samedi 17 octobre 2020

 

Hadrien Mathoux, Mélenchon, la chute, Editions du Rocher, 2020 

 

L’année dernière, Thomas Guénolé publiait chez Albin Michel, un ouvrage intitulé, La chute de la maison Mélechon. Le livre n’a pas eu un grand écho. Cette année Hadrien Mathoux publie une charge très lourde sur Mélenchon, cette fois avec plus de succès. Le premier ouvrage pouvait passer pour une diatribe pondue par un homme aigre et évincé de ses responsabilités au sein de la FI, choqué du peu de démocratie qui régnait au sein de cette formation politique auréolée encore de son « succès » à la présidentielle de 2017. Le propos d’Hadrien Mathoux n’est pas celui d’un déçu du mélenchonisme, encore qu’un peu tout de même. Il va s’attacher à relire le parcours de Mélenchon ces dernières années et mettre en évidences ses errements stratégiques et tactiques. Evidemment le jeune journaliste de Marianne lit ce parcours avec ses propres lunettes politiques qui sont celles d’un social-démocrate hésitant sur les questions sociales et européennes. Si l’armature théorique de Mathoux est relativement faible, l’intérêt de ce livre est ailleurs, dans la description minutieuse, faits à l’appui, des louvoiements que nous avons déjà dénoncés ici plusieurs fois[1]. Mélenchon lorsqu’il lance la FI va piocher des voix du côté des souverainistes, en même temps il va reprendre l’idée que la gauche a été trop angéliste avec la question des migrants, que les frontières sont nécessaires et qu’on peut sortir de l’Europe pour retrouver sa souveraineté. Tant qu’il développe ce discours il grimpe dans les sondages et pique des voix à Marine le Pen. Ce système des vases communicants – qui à mon sens n’est pas bien compris par Mathoux – trouve rapidement ses limites quand Mélenchon recule, hésite et louvoie sur ces thèmes épineux. Mélenchon essaie de croire en 2017 qu’il peut être présent au second tour. Mais en réalité, et toujours contrairement à l’appréciation de Mathoux, le résultat est très décevant, il arrive seulement 4ème de cette course un peu idiote derrière un voleur patenté. La droite qui le devance fait 65% des voix, du moins des votes exprimés. Ce score est d’autant plus médiocre que la gauche dans son ensemble arrive péniblement à 27%. Ici se pose une question de première importance. Mélenchon qui d’un côté se fait en parole le chantre d’une démocratie rénovée et plus directe, se serait bien contenté d’un score semblable à celui de Macron pour passer le premier tour, en se taisant sur le fait qu’il eut été pourtant dans ce cas très peu représentatif de ce qu’est le peuple. Dès ce moment, Mélenchon a compris que quand il ne prend pas des voix à Marine Le Pen, il recule, et donc que c’est bien là que se trouve l’électorat populaire, chez les électeurs du RN qui scrutin après scrutin montrent une grande fidélité. Cependant c’est là que le problème se situe, Mélenchon ne peut progresser qu’en désignant le RN et Marine Le Pen comme l’ennemi principal. L’opposition frontale de ces deux représentants du vote ouvrier fait qu’ils ne peuvent s’entendre et donc qu’ils sont obligés de se caricaturer : Mélenchon et la Fi font des sorties récurrentes contre le RN, tandis que Marine Le Pen présente Mélenchon comme une sorte de diable bolchévique, alors qu’au mieux il serait un social-démocrate conséquent. On le présente aussi comme un marxiste – et Mathoux tombe aussi dans ce piège – alors qu’il est sur le plan économique plutôt keynésien. 

 

Le vote des ouvriers se trouvant chez Le Pen, et non plus à gauche, si on croit en la lutte des classes, c’est bien là qu’il faut aller le chercher. Pour cela il y a trois moyens :

- le premier, celui qui est adopté par la FI, est de se distinguer frontalement du RN sur l’immigration, l’Islam et les sujets de société. C’est la tactique qui ne fonctionne pas, et qui ne fonctionnera pas ;

- le second serait de passer une alliance en bonne et due forme entre les deux partis, cela suffirait à renverser l’ordre bourgeois, cette tactique est impossible, d’une part parce que chaque boutique veut conserver son pré-carré pour continuer à exister, et d’autre part parce que cela entrainerait une révision programmatique trop déchirante des deux côtés, les uns ne voulant pas afficher trop leur nationalisme, les autres ne voulant pas rompre avec le système capitaliste – au besoin Marion Maréchal le rappelle de temps en temps à sa tante.

- le troisième moyen est de développer de façon autonome, pour son propre compte, les idées qui sont très populaires au cœur même de la classe ouvrière, le refus de l’immigration de masse, la sortie de l’Europe, un certain patriotisme, adossé aux idées de réduction des inégalités sociales et de défense des services publics. C’est cette voie que Kuzmanovic voulait suivre, et de l’autre côte c’est cette voie que Philippot voulait mettre en scène. Il se serait alors agit d’un souverainisme assumé, qui comme le souhaite Jacques Sapir passerait au-dessus du clivage droite-gauche. Mais suivre ce chemin demande un grand courage, ce qui n’est pas l’apanage de Mélenchon. L’évolution du vote ouvrier en faveur du candidat du FN puis du RN montre que les ouvriers se sont détournés de la gauche pour aller vers un parti qui selon eux défend mieux l’idée de nation, luttera mieux contre l’immigration. Il faut donc se poser la question de cette évolution. On parle ici du vote ouvrier, mais on peut donner une définition extensive de ce vocable et l’étendre facilement à l’ensemble des travailleurs qui gagnent peu et cumulent des petits salaires avec de mauvaises conditions de travail. 

 

Ici Mathoux reste un peu faible, certes il voit bien qu’il y a un divorce entre une gauche repliée frileuse sur ses questions sociétales, défense des migrants, défense des LGBT, et des salariés plutôt concernés par la question des conditions de travail et celle des salaires, mais aussi celle des frontières. C’est ce divorce qui explique que la gauche soit devenue minoritaire. Le revirement de Mélenchon depuis 2017 concerne deux points essentiels, la question de l’Islam et la question des migrations. Alors que sur ces deux questions, au moins les deux tiers sont d’accord pour limiter l’immigration, lutter contre le voilement, et limiter les prétentions de l’Islam à noyauter et à modifier les standards de vie français. A partir de ce moment Mélenchon et la France Insoumise vont de plus en plus céder aux sirènes de la gauche morale, celle qui est finalement représentée d’abord par une fraction de la bourgeoisie qui se voudrait éclairée. Ce divorce est acté d’abord par les purges que la FI va subir d’une manière ou d’une autre, les uns s’en vont, les autres sont contraints à partir. Ce tournant n’est pas une victoire de Mélenchon, mais plutôt une victoire d’Obono et Autain. Mélenchon est resté d’une extrême faiblesse face aux pitreries boboïdes de ces deux élues de la FI. Et si Mélenchon leur a tout cédé, y compris la définition de la ligne politique, c’est parce qu’elles sont des élues, et que sans elles le groupe de la FI n’existe plus à l’Assemblée nationale ! Cette pression est très bien démontrée dans le livre Mathoux. Mais évidemment adopter une nouvelle ligne, presqu’à l’opposé de celle qui avait été définie antérieurement n’est pas sans risques. Et cela se traduira par les défaites électorales cinglantes aux élections européennes et ensuite aux élections municipales – ces dernières ne sont pas traitées par Mathoux. Que la FI ait été représentée aux élections européennes par une dinde comme Manon Aubry est très significatif, non seulement celle-ci est une représentante de la gauche bobo, elle vient d’Oxfam, mais en outre elle se réclame de Jacques Delors, ce représentant du centre gauche, côté chrétien, qui est aussi le liquidateur de la social-démocratie, l’apologue du marché et des frontières ouvertes. Mélenchon qui passe son temps à dézinguer François Hollande, on le comprend, mange son chapeau avec Manon Aubry qui revient sur la sempiternelle question de la transformation de l’Europe en une Europe sociale. Tout cela annonce les incohérences à venir. Soyons juste, Mélenchon a eu de très bonnes intuitions sur la question de l’écologie, même si Mathoux qui a des connaissances très lacunaires sur la question ne le trouve pas crédible parce que celui-ci ne comprend pas que le modèle de croissance économique n’est plus tenable et s’effondre de tous les côtés. 

 

En vérité l’effondrement de la maison Mélenchon va être un moment masqué et ralentit même par l’irruption des Gilets jaunes à l’automne 2018. Mélenchon et Ruffin salueront ce mouvement, tandis que celles qui commencent vraiment à avoir la main sur la FI le mépriseront. Cette imbécile de Clémentine Autain dès le début le dénoncera comme un mouvement manipulé et téléguidé par le Rassemblement national. En vérité même si ce mouvement avait été téléguidé par le RN, ce ne serait pas une tare, vu ses objectifs et son caractère massif. Mais ce n’est pas le cas, et cela prouve le peu de clairvoyance pour ne pas dire plus de la gauche bobo que représente Clémentine Autain. Les critiques stupides de ces gens seront relayées par Libération évidemment ! La gauche ordinaire mettra beaucoup de temps à admettre que non seulement les Gilets jaunes ne représentent en rien l’extrême-droite, mais qu’ils n’ont rien vu venir, trop occupé à leurs petites magouilles électorales ou carriéristes. Ruffin qui est plus près des catégories populaires depuis ses débuts de journalistes, ne fera pas cette erreur et Mélenchon pour une fois lui emboitera le pas. Le moment Gilets jaunes aurait pu aider Mélenchon à se repositionner politiquement parce qu’en effet ce mouvement était non seulement anti-européiste, mais aussi souverainiste et pour une sortie de l’euro. Et pourtant Mélenchon va faire comme si de rien n’était. 

Paris le 19 novembre 2019 

Mathoux considère que Mélenchon s’est mal comporté face à l’inquisition judiciaire. Je ne crois pas. Belloubet avait en effet envoyé 110 policiers pour traquer Mélenchon et la FI. Les perquisitions n’ont rien donné d’ailleurs. Pour ma part je ne reprocherais pas les outrances mélenchoniennes à cet instant, même s’il eut pu mieux gérer cette agression évidente. Mais les erreurs il va les enchaîner. Erreur stratégique et tactique, il va se donner en spectacle dans une manifestation contre l’islamophobie le 19 novembre 2019. Mathoux ne parle pas de cet épisode qui est en réalité le début de la chute. En effet dans le temps Mélenchon défendait le droit d’être islamophobe, et le voilà maintenant qu’il lutte contre l’islamophobie, se promenant derrière Marwan Muhammad, très lié aux Frères Musulmans. C’est déjà une faute tactique, d’autant que dans cette manifestation on pouvait entendre « mort aux Juifs » - Mélenchon dira qu’il n’a rien entendu, et voir des musulmans comparer leur sort à celui des Juifs qui portaient l’étoile jaune. C’était encore une faute stratégique plus grande que de manifester contre l’islamophobie quand on sait que les attaques contre les musulmans sont bien moins nombreuses que contre les Juifs – alors que les Juifs sont 10 fois moins nombreux – et que contre les catholiques. Cela voulait dire que l’Islam était devenu pour Mélenchon, soi-disant athée, une religion à part, la seule qu’on devait défendre. Ce repli identitaire vers l’Islam est typique des groupuscules gauchistes qui croient que ce sont là les nouveaux damnés de la terre. Ça fait plus de cinquante ans que les trotskistes font des manières pour tenter d’attirer à eux les Musulmans, mais sans succès bien évidemment. Et voilà que cette gauche morale représentée par Mélenchon se met dans le rôle des idiots utiles, tandis que le peuple comprend massivement que les Musulmans avec l’aide de Macron[2] tissent leur toile et vont bien finir par faire modifier la loi sur la laïcité. Les Français font d’ailleurs très bien le lien entre l’immigration et la poussée d’un Islam revendicatif. Mélenchon se renage dans le camp de la gauche bobo qui croit que le fascisme est à nos portes et que les Français ne comprennent guère les bienfaits de l’immigration pour la France. 

Mélenchon mêle sa voix à des manifestants antisémites 

Mathoux ne traite pas non plus de la position de Mélenchon et de la FI aux municipales. Celles-ci ont été un désastre complet, pire encore que les européennes. La situation était certes difficile avec le COVID-19, mais cependant on peut en déduire plusieurs résultats. D’abord le désintérêt des électeurs, inédit pour ce genre de scrutin. Ensuite le fait que les grands partis de gouvernements, LR et PS, ont obtenu de très bons résultats, tandis que les partis plus jeunes, la FI et LREM se sont littéralement écroulés. Pas pour les mêmes raisons, LREM parce que Macron a fait la démonstration de son incapacité à conduire les affaires de l’Etat, et Mélenchon parce qu’il n’est plus un opposant crédible. Au-delà des résultats bruts, il y a autre chose : la FI n’a pas su se positionner, hésitant à aller au front toute seule ou à s’inscrire dans la vieille stratégie d’union de la gauche. C’est à cause de ses hésitations que Mélenchon s’est discrédité totalement à Marseille en tentant de torpiller la candidature de Rubirola et du Printemps Marseillais qui en effet a réveillé la ville, remporté les élections et laissant Mélenchon sur le bord de la route. Ce qui est remarquable, c’est que la tactique de Rubirola et du Printemps Marseillais aurait dû être en réalité celle de Mélenchon puisqu’en effet c’est une initiative qui s’est présentée comme partant de la base, sans tenir compte des combines des appareils politiques nationaux. Certes le Printemps Marseillais a fait des erreurs importantes, notamment en se désistant pour battre le Rassemblement national et mettre en péril son élection, comme quoi les fautes tactiques résultent souvent de mauvais choix stratégiques. Diaboliser le RN n’est pas un programme politique et en plus c’est inefficace. Par parenthèses, Benoît Payan, membre pourtant du PS s’est révélé ces dernières années un très bon tacticien, bien meilleur que Mélenchon et que la plupart de ses collègues de son parti. Mathoux ne dit rien non plus du piège que Mélenchon s’est tendu en allant serrer la main pour faire allégeance à Macron. C’est une faute tactique qui l’a ramené dans le marigot ordinaire de la politicaillerie. 

Une poignée de main qui coûte cher 

La conclusion de Mathoux est aussi la mienne : Mélenchon paye ses errements et ses reniements. Mais Mathoux pense aussi qu’il est un peu trop radical et utopique, il craint par exemple une sortie de l’Europe, il s’est intoxiqué au jus médiatique européiste. Il trouve que c’est trop dur à mener – les enseignements du Brexit montrent qu’on peut y arriver à condition de sortir d’abord et de négocier ensuite. Cependant si Mélenchon avait mené une bataille du type on va faire l’Europe sociale, il n’aurait pas été crédible, déjà que son plan A et plan B c’était un peu tiré par les cheveux. Évidemment sortir de l’euro c’est difficile et il faut le préparer à l’avance. J’ai des points d’accord avec Mathoux quand il décrit Mélenchon comme le produit finalement de la petite bourgeoisie plus ou moins lettrée – Mathoux surestime la culture de Mélenchon qui certes est plus instruit que les autres ténors de la politique, mais qui ne sait pas grand-chose – cette petite bourgeoisie qui finit toujours par se présenter comme savante et capable de conduire le peuple sur le chemin de la félicité. Moi je pense exactement le contraire, les politicards n’écoutent pas le peuple, or c’est la parole populaire qu’on doit transcrire en actes si on veut que la démocratie avance. Mélenchon est issue de la deuxième gauche rocardienne, et avant il était bêtement trotskiste, deux formes d’engagement politique très petit bourgeois finalement et dont le point commun était de combattre d’abord les communistes en France comme en URSS. 

Rubirola et Payan annoncent leur victoire à Marseille devant une foule rassemblée 

Il y a cependant des conséquences politiques à l’effondrement de Mélenchon et de la FI. Mathoux pense qu’il a une petite chance de rebondir, moi je ne le crois pas. Première conséquence, le PS va revenir sur le devant de la scène en effectuant un virage à gauche pour récupérer les déçus du mélenchonisme comme la FI avait auparavant récupéré les déçus du PS. C’est à cette option que travaille Olivier Faure. Le PS a de gros atouts, notamment une implantation locale encore importante que ne possède pas la FI, on a vu le poids du PS à Marseille dans les élections municipales.  Mélenchon semble avoir choisi la voie de l’Union de la gauche, des écologistes EELVE au PCF, or c’est bien celle-là qui risque de le laminer. Dans ce cadre, il est possible que le PCF reprenne un peu des couleurs et fasse tout pour récupérer des déçus de Mélenchon. Les communistes ne pardonnent pas à celui-ci de les avoir marginalisés encore un peu plus. Ce reclassement ne pourra se faire cependant qu’après 2022 si Mélenchon se présente comme le candidat unique de la gauche et s’il échoue – on ne voit pas comment il pourrait l’emporter d’ailleurs. Mais les différents scénarios qu’on peut échafauder ne tiennent pas compte d’une accélération de la décomposition du système électoral français. On l’a vu avec les Gilets jaunes qui ont contourné un système qu’ils ne pouvaient pas pénétrer. La haine de Macron est telle que n’importe quand cela peut se transformer en révolte violente. Sa gestion de la crise sanitaire, et les lugubres mesures de confinement, déconfinement, couvre-feu et j’en passe, ont exaspéré au plus haut point les populations. 



[1] http://ingirumimus2.eklablog.com/louvoiements-et-derives-de-melenchon-la-fin-d-une-aventure-a202590558

[2] http://ingirumimus2.eklablog.com/macron-l-islam-et-le-separatisme-vers-une-redefinition-de-la-laicite-a202969708

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