je m’en réjouis. La guerre de civilisations est aussi – et d’abord –
une guerre des berceaux. Une civilisation qui ne fait pas d’enfants meurt
d’elle-même sans que ses ennemis aient besoin de lui mettre l’épée dans les
reins.
Comme beaucoup à droite, Zemmour pense que la solution devrait venir d’une augmentation du nombre d’enfants que feraient les Français dits de souche pour faire pièce à la démographie galopante des musulmans. C’est une idée qui n’a guère de sens, le symétrique de la logique islamiste : faire la guerre avec les ventres. Il est facile d’en deviner les raisons. La première est qu’un taux de fécondité élevé entrave le développement du progrès économique. On peut renvoyer Zemmour aux travaux de Gary S. Becker, prix Nobel d’économie, et surtout grand défenseur de l’économie de marché, sur le plan théorique[1], ou simplement aux réalités statistiques sur le long terme : il y a une corrélation très nette entre baisse du taux de fécondité et hausse du niveau de vie. Les taux de fécondité extrêmement élevés dans les pays musulmans expliquent que ces pays n’arrivent pas à sortir de la pauvreté, et cela d’ailleurs consolide les inégalités de revenus entre les classes sociales. Très souvent on entend des gens de gauche ou de droite d’ailleurs qui nous disent que l’immigration est une nécessité pour compenser le vieillissement de la population, payer nos retraites et notre domesticité. Je rappelle que les Japonais ont réglé autrement le problème, en faisant le choix du progrès technologique, c’est-à-dire en robotisant de larges pans de la production et des services.
Zemmour c’est la pensée réactionnaire satisfaite d’elle-même
parce qu’en effet le « progressisme » porté par la classe politique
occidentale en général est en échec un peu de partout. On peut évidemment être réactionnaire,
pour refuser l’évolution actuelle de la société et la modernité. Cela se
comprend, mais on ne peut pas en même temps se réclamer du progrès
civilisationnel ! Zemmour croit d’ailleurs que l’élection de Trump en 2024
est le signe avant-coureur d’une révolution mondiale qui va balayer la planète.
Il ne voit pas comme souvent les admirateurs de Trump du monde entier que
justement les Etats-Unis sont dans une impasse, la société est très divisée, et
les résultats ne sont pas à la hauteur dans tous les domaines. Autrement dit,
on peut acter l’échec du progressisme sans pour autant croire que la solution
serait un retour à l’Ancien Régime, un Ancien régime mâtiné de High Tech !
[1] Human Capital, A Theoretical and Empirical Analysis, with Special Reference to Education, NBER, 1964
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