vendredi 8 juillet 2022

Stratégie du choc, le film, Michael Winterbottom & Mat Whitecross, 2010

  

Le succès considérable du livre dans le monde entier a engendré la mise en scène d’un film militant destiné à prolonger les thèses développées dans le livre. Bien entendu, on préférera le livre au film essentiellement parce qu’il est forcément beaucoup plus précis, prenant le temps des citations et des références, également des développements nécessaires pour comprendre d’où on vient. Ce que je viens de dire n’enlève absolument rien aux qualités de ce film qui a été réalisé d’une manière extrêmement professionnelle puisqu’un des deux réalisateur est Michael Winterbottom qui par ailleurs a réalisé des films de fiction, notamment The killer inside me, en 2010 d’après Jim Thompson, un auteur de romans noirs qui fut membre du parti communiste et qui put travailler en tant qu’écrivain grâce justement au programme rooseveltien de réemploi des travailleurs dans le secteur pour lequel ils étaient qualifiés. Cela n’est pas sans importance parce que c’était la possibilité de développer des métiers qui a priori ne rapportaient pas d’argent. et c’est sans doute une des raisons qui a fait que les Etats-Unis sont devenus leader sur le plan de l’industrie de l’entertainment, dans la musique et dans le cinéma notamment. 

Milton Friedman et Nixon 

Venons-en à la thèse défendue par Naomi Klein. En partant de la volonté des plus riches de combattre le New Deal qui leur a été défavorable, elle en vient à parler de la figure de Milton Friedman, prix Nobel d’économie, et figure tutélaire des crapules Reagan et Thatcher avec Friedrich von Hayek. En s’emparant des secteurs où se produit l’idéologie – ici prise au sens le plus large – l’idée est de manipuler les consciences. C’est pourquoi la contre-révolution libérale a eu lieu dans les universités aux Etats-Unis. Milton Friedman a compris très vite que l’argent pouvait acheter les consciences en général, et la sienne en particulier. Autrement dit, il s’est vendu. De cela Naomi Klein n’en parle pas dans le film, mais plutôt dans son livre. Et donc dans le film il semble que Milton Friedman avait des convictions. Ce n’est pas le cas, il s’est dirigé vers l’Université de Chicago alors que personne ne voulait y aller et que les idées qu’elle développait en économie étaient moquées. Mais grâce à une grande quantité d’argent, il a pu développer ses idées comme si elles étaient originales. En vérité il n’en était rien, il recyclait les vieilles idées du vieux capitalisme du vieux XIXème siècle, avec les principes suivants :

– la monnaie doit être neutre, donc il faut combattre l’inflation en priorité.

– il faut tout privatiser – mais là les libéraux ne sont pas d’accord, pour les uns on peut même privatiser l’armée et la justice, pour Milton Friedman, non – donc qu’il n’y ait plus de services publics, puis on distribue des aides – impôts négatifs aux plus pauvre – pour faire tourner la machine.

– il faut déréglementer les marchés et ouvrir les frontières aux capitaux étrangers.

– il faut aussi démanteler le droit du travail et également abolir l’idée d’un salaire minimum.

– l’impôt doit être strictement proportionnel aux revenus et non progressif. Il doit être limité au strict minimum. Sauf évidemment que l’impôt sert aussi à financer la guerre et l‘industrie de l’armement de partout dans le monde. 

 

D’abord il nous faut combattre deux idées fausses qui traversent ce film. Il est dit que Roosevelt a été influencé par Keynes !! Qu’il a lancé un plan de création d’emplois dans les transports ! Mais la dépression dura jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ces trois idées sont colportées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale à la fois par les libéraux et par les communistes. Ces deux blocs pourtant ennemis veulent voir seulement la reconstruction comme une relance de l’économie pour justifier l’idée suivante : la relance keynésienne ça ne marche pas, pour les premiers il faut revenir à un marché pur et dur, et pour les seconds il faut en finir avec le capitalisme. Keynes n’a influencé en rien Roosevelt. Il avait été offrir ses services, mais on s’est passé de lui. Bien que le New Deal ait été un plan de relance de grande ampleur, d’un point de vue pratique quand il y a une crise profonde, on active les dépenses de l’Etat, et c’est comme ça depuis au moins le XVIIème siècle. Le New Deal n’a pas seulement porté sur les Grands travaux d’irrigation et de transports, mais il a été très général. Par exemple on a embauché à tour de bras des écrivains et des artistes au chômage, dont Jim Thompson justement, l’Etat a créé des maisons d’édition et même des industries. Notez que cela s’est fait en projetant une réforme monétaire de grande ampleur qui a été en fait une nationalisation du crédit. Enfin, l’économie américaine se redresse dès 1934 nettement et le trou d’air très passager de 1937 a été vite surmonté comme nous pouvons le voir ci-dessous. 

Evolution du PIB étatsunien entre 1920 et 1940 

S’appuyant sur de riches donateurs, ces économistes vont investir peu à peu les universités. Et évidemment ils n’auront aucun mal à recruter des étudiants qui feront leur doctorat avec eux. Ils fonctionnent comme une secte transatlantique à travers par exemple la Société du Mont Pèlerin, pendant intellectuel si on veut de l’OTAN, on y retrouvera Hayek bien sûr et Friedman. Hayek notez-le bien soutenait que l’important c’était la liberté du marché plus que la liberté individuelle, même si cela devait passer par une forme de dictature comme on va le voir avec le Chili de Pinochet. Le film commence avec le coup d’Etat fasciste de Pinochet, coup d’Etat qui n’aurait pas été possible sans les Etats-Unis et la CIA qui l’avaient financé. Ce coup d’Etat fasciste et honteux ressemble d’ailleurs au coup d’Etat mené par l’EuroMaïdan en Ukraine. Mais dans le livre il est montré que des coups d’Etat les Etats-Unis en avaient menés bien d’autres, notamment en Indonésie au milieu des années soixante, ce qui avait abouti à des centaines de milliers de morts et de prisonniers. Bien entendu ce massacre avait été mené au nom de la démocratie et de la lutte contre les communistes. L’idée fort juste de Naomi Klein est que les idées néolibérales aident le colonialisme étatsunien, mais aussi ne peuvent être imposées aux peuples qu’avec la matraque ou les tanks. Dans les pays dits riches on a droit à la matraque, comme avec cette crapule de Reagan, de Thatcher ou de Macron, et dans les pays pauvres on ne fait pas de détail, on envoie les tanks et les avions de chasse avec Pinochet. 

Le général Videla, le dictateur argentin 

En Argentine c’est le général Videla qui fera le sinistre travail, massacrant des femmes et des enfants, volant les enfants des femmes enceintes qui seront assassinées. Mais évidemment les Etats-Unis ne trouveront rien à redire et qui ne dit rien consent. Ces grands défenseurs de la démocratie ont par ailleurs instauré un blocus sévère à Cuba depuis des décennies, sans qu’on trouve grand-chose à opposer à cette crapulerie qui n’a strictement aucun sens plus de soixante années plus tard. L’abominable ivrogne Margaret Thatcher envoya la troupe non seulement contre les grévistes, mais aussi contre les Irlandais, rappelez-vous Bobby Sands. Dans le film on ne le voit pas, mais ce qui réunit toute cette canaille, de Pinochet à Thatcher en passant par Videla et Reagan, c’est la cupidité et non les idées en elles-mêmes qui ne sont là que pour justifier ce goût immodéré de l’argent. Tous ces gens qui ont flairé l’odeur de l’argent, et c’est valable pour Macron et son gang, Zelensky et quelques autres se mettent au service des puissants et ainsi ils les rendent encore plus puissants. 

Eltsine cet autre grand démocrate soutenu par les Américains fait bombarder le parlement russe pour instaurer un capitalisme sauvage 

L’effondrement de l’URSS a été une grande opportunité pour les Américains. Reagan a pu faire le bouffon, laissant croire qu’il avait tué le communisme en l’obligeant à se lancer dans une course aux armements ruineuse. Il justifiait ainsi la gabegie dans laquelle il s’était lancé avec son programme de Guerre des Etoiles. L’idée était que cet effondrement allait enfin nous projeter dans une mondialisation heureuse. On sait maintenant que non seulement l’effondrement de l’URSS était programmé depuis longtemps du fait de ses contradictions internes, mais aussi que la Russie n’est finalement pas entrée dans le jeu de la mondialisation américaine, comme la Chine et l’Inde d’ailleurs. Cependant cette période a permis à la crapule américaine de faire des juteuses affaires. Par exemple l’économiste Jeffrey Sachs qui pilotait le programme de « transition » vers l’économie de marché a fait profiter sa femme et sa famille de son entregent auprès d’Eltsine, un autre ivrogne totalement corrompu qui vendait ce qui ne lui appartenait pas et qui planquait son argent aux Etats-Unis. Jeffrey Sachs pour cette prise d’intérêt a dû démissionner de l’Université qui l’employait. Il y avait à cette époque des débats entre les économistes, les uns penchant pour un programme relativement lent comme le réclamait naïvement Gorbatchev et les autres pour une méthode plus brutale afin disaient-ils qu’on ne puisse plus jamais revenir en arrière, quel qu’en soit le coût. Le résultat de cette brutalité, fut la baisse du PIB par tête de 40%, mais aussi 30 millions de morts, les retraites n’étant plus financées. On peut considérer cela comme une manière de faire aussi la guerre. Ce désastre pourtant sera surmonté par les Russes, et c’est sans doute pour cela que Poutine et le parti communiste conservent, malgré tout, une bonne popularité, nourrie par un anti-américanisme tenace. 

Le désastre du 11 septembre 2001 

L’attaque des Twin Towers le 11 septembre 2001 montra deux choses, d’abord que l’Amérique était haïe à un point très élevé. De partout dans le monde – notamment dans les pays musulmans – on applaudit à cet « exploit ». C’était la rançon malheureusement de cette politique ignoble que ce pays mène depuis des décennies à travers le monde. Mais comme le montre Naomi Klein, ce désastre fut aussi une opportunité, d’abord on a pu développer une industrie de la sécurité presqu’entièrement privatisée. Cela a justifié l’attaque de l’Afghanistan, amenant une privatisation partielle de l’armée. Ensuite on a continué, faisant un amalgame foireux entre l’Afghanistan et l’Irak, épargnant curieusement le Pakistan, on a avancé le mensonge des armes bactériologiques dont disposait soi-disant Saddam Hussein pour se lancer dans une guerre qui ravagea l’Irak et qui fit sans doute plus d’un million de morts… Au nom de la démocratie, évidemment. Mais le véritable but n’était pas Saddam Hussein qui fut pendu. Les Etats-Unis mirent la main sur les ressources de pétrole de ce pays, puis ils financèrent la reconstruction de celui-ci en dépensant des milliards de dollars dont profitèrent quelques entreprises bien en cours. Un nouveau pas dans la privatisation de l’armée fut franchi. Comment ça marche ? L’Etat paye un service avec les impôts des Américains, et les multinationales de l’armement prospèrent bien au-delà de ce qu’on appelait jadis le complexe. 

Bagdad brûle 

Paul Brenner fut la crapule en chef qui dirigea la reconstruction de l’Irak, avec les bénéfices qu’on peut imaginer pour ses amis. Il compara son travail à celui du Plan Marshall. A ce propos il faut tordre le coup à cette idée selon laquelle le Plan Marshall aurait permis à l’Europe de se reconstruire. En vérité ce plan est intervenu alors que cette reconstruction était presqu’achevée, mais les Américains craignaient la poussée des forces socialistes en Europe, et pour eux cela s’apparentait à faire pièce aussi bien à l’URSS qu’aux idées socialistes[1]. Comme pour l’ex-URSS on voulut construire un nouveau pays qui répondrait aux normes de la « démocratie » étatsunienne. C’est un fiasco et il ne semble pas que les Irakiens apprécient aujourd’hui plus qu’hier l’arrogance américaine. Cette capacité des grandes entreprises américaines à faire de l’argent avec n’importe quel désastre est remarquable. Naomi Klein revient sur la catastrophe de la Nouvelle Orléans et de la Louisiane qui avaient été frappées en 2005 par un ouragan, Katrina, d’une grande violence. La reconstruction de de la Nouvelle Orléans a permis de faire avancer la raison capitaliste. D’abord ce sont encore des entreprises amies qui ont été choisies pour piloter la reconstruction. Ensuite on sait qu’elles ont surévalué les coûts et minimiser les prestations. Mais ce n’est pas tout, Bush en a profité pour remplacer des écoles publiques par des écoles privées ! On sait que c’est cette gestion des conséquences de l’ouragan Katrina qui a permis de battre le candidat républicain et d’élire Obama qui a hérité en même temps de la crise des subprimes et qui n’a rien fait du tout pour faire de la peine à ses riches sponsors. 

Le désastre permet de gagner beaucoup d’argent 

Que ce soit pour l’Irak, la Nouvelle Orléans ou l’Ukraine, il est question de reconstruire et que l’Etat en fournisse les moyens financiers, y compris en engendrant de la dette. La clé de cette analyse est la  suivante : le néolibéralisme peut bien faire la réclame pour les lois du marché et leur efficacité, il vit d’abord du transfert de l’argent public. Autrement dit, le néolibéralisme est un discours assez simpliste qui est là pour justifier le pillage du bien public par le secteur dit privé, je dis « dit-privé » parce qu’en réalité aujourd’hui le secteur public est totalement imbriqué dans le secteur public, voir par exemple le cas français, le gouvernement ne gouverne plus mais fait ce que McKinsey lui dit de faire. De même dans l’Union européenne, ce n’est pas Ursula von der Leyen qui fait la politique sanitaire, mais bien Pfizer qui lui dit à combien elle peut lui acheter les doses d’un vaccin à l’efficacité mitigée. 

 

J’aime bien Naomi Klein pour son engagement et sa capacité à mettre des mots simples sur des choses apparemment compliquées. Cependant elle butte sur un point important. A la lire ou regarder son film, on a l’impression que c’est le néolibéralisme qui a engendré la crise qu’elle voit comme une conséquence de la déréglementation des marchés. En effet, on constate que depuis la fin du XXème siècle les crises financières se sont multipliées. Mais on peut avoir une autre lecture de l’évolution du capitalisme. Par exemple, on sait que le taux de profit baissait radialement depuis des années, et donc la déréglementation des marchés, la mondialisation, a été le moyen de redresser le taux de profit en faisant baisser les salaires relativement à la hausse de la productivité du travail. Mais cette baisse des salaires a plombé la demande. C’est donc bien le système capitaliste dans son essence qui est en cause. Recycler la plus-value ne peut plus se faire maintenant qu’en colonisant l’Etat et en menant des guerres à l’issue difficile à prévoir. Cette difficulté est d’autant plus ardue à surmonter, que l’urgence de la destruction de l’environnement pousse à trouver des solutions qui ne sont programmées nulle part. Naomi Klein n'atteint pas grand-chose des politiciens, et son livre comme son film encourage au blocage du système en descendant dans la rue et faisant grève. Le capitalisme du désastre mourra probablement, mais sans les luttes, il risque d’agoniser encore très longtemps. 

Dans Marioupol dévasté 

On ne peut pas terminer cette recension sans faire un rapprochement avec la guerre en Ukraine. C’est un désastre pour des millions d’Ukrainiens, mais surtout une excellente opportunité pour les Etats-Unis qui font la guerre au nom de la démocratie par Ukrainiens interposés, une guerre dans laquelle ils ne risquent rien et où ils ont tout à gagner. La conséquence de cette guerre est un affaiblissement de l’Europe, une possibilité pour les Américains de rendre rentable l’extraction du gaz de schiste, mais aussi de gros bénéfices pour les multinationales de l’armement et un renforcement politique de son bras armé, l’OTAN. Et bien sûr on voit où ira le marché de la reconstruction de l’Ukraine évalué à 750 milliards de $. Notez qu’on discute de la reconstruction, alors même que la guerre est loin d’être achevée[2]. Tous les jours qui passent voient Zelensky réclamer toujours plus d’argent et de canons, alors que même le journal atlantiste Le monde s’alarme d’une nécessaire lutte contre la corruption « endémique » dans ce pays[3]. Zelensky lui-même et son proche entourage avait été piégé par les Panama papers pour des détournements de fonds publics et des fraudes fiscales de grande ampleur[4]. Pour lui la guerre est une opportunité pour se refaire une virginité et de se transformer en héros de l’Occident, du moins tant que dure la guerre et que le peuple ukrainien ne lui demande pas des comptes. 


[1] Voir sur ce point les travaux d’Annie Lacroix-Riz.

[2] https://www.latribune.fr/economie/international/la-reconstruction-de-l-ukraine-aura-un-cout-astronomique-750-milliards-de-dollars-924389.html

[3] https://www.lemonde.fr/international/live/2022/07/06/guerre-en-ukraine-en-direct-le-gouvernement-ukrainien-doit-s-attaquer-a-la-corruption-endemique-selon-le-chef-du-pnud_6133531_3210.html

[4] https://www.france24.com/fr/vid%C3%A9o/20211004-pandora-papers-le-pr%C3%A9sident-ukrainien-volodymyr-zelensky-cibl%C3%A9

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