lundi 20 juin 2022

La France ingouvernable ?

  

L’écart entre les choix des électeurs et la représentation à l’Assemblée nationale a quelque chose de choquant, puisqu’en effet avec moins de 16,5% des suffrages les macronistes ont 42% des députés, donc une majorité relative, tandis que la NUPES, avec 14% des suffrages n’obtient que 24% des sièges. Et évidemment quand plus de la moitié des électeurs ne se déplace plus pour choisir entre les candidats, c’est bien l’ensemble du système qui est condamné. Passe encore par temps calme, quand par exemple la croissance est forte, les salaires en augmentation et que les services publics se développent. Mais comme nous traversons une zone de tempête très forte, cela devient compliqué. Les électeurs savent que la situation est mauvaise et que l’avenir est sombre, la question sanitaire, la guerre en Ukraine, le pouvoir d’achat, tout cela n’a pas suffi à les motiver, preuve qu’ils ne font pas confiance aux professionnels de la politique, soit qu’ils les jugent corrompus, soit qu’ils les pensent plus stupides et moins compétents qu’eux. Bien que les médias dominants mettent en scène un faux choix, cette fable n’a pas beaucoup de crédibilité, que ce soit sur la crise sanitaire, ou la guerre ou même ce qu’on appelle pudiquement la crise environnementale. C’est pour cette raison qu’ils restent à la maison, ce n’est pas tant qu’ils se désintéressent de la chose publique, mais c’est plutôt qu’ils ne veulent pas adhérer à cette manière de la traiter. Comme ils ont par ailleurs à leur disposition de nombreuses sources d’information, guère plus douteuses que celles qu’on peut recevoir de la part du Monde par exemple, ils s’installent dans le scepticisme avant sans doute de passer à l’action, peut-être à l’automne prochain lorsqu’il deviendra évident que le gouvernement ne veut pas ou ne peut pas avancer positivement sur les sujets brûlants.

  

Beaucoup d’éditorialistes paresseux analysent les résultats des législatives du 20 juin comme une défaite personnelle de Macron qui n’obtient qu’une majorité aussi étriquée que relative, et donc ce serait une petite victoire de Marine Le Pen et de Mélenchon. Le point de vue est largement erroné. Pour comprendre ce qui se passe, il nous faut partir du niveau record de l’abstention. Autour de 54% au second tour, elle est majoritaire en France, c’est le premier parti. Certes au second tour de 2022, elle est légèrement inférieure à ce qu’elle fut en 2017, mais elle reste très élevée. En 2017 les macroniens avaient fait un petit peu illusion parce qu’on ne connaissait pas encore leur capacité de nuisance, mais ce ne fut pas le cas le 19 juin 2022. Beaucoup se sont déplacés pour voter pour le RN ou pour la NUPES, non par adhésion, mais parce que Macron les exaspèrent et qu’ils craignent qu’il ne conduise le pays à une catastrophe augmentée. Les journaux de lundi 20 juin 2022 titraient tous de la même manière, la France serait devenue ingouvernable, Macron aurait subi une défaite cinglante, etc. Cette approche est mauvaise et n’intègre pas une dimension stratégique. En vérité il y a longtemps que la France est ingouvernable autrement qu’à l’aide de la matraque. C’est la preuve même que nous sommes dans une phase néolibérale. Mais aucun des vaincus du 20 juin ne s’intéresse à cette dimension, essentiellement parce que la représentation politique étant un métier, il est important non pas de gouverner, mais surtout d’avoir beaucoup de représentants pour un parti. Le Rassemblement national qui arrive à près de 90 sièges – résultat historique – ne sait pas trop quoi faire de ce chiffre. Et comme la gauche, forte d’un peu plus de 150 sièges ne sait pas quoi faire non plus de cette poussée arithmétique, et qu’elle considère que le RN c’est le diable et le nazisme réunis, en vérité Macron peut dormir tranquille, du moins du côté de l’Assemblée nationale. Certes il aura du mal à faire passer ses réformes pourries, mais après quelques tractations serrées avec la canaille de LR, il y arrivera. Jean-François Copé que tout le monde croyait en prison pour ses malversations, s’est précipité pour assurer Macron de son soutien[1], rejoignant ainsi une autre canaille Éric Woerth qui lui a échappé par miracle à la taule pour avoir vendu un hippodrome à un tarif défiant toute concurrence[2]. Il faut bien comprendre que ce n’est pas du côté de l’Assemblé nationale que le danger pour Macron arrivera. Tant que l’opposition sera divisée en deux blocs irréconciliables, le RN et la NUPES, Macron trouvera toujours une majorité, Sarkozy qui voudra lui aussi éviter la prison, l’y aidera. Après tout avec le bilan calamiteux qui est le sien, Macron obtient 242 sièges à l’Assemblée nationale, résultat inespéré, dû aussi bien au grand nombre d’abstentionnistes qu’à la médiocrité et de l’éclatement de l’opposition. Mais le plus grave n’est-il pas que le front anti-Macron ait remplacé le front anti RN : tactique barragiste usée jusqu’à la trame ? Pour l’avenir c’est encore plus cela qui est intéressant que l’impossibilité pour l’homme à la perruque de gouverner. Le chaos, il en a l’habitude et il est suffisamment habile pour attirer dans son camp les traîtres de profession qui pullulent à l’Assemblée nationale ! Ils viendront la main sur le cœur nous dire qu’ils se mettent au service de la France pour la réconcilier avec elle-même.

 

En vérité c’est même une belle opportunité pour Macron que de liquider Les Républicains en reconstituant la vieille UMP à la manière du sinistre Juppé, certes il ne pourra plus jouer le jeu bien éventé de ni de droite, ni de gauche, mais il pourra tout à fait gouverner avec quelques portefeuilles ministériels supplémentaires aux anciens LR qui sont déjà très nombreux sur les bancs du gouvernement depuis 2017 et l’Assemblée ne sera pas un vrai obstacle. Le danger viendra, dans les mois qui viennent, plutôt de la rue, le succès très relatif de la NUPES et du RN n’est pas dû au talent de Marine Le Pen ou de Mélenchon, c’est la conséquence d’une exaspération profonde de la population française sur à peu près tous les points, de la réforme des retraites, au délabrement volontaire des services publics, ou encore sur la question du pouvoir d’achat. Parce que dans la rue, les manifestants qui bloquent les ronds-points ou qui défilent le samedi, se moquent bien de savoir si ceux qui défilent avec eux ont voté pour MLP ou pour Mélenchon, ou même s’ils se sont abstenus. C’est leur avantage et leur force souterraine. De nombreux antipathiques de la Macronie ont été battus, Castaner, Ferrand, ou encore cette crétine de Montchalin qui annonçait pour se faire réélire que Mélenchon premier ministre la France deviendrait un pays communiste, mais cette satisfaction ne peut être que passagère, puisqu’en échange de ce dégagement des clowns comme Sandrine Rousseau ou Raquel Garrido arrivent à l’Assemblée pour les remplacer, on n’a pas fini de rire. Le monde soulignait dans son édition datée du 21 juin 2022 que les candidats de gauche pensaient gagner plus facilement leurs duels avec le RN qu’avec les macroniens, c’est l’inverse qui s’est produit, ce qui signifie clairement que la posture antifasciste de salon est totalement dépassée et irréelle pour les électeurs, c’est à mon sens la plus grande victoire de Marine Le Pen[3] qui confirme ainsi que sur le plan tactique, comme sur le plan stratégique, Zemmour était totalement dans l’erreur. 

Ceux qui présentent Les Républicains comme les faiseurs de roi, se trompent lourdement. Les Républicains sont coincés, s’ils ne votent pas les réformes pourries de Macron, ils vont se marginaliser et perdre encore un peu de leurs maigres troupes au profit de la canaille du type Horizon, avec Edouard Philippe en embuscade pour 2017. Mais s’ils les votent, alors ils seront encore plus haïs par la population et se feront insulter en tant que traîtres de comédie, chez Les Républicains, la cote de Sarkozy, jadis adulé, est au plus bas. Les macroniens aigris ont évoqué au soir de leur défaite la possibilité de dissoudre l’Assemblée d’ici un an. Mais c’est une arme très dangereuse comme le précédent de Jacques Chirac l’a montré en 1995. Pour se livrer à ce genre de combinaison fantaisiste, il faut être sûr de son coup et surtout ne pas faire confiance aux imbéciles qui travaillent chez McKinsey en suivant leurs conseils coûteux. Les réformes promises par Macron sont comme l’a dit si bien le « subtil » Le Gendre un tapis de bombe, de la réforme des retraites aux futures privatisations en passant par les réformes de l’Education nationale ! Il est assez peu probable qu’elles soient populaires et entraînent une adhésion, donc une majorité absolue pour Macron et son gang. Pour Macron une cohabitation serait bien pire que tout car il ne pourra pas se présenter en 2017. Les seuls députés qui craindraient pour leur poste de député ne seraient que les macroniens ! Certes tout peu se passer, mais pour l’instant l’idée de dissolution ne risque pas d’être à l’ordre du jour. Pour cette raison, il semble que l’option la plus raisonnable soit celle d’une combinaison Macron-Les Républicains, même si dans ce camp les dents vont grincer. Mais cela ne suffira sans doute pas à calmer les protestations de la rue. D’autant qu’un président affaibli va sûrement donner des idées aux syndicats, FO et CGT, qui jusqu’ici ont été extrêmement passifs pendant cinq ans. Philippe Martinez – très contesté en interne pour sa mollesse – va partir et comme les salariés sont de plus en plus révoltés contre leurs conditions de travail, contre leurs salaires, il est très probable que la CGT mette à sa tête un secrétaire général un peu plus combatif que le petit moustachu, ce qui ne sera pas bien difficile à trouver. L’idée de grèves massivement suivies avec les manifestations de masse et un blocage de l’économie, c’est l’hypothèse la plus déstabilisante pour la représentation parlementaire ne serait-ce que parce que l’attitude des salariés à l’égard du travail en général est en train de changer, parce que les salaires restent bas, parce que les conditions de travail se dégradent tous les jour sun peu plus. Cela risque d’arriver d’autant plus que de nombreuses affaires judiciaires qui concernent les macroniens vont alimenter la chronique assez rapidement, à commencer par l’affaire de prise illégale d’intérêts d’Alexis Kohler le bras droit de Macron[4].



[1] https://www.bfmtv.com/politique/elections/legislatives/legislatives-2022-jean-francois-cope-appelle-a-un-pacte-entre-lr-et-la-majorite-presidentielle_AN-202206190319.html

[2] Il a échappé à la prison essentiellement parce qu’il a été jugé par la Cour de Justice de la République, composée essentiellement de ses pairs, c’est-à-dire de gens comme lui. https://www.courrier-picard.fr/id51030/article/2019-11-21/rebondissement-dans-laffaire-de-lhippodrome-de-compiegne

[3] https://www.lemonde.fr/elections-legislatives-2022/article/2022/06/20/legislatives-2022-la-joie-des-socialistes-et-des-ecologistes-douchee-par-le-score-du-rn_6131216_6104324.html

[4] https://www.mediapart.fr/journal/economie/dossier/l-affaire-kohler

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