vendredi 26 janvier 2024

Deux ou trois choses à dire sur la révolte des paysans

  

L’agriculture dans une économie « moderne » ne représente rien, une vague idée, un souvenir pour les plus vieux. Les manifestations d’agriculteurs s’étendent à tous les pays européens et les gouvernements les craignent. Leurs principales revendications en dehors d’obtenir des revenus décents, c’est abattre les normes européennes en vigueur qui interdisent les pesticides, les glyphosates, etc. Ils manifestent aussi en Allemagne comme en France contre la hausse de l’énergie. Cependant il est difficile de discuter de cette question, l’affaire est compliquée. L’ampleur des manifestations dans tout l’hexagone masque en réalité les dissensions profondes entre les agriculteurs eux-mêmes. Ce point est très important et c’est pourquoi si cette révolte n’est pas rejointe par d’autres revendications – par exemple, le secteur de la santé en déshérence, celui de l’éducation nationale oiu encore les cheminots – l’échec est programmé. Ce qui veut dire que le gouvernement pourra se contenter de mesurettes qui ne changeront rien quant au fond, mais qui calment momentanément la fronde. 

Allemagne début janvier 2024 

La paysannerie a été volontairement massacrée et l’agriculture a été maltraitée ces dernières décennies, produisant d’ailleurs une agriculture à deux vitesses, les bons produits bien de chez nous, bio et chers pour les classes supérieures, les produits sans goût et qui rendent malades et donnent des cancers, mais pas chers[1], pour les pauvres. Avec la PAC, l’Union européenne a acheté les paysans à coup de subventions, les orientant vers la profession de jardinier-paysagiste pour touristes. Les bureaucrates de Bruxelles et globalement la classe des politiciens comme celle des journalistes haïssent – le mot n’est pas trop fort – les paysans qui ont pour eux la réputation d’être des sortes de sous-développés, mal lavés et analphabètes, en outre ils parlent souvent avec un drôle d’accent ! La responsabilité première de ce désastre, c’est l’Union européenne et plus précisément la PAC qui a mis en place un système porté par deux principes :

– le premier est celui d’une production abondante et bon marché au plus bas prix possible, et pour cela favorisant la concentration. De ce premier principe, on en déduit facilement qu’il y a les gros agriculteurs qui mangent environ 80% des subventions de la PAC – on sait par exemple que le prince Albert de Monaco touche des subventions européennes et tant que paysan, lui qui n’a jamais travaillé un seul jour de sa vie - et les autres. Donc tous les agriculteurs ne sont pas du même « genre », les uns sont des entrepreneurs de l’agriculture qui vivent comme des Parisiens, les autres des paysans qui ont un mode de vie particulier.

– le deuxième principe est celui franchement stupide et criminel de la concurrence libre et non faussée. Les dégâts causés par cette fantaisie peu sérieuse sont doubles : d’une part plus on a intégré des pays pauvres à l’UE – par exemple les anciens pays de l’Est – et plus la situation du paysan français s’est détériorée. D’autre part l’Union européenne prise d’une frénésie de libre-échange a signé en catimini, et pratiquement en secret, des traités avec des concurrents terribles à l’extérieur de l’Union européenne. Par exemple le CETA qui est en fonction depuis 2017, mais qui n’a jamais été approuvé par la France, l’Allemagne, l’Italie et les Pays-Bas, et pourtant il fonctionne depuis 7 ans et continue de ruiner les agriculteurs ! On se demande d’ailleurs si le but de la crapule bruxelloise qui pond des lois en douce n’est pas tout simplement de détruire l’Europe. En tous les cas la légitimité de ces procédures est douteuse et sûrement pas démocratique parmi les points controversés de ce traité pourri, il y avait le fait que toute action d’un gouvernement européen pour protéger ses citoyens donnerait lieu à des indemnités confortables pour les plaignants au nom de la sacro-sainte supériorité de la liberté du commerce sur tout le reste[2]. Ce qui n’incitera pas les gouvernements ni à protéger les consommateurs, ni les agriculteurs ! 

Toulouse 16 janvier 2024 

Comme on l’a compris, les seuls agriculteurs qui s’en tirent, ce sont les « gros » qui non seulement raflent les subventions européennes – c’est problème connu depuis au moins trente ans – mais qui en outre imposent leurs méthodes de production. Il faut ajouter que l’Union européenne en s’engageant dans la guerre contre la Russie, on ne sait pas pourquoi en dehors de prouver sa soumission à Washington, a nui aux agriculteurs de deux façons conjointes, d’une part elle les a privés d’un marché important à l’exportation et d’autre part entraîné un renchérissement spectaculaire des coûts de l’énergie. Ce renchérissement est d’ailleurs en train de ruiner aussi l’industrie allemande. Quand la FNSEA – lobby des « gros » – milite contre les normes européennes elle ne parle pas au nom de l’ensemble de la paysannerie. C’est ce lobby qui est intervenu pour faire en sorte que la France ne vite pas l’interdiction européenne du glyphosate. Le revers de la médaille de cette concurrence effrénée dans l’Union européenne a accéléré la dégradation des produits agricoles. C’est une évidence avec ces « fermes » industrielles – voyez l’oxymore – qui produisent de la viande à peine mangeable avec les risques inhérents pour la santé. Comme on le comprend l’Union européenne – en fait la Commission européenne – a produit une politique monstrueuse qui empoisonne les sols et les détruits. Ajoutons que quand les subventions européennes vont principalement aux industriels de l’agriculture, elles contribuent à ruiner les petits paysans en maintenant des prix trop bas : c’est de la concurrence déloyale pour le coup ! 

À Poitiers on déverse du fumier devant la préfecture, le 25 janvier 2024 

Il y a d’autres responsables à ce désastre, par exemple l’OMC qui a tout fait justement pour lutter contre les normes, encore au nom de la concurrence libre et non faussée. Ensuite il y a l’organisation des marchés de consommateurs de produits agricoles. Évidemment les hyper-marchés qui font la loi. C’est un phénomène de monopsone bien connu depuis des années, et le problème s’aggrave avec la disparition progressive des marchés de plein air. La politique européenne qui a peu fait pour aider le bio à prospérer – reculant autant qu’elle le peut le moment où il faudra bien introduire une interdiction de glyphosate et de tous les produits qui empoisonnent les sols – travaille contre l’amélioration du bilan carbone. Par exemple en ouvrant les frontières, on fait faire des centaines de kilomètres, voir des milliers pour la viande qui arrive du Canada, de la Nouvelle-Zélande ou du Brésil. Ces produits arrivent fortement dégradés dans nos assiettes, avec une mauvaise valeur nutritive, et je ne parle pas des produits transformés par l’industrie agro-alimentaire qui, elle, pousse aussi bien à la baisse des prix des produits agricoles qu’à la baisse de la qualité, comptant sur des additifs chimiques pour faire passer la pilule auprès des consommateurs. Comme on le comprend, une véritable politique agricole – essentielle à la souveraineté d’un pays – passe par un certain nombre d’actions :

– d’abord sortir de l’Europe et ne laisser entrer sur le territoire que des produits qu’on ne peut pas produire nous-mêmes, je voudrais signaler que derrière la résistance de l’économie russe, et son non-effondrement, il y a une vraie révolution agricole. En 1990 les Russes importaient des poulets américains, du blé canadien, etc. Aujourd’hui, ils sont un des premiers exportateurs de céréales comme la guerre en Ukraine l’a révélé et ils exportent du poulet ! Ça ne s’est pas fait facilement, mais à la base, il y a une distribution de terre gratuite et des aides pour s’équiper. J’ajoute que l’abaissement des barrière douanières pour les produits ukrainiens va encore un peu plus perturber le marché de la volaille et des céréales, même en France.

– ensuite mettre au pas les hypermarchés qui sont dans une situation d’abuis de position dominante. Ce problème ancien n’a jamais été réglé, à cause des financements des partis politiques dont dépendaient l’autorisation de construire ces zones commerciales qui le plus souvent étaient financées dans les infrastructures – routes, eau, électricité, vente de terrains à bas prix – par les collectivités locales. On parle souvent de revitaliser les centres villes, mais les marchés de producteurs se meurent complètement, rompant le lien entre les producteurs et les consommateurs. Pourtant il y en a qui ne jouent pas le jeu et qui tentent de contourner l’organisation actuelle et prédatrice. Les consommateurs apprécient d’acheter les productions locales, mais c’est parfois très difficile surtout si on habite dans une grande ville.   

 

Dénouer la crise agricole qui concerne bien au-delà des agriculteurs le pays tout entier doit se penser à partir d’un changement de modèle ; celui qui a été imposé par l’Union européenne a fait faillite. Il faut reprendre la question à la base, soit dénoncer le clivage entre les gros entrepreneurs agricoles et les petits paysans, et retisser des relations de confiance entre les Français et les paysans, fermer les hypermarchés, etc. Autrement dit on ne pourra pas faire confiance à la FNSEA, lors des négociations avec le gouvernement, car l’agriculture qui est moribonde aujourd’hui c’est sa forme capitaliste.  J’avais calculé il y a une vingtaine d’années que le retour à une agriculture raisonnable et raisonnée qui ne serait pas dominée par l’agro-industrie pourrait créer au moins deux millions d’emplois. Ce sont des emplois utiles si les produits sont de qualité, alors que les emplois dans la bancassurance ou dans le maintien de l’ordre sont complètement inutiles, consomment de la valeur et n’en crée pas. Les vieux économistes français, ceux du XVIIème et du XVIIIème siècle, savaient que la seule richesse ce sont les biens nécessaires à l’entretien de la vie. La culture d’une nation, c’est son agriculture et sa culture. Le marché en se développant a éliminé des productions de fruits traditionnelles, mais aussi de fromages, on ne trouve presque plus que du lait stérilisé, etc. L’Union européenne au nom de l’hygiène voulait interdire les fromages français à pâte molle pour développer le marché des fromages à pâte pressée cuite. Elle dut renoncer, mais à travers cette action c’était à des différences culturelles que l’Union européenne s’attaquait. 

 

Les orientations européennes, scrupuleusement traduites en France par les différents gouvernements non seulement ont permis de produire de la merde, mais elles ont eu de plus un effet négatif sur la balance commerciale agricole française. C’est particulièrement net dans les filières de la viande, la volaille, le porc ou le bœuf. On évoque souvent la cherté du travail. Ce qui ne veut rien dire car on ne peut pas concurrencer la Pologne, l’Ukraine ou la Roumanie sur ce terrain. Mais il y a d’autres facteurs, d’abord la taille des entreprises industrielles agricoles qui est plus faible en France qu’en Allemagne par exemple, et puis il y a eu l’effet euro qui a aidé l’Allemagne à se tailler des parts de marché pour le porc et le bovin. 

Vendredi 26 janvier, Attal qui lisait un petit papier pour présenter les réformes proposées aux agriculteurs a été très mal accueilli par la profession, il est vrai que le malaise paysan dans toute l’Europe est bien plus profond qu’on ne le croit, et il ne se règlera pas avec la fin de l’augmentation de la taxe sur l’énergie. « On continuera à rester mobilisé », a annoncé vendredi soir la porte-parole de la Confédération paysanne, Laurence Marandola, estimant que l’intervention du premier ministre « n’augure pas de la transformation profonde dont a besoin l’agriculture ». Le gouvernement pensait avoir calmé un peu le jeu à la manière de ce qui avait été fait avec les Gilets jaunes, accordant provisoirement une sorte de ristourne sur les hausses à venir sur le fuel ! certes il a obtenu le premier résultat de diviser un peu le mouvement, mais pour l’instant c’est tout. Jérôme Bayle a demandé à ce que la circulation reprenne samedi midi à Carbonne. Sur l’autoroute, « ça va circuler ». Sera-t-il suivi ? Rien ne sera réglé, même si le mouvement s’arrête demain matin. Les Belges ont annoncé qu’ils allaient s’y mettre aussi. Des violences ont commencé à éclater. Il est tout de même extraordinaire que les crétins qui entourent Macron depuis 2014, dix ans quasiment, aient fabriqué autant de mécontentement, c’est inédit dans l’histoire de la Vème République, il faut remonter à la fin de l’ancien régime pour trouver ça. Tous les secteurs sont touchés. Macron prétend continuer comme ça en en rajoutant une couche en diminuant les allocations chômage encore un peu, histoire de faire ressortir les syndicats de leur passivité complice. Que tout cela se répète et fasse système à l’échelle de toute l’Europe n’a pas de quoi rassurer, en même temps qu’on fabrique des ennemis de l’extérieur – les Russes par exemple – on fabrique aussi à tour de bras des ennemis de l’intérieur ! Il ne m’étonnerait pas que certains bureaucrates européens sans conscience finissent par se retrouver pendus ! 


[1] En vérité si on inclus les coûts pour la Sécurité Sociale, ces produits sont très chers enh plus que d’être mauvais.

[2] https://www.force-ouvriere.fr/la-place-des-consommateurs-dans-le-ceta-le-traite-europe-canada

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