Note sur les élections étatsuniennes du 3 novembre 2020
Le débat entre Trump et Biden qui a eu lieu le 29 septembre 2020 a tourné au pugilat et à la confusion. Face à la grossièreté de Trump, Biden a voulu opposer une sorte de fermeté qui si elle l’a ramené au niveau de la vulgarité du locataire de la Maison Blanche, a démontré qu’il n’était ni endormi, ni sans défense face au bulldozer Trump. Cette farce pitoyable a mis en scène deux septuagénaires qui prétendent chacun représenter une Amérique triomphante, alors qu’elle est clairement sur le déclin, empêtrée dans des contradictions sans fin. Il y a bien sûr la crise sanitaire que l’administration Trump ne maitrise pas et qui pousse le président peroxydé à mentir de façon tellement permanente qu’il ne s’y retrouve plus. Il y a ensuite la crise raciale qui n’en finira probablement jamais, et puis il y a par-dessus tout la crise économique qui dure depuis 2008, qu’Obama n’a pas réglée et que Trump a aggravée en creusent les déficits publics et commerciaux. Également, les Etats-Unis depuis Trump sont une nation qui n’est plus respectée et admirée à l’étranger, au contraire, jamais la détestation de ce pays n’a été aussi forte qu’aujourd’hui. Il y a quatre ans Trump avait repris le slogan un peu stupide de Ronald Reagan, Make America Great Again. Mais outre qu’il a échoué dans tous les domaines, cette espèce d’hystérie qu’il a mise en scène dans son rapport au pouvoir, il a démontré que les Etats Unis sont bien sur une pente déclinante depuis de très nombreuses années. Et rien ne semble pouvoir enrayer cet effondrement.
Certains commentateurs avancent que la politique de croissance et de l’emploi a été un grand succès pour Trump. Rien n’est plus faux. Si c’était le cas, Trump ne serait pas en passe de se faire virer de la Maison Blanche. Le chômage est en effet très bas, du moins avant le COVID-19. Il était officiellement de 3,5% en février dernier. Mais il faut prendre en considération que le taux d’activité est très faible aux alentours de 64%, alors qu’en France il est de 72% et qu’en Allemagne, il est de 79%. Si je compare le cas Français qui comptait 7,1% de chômeurs, je dois ajouter 8 points de pourcentages à ces 3,5% pour avoir un équivalent américain. Cette présentation du chômage différente de celle qu'on peut trouver dans le journal néolibéral Le monde qui supposait que l’emploi était une grande réussite de Trump, explique d’ailleurs pourquoi le nombre des SDF a augmenté dans ce pays et se trouvait aujourd’hui à près de 600 000 personnes officiellement. Mais ne chipotons pas, il y a bien eu des créations d’emplois sous le mandat de Trump. Mais contrairement à ce qui a été affirmé ici et là, ça ne vient pas d’une relocalisation des activités industrielles sur le sol américain. Comme le montre le graphique ci-dessus, avec Trump le déficit commercial s’est aggravé, et il n’a rien obtenu des Chinois sur ce plan-là. La dette a en effet boosté la consommation et donc mécaniquement l’emploi essentiellement dans les services. Obama qui fut dans un autre genre un président lamentable devait faire face à la crise des subprimes et donc mécaniquement a augmenté la dette publique. Mais Trump l’a faite exploser littéralement, autrement dit il a financé les emplois créés par de l’endettement étatique ! Depuis la contre-révolution conservatrice de Reagan, seuls les deux mandats de Bill Clinton ont permis à la dette publique de recule, tout en permettant à l’emploi de progresser.

Dette publique étatsunienne
Si l’on regarde aussi les taux de croissance du PIB, on voit que la présidence Trump fait plutôt moins bien que la présidence de Bill Clinton. Evidemment si on compare à l’atonie de l’économie de l’Union européenne, on peut toujours trouver cela très bien. Mais la présidence Trump a apporté quelque chose de nouveau dans le débat, c’est-à-dire qu’il a décidé de ne plus se préoccuper de la dette publique. Ce sera son seul héritage. Les démocrates sont très partagés sur cette question, beaucoup ont révisé leurs doctrines et ne trouvent que des avantages à s’asseoir sur le dogme du remboursement de la dette. Et sans doute que la crise sanitaire va renforcer dans leur camp ceux qui pensent la même chose. Cependant comme on le sait il n’y a pas que la dette de l’Etat et des administrations publiques qui pose problème, il y a aussi la dette des entreprises et celle des ménages. Cette impossibilité affirmée de ne pas rembourser la dette va certainement à moyen terme poser des problèmes difficiles, car il s’agit là au fond d’une nationalisation indirecte du crédit. L’impuissance de Trump à restaurer l’économie autrement qu’en faisant fonctionner la planche à billets entraine que de fait nous sommes entrés dans une nouvelle ère du capitalisme. Mais Trump n’avait pas vraiment le choix
Taux de croissance du PIB Etats-Unis, source BEA
Trump a dû affronter deux problèmes qu’il ne maitrise
pas : la montée des inégalités sociales qui sont de plus en plus
insupportables et qui correspondent en fait à un déclassement de la classe
moyenne. Ces inégalités sociales se reflètent aussi bien dans le nombre
croissant de SDF, que dans la virulence des revendications de la communauté
afro-américaine. Or on sait que les votes des afro-américains ont beaucoup
manqué pour l’élection d’Hillary Clinton en 2016. Certes les BLM peuvent par
leurs extravagances pousser quelques hésitants à se tourner vers Trump. Mais
globalement il apparait plutôt comme celui qui met de l’huile sur le feu. Le
débat du 29 septembre semble avoir confirmé cette tendance détestable.
Plusieurs sondages indiquent que Biden a remporté le premier débat, non pas
parce qu’il a été clair et précis, mais parce qu’il a montré du caractère, ne
cédant en rien à Trump[1]. CNN indiquait que 60% des Américains
pensaient que Biden avait remporté la mise, et seulement 28% pensaient que
Trump avait pris le meilleur sur l’ancien vice-président d’Obama[2].
La publication par The New York Times des impôts fédéraux payés
par Trump va avoir aussi semble-t-il un effet ravageur d’ici quelques
jours :
– d’abord parce que Trump qui se prétend un grand
entrepreneur très riche et très fortuné et qu’en réalité ses affaires semblent
avoir périclité, ce qui auraient justifié des exonérations d’impôts massives.
On dit qu’en 2017 et 2018 il n’aurait payé que 750 $ chaque année. C’est bien
peu, n’importe quel Américain « moyen » paye beaucoup plus que lui ;
– ensuite parce que le programme de Biden qui vise à une augmentation
des impôts sur les plus riches va trouver là une bonne raison de s’appliquer :
– enfin parce que cette enquête montre que s’il n’y a là rien d’illégal – encore que – Trump a fait de l’optimisation fiscale à tout va, privant l’Etat de revenus importants. Biden a montré ses propres feuilles d’impôts pour montrer qu’à l’inverse s’il gagne beaucoup d’argent, il paye aussi beaucoup d’impôts. Sa colistière Kamala Harris a fait de même[3]. Pour ajouter un peu au ridicule, The New York Times a avancé que Trump avait demandé à l’administration fiscale une déduction fiscale pour ses frais de coiffure qui se montait en 2017 à 70 000 $ !
Les sondages font maintenant clairement de Biden le favori
de l’élection de l’élection présidentielle. Le site Real Clear Politics montre
que sur le long terme l’écart entre Biden et Trump se maintien au-dessus des 6
points de pourcentage. Au lendemain du premier débat, la cote de Biden avait
grimpée de 0,5 points, ce qui renforce l’idée que c’est bien l’ancien
vice-président d’Obama qui a remporté le premier duel télévisé. Cet écart fait
que 2020 ne sera pas une répétition de 2016 sur les pseudos erreurs des
sondeurs. C’est la même chose avec les délégués qui éliront le président,
l’avantage est très largement à Biden, y compris dans les swings states comme
le montre le décompte du Financial Times. Certes un retournement reste
encore possible, mais nous ne sommes plus qu’à un mois des élections. Il faut
comprendre aussi que l’opinion américaine se passionne pour ces élections, non
pas parce que le pugilat entre deux vieux chevaux de retour est intéressant,
mais parce qu’elle se rend compte que l’Amérique doit procéder à des ruptures
décisives si elle ne veut pas sombrer un peu plus dans le chaos. Si les
Américains penchent plus pour Biden, ce n’est pas tellement pour les qualités
intrinsèques de celui-ci, mais pour deux raisons :
– la première est que Trump est détesté, voire haï, et qu’au
fond ils ont honte d’être représentée par une telle figure, même s’il possède
un socle électoral encore solide pour quelques jours ;
– la seconde raison est qu’il se comporte comme un autocrate imprévisible qui n’écoute personne et dont la plupart des décrets et des initiatives n’aboutissent pas. Ils pensent que Biden gouvernera d’une manière plus collective, plus consensuelle et plus à l’écoute des populations.
Trump dénonce par avance les fraudes électorales qui selon lui auraient lieu avec les votes par correspondance. Cette façon semi-débile d’annoncer sa propre défaite est assez singulière. « Cela ne va pas bien se terminer. » Il a évoqué des Proud boys, des sortes de miliciens d’extrême-droite et leur a demandé de se tenir prêts[4]. A quoi ? Il ne l’a pas précisé. Ces miliciens sont armés et dangereux, c’est vrai, mais ils sont incapables de faire un coup d’Etat ils ne représentent rien numériquement et surtout pas la capacité de tenir tête à l’armée si Trump était battu et qu’il veuille se maintenir. Cette évocation n’a pas vraiment fait peur aux Américains qui prennent ces miliciens pour des clowns en mal de publicité. Du reste Trump s’est rendu compte de sa bévue et a fait machine arrière avançant qu’en vérité il ne connaissait pas ces groupes armés[5]. Il leur a ensuite demandé de rentrer chez eux ! Pour moi quand Trump évoque la possibilité de ne pas reconnaitre sa défaite c’est juste un argument de campagne pour tenter de faire peur. Il faut partir de ce constat que j’ai plusieurs fois développé : les Etats-Unis évoluent vers la gauche, et ce n’est pas le minoritaire Trump qui les représente et qui en représente l’avenir, c’est plutôt Sanders. Les idées d’égalité, voire même de socialisme ont progressé dans ce pays depuis quelques années. Trump peut bien nommer des juges ultra-conservateurs à la Cour suprême, la population n’est pas pro-life, elle est encore plus pro-choice qu’avant, et c’est pourquoi les femmes voteront massivement contre lui. La rhétorique des Républicains qui se cale sur le discours de l’Eglise évangéliste est complètement dépassée, même dans un pays où la religion compte encore mais où l’athéisme progresse. S’il faut bien reconnaitre que le multiculturalisme américain est un échec politique, cet échec révèle à contrario que seules des avancées sur le terrain de l’égalité permettront à ce pays de se redresser quelque peu et de sortir de l’hystérie dans laquelle le président peroxydé les a plongés. Trump est à contre-courant de l’opinion, quoi qu’on en dise, et ce n’est pas sans raison que Biden a présenté un programme de gouvernement de gauche, notamment sur la question des impôts et de la santé. C’est le programme électoral le plus à gauche depuis longtemps du Parti démocrate. Si les Américains détestent les Antifas, ils n’aiment pas non plus les Proud boys.
Proud boys
Je vois certains à gauche qui sont pour Trump, pensant qu’il a engagé son pays sur la voix d’une sortie de la mondialisation et sur le chemin de la paix. Rien n’est plus faux, il a juste isolé l’Amérique sur le plan diplomatique. Ceux qui à gauche avancent que Trump contrairement aux démocrates n’a pas engagé de conflits militaires, se trompent une nouvelle fois. J’ai déjà évoqué le fait qu’il ait laissé faire Erdogan en Méditerranée et en Syrie. Mais il a été aussi très médiocre dans la gestion du conflit israélo-palestinien. Les avancées qu’ont a observées dans un rapprochement entre Israël et les Etats arabes ne lui doivent rien du tout. Ce rapprochement a d’abord comme raison la volonté de contenir l’expansionnisme turc et iranien, il est une nécessité militaire, mais il est ensuite la marque d’une lassitude, les pays arabes en ont assez de soutenir une cause qui ne fait rien pour sortir de l’impasse. On dit que dans ce rapprochement Mohamed Dahlan. Celui-ci représente une nouvelle génération qui veut rompre aussi bien avec le Fatah de Mahmoud Abbas qu’avec le Hamas et qui attend son heure. Dahlan est de longue date un partisan de négociations sérieuses avec Israël pour aboutir à deux Etats, il a de nombreux contacts avec les Israéliens dans ce sens. Seule l’Union européenne soutien encore le Fatah dans son enfermement.
Si on me demande si j’ai de la sympathie pour Biden, je
dirais non, mais que là n’est pas la question. Je pense que l’éviction de Trump
est une nécessité à la fois pour avancer vers un monde plus apaisé, et pour
développer des politiques nouvelles en matière d’environnement, de santé et de
répartition de la richesse. Sans en avoir la certitude, je pense que Biden est
plus près de cela. On ne peut pas attendre la révolution socialiste pour que
les choses aillent un peu mieux, comme on ne peut pas attendre comme le dit
Trump que le refroidissement fasse cesser les incendies en Californie ou
éradique le COVID-19. Thomas Frank dans un article publié dans le numéro
d’octobre 2020 du Monde diplomatique, continue à ne pas voir que le
Parti démocrate a changé[6].
Il faut partir de là, non seulement les cadres du parti ont été très rajeunis,
mais aussi leur origine sociale s’est diversifiée. Ce n’est donc plus tout à
fait le parti de Wall Street, celui d’Obama ou d’Hillary Clinton. Cette évolution
peut être jugée insuffisante, mais elle n’en existe pas moins.
[1]
https://www.washingtonpost.com/gdpr-consent/?next_url=https%3a%2f%2fwww.washingtonpost.com%2fpolitics%2f2020%2f09%2f30%2freliable-polls-show-that-biden-won-debate-so-those-arent-what-trumps-allies-are-highlighting%2f
[2] https://edition.cnn.com/2020/09/29/politics/donald-trump-joe-biden-debate-poll/index.html
[3]
https://www.fr24news.com/fr/a/2020/09/biden-et-harris-publient-leurs-declarations-de-revenus-avant-le-debat.html
[4]
https://www.lefigaro.fr/international/qui-sont-les-proud-boys-que-donald-appelle-a-se-tenir-prets-20200930
[5] https://www.ft.com/content/dcfbc846-6e19-43f0-be05-9ffefab3d98e
[6]
https://www.monde-diplomatique.fr/2020/10/FRANK/62307
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