M’intéressant aux années de l’Occupation, je tombe sur l’ouvrage en deux gros volumes, richement illustrés, que Le Seuil avait publié en 1993 sous le titre de La France des années noires. Cette somme qui prétend brasser tous les thèmes liés à l’Occupation est rédigé par de très nombreux « spécialistes », et dirigée par Jean-Pierre Azéma et François Bédarida. En le lisant je me rends compte – mais je le savais déjà – qu’un historien peut être aussi un idéologue. Par exemple Annie Lacroix-Riz ne cache pas ses engagements à l’extrême gauche, mais elle met toujours en avant les preuves de son discours à partir des archives, des faits. Tout le monde n’a pas ce genre de scrupules. L’Américain Stanley Hoffman dans cette sorte d’encyclopédie, étale sa compréhension de la vie sociale et politique dans un chapitre intitulé bêtement Le trauma de 1940. Bien entendu la défaite de l’armée française en 1940 a été une vraie catastrophe, personne ne peut le nier. Mais son propos n’est pas de décrire cet état de sidération – l’armée française ayant été vaincue quasiment sans résistance du fait d’une incompétence générale du commandement – c’est de discuter d’une manière absconse sur le fait que la Libération n’a pas permis aux Français de tirer les leçons de cette défaite. Ça veut dire, selon Stanley Hoffman, que les Français auraient dû comprendre que leur seul avenir était dans l’abandon de l’idée de nation et se fondre dans la construction européenne. Pour cela il fait l’éloge de l’Allemagne qui a compris que la grandeur ne résidait pas dans la posture gaullienne, mais dans la soumission aux lois du marché au sein d’une alliance dominée par les Américains.
Le premier grossier mensonge de cet idéologue camouflé en historien, est que l’Allemagne non seulement a bénéficié de très grosses aides américaines à la reconstruction, bien plus que la France, mais malgré cela le développement des deux pays a été à peu de choses près similaires comme le montre le graphique ci-dessus[1]. C’est seulement après la mise en place de l’euro, donc un renforcement de la logique européiste que l’Allemagne va se détacher, du moins jusqu’à la Guerre en Ukraine qui promet à terme de nouveaux bouleversements pour l’économie allemande. Donc selon l’idéologue Stanley Hoffman, les Français sont plus stupides que les Allemands et n’ont pas compris le sens de l’histoire. Qu’un historien ayant pignon sur rue nous parle comme ça, sans y toucher du sens de l’histoire, relève en vérité plus de la métaphysique que sa discipline. À l’inverse, c’est bien à partir de l’intégration de la France au grand marché européen et son adhésion à l’euro que la France a vu son déficit commercial exploser et la désindustrialisation s’accélérer, c’est ce que nous voyons dans le graphique ci-dessous.
Il est donc complètement erroné, mensonger, de penser que la
France serait dans le marasme aujourd’hui à cause de son incapacité à penser
les causes de ce « trauma de 1940 ». On aurait, par orgueil, continué
à s’accrocher à cette vieille lune d’une souveraineté nationale. Pourtant
Hoffman ne pouvait pas ignorer qu’Hitler comme le maréchal Pétain étaient eux
aussi pour une grande Europe ! Il ne pouvait pas ignorer non plus que si
très longtemps en France la construction européenne avait mauvaise presse,
c’est parce que ceux qui la mettait en œuvre étaient des anciens collaborateurs
comme Robert Schuman par exemple, ou des agents des Américains comme Jean
Monnet. Alors pourquoi raconte-t-il cette fable ? Pour le comprendre, il
faut revenir à ce qu’était Stanley Hoffman. Il était un des fondateurs de French-American
Association, cette boutique qui est un think tank, sponsorisée par le
département d’État, mais aussi qui sélectionne les fameux Young leaders, cette
boutique qui forme les décideurs européens depuis Washington, Giscard d’Estaing
y est passé, Macron aussi, Alain Minc, Bill Clinton, Gerald Ford, Edouard
Philippe, Valérie Pécresse, ou encore Laurent Wauquiez, Moscovici et
Montebourg, j’en passe et des meilleures. Il n’était pas le seul à faire de la
propagande pour la CIA. Par le passé le défroqué François Furet, ex-stalinien
furieux et honteux était un autre historien qu’on disait sponsorisé par les Etats-Unis,
via les invitations dans les universités prestigieuses. Washington aimait bien
le soutenir. Pour le reste ce livre en deux tomes est assez bon, bien illustré
et sérieux.
[1] ECK,
Jean-François (dir.) ; MARTENS, Stefan (dir.) ; et SCHIRMANN, Sylvain
(dir.). L’économie, l’argent et les hommes : Les relations
franco-allemandes de 1871 à nos jours. Institut de la gestion publique et
du développement économique, 2009
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