dimanche 2 janvier 2022

Analyse du « programme » de Zemmour

 

Le premier point à critiquer dans le programme de Zemmour est son approche de l’économie. Elle montre qu’il ne comprend absolument rien à ce sujet. Dans le numéro du 23 décembre 2021 de Valeurs actuelles daté qui est son soutien officiel, il donne une longue interview où il joue les experts en économie. Il cite comme une de ses sources importantes Bernard Esambert qui fut conseiller de Georges Pompidou mais aussi conseiller du groupe Bolloré. Citer Georges Pompidou a quelque chose de daté, mais c’est faire oublier aussi que celui-ci, ancien banquier de chez Rothschild comme Macron, fut aux débuts du démantèlement de la Sécurité sociale au nom de l’intégration européenne en 1967 et également de l’entrée de l’Angleterre dans l’Europe, ce qui permit d’infléchir l’Union européenne qui s’appelait à l’époque la CEE – Communauté Economique Européenne – vers une approche beaucoup plus libérale et plus centrée sur le libre échange que sur l’harmonisation de la fiscalité et du droit du travail.

Zemmour est comme Macron et Pécresse d’abord un européiste, il veut rester dans l’euro et dans l’Union européenne, ce cadre lui convient très bien. Cela veut dire qu’il veut jouer le rôle de la concurrence avec les autres pays européens dans le cadre de la monnaie unique. C’est une faute majeure, ou plutôt c’est la conséquence de son approche néolibérale de l’économie. Les idées qu’il avance sont celles de l’époque Reagan-Thatcher, idées qui s’appuient sur la vieille antienne, baisse des impôts pour les riches et les entreprises, baisse des « charges sociales » et privatisations. En supposant que le « ruissellement fera le reste ». Il est comme Macron, Pécresse et Bruno Le Maire dans le strict cadre européen et pro-business. De ce point de vue, il n’y a pas l’épaisseur d’un papier de cigarette entre eux. Ce positionnement est mauvais en soi et pour soi, sur le plan culturel, civilisation, puisqu’il même au fédéralisme inévitablement, mais aussi, et c’est ce qui nous préoccupe ici, sur le plan économique. Il appauvrit la France. D’abord parce que cette appartenance revendiquée signifie qu’on ne pourra pas dévaluer la monnaie pour retrouver de la « compétitivité », ou disons qu’on ne pourra être compétitif qu’en dévaluant les salaires. Cette question appelle deux remarques préliminaires. D’abord il ne semble pas que Zemmour connaisse le coût de l’euro pour l’économie française. Une étude du CEP, un think tank germanique de tendance plutôt libérale, tirait le bilan de 20 ans d’euro[1]. Il y a des gagnants et des perdants. Les résultats sont résumés dans le tableau suivant, la première colonne représente la perte ou le gain sur vingt ans par habitant et le seconde la perte ou le gain pour le pays durant la même période. 

 

Les grands perdants de l’euro sont la France et l’Italie, le grand gagnant est l’Allemagne. La France a perdu a cause de son passage à l’euro.  Cette étude a été critiquée par les économistes tenant de l’intégration européenne, mais en réalité elle est corroborée par l’évolution des balances commerciales comme nous pouvons le voir dans le graphique ci-dessous et par les différentiels d’inflation entre les pays. Jacques Sapir a beaucoup écrit sur ce thème[2]. 

Evolution des exportations dans la zone euro depuis l’introduction de l’euro 

Zemmour nous raconte qu’il ne veut pas diviser les électeurs de droite sur la question de l’euro ou du Frexit. Cette timidité appelle deux remarques :

- la première est qu’il avoue ne s’adresser qu’aux électeurs de droite et ne se propose pas de rassembler les Français ;

- la seconde est qu’il a déjà divisé les Français au moins sur la question de la défense incongrue de Pétain.

On pourrait rajouter d’ailleurs que Zemmour connaît mal les Français, car tout indique que la France est après la Grèce et l’Italie le pays le plus hostile à l’intégration européenne. Ce qui explique que personne ne se risque à envisager un référendum sur ce thème. Zemmour envisage un référendum sur la question de l’immigration, mais pas sur l’appartenance à l’euro et à l’Union européenne. C’est un choix significatif de ce qu’il est.

Mais lui-même qui n’en parle pas serait-il pour ou contre la sortie de l’euro ? En vérité dans la présentation qu’il fait de la désindustrialisation de la France il ne suppose pas un instant que la monnaie unique a joué un rôle primordial. Dans la présentation de son programme, il fustige les gouvernements précédents qui auraient toléré un déficit commercial de plus en plus criant. Mais il donne sur son site Zemmour 2022 le graphique suivant qui montre en réalité que le déficit commercial de la France est clairement lié à l’introduction de l’euro. 

 

Si le point faible de Zemmour c’est d’abord l’économie, c’est parce qu’on ne peut pas en même temps être souverainiste et mondialiste, une porte ne peut pas être en même temps ouverte et fermée. Or les réformes de type néolibéral qu’il propose, mènent directement à la mondialisation des économies et c’est même pour ça qu’elles ont été faites. C’est dans le cadre national que les réformes vers plus d’égalité sociale se développent, on connait ça depuis au moins James Steuart[3]. Il nous dit donc que la désindustrialisation est la cause du déficit commercial. Et il sort un graphique qui montrerait une corrélation entre déficit commercial et part de l’industrie dans le PIB. Un graphique ça a l’apparence du sérieux. Mais s’il y a bien un lien entre les deux il faut se poser la question de pourquoi la France s’est-elle désindustrialisée ? Or là Zemmour et son équipe calent. Mais l’explication à ce phénomène malheureux existe pourtant. Si on a un déficit c’est parce qu’on importe plus qu’on exporte, et si on se trouve dans cette situation c’est parce que la France n’est pas souveraine et se trouve livrée aux quatre vents de la mondialisation. Or le manque de compétitivité de la France sur le terrain de l’industrie tient à un simple phénomène monétaire. Quand on est rentré dans l’euro, c’est comme si on avait réévalué le France et dévaluer le mark. Donc les produits allemands sont devenus moins chers et se sont mieux vendus, et les produits français se sont révélés trop chers et se sont moins bien vendus. Ne pas tenir compte de cela est une marque radicale d’incompétence. Ça ne sert à rien dans les conditions actuelles de dire qu’on va réindustrialiser la France, ou qu’on va prendre des mesures protectionnistes qui sont interdites par les traités de l’Union européenne ou notre adhésion à l’OMC si on ne maitrise pas la monnaie.

 

L’incompétence zemmourienne en matière d’économie se remarque quand il avance des idées stupides pour améliorer le pouvoir d’achat. Il remarque en mélangeant les impôts qui sont gérés par l’Etat et les cotisations sociales tout, alors que les cotisations sociales ne sont pas gérées par l’Etat mais par un organisme paritaire qui s’appelle l’URSAFF et qui est alimenté par les cotisations patronales et salariales qui sont une sorte de salaire différé. Voyons ces mesures il propose d’augmenter le salaire net des travailleurs modestes jusqu’à plus de 100 € par mois – plus se 100 € par mois, c’est combien ? – cette mesure serait financée par une baisse des impôts sociaux. On ne sait pas ce que sont ces impôts sociaux dans la nomenclature des impôts cela n’existe pas. Mais je suppose qu’il veut parler d’une baisse des cotisations sociales. Cependant s’il y a une baisse des cotisations sociales, il faudra bien trouver de l’argent ailleurs pour financer la santé, le chômage ou les allocations familiales. Sur ce point il est évidemment muet.

Passons sur cette idée loufoque de décharger totalement les heures supplémentaires d’impôts et de charges sociales – il emploie comme tous les libéraux les mots de charges sociales en lieu et place de cotisations sociales, évidemment parce qu’il pense que le travail est un coût qui doit être minimiser. On sait que cette idée conduit fatalement au chômage parce que pour des raisons d’effet d’aubaine comme on dit les patrons préféreront payer des heures supplémentaires que d’embaucher.

L’idée de faire rembourser par les entreprises 50% des frais de déplacement domicile travail existe déjà mais l’équipe de Zemmour peu au courant des conditions de vie des salariés ne le sait pas, et lui non plus[4].

Il suppose également que de supprimer la redevance audiovisuelle amènerait plus de pouvoir d’achat, 138 € par an, soit un peu plus de 10 € par mois, on voit que le gain serait minuscule, voire invisible pour peu qu’on ait de l’inflation, ce qui est le cas aujourd’hui. Bêtement il nous dit que cette suppression serait compensée par la privatisation des chaînes l’audiovisuel public. Mais si ces chaînes sont privatisées, on ne comprendrait pas qu’on ait besoin des recettes de la redevance audiovisuelle. Dans cet enfumage de première classe, on fera remarquer que les recettes de la redevance de l’audiovisuel sont un flux annuel, alors que la privatisation c’est un stock, on ne peut pas privatiser ces mêmes chaîne chaque année. Mais, au fait, à qui donc Zemmour compte-t-il vendre ces chaînes ? A Bolloré, son patron ? Cette idée qu’une largesse budgétaire ne doit pas engendrer de nouveaux impôts, et donc devra-être compensée par une privatisation est une antienne de la pensée néolibérale. C’est une position qu’aime la crapule qui profite de temps à autre de la braderie des biens de l’Etat comme pour les autoroutes par exemple. 

 

L’idée de l’universalité des allocations familiales est un clin à ses soutiens issus de la Manif pour tous et il suppose que ce serait là un stimulant puissant pour que les Français les plus riches se remettent à pondre des mouflets. Mais également le doublement du plafond du quotient familial profiterait d’abord aux catégories les plus aisées. Ce sursaut nataliste permettrait il d’avoir une France avec 100 millions de Français ? Permettrait-il de faire face aux hordes barbares voulant nous envahir ? Quel est son but ? Sachant que le progrès civilisationnel s’est toujours accompagné d’une baisse de la fécondité.

Éric Zemmour ne roule pas pour les travailleurs et son équipe non plus. Son programme est un programme néolibéral tout à fait dans la lignée de Macron. Il a beau être moins souriant, sinistre même, on a compris qu’avec lui les salariés vont en chier. Il a prévenu, il reprend le vieux thème pétainiste selon lequel les Français se sont trop longtemps livrés à la paresse, préférant les loisirs et les horaires courts à travailler au redressement de la France. Comme Macron il veut allonger l’âge de départ à la retraite et certainement vouloir revenir sur les trente-cinq heures. Il emprunte là encore sans originalité cette idée de « travailler » plus pour gagner plus au président délinquant, condamné par la justice à la prison ferme[5]. C’est typique des gens qui n’ont jamais travaillé de leur vie que de vouloir faire suer le burnous aux prolétaires de rien. Car comme Macron, Zemmour aime les apparats de la réussite monétaire, peu importe comment celle-ci a été obtenue. 

Sondage 2021 

On remarque que dans ce programme bric et broc il n’y a rien sur la santé, or c’est une priorité pour les Français, très loin devant la question de l’immigration, parce que non seulement l’hôpital public s’effondre sous nos yeux[6], mais aussi parce qu’on ne forme plus assez de médecins et de soignants. Or l’épidémie de COVID sur laquelle Zemmour qui est vacciné jusqu’aux sourcils, n’a aucune idée, a démontré que c’est un programme d’urgence qu’il faut mettre en place dans ce secteur. Une des raisons de cet état catastrophique est la tendance larvée à la privatisation, et les objectifs de résultats comme on gère une petite entreprise. Tenant des privatisations, Zemmour sur ce point n’a strictement rien à dire. Veut-il un système de santé à deux vitesses comme aux Etats-Unis ? on ne sait pas. Il est remarquable que sur ce point il est aussi très en retard puisque la très large majorité des économistes, fussent-ils libéraux, considèrent qu’un bon système de santé est un atout pour la croissance et la cohésion sociale, c’est une dépense indispensable d’infrastructure[7]. C’est peut-être dans le domaine de la santé que la France a subi son plus grand déclassement[8]. La crise du COVID l’a mis totalement en lumière, avec les manifestations régulières des soignants qui depuis que Macron est arrivé au pouvoir ont vu leurs revendications reçues à coups de matraque.

Le clou c’est sans doute son programme fiscal échevelé. Il propose une baisse des impôts sur les entreprises, réduire les droits de succession pour la transmission des entreprises, et tout ça permettrait selon lui un redémarrage de l’économie. Il y ajoute une baisse des taxes sur les carburants, une baisse des taux de CSG pour les salaires compris entre le SMIC et le salaire médian. Comment serait compenser cette perte pour l’Etat ? Essentiellement par la lutte contre les fraudes sociales – et non pas contre les fraudes fiscales. Il évalue celles-ci à 50 milliards d’euros par an, il retient le chiffre de Charles Prats[9]. Ce chiffre pose deux problèmes le premier est celui de sa vérité. Pour certains il ne serait de 14 milliards d’euros, ce qui est déjà beaucoup[10]. En règle générale ceux qui mettent en avant ces sommes sont aussi ceux qui voudraient voir les transferts sociaux diminuer, ces salauds de pauvres sont de fainéants et des assistés. Cette antienne bien connue depuis le milieu du XIXème siècle est un thème récurrent du patronat et de la droite. Bien entendu le phénomène existe on ne le niera pas. Mais miser sur la lutte contre la fraude sociale pour financer des baisses d’impôts est un pari risqué parce que pour cela il faudrait embaucher encore plus de fonctionnaires et ça ne peut pas se faire sur la courte durée. Sur ces 50 milliards hypothétiques combien l’Etat pourrait-il en récupérer ? Ce genre de proposition est c’est le chiffon rouge pour exciter l’électeur et tenter de faire croire que les politiciens de gauche sont de gros dépensiers, des sortes de cigales. Comme dirait Macron on dépense un pognon de dingue pour rien ! Une fois de plus Zemmour est exactement sur la même ligne idéologique, ce qui ne nous étonne pas. Evidemment si on s’en prend aux dépenses sociales qui coûtent un pognon de dingue, c’est comme si on refusait que les plus riches soient solidaires des plus pauvres en effectuant des transferts sociaux. C’est vrai que ces transferts sont particulièrement importants en France, mais n’est-ce pas cela qui fait que le taux de pauvreté est plus bas chez nous qu’en Allemagne ou en Angleterre ? Par ailleurs on nous dit que l’évasion fiscale coûterait entre 80 et 100 milliards d’euros à l’Etat et à la Sécurité sociale[11], or cette fraude fiscale est sans doute bien plus importante que la fraude sociale, mais Zemmour en bon trumpiste se refuse évidemment à ennuyer les premiers de cordée avec des contrôles tatillons qui sont bons essentiellement pour les pauvres. 

 

Le clou c’est sans doute le programme écologique de Zemmour. Ça tient en un seul mot : rien. Il est contre les éoliennes, comme Marine Le Pen et comme tout le monde en réalité – toujours cette vieille stratégie du coucou qui consiste à emprunter des idées aux autres pour faire croire qu’on en a et pour tenter de coller à l’opinion publique. Au moins Macron à l’idée – fausse, mais l’idée tout de même – du découplage et d’un verdissement du capitalisme. Mais comme Zemmour, petit homme sans imagination aucune, est dans l’idée que la croissance économique il n’y a que ça de vrai, il lui faut de l’énergie, et donc il propose un nucléaire « raisonnable » selon ses propres mots. L’accélération de la mobilité c’est son drapeau et donc il voudrait une énergie non polluante et peu onéreuse. On ne sait pas trop ce que c’est un nucléaire raisonnable alors qu’on n’a aucune idée de ce qu’on peut faire des déchets. Tous les productivistes sont évidemment sur le terrain du nucléaire parce que le nucléaire a l’apparence de ma propreté et de la sureté. Mais on sait que de temps il y a des Tchernobyl ou des Fukushima. Evidemment si on est pour la croissance économique infinie et pour la mobilité de tous dans tous les sens, alors il nous faut toujours plus d’énergie. Sauf évidemment que l’énergie propre ça n’existe pas, passer de l’énergie fossile à l’énergie nucléaire c’est juste déplacer le problème avec des dangers supplémentaires. Ce vide sidéral en ce qui concerne la question écologique, alors que c’est là une des préoccupations majeures pour les Français est éloquent en ce qui concerne la compréhension de notre époque par le pâle Zemmour..

De la même manière il croit qu’il est possible de rétablir un système ancien et performant en matière d’éducation. En effet il suppose comme tous les économistes qu’en augmentant le niveau d’éducation on sort les gens de la pauvreté. C’est une vérité toute relative qui s’appuie sur le fait que les plus diplômés sont les mieux rémunérés et moins exposés au risque du chômage. Mais nous savons aussi que quand le niveau de diplôme monte le chômage commence à atteindre une partie des diplômés. Mais dans l’idée de compétition entre les individus à laquelle adhère Zemmour comme Macron, l’éducation est censée compenser les inégalités dans les dotations initiales. Et puis l’éducation expliquerait le niveau de compétitivité des différentes nations. La France fait partie des pays qui ont régressé dans leur système éducatif, comme les Etats-Unis et bien d’autres, tandis que comme le montre les enquêtes PISA, les pays asiatiques au contraire ont beaucoup progressé, particulièrement dans le domaine scientifique qui est forcément nécessaire au développement industriel. En Occident on préfère former des traders et des financiers que des ingénieurs qui seraient nécessaires à une réindustrialisation du pays.

Que propose Zemmour pour redresser la barque ? Voici la liste de ses propositions :

– Rétablir l’autorité des professeurs

– Retour du « par cœur » et des leçons magistrales comme méthodologies d’apprentissage

– Fin du contrôle continu pour les lycéens

– Facultés plus sélectives

– Retour d’un enseignement « patriotique »

– Retour du contrôle des universités par l’État

– Fin des sensibilisations sur la théorie du genre dans les écoles c'est prématuré et inutilement perturbateur.

Quoiqu’on pense de ces mesures, on comprend que ce n’est pas très sérieux, ni à la hauteur des enjeux économiques. C’est du reste une des idées fausses de beaucoup de politiciens de croire que l’éducation doit servir à quelque chose et donc qu’elle doit avoir une sorte de rendement visible et mesurable. Derrière ces mesures on voit poindre une sorte d’autoritarisme, et la prétention d’un individu de définir le bon programme, il semble que ce soit l’influence des militants de la Manif pour tous qui soient ici à la manœuvre. On peut penser en effet que les dérives de l’éducation sont alarmantes, mais il faut d’abord en comprendre les ressorts. Pourquoi l’éducation est-elle devenue un enjeu aussi politique ? Et puis pour réformer l’éducation il faudrait peut-être commencer par comprendre que l’éducation en classe avec des professeurs n’est qu’une partie de l’éducation, le reste se fait avec la télévision, Internet ou les smartphones. Autrement dit, l’effondrement de l’éducation est le résultat non seulement d’un effacement de l’Etat, mais aussi du consumérisme. Les mesures que prétend prendre Zemmour ne sont pas des mesures propices à la formation de scientifiques, de médecins et d’ingénieur. Également il semble évident que de vouloir restaurer le contrôle de l’Etat sur les universités, non seulement est difficile mais en outre il est contradictoire avec le libéralisme affiché du candidat. 

 

Le programme de Zemmour ne se préoccupe pas des inégalités ni de justice sociale. Il suppose que si les lois du marché fonctionnent correctement les inégalités ne peuvent être que justes  et naturelle, mais bien sûr en favorisant comme il veut le faire l’héritage, il accroit nécessairement les inégalités au départ. C’est la même idée que celle de Macron et de ses premiers de cordée, la richesse finira bien un jour par ruisseler du haut vers le bas. Mais on sait depuis au moins deux siècles que cette théorie est fausse et que l’aggravation des inégalités, la polarisation de la richesse sur quelques individus finit par entraîner la crise et la misère. Plus récemment les travaux de l’INSEE ont montré qu’en France les inégalités se sont creusées depuis au moins le quinquennat de Sarkozy[12]. C’est l’effet des politiques fiscales en faveur des riches qui étaient censées relancer la croissance et donc, à défaut d’accroitre la part des pauvres, d’augmenter le gâteau. Zemmour reprend, sans aucune originalité, les vieux tics de la vieille droite, pour sortir les gens de la pauvreté, il vaut mieux accroître la taille du gâteau que de modifier les parts en faveur des pauvres. C’est sur ce genre d’idée fausse que repose sa politique fiscale. Ces idées sont dangereuses dans leur application parce qu’elles mènent à des excès de profits qui gonflent les revenus des plus riches, et vont se porter sur les produits spéculatifs et fabriquer une bulle financière qui éclatera tôt ou tard. Comme disait Mariner Eccles, les excès de profits ne vont pas à l’investissement, mais tuent le profit parce qu’elles engendrent la crise financière, puis économique. 

 

Le conformisme bourgeois de Zemmour en matière de politique économique qui ne le distingue en rien de Macron, Pécresse et autres disciples de Bruxelles, explique pourquoi il fait beaucoup d’air sur la question des immigrés, car s’il insiste trop sur la question économique il éloignera les rares prolétaires qui se sont tournés vers lui et il sera pris dans ses contradictions qui le rapprochent de la vulgate des politiciens néolibéraux. Les sondages montrent d’ailleurs que, contrairement à Marine Le Pen la candidature Zemmour ne perce pas dans les classes inférieures, il apparait clairement comme un candidat du bloc bourgeois et non comme un candidat de rupture. Ceux qui attaquent Zemmour sur la question de l’immigration et de l’Islam se trompent complètement de cible et en deviennent les meilleurs agents électoraux, tous comme les terroristes qui périodiquement égorgent telle ou telle personne au nom d’Allah. Quand on voit comment un « sociologue » comme Ahmed Boubeker attaque Zemmour sur le média Oumma, le média favori des Frères musulmans, il nous semble que cela pousse à voter Zemmour[13]. Dans le même genre on a l’inénarrable Éric Fassin – professeur de sociologie sans thèse – que Zemmour avait mis en évidence dans sa vidéo de lancement de sa candidature. Les « idées » de Zemmour sur l’immigration présentent deux caractéristiques. D’abord elles sont clairement démarquées, sans originalité, de ce que dit le Front National puis le Rassemblement National depuis quarante années. Mais ensuite elles présentent la particularité pour être appliquées de réclamer deux préalables :

– une grande révision constitutionnelle en France, ce qui suppose que Zemmour, s’il était élu, puisse réunir une majorité des 3/5 au Congrès réunissant députés et sénateurs, soit un référendum. Ce qui semblerait la solution la plus facile parce qu’on voit mal comment Zemmour pourrait réunir une majorité des 3/5 dans un Congrès. Mais si les Français sont hostiles à l’immigration de masse, ils le sont tout autant à la brutalité avec laquelle Zemmour prétend traiter cette question.

– ensuite une sortie des traités européens car la plupart des mesures préconisées vont à l’encontre des « valeurs européennes » comme on dit à Bruxelles. On voit comment est faite la guerre aux gouvernements non conformes de Pologne ou de Hongrie. Dès lors qu’il se lancerait, s’il était élu, dans ce genre de bataille longue et dure, il devrait se confronter à l’idée de sortir de l’euro et de l’Europe, idées pour lesquelles il n’est pas préparé. 

 

Comme on le voit si on veut combattre sérieusement Zemmour, c’est sur le terrain de ses idées économiques d’abord qu’on doit le faire, plutôt que de s’épuiser à tenter de démontrer que le grand remplacement n’existe pas. L’opinion est persuadée du contraire, non pas parce qu’elle est endoctrinée par Zemmour et les chaînes d’information en continu, mais parce qu’elle y est confrontée avec l’abandon des quartiers périphériques, par ce qu’elle voit des camps de migrants, ou encore ce qu’elle perçoit des classes de l’école primaire. Il est absurde de nier le grand remplacement d’un côté et de l’autre faire la réclame de la diversité, comme le font les gens de gauche. Tant que la gauche fera ce grand écart elle sera complètement inaudible et des aventuriers comme Zemmour pourront prospérer. 


[1] Alessandro Gasparotti und Matthias Kullas Februar, 20 Jahre Euro: Verlierer und Gewinner Eine empirische Untersuchung, CEP, 2019

[2] Par exemple : L’euro contre la France, l’euro contre l’Europe, Cerf, 2016

[3] An Inquiry into the Principles of Political Oeconomy: Being an Essay on the Science of Domestic Policy in Free Nations, 1767, A. Millar and T. Cadell. 

[4] https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F19846

[5] https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2021/09/30/proces-bygmalion-nicolas-sarkozy-condamne-a-un-an-de-prison-ferme_6096593_1653578.html

[6] https://www.ouest-france.fr/sante/hopital/manque-de-personnel-on-peut-avoir-un-effondrement-de-l-hopital-alertent-les-hopitaux-de-paris-903d1570-4551-11ec-8acd-08271a51a470

[7] OCDE (2001), Du bien-être des nations : Le rôle du capital humain et social, Éditions OCDE

[8] https://fr.finance.yahoo.com/actualites/pays-meilleur-systeme-sante-monde-083621274.html

[9] Charles Prats, Cartel des fraudes, Ring, 2020.

[10] https://www.marianne.net/economie/entre-14-et-50-milliards-la-tres-difficile-estimation-de-la-fraude-aux-prestations-sociales

[11] https://www.francetvinfo.fr/economie/impots/lutte-contre-la-fraude-fiscale-pres-de-100-milliards-deuros-echappent-toujours-a-letat-selon-une-estimation-syndicale_4379387.html

[12] https://www.latribune.fr/economie/france/les-inegalites-de-niveau-de-vie-en-hausse-en-france-entre-2008-et-2018-885615.html

[13] https://oumma.com/entretien-avec-le-sociologue-ahmed-boubeker-zemmour-entre-nosferatu-goebbels-gargamel-et-le-golem/

1 commentaire:

  1. Bonne synthèse. Merci pour le travail.

    Un bémol sur l'énergie et le nucléaire notamment. Une interview éclairante et instructive à ce propos https://youtu.be/KITdOjE7l1A . On y apprend plein de choses à rebrousse poil des idées reçues.

    Quant à Z, un "libéral" moisi et autoritaire de plus dans la cohorte pour laquelle on veut que le peuple vote. Mascarade.

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