mercredi 1 septembre 2021

Jean-Pierre Vittori, Une histoire d’honneur, la Résistance, Ramsay, 1984.

  

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et malgré les très nombreux travaux des historiens, on continue à trimbaler des idées fausses sur la Résistance. L’excellent ouvrage de l’historien Pierre Laborie qui malheureusement nous a quitté il y a quelques années maintenant, tentait d’expliquer pourquoi on s’est acharné en France à dénigrer systématiquement la Résistance[1]. La critique du résistancialisme venait d’abord de ceux qui n’y avait pas participé, et donc aussi des anciens pétainistes qui aimaient bien cette idée selon laquelle la quasi-totalité de la population française était un ramassis de collaborateurs, ces idées ont été largement le fonds de commerce de Michel Audiard dont le flirt avec la collaboration et l’antisémitisme ne font aucun doute[2]. L’autre idée majeure était de faire croire que l’épuration avait été sauvage et désordonnée, souvent menée par des résistants de la 25ème heure. On a fait même semblant de rire aux facéties d’Arletty qui, accusée de collaboration horizontale avec un officier de l’armée d’occupation s’en était tirée en avançant : « Mon cœur est français, mais mon cul est international »[3], c’était une très grande amie de l’effroyable Céline dont elle ne pouvait ignorer le profond antisémitisme et les orientations nazies. Elle ne fut même pas tondue. L’historienne Annie Lacroix-Riz dans un ouvrage récent, passionnant et très documenté, a montré pourtant que l’épuration avait été pour des raisons confuses et multiples assez peu large, les mêmes juges qui condamnaient au nom de l’application de la loi les Résistants, se retrouvèrent en effet à juger des collaborateurs. Son livre s’intitule La non-épuration en France : de 1943 aux années1950[4]. Si certains personnages emblématiques furent fusillés, beaucoup échappèrent. La carrière de crapule de Maurice Papon qui pourtant organisa la déportation des Juifs du Sud-Ouest est un exemple des plus parlants. Mais on pourrait en citer d’autres. Par exemple Céline qui après avoir suivi le chemin de Sigmaringen, la merde au cul, bénéficia d’une mansuétude d’un tribunal militaire qui le blanchit. Beaucoup de ceux qui ont échappé à l’épuration ont bénéficié de ce qu’on est bien obligé de regarder comme une solidarité de classe.  

D’autres idées aussi lugubres et fausses ont tenté de faire croire que les communistes avaient été des collaborateurs, attendant l’attaque de la Russie pour entrer en résistance. Alain Guérin a lui aussi a fait litière de cette fable[5]. Même si ce fut dans un grand désordre, parce que les communistes étaient pourchassés bien avant l’arrivé de Pétain au pouvoir, ils commencèrent ç s’organiser dès le mois de juin 1940.

Comme on le comprend ce dénigrement lâche et pitoyable de la Résistance a d’abord des raisons politiques. La Résistance est déjà prévue de longue date puisque dès 1932, la Banque de France met en place un plan d’évacuation de son stock d’or, afin qu’il ne tombe pas dans les mains des nazis. En mai 1940 ce plan est mis effectivement en place. Cela gênera considérablement les nazis puisqu’ils seront régulièrement à cours de liquidité pour financer leur expansion, et ce qui les amènera d’ailleurs à accélérer le pillage de l’Europe[6]. 

Lycéens et étudiants commémorent, malgré l’interdiction, la victoire de 1918 la France sur l’Allemagne, c’était le 11 novembre 1940 

Mais ce rappel n’est pas le but du livre de Vittori, c’est juste histoire de faire comprendre le contexte. Une histoire d’honneur, est une galerie de portraits de résistants. Le but est de montrer que ces hommes et ces femmes qui se sont engagés au péril de leur vie venaient d’horizons différents. Ce qui à mon sens est déjà le reflet d’un large soutien de la population française au mouvement de la Résistance. Evidemment il n’était pas toujours facile de résister concrètement. L’Occupation allemande a duré quatre ans. Et après la défaite de juin 40, il fallait s’organiser, ce qui prend du temps, trouver des camarades sûrs, définir des cibles. Les mouvements de résistance étaient divers, les uns faisaient du sabotage, d’autres de la propagande, du renseignement et certains se préparaient à la lutte armée. L’armée de l’Armistice réduite à l’état de symbole, pourtant inféodée à Vichy, s’appliquait à récupérer des armes et à les cacher aux nazis, beaucoup de militaires croyaient d'ailleurs de bonne foi que Pétain n’était pas vraiment gâteux, mais qu’il rusait et qu’il allait prendre la tête de la reconquête[7]. Evidemment, contrairement à ce que fait semblant de croire le malheureux Eric Zemmour qui a de terribles lacunes en histoire, il n’en fut rien et au lieu de soulager les Français et les Juifs, il les livra aux Allemands, les premiers étant affamés et les seconds carrément raflés et livrés aux camps de concentration. D’ailleurs le fait qu’heureusement de très nombreux Français soient venus en aide aux Juifs pourchassés par Vichy montre toute l’étendue de la Résistance. Mais les Allemands ont rapidement compris l’ampleur du problème, après un moment de sidération, la Résistance s’est trouvée comme un poisson dans l’eau. Ils abandonnèrent les sourires pour mettre en place une politique de terreur, avec otages fusillés, et autres brimades. Du reste les souffrances et les privations comme conséquence de l’Occupation ne pouvaient pas disposer favorablement Les Français à la collaboration. S’il est évident que des collaborateurs il y en a eu beaucoup, beaucoup trop, ils étaient très loin d’être une majorité. Le nombre de fusillés par les Boches dès 1940 pour actes de sabotages indique évidemment que ceux-ci savent très bien qu’ils ne sont pas les bienvenus et qu’ils sont haïs. Mais le fait que ces exécutions interviennent si tôt prouve évidemment que la résistance a commencé dès le lendemain de la défaite. Être obligé de rappeler ces banalités de base est lamentable et montre que toute une frange de l’intelligentsia qui sévit dans les médias ou qui commet des livres abuse de sa position privilégiée pour entretenir le défaitisme.

Simone Ségoin avait 19 ans quand elle s'engagea dans la Résistance armée


Dès septembre 1940, les Boches entreprennent de fusiller les Résistants 

Bien entendu la Résistance était diverse, c’est ce que montre Jean-Pierre Vittori. Dans son ouvrage on côtoiera des figures très connues comme Lucie et Raymond Aubrac. Ceux-ci prolongeront le combat de la Résistance en soutenant les mouvements de libération nationale en Indochine ou en Algérie. Mais d’autres comme Hélie Denoix de Saint-Marc, à l’inverse penseront que lutter avec l’OAS pour garder l’Algérie à la France était leur devoir de patriote. La confrontation entre Jean-Pierre Vittori et le vieux soldat est intéressante, l’auteur ne cache pas son admiration pour lui, bien qu’il ait été à l’inverse un partisan de l’indépendance algérienne. La figure du général de Gaulle plane au dessus de tout ça puisqu’il a sans doute encore plus qu’un autre représenté l’esprit de résistance. Voilà ce qu’il dit :

« Qu’est-ce qu’être gaulliste ? Je crois que c’est une chose dangereuse de faire confiance à un homme d’une manière aveugle. Un homme peut se tromper… Je crois qu’on peut servir une idée, mais je n’ai jamais servi un homme. Il s’est trouvé aue q uand j’avais dix-huit ans, j’étais gaulliste. DE Gaulle signifiait, personnifiait, l’idée de la libération qu’on retrouverait un jour ; il personnifiait l’esprit d erésistance ; car si on ne doit pas faire confiance à un homme à 100%, il est bon, de temps à autre, qu’un homme personnifie une idée. Entre les deux la sagesse existe »

Parmi les hommes de droite qui furent des vrais résistants, il y a la figure énigmatique du colonel Paillole. Vichyste au début de l’Occupation, il met en place un service de contre-espionnage d’une redoutable efficacité qui l’amènera à exécuter et à faire exécuter des espions allemands ! Ce qui prouve que la mainmise de Boches laissait à désirer et qu’à Vichy trafiquaient de nombreux résistants qui penchaient du côté de Girault, de Pétain, voire même pour certains de de Gaulle. Paillole montre d’ailleurs que des vichystes convaincus n’hésitaient pas à collaborer avec des réseaux gaullistes et à les couvrir. Cela devrait d’ailleurs suffire pour qu’on ne ressorte pas l’idée stupide de Mitterrand qui n’aurait pas été un vrai Résistant parce que Pétain l’avait décoré de la Francisque. Les Résistants étaient aussi camouflés et travaillaient dans l’ombre, surtout à Vichy, pour organiser des réseaux, mais aussi pour espionner et transmettre des informations capitales pour les alliés.  

Les femmes jouèrent un rôle décisif dans la Résistance, y compris en prenant les armes 

Tout cela s’est fait aussi avec pas mal de rancœurs. D’abord parce que le vieux monde continuait avec ses privilégiés et ses exclus. On voyait des Résistants de la 25ème heure, comme Maurice Papon qui est souvent cité assurer la continuité de l’administration avec le Vichy. Mais aussi parce que pour beaucoup les orientations du CNR n’avaient pas été suffisamment appliquées.  Et puis ceux qui s’étaient battus les armes à la main, qui avaient risqué leur peau retournèrent à la vie civile, tandis que d’autres retrouvaient leur position de notable. Une partie des maires qui seront élus à la Libération furent des anciens pétainistes. Même chose pour les juges, on l’a dit, et les policiers. L’ordre était restauré. Roger Vollet lui insistera sur l’importance de la Résistance sur le plan militaire. En effet cette Résistance-là permit de ralentir le regroupement des forces militaires allemandes qui tentaient d’empêcher le débarquement en Normandie. Les Résistants, souvent mal équipés, inexpérimentés, non seulement faisaient dérailler des trains, mais ils harcelaient les Allemands. Les FFI n’étaient pas une poignée, mais des dizaines de milliers et le plus souvent ils avaient un grand sens du devoir. On estime que 15 000 soldats des FFI ont perdu la vie.   

Jean-Pierre Vittori qui a été journaliste à L’Humanité, donc communiste ou très proche a mis ses idées entre parenthèses pour partir à la recherche de la vérité. La diversité des personnes interrogées le montre. J’aime beaucoup aussi la façon directe dans laquelle l’ensemble a été retranscrit. C’est direct, clair, lucide je dirais. Ce ton m’a rappelé aussi les articles que Roger Vailland avait écrit sur cette période trouble. Vittori met en avant la droiture, le sens de la parole donnée par-delà les prises de position politiques, ce qui explique le titre de son ouvrage, Une question d’honneur. La Résistance fut aussi une question de morale. 


[1] Le chagrin et le venin, Bayard, 2011.

[2] « La vérité sur l’affaire Michel Audiard », Temps noir n° 20, 2017.

[3] On dit que ce mot est apocryphe et serait dû à Henri Jeanson.

[4] Armand Colin, 2019.

[5] Chronique de la Résistance, Omnibus, 2010.

[6] Tristan Gaston-Breton, Sauvez l’or de la banque de France, Le Cherche Midi, 2002.

[7] Pétain a toujours été considéré comme un médiocre militaire par ses collègues Joffre et Foch. Le premier avançait que c’était Nivelle qui avait gagné la bataille de Verdun, et le second lui fit retirer le commandement général des armées pour son manque de courage. Emmanuel Macron qui est à la fois stupide et ignorant ne semble pas connaître tout ça, ce que devrait connaître en réalité tout élève qui a son baccalauréat. Il a avancé bêtement que Pétain avait été un grand soldat, alors que ses pairs le considéraient d’abord comme un intriguant et une couille molle. https://www.lexpress.fr/actualite/politique/qu-a-vraiment-dit-macron-sur-le-marechal-petain_2046919.html

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