vendredi 28 janvier 2022

Laurent Joly, La falsification de l’histoire, Grasset, 2022

Laurent Joly, historien de métier, spécialiste de Vichy et de l’Occupation confronte, dans ce petit livre, les élucubrations intéressées de Zemmour principalement sur le mythe selon lequel Pétain et de Gaulle c’était un peu la même chose, chacun œuvrant pour le bien des Français avec leurs capacités respectives. Il n’a évidemment aucun mal à montrer que Zemmour est non seulement un menteur et un falsificateur, mais aussi un ignorant dont le savoir historique se résumée à presque rien, principalement au livre de Robert Aron, Histoire de Vichy, pour ce qui est de son pétainisme honteux et qu’il ne peut ainsi impressionner que des plus ignorants que lui. Joly montre que Zemmour ne connaît rien des débats qu’il prétend mener, et surtout qu’il recycle des vieilleries idéologiques dans le but principal de se faire remarquer. Aucun historien sérieux ne considère Histoire de Vichy comme un ouvrage d’historien sur cette période de l’Occupation, mais il est vu plutôt comme un plaidoyer en défense du régime pétainiste, pour tenter d’éviter de donner l’air de la trahison à la collaboration.

Je ne vais pas reprendre dans le détail la démonstration de Joly, elle est précise et convaincante sur les racines vichystes de la démarche de Zemmour. Il montre surtout que ce discours se situe dans la continuité de l’extrême-droite française, antisémitisme compris. La question est la suivante, pourquoi cette vieille caricature de Zemmour se livre-t-il à de telles gesticulations qui, en prétendant rassembler les Français – des deux droites pour parler comme lui – en fait ne font que renforcer les clivages et les divisions ? Joly avance deux hypothèses. La première est de dire qu’en gagnant la bataille culturelle, on accédera au pouvoir. Cette démarche s’inspirerait de Charles Maurras. Mais à tout le moins elle n’est pas très efficace, car au bout du compte cela s’est traduit par une défaite en rase campagne, une fois que la tutelle allemande a fait défaut. Ce qui laisse accroire que Zemmour est d’abord un très mauvais stratège s’il croit sérieusement que la démarche de Maurras peut-être couronnée de succès. 

Charles Maurras, le modèle antisémite de Zemmour

Le second point est que selon Joly en se réappropriant le discours de Vichy et de la droite antisémite, Zemmour aurait le projet sérieux de se débarrasser des musulmans. Cette hypothèse est douteuse pour au moins deux raisons. La première est qu’on ne pas comparer sérieusement la persécution des Juifs par les nazis et ses alliés comme Pétain, avec celle tout hypothétique des musulmans, parce que le poids respectif de ces deux populations n'est pas le même dans la population française. En 1940la population juive en France devait représenter 1 ou 1,5%, les musulmans représentent aujourd’hui entre 8 et 12% selon les calculs, le chiffre le plus élevé provenant d’associations musulmanes. Les Juifs en France étaient soit une communauté installée de longue date, mille ans peut être, soit des réfugiés qui fuyaient les persécutions. Les musulmans sont venus en France après l’acquisition de l’indépendance des pays du Maghreb dans les années soixante. Leur statut n’était pas le même. Comparer la situation des deux populations n’est pas admissible et ne mène à rien. Au contraire, cela trouble l’analyse et empêche de comprendre pourquoi un médiocre comme Zemmour peut apparaître comme un analyste nouveau et pénétrant. C’est comme si le problème de l’immigration de masse dans la France d’aujourd’hui était similaire à l’accueil des réfugiés juifs étrangers 

Pour spectaculaire qu'elle fut parfois l'épuration ne fut pas très étendue

La seule question qui vaut à propos de Zemmour, en dehors du fait que ce garçon est probablement dérangé de la tête, et qu’il n’a trouvé que cette série de paradoxes pour exister, est de savoir pourquoi à un moment donné un tel discours aussi dégénéré peut trouver un écho dans une partie de la population, un peu au-delà des descendants directs des anciens de la Milice et de la Collaboration. En effet, les thèses développées par Zemmour n’ont absolument rien d’original, c’est du copier-coller de la doxa pétainiste comme le montre Joly, et ça remonte à la sortie de la guerre, cette tactique mise au point par les avocats du maréchal déchu, dont Jacques Isorni, et elle a été reprise par Jean-Marie Le Pen. Le mythe du glaive et du bouclier est le pendant d’un autre mythe, une épuration qui aurait été féroce à la sortie de l’Occupation, mythe monté en épingle à partir de quelques cas spectaculaires comme la tonte des femmes qui avaient pratiqué la collaboration horizontale. Rapidement pour des raisons officielles de réconciliation, la droite affairiste en revenant au pouvoir après l’intermède gaulliste mit un terme à cette épuration inachevée et réintégra peu à peu dans les cercles élitistes du pouvoir des anciens collaborateurs dont le fameux Maurice Papon, collaborateur tardif mais zélé, est le plus bel exemple de cette lâcheté qui s’abrite derrière les exigences du respect de la loi[1]. Le cas le plus spectaculaire de cette non-épuration, est sans doute celui du nazi Louis-Ferdinand Céline qui, grâce à la complicité de certains militaires, peu échapper au jugement infâmant et au poteau d’exécution. Mais en réalité derrière cette non-épuration, il y avait la volonté d’empêcher le système économique, social et politique de se réformer en profondeur, à un moment où la France était largement à gauche. 

Il faut raisonner autrement à partir de ce qu’on appelle bêtement l’offre politique : si Zemmour apparaît aux yeux de certains comme un homme crédible, et non comme un simple clown, cela tient à deux réalités liées entre elles, d’une part le sentiment d’un déclin bien réel et rapide du pays, et la dévalorisation concomitante des hommes politiques dont le discours ne fait plus illusion. Beaucoup dénoncent le déclinisme de Zemmour, mais peu se rendent compte que ce déclinisme est aussi inconséquent que flou. Parfois il semble que pour lui le début du déclin ait été consommé avec l’affaire Dreyfus et le J’accuse de Zola qui auraient démoralisé l’armée française – qui pourtant finira par battre les Allemands. Pétain aurait pu redresser la barre, mais les communistes l’en ont empêché en déclenchant une guerre civile durant l’Occupation, en tuant des miliciens et des soldats nazis. D’autres fois encore, Zemmour nous dit que le mal vient de Mai 68, avec sa remise en question des valeurs traditionnelles de la famille, du travail et des patrons et aussi bien sûr avec la libération sexuelle qui a donné trop de place selon lui à la femme. Parfois il nous dit que la faute c’est Mitterrand – pour lequel il a d’ailleurs voté deux fois – qui aurait amorcé ce déclin, ou encore Jacques Chirac en reconnaissant le rôle de l’Etat français dans le génocide des Juifs. Pour Pétain et Maurras, c’était plus clair, le déclin commençait avec la Révolution française et la décapitation de Louis XVI. Et donc c’était la République la cause de tous les maux. Il est inconséquent quand on est décliniste de profession de se montrer aussi peu sûr de soi dans la datation du début de la civilisation. Cependant on perçoit de temps à autre dans le discours de Zemmour cette même volonté pétainiste d’en finir avec la République, même s’il ne le dit pas officiellement. 

Zemmour ne peut nier que la police française ait participé à la rafle du Vel' d'hiv

Joly ne prend pas la peine de contester les élucubrations zemmouriennes sur la culpabilité ou l’innocence de Dreyfus, se contentant de dire que cette culpabilité n’est pas un sujet de débat que pour des confusionnistes de la trempe de Zemmour, et non pour les historiens. D’un côté on le comprend tellement c’est inconséquent et grotesque, mais de l’autre, il aurait été peut-être bon de montrer que ce négationnisme vintage est aussi une vieille marotte de l’extrême-droite dure. Cependant Joly met au jour le fait que Zemmour n’est pas le premier juif honteux qui tente, en se camouflant derrière son statut de juif, de se faire plus identitaire que les identitaires ! C’est le zèle des convertis de fraiche date. On a vu ça avec les communistes défroqués qui après avoir suivi aveuglément le parti communiste le dénoncèrent comme l’origine du mal[2]. Outre Robert Aron, Joly cite François-Georges Dreyfus, un juif converti au protestantisme et un universitaire, comme l’un de ses précurseurs. Ce Dreyfus fut d’ailleurs critiqué de la même façon qu’aujourd’hui on critique Zemmour, à propos de ses falsifications et de ses erreurs manifestes. Zemmour apparaît alors comme un pétainiste conformiste. Henry De Lesquen, pétainiste de longue date et de père en fils, ne s’y est pas trompé dans la critique au vitriol qu’il lui a adressée[3]. Ces juifs qui passent du côté des antisémites notoires sont un peu comme ceux qui prétendent au nom de l’antisionisme éradiquer Israël. Zemmour est à l’extrême-droite ce que Shlomo Sand, un autre juif honteux est à l’extrême gauche, qui nie l’existence même du peuple juif[4]. Zemmour est également dans la lignée d’un autre juif antisémite, Edmond Bloch, un avocat qui se convertira au catholicisme et qui témoignera à décharge au procès de Xavier Vallat[5]. Passant comme Zemmour de la gauche à l’extrême-droite, il en vint tout naturellement à se renier lui-même en engageant le combat contre les juifs de gauche[6]. Edmond Bloch était aussi par nature hostile au sionisme, considérant celui-ci comme le fruit de la doctrine bolchévique. La différence essentielle entre Bloch et Zemmour, est que le premier  a fait la guerre et s’y est conduit avec courage,  dans le conflit de 14-18 où il avait été sévèrement blessé, tandis que le second a tout fait pour échapper au service militaire, en mettant en avant sa constitution de moineau malade. 

Edmond Bloch

Mais le propose de Joly est de répondre dans la hâte aux mensonges et aux falsifications de Zemmour. Ce livre est donc bienvenu tant il enfonce le clou sur les petits tripotages intellectuels malhonnêtes de Zemmour, mais il est critiquable aussi. Quand Joly tente de comprendre la démarche de Zemmour, il mélange un peu tout, il emploie des mots à tort et à travers et glisse du côté d’une analyse politique mal maitrisée. Par exemple, il qualifie Zemmour de « populiste ». C’est une erreur et une facilité, Zemmour n’en appelle pas au peuple, et le peuple se tient assez loin de lui. Il séduit une frange de la petite bourgeoisie et une partie de l’oligarchie. De même on ne peut pas qualifier Zemmour de souverainiste puisqu’il prétende construire, s’il était élu, son action dans le cadre européen et avec l’euro. Quand dans Mélancolie française il dit regretter que la France ait gagné la bataille de la Marne, car une défaite aurait assuré une pax germanica de 1000 ans en Europe, ce ne sont pas les propos d’un souverainiste, mais plutôt d’un traitre à sa patrie. Là encore il se montre le disciple de Pétain qui lui aussi pensait que la France trouverait sa place et son salut dans une Europe allemande, c’était là le sens de la collaboration. Il faudrait sans doute aller un peu plus loin quant aux raisons qui poussent des gens comme Zemmour à réhabiliter Pétain. En vérité il s’agit de disqualifier la Résistance et de continuer à avancer que celle-ci a été inutile. Il se retranche pour ce faire derrière quelques propos du général de Gaulle selon lequel il fallait qu’elle prépare le terrain et n’intervienne pas directement sur le plan militaire. Les communistes, mais pas qu’eux, les maquisards en général, optaient pour le développement d’une armée de partisans. Dans le premier cas on fait confiance aux élites qui sont restées du bon côté, et dans l’autre on pense que le peuple doit prendre son avenir en main. Il est difficile de trancher entre les deux options, elles peuvent être vues comme complémentaires, c’était semble-t-il le cas de Jean Moulin – un autre résistant souvent insulté par l’extrême-droite pour des relations supposées avec le parti communiste. Mais que l’on approuve telle ou telle option, dans les deux cas, il s’agit bien de résister et donc de s’engager malgré les risques encourus. Quoi qu’on en dise, Zemmour est le défenseur des logiques hiérarchiques et élitaires. La rigidité doctrinale et politique de Pétain lui convient bien, il n’est pas un champion de l’égalité et lui-même se pense comme un esprit supérieur. C’est souvent comme ça avec les imbéciles, il suffit qu’ils aient trouvé un petit public pour se croire investis d’une mission. 

Femmes françaises appartenant aux FFI, chacune d'entre elles, bien qu'elles soient inconnues, vaut mieux que dix ou cent Zemmour

A qui s’adresse ce livre ? Il donne des armes à ceux qui combattent Zemmour comme un faussaire, mais il ne convaincra pas les zemmouristes particulièrement bornés qui tordent les itations de leur idole en prétendant qu’on les sortirait de leur contexte pour l’incriminer de négationnisme indument, ou encore qu’on a bien le droit d’interpréter l’histoire comme on l’entend. Car Zemmour est comme Macron, un adepte du en même temps. Il aspire à se présenter comme un pétainiste militant pour rassurer les identitaires, mais il reconnaît en même temps que Pétain était un vrai antisémite.  

 

PS 1 : un autre ouvrage un peu sur le même temps vient juste de paraître : Jacques Semelin & Laurent Larcher, Une énigme française. Pourquoi les trois-quarts des juifs de France n’ont pas été déportés, Albin Michel, 2022. Il avance trois raisons solidement étayées, d’abord parce que les Allemands voulaient ménager la France, ensuite parce que les Français ont beaucoup aidé les juifs à échapper aux rafles, enfin parce que l’Eglise a joué un rôle important pour cacher les juifs, mais aussi pour intervenir contre des institutions trop pressées d’appliquer la solution finale. Cela n’avait rien à voir avec le statut des juifs érigé par Pétain.

 

PS 2 : Zemmour qui de plus en plus se rapproche de l’idéologie nazie vient d’allumer une nouvelle mèche polémique pour tenter de faire croire à ses disciples qu’il existe. Le voilà qu’il veut scolariser les handicapés à part, ça nous rappelle quelque chose. Cette vieille caricature trouve qu’il est malsain de mettre ensemble des enfants sans handicap et des enfants handicapés[7]. Puisqu’il prétend connaitre l’histoire, ce semi-instruit aurait dû se souvenir que les Allemands eux-mêmes ont commencé à moins soutenir Hitler quand il s’est agi d’éliminer les handicapés au nom d’une amélioration programmée de la race. 230 000 personnes handicapées avaient été ainsi assassinées[8]. De tous les candidats, c’est tout de même lui le plus ignoble, et pourtant…



[1] Annie Lacroix-Riz, La non épuration en France, Armand Colin, 2020.

[2] Je pense ici à François Furet ou encore à Stéphane Courtois, maoïste enragé qui passera ensuite dans le camp de l’OTAN et des Etats-Unis pour apporter sa caution à la destruction de l’URSS, alors que celle-ci s’était déjà effondrée.

[3] https://lesquen.fr/2021/02/24/dix-bonnes-raisons-den-finir-avec-zemmour/

[4] Sand invente des titres bouffons avec le mot « Comment », histoire de faire comme Zemmour, de nous faire croire qu’il va nous dévoiler une vérité jusqu’ici cachée. Il publie, Comment le peuple juif fut inventé en 2008, ensuite Comment la terre d’Israël fut inventée en 2012, et enfin Comment j’ai cessé d’être juif en 2013. Ce dernier livre aurait pu être écrit par Woody Allen, au moins pour le titre. Sand est du reste la caution morale souvent citée par l’extrême-droite antisémite.

[5] https://orientxxi.info/magazine/edmond-bloch-les-croisades-d-un-juif-ami-des-antisemites,5184

[6] Pierre Birnbaum, Un mythe politique : La « République juive » : De léon Blum à Pierre Mendès-France, Fayard, 1988.

[7] https://www.bfmtv.com/politique/elections/presidentielle/eric-zemmour-suscite-la-polemique-apres-sa-proposition-sur-les-eleves-handicapes_AN-202201150059.html

[8] https://fr.timesofisrael.com/quand-le-programme-nazi-t4-lancait-leuthanasie-des-handicapes-dans-un-chateau/

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