dimanche 11 février 2024

Sur la disparition de Robert Badinter

 

Quoiqu’on en ait dit, Robert Badinter n’était pas considéré comme un grand homme par tout le monde. C’était un grand bourgeois qui évidemment s’est illustré pour défendre l’abolition de la peine de mort. Je précise afin qu’on me comprenne bien, j’ai toujours été et je suis encore sur le plan philosophique hostile à la peine de mort. Je ne vais pas développer ici mes raisons, elles sont communes et connues, sans une ombre d’originalité. Mais ce qui m’agace c’est qu’on fasse de cette abolition un acte politique décisif. Il faut d’abord rappeler que cette abolition a été votée par un Parlement majoritairement à gauche, suite aux élections de 1981. La loi sera promulguée par Mitterrand le 9 octobre de la même année. Mais à cette époque, que cela nous plaise ou non, 63% des Français étaient hostiles à cette abolition. Ce qui veut dire deux choses : d’abord que les Français avaient massivement voté pour la gauche, mais pas pour cela. Ce fut le premier divorce entre le peuple et sa représentation. Mais Badinter dont la gloire ne tient qu’à cet exploit n’en avait cure, il n’a jamais été un démocrate au sens véritable du terme. En effet quand un gouvernement prend des décisions à l’encontre de la volonté populaire, la démocratie est contournée. Le deuxième point est que cette action gouvernementale était déjà dans les tuyaux depuis des années parmi les élites. C’est pour cette raison que si Pompidou, comme le général de Gaulle, s’en moquait, Valéry Giscard D’Estaing était très prudent dans la décision de rejeter les demandes de grâce. On peut dire qu’en 1981 quand l’abolition fut votée, la peine de mort était déjà tombée en désuétude comme le montre le graphique suivant. Le dernier condamné exécuté était un Tunisien, Hamida Djandoubi en septembre 1977. 

 

Cette abolition apparaît avec le recul comme la porte ouverte à la politique des droits de l’homme comme supplantant la démocratie ou l’expression du peuple. Ou encore on peut dire que c’est le remplacement de la démocratie par une morale suspendue au-dessus de nos têtes comme une certitude apodictique, qui est en fait d’origine religieuse : tu ne tueras point, le sixième commandement du décalogue. Mais contrairement à ce qu’on peut prétendre, cette morale n’a strictement aucun fondement naturel, elle est juste l’expression d’une forme sociale à un moment donné. Ne maitrisant plus l’économie, s’abandonnant au marché, les socialistes ont mangé leur pain blanc de la morale, la droite extrême à la Macron les a rejoint sur ce terrain. Depuis non seulement les gouvernants ont pris la mauvaise habitude de gouverner contre ceux qui les ont élus, mais ils ont de plus en plus appelé à la morale pour défendre telle ou telle minorité contre la majorité des citoyens. Cependant, pour ce qui concerne la peine de mort, son existence comme son abolition ne dépend pas du tout d’une évolution progressiste comme on le croit, mais de la conjoncture. 1981 couronne la longue évolution politique des Français vers les idées de gauche, mais c’est déjà presque la fin d’une longue séquence – après la fin de la Guerre d’Algérie – relativement paisible. En 2017, le Centre d’observation de la société parlait d’un large consensus sur l’abolition de la peine de mort aux alentours de 70%[1]. Mais depuis l’adhésion à la peine de mort est remontée et tourne autour des 50%, avec un pic à 55% en 2020. La cause la plus probable est une montée régulière de la criminalité et des attentats islamistes qui font notre quotidien. Un gouvernement d’extrême-droite pourrait à la faveur des circonstances rétablir cette forme barbare de la vengeance étatique, bien inférieure à ce qui ressort de la vengeance personnelle.  

Pour le rétablissement de la peine de mort - Ipsos 

Tout cela doit relativiser l’intérêt qu’on peut porter au combat de Badinter. C’est finalement bien peu de choses si on compare cette « avancée » au recul considérable des droits individuels des citoyens qui sont surveillées en permanence et qui vivent jour après jour la dégradation de leurs conditions d’existence. La peine de mort concernait avant son abolition, une poignée d’individus. Badinter qui est resté presque cinq années au poste de Garde des Sceaux, n’a par exemple rien fait pour l’amélioration du sort des prisonniers, les professeurs de morale ne le rappellent pas assez, les prisons françaises sont une honte d’inhumanité. Année après année on publie des rapports alarmants, mais rien ne change, et depuis 1981, la dégradation est une évidence. Pourtant cela concerne des dizaines de milliers de personnes. 

Publié dans Le monde daté du Dimanche 11 et Lundi 12 février 2024 

Badinter était un avocat pénaliste, comme son successeur Dupont-Moretti, c’était un beau parleur qui avait un art consommé pour mettre en scène le peu de choses qu’il réalisait. Pompidou qui était par ailleurs une canaille inféodée au grand capital, mais qui était peut-être moins hypocrite ne s’y était pas trompé, tout cela c’était du spectacle, une manière d’exister pour un investissement assez minime au fond. La peine de mort étant abolie, et ayant quitté son ministère, Badinter était un peu orphelin. Il a donc survendu son rôle dans l’abolition de la peine de mort, commettant deux livres sur cette question en 2000[2] et 2006[3], histoire de rappeler qu’il avait été un grand homme. Pour le reste il fut un grand soutien au développement des droits des homosexuels, et ses derniers combats portèrent sur les « démocraties illibérales » puis il lui prit la lubie de soutenir l’idée farfelue de faire comparaître Vladimir Poutine devant un tribunal international[4]. On sait ce qu’il faut penser de ces tribunaux internationaux, hors-sol, anti-démocratiques, mondialistes pour tout dire[5]. Passons sur son rôle dans l’adhésion complète et entière de la France à la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Mais Badinter qui vivait dans l’erreur, fut pris en flagrant délit d’incompétence quand, en 2001, il défendit l’élargissement de Maurice Papon sur la base de faux rapports médicaux qui furent démentis par Papon lui-même lorsqu’il apparut tout guilleret, marchant d’un pied léger à sa sortie de prison. La sociologue Irène Théry rappelait avec un grand contentement que « Robert Badinter a permis de mettre fin à plus de vingt siècles de définition du couple comme formé nécessairement d’un homme et d’une femme »[6]. Autrement dit il a fait avancer l’effondrement des valeurs traditionnelles en Occident au profit d’une minorité agissante, question qui ne concerne évidemment pas le commun et encore moins les travailleurs. 

 

Le 17 juin 1939, la foule se presse devant la prison Saint-Pierre, à Versailles. La guillotine est dressée pour Eugène Weidmann, qui sera le dernier condamné à mort exécuté en public en France. Ce spectacle affreux était destiné à dissuader les futurs assassins ! 

Badinter était ce qu’il était, un grand bourgeois qui voulait remplacer la démocratie par le droit ! mais plus que ce personnage moralisateur, ce qui est assez désespérant, c’est l’unanimisme des médias pour lui rendre hommage. Le monde lui consacrant 8 pages d’un lourd dossier. Ce louche unanimisme s’il ne dit rien de ce que représentait vraiment Badinter, nous renseigne au moins sur ce qu’est la presse bourgeoise. 

 

Macron, le grand ordonnateur des pompes funèbres n’a pas manqué l’occasion de se faire remarquer non seulement en « saluant cette grande conscience », mais aussi en laissant entendre que sa dépouille pourrait bien faire son entrée au Panthéon[7]. Au rythme où ça va, il n’y aura plus beaucoup de place au Panthéon. En attendant Macron se comporte comme un vautour qui tourne sans répit autour des cadavres, pour en récupérer un morceau de gloire, c’est l’occasion pour lui de faire croire encore qu’il existe et de faire oublier le fiasco de son deuxième quinquennat, comme celui de son ubuesque remaniement ministériel. Les médias cherchent en permanence des figures tutélaires, Simone Veil en 2018 a fait son entrée au Panthéon en 2018, au moins son combat à elle concernait des millions de Françaises. Rappelez-vous, on avait baladé son cercueil et celui de son mari – on se demande bien pourquoi – comme s’il s’agissait du cadavre de la Reine d’Angleterre ! On voit bien à quoi sert ce cirque, mis en scène comme un évènement culturel sensationnel comme on peut en voir chez Hanouna. 


[1] https://www.observationsociete.fr/modes-de-vie/valeurs-un-large-consensus-contre-la-peine-de-mort/

[2] L’abolition, Fayard.

[3] Contre la peine de mort, Fayard

[4] Vladimir Poutine : l’accusation, Fayard, avec Bruno Cotte et Alain Pellet, 2023.

[5] https://ingirumimusnocte2.blogspot.com/2024/01/thierry-baudet-indispensables.html

[6] https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/02/10/irene-thery-sociologue-robert-badinter-a-permis-de-mettre-fin-a-plus-de-vingt-siecles-de-definition-du-couple-comme-forme-necessairement-d-un-homme-et-d-une-femme_6215867_3232.html

[7] https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/10/emmanuel-macron-salue-la-memoire-de-robert-badinter-devant-les-eleves-magistrats_6215814_823448.html

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