mercredi 23 décembre 2020

Théories du complot, causes et conséquences

  

Les théories du complot existent depuis très longtemps, sans doute parce qu’elles fascinent ceux qui se livrent à leur développement comme ceux qui les suivent, mais aujourd’hui, elles sont tellement déchaînées qu’elles fracturent la société dans tous les sens et rien ne semble pouvoir freiner leur expansion. Trop souvent elles sont analysées comme de simples aberrations de l’esprit et non comme un élément structurant de la vie politique. Les récentes élections américaines et la tentative de coup d’Etat de Trump ont mis en lumière la profondeur que ces théories peuvent atteindre. Si nous suivons les trumpistes dans leur folie furieuse, nous comprenons que Trump a perdu les élections, on, pas parce qu’il était mauvais, mais parce que le vieux Biden avait monté une fraude à grande échelle dans laquelle se trouvaient impliqués Hugo Chavez – bien qu’il soit mort depuis sept ans maintenant – George Soros (le repoussoir parfait), les communistes, les sectes satano-pédophiles et j’en passe. Cette liste s’est allongée au fur et à mesure que les juges, l’Attorney general et la Cour Suprême récusaient la fraude massive et géénralisée. Si ces gens souvent proches de Trump ne voulaient pas reconnaitre ce complot, c’était bien la preuve que celui-ci existait puisque les complotistes démocrates avaient infiltré toutes les institutions pour voler le résultat promis à Trump désigné comme une sorte de preux chevalier descendu parmi nous pour combattre le dragon. Peu importe que les personnes porteuses de cette idée aient transformer les Etats-Unis en une sorte d’asile d’aliénés géante, peu importe si les leaders de la diffusion de cette idée de complot sont des escrocs notoires qui sont tous en difficulté avec la justice. Peu importe tout ce que vous pourrez dire, vous demanderez des preuves ? Ils vous diront que c’est bien connu du monde entier. Cette dérobade couvre évidemment ce profond désarroi de ne comprendre rien, et c’est pourquoi les théories complotistes prospèrent outre-Atlantique. C’est aussi un business tranquille pour peu qu’on ait le « talent » de se positionner sur ce marché singulier.

  

Cette folie a gagné maintenant l’Europe. On trouve même des trumpistes français, à droite comme à gauche qui reprennent cette idée loufoque selon laquelle la fraude a été massive sans broncher. D’autres théories du complot de grande ampleur fleurissent actuellement, par exemple en ce qui concerne les vaccins, on ne se contente pas d’être contre la vaccination pour des effets secondaires plus ou moins connus, mais on suppose que le virus du COVID-19 a été créé soit pour dépeupler la planète, soit pour nous obliger à nous faire vacciner de façon à ce qu’on se fasse implanter des puces invisibles qui nous contrôlerons et nous réduirons en esclavage, soit pour enrichir Big Pharma sur notre compte. Alex Jones un escroc notoire très proche de Trump développe ces thèses sur son site Infowars qui est suivi par des centaines de milliers d’Américains. Il fait suivre ces analyses d’un appel à la rébellion, donc à la guerre civile pour sauver l’Amérique du communisme, et lui-même des tracas de la justice qui le poursuit dans plusieurs dossiers copieux. Les médias dominants aux Etats-Unis s’appliquent à démontrer que les thèses qu’Alex Jones développe sur Bill Gates sont totalement sans fondement, mais les croyants n’en ont cure. Que les grands médias veuillent démasquer cette bêtise à front de taureau est au contraire la preuve que Jones a raison et qu’on cherche à le persécuter. Les complotistes cependant sont assez bien aidés par l’antipathie que dégagent naturellement des gens comme George Soros ou Bill Gates.

  

La bonne question est de savoir pourquoi les thèses complotistes ont-elles un aussi grand succès alors que manifestement elles sont construites sur du vent ? Le site Conspiracy watch passe son temps à démonter ces théories complotistes, en regardant ceux qui y adhérent comme de simples imbéciles[1]. Ce n’est pas faux, mais c’est très insuffisant, on pourrait tout aussi bien renvoyer de la même manière l’ensemble des croyants, chrétiens, musulmans, juifs, ou autres à un manque flagrant de pensée rationnelle. Lordon soutient fort justement que si les théories complotistes fleurissent comme jamais, c’est d’abord le résultat d’une dévalorisation continue des paroles institutionnelles[2]. Dans cet effondrement de la parole institutionnelle, il y a deux phénomènes, le premier est cette idée selon laquelle il faut apprendre à penser par soi-même et donc douter de tout ce qu’on nous raconte. Dans ce sens la         pensée scientifique parait elle aussi participer d’une sorte de « complot » destinée à nous contraindre. C’est une manière détournée de critiquer la technologie. Parmi les théories complotistes, on trouvera de nombreux développement sur les méfaits de la 5G par exemple ou des compteurs Linky, ou encore sur le fait que des accidents nucléaires soit cachés, ce qui n’est pas sans fondement. 

Et puis, il y a que les gouvernements, la presse, nous ont tellement habitués aux mensonges répétés que par principe on ne les croit plus. On se souvient d’Agnès Buzyn avançant que le risque que le COVID-19 s’installe chez nous était proche de zéro, avant d’ajouter plus qu’elle avait tout fait pour prévenir la pandémie[3]. Autrement dit nous avons le choix entre une théorie officielle et officialisée par les médias dominants et une théorie développée par des semi-fous, intéressés par sa propagation dans le but de faire fortune ou d’alimenter les tensions sociales. Les « décodages » qu’on trouve vie Le monde ou Libération sont très souvent peu convaincants, et pire encore ils semblent être là pour conforter une théorie vaseuse. La première raison d’une croyance dans une théorie du complot est bien que des complots il y en a eu, il y en a et il y en aura encore. Regardons le tableau ci-dessous. On voit qu’il mêle tout et n’importe quoi. Par exemple en France 16% des personnes interrogées pensent que l’homme n’a jamais été sur la lune, 9% pensent que la terre est plate. Il est facile de voir que ces croyances ne sont pas de même nature que celles qui avancent qu’il y a une collusion entre le gouvernement et l’industrie pharmaceutique ou qu’il y a un grand remplacement, ou encore que la CIA a été impliquée dans l’assassinat de Kennedy. Dans le second groupe nous avons un taux d’adhésion entre 48 et 55 %. Mais il faut dire que cela repose aussi sur des faits. La collusion entre les laboratoires et les gouvernements est avérée, bien que cela ne veuille pas dire que ce sont les laboratoires qui s’amusent à créer des virus pour se faire de l’argent. La théorie du grand remplacement est alimentée par le fait que des quartiers entiers deviennent des territoires perdus de la République c’est visible à l’œil nu[4].

  

En vérité dans le développement des théories du complot il y a bien autre chose encore. Il y a une forme d’impuissance politique qui se manifeste. « A une époque de supercherie universelle, dire la vérité est un acte révolutionnaire » disait Orwell dans 1984. Orwell qui est malheureusement récupéré maintenant par les complotistes. Et donc dès qu’on se trouve désemparé devant un mensonge officiel, alors on s’empare d’une théorie loufoque comme d’un acte révolutionnaire au nom de la vérité. Par exemple une partie des Américains qui soutiennent Trump pensent que celui-ci se bat dos au mur contre l’oligarchie. Ils ne réfléchissent pas au simple fait que celui-ci appartient lui-même à l’oligarchie la plus corrompue. Ils ne tiennent pas compte même du fait qu’il aura été le plus grand menteur de tous les temps en politique, alors que pourtant sur ce terrain la concurrence est pourtant rude[5]. Mais justement c’est là qu’il devient intéressant parce qu’en mentant ouvertement il soude derrière lui les croyants, plus il ment, plus il les soude, plus il fait apparaître ceux qui combattent ses théories complotistes comme des gens qui ont quelque chose à cacher. Autrement dit si les Américains, gens crédules par principe, adhèrent facilement aux théories du complot – même d’ailleurs si celles-ci se contredisent l’une l’autre – c’est parce qu’ils pensent qu’ainsi ils produisent une réflexion et qu’ils retrouvent une autonomie politique. On pourrait ainsi qualifier les adeptes des théories du complot comme des révolutionnaires paresseux. Très mécontents de la société dans laquelle ils vivent pour des raisons multiples et variées, ils se rabattent vers des discours qui confortent leurs aigreurs et qui en même temps les paralysent pour agir puisqu’en effet si la vie sociale et politique est dominée par des sectes pédo-satanistes surpuissantes, il n’y a pas de possibilité d’y échapper. Les complotistes adorent les discours de violence, par exemple pour les conséquences des élections perdues par Trump, ils en appellent à la loi martiale et à un coup d’Etat. Ils répandent même que ce coup d’Etat est déjà en marche et programmé parce que Trump a vu beaucoup plus loin que tout le monde ! Le 19 décembre, on a fait état d’une réunion houleuse à la Maison Blanche où certains affidés de Trump, dont le délinquant Michael Flynn récemment sorti de prison par la grâce du président battu, ont tenté de lui forcer la main pour qu’il accomplisse un coup d’Etat et réorganise une nouvelle élection[6]. Mais il semble que cette forme de fascisme ne soit pas compatible avec les Etats-Unis et Trump y aurait renoncé. S’il avait accéder à cette demande, il aurait entraîné les Etats-Unis dans la guerre civile avec la quasi-certitude de perdre. On voit que dans ce cas-là le développement des thèses complotistes aurait servi de justification du coup d’Etat, un peu comme l’incendie du Reichstag qui servi à Hitler de prétexte pour suspendre les libertés et établir une dictature. Mais dans la réalité les trumpistes sont très peu nombreux pour s’engager réellement dans une guerre civile, heureusement sans doute. Ils préfèrent paresser devant leur ordinateur à lire les dépêches de The epoch times en buvant leur café, du reste même les manifestations programmées pour aider Trump dans sa tentative de coup d’Etat n’ont pas mobilisé grand monde. C’était autre chose au moment de la Guerre du Vietnam. 

Les Proud boys sont peu nombreux pour mener une guerre, heureusement 

A première vue le complotisme actuel s’apparente à une régression intellectuelle, une incapacité à analyser des phénomènes sociaux, économiques et politiques complexes. Et en effet, cela s’accompagne d’une régression du niveau scolaire principalement dans les pays occidentaux qui ont fait une mue vers le néolibéralisme, tandis que les mêmes tests dans les pays asiatiques indiquent une progression nette[7]. Mais ce défaut éducatif n’est pas suffisant pour expliquer cet engouement pour les théories complotistes. C’est un peu comme si on avait longtemps mis un couvercle sur cette possibilité et que maintenant tout le monde se lâche dans cette forme nouvelle de créativité. Gavin McInness, le leader des Proud boys est ouvertement raciste et nazi. Et cette position en marge le fait connaître et lui permet de mener un business florissant via les réseaux sociaux. Mais dans la réalité, s’il prône la violence, il n’a pas beaucoup de troupes prêtes à le suivre sur ce chemin scabreux. Alex Jones est sur la même ligne très symboliquement enragée. Ces théories pour violentes qu’elles soient ne mènent pas à grand-chose sur le plan concret, au contraire elles confortent les consommateurs dans leur passivité. Au fond elles sont le symétrique des mensonges officiels : les uns nous disent tout va bien, tout est sous contrôle, les autres, tout va mal, le monde s’effondre. Elles sont là non pas pour combattre les mensonges mais par leur extravagance, elles les confortent. Elles ne dénoncent pas les complots, elles les appellent. Ces tendances qui existent depuis que l’homme sait écrire, sont maintenant amplifiées par les réseaux sociaux sur lesquels l’information comme la désinformation ne sont pas filtrées. Là où Trump a innové et de beaucoup, ce n’est pas tellement qu’il ait menti plus qu’aucun autre président avant lui, c’est qu’il s’est placé en même temps des deux côtés de la barrière, il a fait du mensonge d’Etat dont il était le garant à la fois un instrument de propagande, mais aussi un objet de haine en prétendant combattre l’Etat profond, comme si cela était possible qu’en tant que chef de l’Etat sensément le plus puissant de la planète, il se devait de le combattre comme une sorte de Moloch, comme s’il n’appartenait pas lui-même de par sa fortune, de par sa naissance et de par sa fonction à l’oligarchie ! Le complotisme est toujours une avancée de la décomposition d’un système. 

Les trumpistes aiment jouer avec l’idée de pédophilie qui serait l’apanage de l’Etat profond, ça les émoustillent

Le succès des thèses complotistes reposent largement sur leur grande simplicité. A un problème quelconque on désigne un ennemi tapis dans l’ombre qui guette le moindre de vos faux pas. Cela a deux avantages, d’abord d’être compréhensible par à peu près n’importe qui, ensuite de donner la satisfaction à ceux qui adhéreront à cette « théorie » de découvrir quelque chose de cacher, et donc d’être à leur tour des initiés. Le développement inattendu des thèses complotistes de ces dernières années a eu un résultat surprenant, celui de ramener la thèse du complot juif, aussi criminelle soit-elle, à une dimension qui va au-delà de l’antisémitisme. Elles font apparaitre l’antisémitisme comme une théorie complotiste parmi tant d’autres et dévoile en quelque sorte son fondement. Bien sûr de très nombreux complotistes continuent à amalgamer Soros, Rothschild et quelques autres avec un complot juif destiné à dominer la planète, mais ils sont en train de devenir minoritaires : plus le complotisme devient massif et moins le complot juif a d’importance. Il est vrai que Trump en se déclarant soutien inconditionnel d’Israël a quelque peu fait baisser le poids de l’idée selon laquelle les Juifs sont toujours dans les mauvais coups. Aujourd’hui ils sont officiellement remplacés par les sectes pédo-satanistes ou bien entendu les enfants sont sacrifiés à des cultes sexuels orgiaques. C’est une reprise en mineur de la thèse selon laquelle les Juifs sacrifient les enfants non-Juifs pour leurs rituels. Le fait que Jeffrey Epstein ait été impliqué dans des scandales sexuels avant de se suicider – ou d’être suicidé c’est selon l’idée qu’on se fait de l’étendue du complot – bien sûr est souvent mis en avant. Certains ont même avancé que Trump avait libéré des caves des centaines d’enfants enlevés et abusés. Cependant les complotistes ne sont pas vraiment des révolutionnaires épris de liberté, ils sont partisans d’un ordre policier, de faire le ménage par tous les moyens, donc d’épurer ceux qui se révèlera irréformables. En ce sens ils sont dans la ligne des dictatures nazi et stalinienne qui désignait tout opposant comme un individu complotant contre le régime et par voie de conséquence contre la patrie ! On a vu ça dans l’Allemagne nazi, dans la Russie de Staline, dans la Chine de Mao ou encore au Cambodge avec Pol Pot. Le complotisme est une autre façon d’élargir la notion de trahison à tout ce qui conteste le pouvoir en place sans donner d’explication précise, toute justification- est superflue. 

 

Un des phénomènes importants dans le complotisme et qui est rarement souligné, c’est pourtant l’esthétisme particulière qui l’accompagne dans son imagination créative. Il utilise à la fois des slogans simples et en même temps mystérieux – par exemple dans l’usage détourné des symboles de la Franc-maçonnerie. La pieuvre est présente pour montrer à quel point le danger est important, car une pieuvre a plusieurs tentacules et les couper tous n’est pas un travail facile car elles repoussent au fur et à mesure. C’est le mythe de la Méduse et de Persée, il faut frapper à la tête, la décapiter si on veut s’en débarrasser. Mais frapper la tête n’est-ce pas aussi d’une certaine manière vouloir aussi s’écarter de la connaissance et de la rigueur que cela implique ? Revenir à des formes instinctives de prises de position ? Comme on le voit ci-dessus, l’image de la pieuvre qui renvoie au complotisme si elle a été véhiculée d’abord par l’extrême-droite, n’est pas seulement l’apanage de celle-ci. On a utilisé ce terme pour représenter la mafia qui a forcément un pouvoir occulte. La France Insoumise de Mélenchon dans un confusionnisme extrême l’a utilisée aussi comme si elle entendait libérer l’Europe – il n’est donc plus question d’en sortir – d’un lobby forcément complotiste. Eux-aussi nous demandent d’ouvrir les yeux comme n’importe quel disciple de QAnon.

Mais il y a une certaine poésie ches les complotistes, à condition de ne pas les prendre au sérieux bien sûr. Ils récréent une vérité alternative, c’est du domaine des contes de fées, peuplés de perosnnages malfaisants qui perdent l’ultime bataille.  Leur langage c’est celui de l’Apocalypse ou des films de zombies. Ils jouent à se faire peur, après l’effondrement à cause de nos péchés, viendra le recommencement sur la base d’un ordre vertueux fondé sur les vertus supposées d’un ordre nouveau. C’était évidemment la rhétorique nazie qui avait largement utilisé ce besoins de pureté des masses qui ont l’impression de vivre dans la fange et de patauger dans une vie sans avenir. La question du virus et du vaccin qu’on a créé pour tenter de vaincre la pandémie amène les complotistes à refaire surgir la figure du savant fou qui de la figure fictive du docteur Frankenstein à celle bien réelle du docteur Mengele ravive les peurs d’une manipulation à grande échelle pour transformer l’humanité en quelque chose de peu acceptable. 

Evidemment le 18 décembre il ne s’est rien passé !



[1] https://www.conspiracywatch.info/

[2] https://blog.mondediplo.net/paniques-anticomplotistes

[3] https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/direct-coronavirus-la-direction-generale-de-la-sante-tient-une-conference-de-presse-a-19h15_3794499.html

[4] Emmanuel Brenner, Les territoires perdus de la Républiques, Editions des milles et une nuit, 2002.

[5] https://www.rtl.fr/actu/international/etats-unis-donald-trump-a-depasse-la-barre-des-20-000-mensonges-7800667836

[6] https://edition.cnn.com/2020/12/19/politics/trump-oval-office-meeting-special-counsel-martial-law/index.html

[7] https://www.linternaute.com/actualite/education/1310839-pisa-2022-le-dernier-classement-et-les-resultats-de-la-france-mis-en-perspective/

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