L’écart entre les choix des électeurs et la représentation à
l’Assemblée nationale a quelque chose de choquant, puisqu’en effet avec moins
de 16,5% des suffrages les macronistes ont 42% des députés, donc une majorité
relative, tandis que la NUPES, avec 14% des suffrages n’obtient que 24% des
sièges. Et évidemment quand plus de la moitié des électeurs ne se déplace plus
pour choisir entre les candidats, c’est bien l’ensemble du système qui est
condamné. Passe encore par temps calme, quand par exemple la croissance est
forte, les salaires en augmentation et que les services publics se développent.
Mais comme nous traversons une zone de tempête très forte, cela devient
compliqué. Les électeurs savent que la situation est mauvaise et que l’avenir
est sombre, la question sanitaire, la guerre en Ukraine, le pouvoir d’achat,
tout cela n’a pas suffi à les motiver, preuve qu’ils ne font pas confiance aux
professionnels de la politique, soit qu’ils les jugent corrompus, soit qu’ils
les pensent plus stupides et moins compétents qu’eux. Bien que les médias
dominants mettent en scène un faux choix, cette fable n’a pas beaucoup de
crédibilité, que ce soit sur la crise sanitaire, ou la guerre ou même ce qu’on
appelle pudiquement la crise environnementale. C’est pour cette raison qu’ils
restent à la maison, ce n’est pas tant qu’ils se désintéressent de la chose
publique, mais c’est plutôt qu’ils ne veulent pas adhérer à cette manière de la
traiter. Comme ils ont par ailleurs à leur disposition de nombreuses sources d’information,
guère plus douteuses que celles qu’on peut recevoir de la part du Monde par
exemple, ils s’installent dans le scepticisme avant sans doute de passer à l’action,
peut-être à l’automne prochain lorsqu’il deviendra évident que le gouvernement
ne veut pas ou ne peut pas avancer positivement sur les sujets brûlants.
Beaucoup d’éditorialistes paresseux analysent les résultats
des législatives du 20 juin comme une défaite personnelle de Macron qui n’obtient
qu’une majorité aussi étriquée que relative, et donc ce serait une petite
victoire de Marine Le Pen et de Mélenchon. Le point de vue est largement erroné.
Pour comprendre ce qui se passe, il nous faut partir du niveau record de l’abstention.
Autour de 54% au second tour, elle est majoritaire en France, c’est le premier
parti. Certes au second tour de 2022, elle est légèrement inférieure à ce qu’elle
fut en 2017, mais elle reste très élevée. En 2017 les macroniens avaient fait un
petit peu illusion parce qu’on ne connaissait pas encore leur capacité de
nuisance, mais ce ne fut pas le cas le 19 juin 2022. Beaucoup se sont déplacés
pour voter pour le RN ou pour la NUPES, non par adhésion, mais parce que Macron
les exaspèrent et qu’ils craignent qu’il ne conduise le pays à une catastrophe
augmentée. Les journaux de lundi 20 juin 2022 titraient tous de la même
manière, la France serait devenue ingouvernable, Macron aurait subi une défaite
cinglante, etc. Cette approche est mauvaise et n’intègre pas une dimension
stratégique. En vérité il y a longtemps que la France est ingouvernable autrement
qu’à l’aide de la matraque. C’est la preuve même que nous sommes dans une phase
néolibérale. Mais aucun des vaincus du 20 juin ne s’intéresse à cette
dimension, essentiellement parce que la représentation politique étant un
métier, il est important non pas de gouverner, mais surtout d’avoir beaucoup de
représentants pour un parti. Le Rassemblement national qui arrive à près de 90 sièges
– résultat historique – ne sait pas trop quoi faire de ce chiffre. Et comme la
gauche, forte d’un peu plus de 150 sièges ne sait pas quoi faire non plus de
cette poussée arithmétique, et qu’elle considère que le RN c’est le diable et le
nazisme réunis, en vérité Macron peut dormir tranquille, du moins du côté de l’Assemblée
nationale. Certes il aura du mal à faire passer ses réformes pourries, mais
après quelques tractations serrées avec la canaille de LR, il y arrivera. Jean-François
Copé que tout le monde croyait en prison pour ses malversations, s’est précipité
pour assurer Macron de son soutien[1],
rejoignant ainsi une autre canaille Éric Woerth qui lui a échappé par miracle à
la taule pour avoir vendu un hippodrome à un tarif défiant toute concurrence[2].
Il faut bien comprendre que ce n’est pas du côté de l’Assemblé nationale que le
danger pour Macron arrivera. Tant que l’opposition sera divisée en deux blocs
irréconciliables, le RN et la NUPES, Macron trouvera toujours une majorité,
Sarkozy qui voudra lui aussi éviter la prison, l’y aidera. Après tout avec le
bilan calamiteux qui est le sien, Macron obtient 242 sièges à l’Assemblée
nationale, résultat inespéré, dû aussi bien au grand nombre d’abstentionnistes
qu’à la médiocrité et de l’éclatement de l’opposition. Mais le plus grave n’est-il
pas que le front anti-Macron ait remplacé le front anti RN : tactique
barragiste usée jusqu’à la trame ? Pour l’avenir c’est encore plus cela
qui est intéressant que l’impossibilité pour l’homme à la perruque de
gouverner. Le chaos, il en a l’habitude et il est suffisamment habile pour
attirer dans son camp les traîtres de profession qui pullulent à l’Assemblée
nationale ! Ils viendront la main sur le cœur nous dire qu’ils se mettent au
service de la France pour la réconcilier avec elle-même.
En vérité c’est même une belle opportunité pour Macron que de liquider Les Républicains en reconstituant la vieille UMP à la manière du sinistre Juppé, certes il ne pourra plus jouer le jeu bien éventé de ni de droite, ni de gauche, mais il pourra tout à fait gouverner avec quelques portefeuilles ministériels supplémentaires aux anciens LR qui sont déjà très nombreux sur les bancs du gouvernement depuis 2017 et l’Assemblée ne sera pas un vrai obstacle. Le danger viendra, dans les mois qui viennent, plutôt de la rue, le succès très relatif de la NUPES et du RN n’est pas dû au talent de Marine Le Pen ou de Mélenchon, c’est la conséquence d’une exaspération profonde de la population française sur à peu près tous les points, de la réforme des retraites, au délabrement volontaire des services publics, ou encore sur la question du pouvoir d’achat. Parce que dans la rue, les manifestants qui bloquent les ronds-points ou qui défilent le samedi, se moquent bien de savoir si ceux qui défilent avec eux ont voté pour MLP ou pour Mélenchon, ou même s’ils se sont abstenus. C’est leur avantage et leur force souterraine. De nombreux antipathiques de la Macronie ont été battus, Castaner, Ferrand, ou encore cette crétine de Montchalin qui annonçait pour se faire réélire que Mélenchon premier ministre la France deviendrait un pays communiste, mais cette satisfaction ne peut être que passagère, puisqu’en échange de ce dégagement des clowns comme Sandrine Rousseau ou Raquel Garrido arrivent à l’Assemblée pour les remplacer, on n’a pas fini de rire. Le monde soulignait dans son édition datée du 21 juin 2022 que les candidats de gauche pensaient gagner plus facilement leurs duels avec le RN qu’avec les macroniens, c’est l’inverse qui s’est produit, ce qui signifie clairement que la posture antifasciste de salon est totalement dépassée et irréelle pour les électeurs, c’est à mon sens la plus grande victoire de Marine Le Pen[3] qui confirme ainsi que sur le plan tactique, comme sur le plan stratégique, Zemmour était totalement dans l’erreur.
Ceux qui présentent Les Républicains comme les faiseurs de
roi, se trompent lourdement. Les Républicains sont coincés, s’ils ne votent pas
les réformes pourries de Macron, ils vont se marginaliser et perdre encore un
peu de leurs maigres troupes au profit de la canaille du type Horizon, avec
Edouard Philippe en embuscade pour 2017. Mais s’ils les votent, alors ils
seront encore plus haïs par la population et se feront insulter en tant que
traîtres de comédie, chez Les Républicains, la cote de Sarkozy, jadis
adulé, est au plus bas. Les macroniens aigris ont évoqué au soir de leur
défaite la possibilité de dissoudre l’Assemblée d’ici un an. Mais c’est une
arme très dangereuse comme le précédent de Jacques Chirac l’a montré en 1995. Pour
se livrer à ce genre de combinaison fantaisiste, il faut être sûr de son coup
et surtout ne pas faire confiance aux imbéciles qui travaillent chez McKinsey
en suivant leurs conseils coûteux. Les réformes promises par Macron sont comme
l’a dit si bien le « subtil » Le Gendre un tapis de bombe, de
la réforme des retraites aux futures privatisations en passant par les réformes
de l’Education nationale ! Il est assez peu probable qu’elles
soient populaires et entraînent une adhésion, donc une majorité absolue pour
Macron et son gang. Pour Macron une cohabitation serait bien pire que tout car
il ne pourra pas se présenter en 2017. Les seuls députés qui craindraient pour
leur poste de député ne seraient que les macroniens ! Certes tout peu se
passer, mais pour l’instant l’idée de dissolution ne risque pas d’être à l’ordre
du jour. Pour cette raison, il semble que l’option la plus raisonnable soit
celle d’une combinaison Macron-Les Républicains, même si dans ce camp les dents
vont grincer. Mais cela ne suffira sans doute pas à calmer les protestations de
la rue. D’autant qu’un président affaibli va sûrement donner des idées aux
syndicats, FO et CGT, qui jusqu’ici ont été extrêmement passifs pendant cinq
ans. Philippe Martinez – très contesté en interne pour sa mollesse – va partir
et comme les salariés sont de plus en plus révoltés contre leurs conditions de
travail, contre leurs salaires, il est très probable que la CGT mette à sa tête
un secrétaire général un peu plus combatif que le petit moustachu, ce qui ne
sera pas bien difficile à trouver. L’idée de grèves massivement suivies avec
les manifestations de masse et un blocage de l’économie, c’est l’hypothèse la
plus déstabilisante pour la représentation parlementaire ne serait-ce que parce
que l’attitude des salariés à l’égard du travail en général est en train de
changer, parce que les salaires restent bas, parce que les conditions de
travail se dégradent tous les jour sun peu plus. Cela risque d’arriver d’autant
plus que de nombreuses affaires judiciaires qui concernent les macroniens vont
alimenter la chronique assez rapidement, à commencer par l’affaire de prise
illégale d’intérêts d’Alexis Kohler le bras droit de Macron[4].
[1] https://www.bfmtv.com/politique/elections/legislatives/legislatives-2022-jean-francois-cope-appelle-a-un-pacte-entre-lr-et-la-majorite-presidentielle_AN-202206190319.html
[2] Il a
échappé à la prison essentiellement parce qu’il a été jugé par la Cour de
Justice de la République, composée essentiellement de ses pairs, c’est-à-dire
de gens comme lui. https://www.courrier-picard.fr/id51030/article/2019-11-21/rebondissement-dans-laffaire-de-lhippodrome-de-compiegne
[3] https://www.lemonde.fr/elections-legislatives-2022/article/2022/06/20/legislatives-2022-la-joie-des-socialistes-et-des-ecologistes-douchee-par-le-score-du-rn_6131216_6104324.html
[4] https://www.mediapart.fr/journal/economie/dossier/l-affaire-kohler
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