vendredi 9 février 2024

Relancer la natalité, pourquoi faire ? Les dessous d’un faux débat

  

La démographie, c’est important, ce n’est pas moi qui dirais le contraire, elle est à la base des formes de socialisation, et même Todd nous l’a rappelé, c’est la raison d’être de la famille. Depuis quelques semaines, on a relancé le vieux débat de vieux sur la démographie. C’est venu de cet imbécile de Macron qui a décidé le réarmement démographique ! Et tout le monde a suivi, la gauche et la droite et même l’extrême droite sont ensemble d’accord : les Français, les Occidentaux, les Russes, les Allemands ne font pas assez d’enfants et sont menacés à la fois de disparition et d’appauvrissement. Macron qui est soi-disant marié et Attal, des gens qui ne savent pas ce que c’est qu’un gosse et encore moins d’essayer de l’élever, nous disent qu’il faut qu’on se remette à engrosser nos bonnes femmes. Cependant les femmes veulent de moins en moins d’enfants pour avoir du temps pour vivre leur vie et sortir de la prison du statut de mère. C’est confirmé par tous les sondages, mêle pour les femmes de confession musulmane. Cette tendance lourde du développement s’appelle la transition démographique. Passons rapidement sur les raisons qui poussent les femmes à faire moins de gosses :

1. quand les revenus ont tendance à baisser et le chômage à augmenter, les familles font moins d’enfants de peur de ne pas avoir les moyens de les élever correctement, c’est une raison conjoncturelle ;

2. quand l’environnement apparait peu sûr, l’avenir plus sombre, on évite de se reproduire dans un monde en crise. Encore que le business de la gestation pour autrui soit très florissant en Ukraine ; 

 

3. plus fondamentalement, il y a l’évolution économique qui fait que faire moins de gosses est facteur de développement. On y reviendra plus loin. Gary S. Becker, « économiste de la famille », disait que l’évolution du pouvoir d’achat faisait qu’on préfère faire moins de gosses, mais de bonne qualité, en bonne santé, bien éduqué, que beaucoup de gosses au devenir et au rendement aléatoire[1]. C’est pourquoi la démographie est galopante dans les pays du tiers où paradoxalement il y a peu d’avenir pour les gosses qu’on y fabrique. La transition démographique qui passe d’un régime où on fait beaucoup de gosse à un régime où on en fait peu explique pour une large part l’augmentation du bien-être en Occident, l’autre part est expliquée par l’augmentation de la productivité du travail. La Chine et dans une moindre mesure l’Inde ont mis en place des politiques tendant à freiner la démographie, et cela s’est répercuté pour partie dans l’amélioration générale des conditions de vie dans ces pays. C’est une chose bien connue depuis au moins le dix-neuvième siècle, lorsque la pression démographique est moins forte, la main d’œuvre est moins abondante et naturellement les salaires augmentent. 

 

Il est exact que dans les pays occidentaux, mais aussi en Russie et en Chine, la croissance démographique est faible. Si d’un côté elle est ralentie par la volonté de faire moins d’enfants, de l’autre, elle était jusqu’à une date récente poussée par l’allongement de la durée de la vie. Et donc évidemment dans le contexte tourmenté du vingt-et-unième siècle, la population mondiale continue d’augmenter, avec la pression qu’on imagine sur les ressources naturelles. Sur les cent dernières années, comme le montre le graphique ci-dessous la population a quadruplé ! Ce qui veut dire que le Sud global continue sa marche vers la surpopulation, tandis que l’Occident a tendance à disparaitre. C’est-à-dire le « blanc ». Les Etats-Unis qui tiennent des statistiques ethniques montrent que la population blanche régresse rapidement sur le territoire national. Ce n’est pas de maintenant bien sûr, et c’est ce qui avait permis à Paul Krugman, prix Nobel d’économie, ma chère, de prédire aux débuts des années 2000 l’arrivée inéluctable d’un président noir à la maison Blanche. L’élection d’Obama confirma cette prédiction. Nous avons deux problèmes, le premier est la surpopulation mondiale. Dans un monde aux ressources naturelles finies, il est absolument dément de croire que la population peut toujours continuer à augmenter. On ne peut pas être pour la décroissance et soutenir les politiques désordonnées d’accroissement de la population à l’échelle de la planète. Les démographes les plus optimistes croient que cette pression diminuera naturellement avec l’accroissement de la richesse produite, mais il n’est pas certain que cette richesse puisse toujours augmenter dans des proportions satisfaisantes. Ces démographes qui parient dans un horizon lointain sur une stabilisation de la population mondiale oublient le plus souvent que la démographie est une question politique : autrement dit la régulation peut venir d’autres raisons, par exemple des guerres ! 

Le second problème est que l’Afrique dans son ensemble connait une démographie galopante, C’est ce que nous voyons dans le graphique ci-après. Or cette surpopulation est un frein au développement de cette région, et oblige les pays africains à exporter leur surplus de population en Europe par exemple, mais également cela pèse sur les ressources naturelles : les pays africains pour faire face à leurs besoins ont souvent recours à vendre leurs ressources dont ils vont se priver ensuite pour leur propre développement. C’est certainement un des plus graves problèmes que le monde aura à affronter dans les décennies qui viennent, d’autant que cette surpopulation, la jeunesse du continent africain est également un facteur de guerres, guerres qui bloquent bien évidemment le développement. Tout cela montre que des multiples facteurs modifient la trajectoire projetée, on se souvient de la saignée de la population française lors de la Première Guerre mondiale. 

 

Quelles sont les raisons pour prôner un réarmement démographique ? Ce sont très souvent les mêmes que celles qui soutiennent que l’économie a besoin de l’immigration pour continuer à progresser, c’est-à-dire à accumuler du capital. C’est le discours du MEDEF qui nous dit que l’économie aura besoin « massivement » de tant d’immigrés[2]. C’est aussi souvent repris par la gauche qui justifie comme ça à moindre frais son soutien à l’immigration. En vérité « l’économie », ça n’existe pas autrement que comme objet, l’économie ne veut rien. L’économie c’est juste une idée, car en vérité l’économie est un rapport social qui découle de décisions politique et rien d’autre. Quand Patrick Martin, le chef du MEDEF dit l’économie a besoin de tant d’immigrés, il veut dire le patronat a besoin de ces immigrés :

1. Pour continuer à encaisser des profits en abaissant les salaires réels ;

2. Pour continuer la croissance sans changer de modèle de production et de répartition de la valeur ;

3. Pour élargir le marché. Ces trois conditions se tiennent pour combattre la baisse tendancielle des taux de profit.

Le « réarmement démographique » est un slogan qui procède de deux idées stupides : d’abord l’idée qu’il nous faut faire des enfants pour qu’à leur tour ils financent les vieux, autrement fit, si vous voulez une bonne retraite faites des enfants accepter les immigrés qui travailleront pour pas trop cher pour vous nourrir. Autrement dit fabriquez vos propres esclaves, idée abjecte sur le plan moral, mais ridicule sur le plan économique puisque à moyen et long termes il faudra aussi financer les retraites des immigrés qui vieilliront vaille que vaille. Mais on a vu, lors du débat sur les retraites que le problème de financement de celles-ci dépendait directement du partage de la valeur entre les classes sociales. Dire qu’on a besoin de main d’œuvre c’est penser que le modèle ancien pourra se perpétuer indéfiniment. C’est la même chose avec les naissances que certains veulent voir comme un investissement. 

 

En vérité derrière le discours nataliste il y a l’idée que les vieux sont surabondants et ne produisant rien, ils sont inutiles. Donc on fera des graphiques et des calculs savants pour montrer qu’ils coûtent à la société, en fait au capitalisme parce que s’ils sont utiles à leurs familles, à leurs petits-enfants, ils sont inutiles pour le marché. Encore que cette idée soit contestée par les tenants des transformations de l’économie. En effet avec la montée en puissance du nombre de séniors – mot pudique pour parler des vieux – s’est développée ce qu’on appelle la silver économie. C’est-à-dire une économie portée justement par les séniors. Les délires des économistes sur cette question sont assez fascinants. En effet pour les uns c’est une opportunité de croissance[3], tandis que pour les autres c’est une charge qu’il faut réduire en faisant travailler les vieux jusqu’à la mort ou en les privant de soins en les écartant des priorités hospitalières. Ces divergences dans lesquelles nous ne rentrerons pas, indiquent au minimum une désorientation de la société occidentale et donc que la science économique n’en est pas une. Simplement on voit que d’un point de vue démographique nous avons le choix dans le cadre d’une économie de marché de faire travailler les vieux plus longtemps – d’où les réformes des retraites – soit de rajeunir la société en faisant des enfants ou en important des travailleurs immigrés. Les Japonais qui ne font plus beaucoup d’enfants – en 1945 ils en faisaient énortmément et c’était là un de leur point faible, comme l’Afrique aujourd’hui – mais ils ont refusé les deux solutions précédemment admises en Occident : ils refusent à la fois une politique de natalité et une politique d’immigration forcenée, ils prétendent s’en sortir avec la robotisation généralisée qui économise la main d’œuvre[4]. Comme on le voit, c’est un choix politique que de se rendre dépendant d’une main d’œuvre extérieure ou de la bonne volonté des femmes de se remettre à faire des enfants. Quand en général on veut une main d’œuvre abondante, d’où qu’elle vienne d’ailleurs, c’est qu’on veut faire baisser les salaires pour augmenter les profits. Plus une société est égalitariste, et moins elle misera sur l’immigration pour soutenir sa croissance. Le Japon, jadis le modèle de l’Occident en termes de travail et de croissance, a une croissance économique atone depuis des décennies maintenant, mais cela ne semble guère gêner. 

 

L’exemple japonais montre que le modèle démographique dépend en fait du modèle de production. Cependant la question démographique s’invite dans une autre problématique : la guerre. En effet pour faire la guerre il faut, malgré tout, des soldats, de la chair à canon. On a remarqué que dans les conflits asymétriques, Russie-Ukraine et Israël-Hamas, le camp le plus fort, celui qui possède le meilleur matériel, est aussi celui qui économise dans sa conduite de la guerre le matériel humain, que ce soit le Hamas ou l’Ukraine, on dépense ce « matériel humain » sans compter, au risque de se retrouver totalement démuni. La France dominait l’Europe, entre le siècle de Louis XIV et le règne de Napoléon, parce qu’elle possédait la population la plus nombreuse Quand les Anglais partaient au XVIIème siècle à la conquête du monde, ils s’appuyaient sur une démographie galopante. Les Allemands dépassent en nombre d’habitants la France, et c’est sûrement ce qui va expliquer leur agressivité militaire entre 1870 et 1945. Mais quand ils tenteront de réduire la Russie, ils tomberont sur un pays justement en pleine expansion démographique qui a pu engager des troupes continument, malgré des pertes colossales. Aujourd’hui, comme je l’ai souligné ci-dessus, la Russie ne pourrait plus le faire, ce qui explique la relative prudence de la stratégie russe en Ukraine. Les conflits récents nous ont d’ailleurs montré que la guerre était aujourd’hui technologique, et donc que le matériel humain comptait beaucoup moins que par le passé. D’ailleurs on a observé que le nombre de victimes dans la guerre menée par l’OTAN contre la Russie était relativement bas si on le compare à ce qui se passait dans une guerre comme celle de l’Allemagne contre la France en 1914. Les Ukrainiens auraient perdu 500 000 soldats et les Russes environ 80 000 – chiffres à prendre avec précaution bien entendu, et il va de soi que ces morts sont toujours des morts de trop, mais vu le déluge de feu qui s'est abattu dans cette malheureuse région, c'est relativement peu en comparaison avec les conflits du XXème siècle.   

 

Aujourd’hui l’Occident global, en plein désarroi, croit qu’il doit faire obligatoirement se préparer à une attaque des Russes ou des Chinois, et donc qu’en conséquence, il faut construire une armée capable de défendre la forteresse. C’est la fable que vendent à la fois l’OTAN, les USA et Zelensky qui « se bat pour nos valeurs ». Donc produire beaucoup d’armes et se « réarmer démographiquement » est nécessaire ! Les stratèges de l’OTAN conseillaient au mois de janvier 2024 de prévoir une conscription large, avec beaucoup de chair à canon. Cette fantaisie stratégique se heurte à plusieurs réalités. D’abord pour produire des armes, il faut mettre beaucoup d’argent, ce qui veut dire que ces ressources publiques viendront à manquer rapidement pour les autres investissements publics, surtout dans un contexte aberrant d’austérité développée par la BCE dont les taux étranglent l’économie européenne, alors qu’elle doit faire face à un renchérissement des coûts de l’énergie, consécutivement à la mise en place des ubuesques sanctions économiques. Mais les populations de l’Occident global ne veulent pas s’enrôler, pratiquement toutes ses armées ont des problèmes de recrutement, en France comme en Angleterre. Ce sont toutes des armées professionnelles et revenir à la conscription sera difficile. Les salaires sont maigres, les contrats assez courts. C’est l’inverse des armées russe et israélienne. Les militaires qu’on recrute, en France, en Angleterre et aux Etats-Unis, sont essentiellement des pauvres qui n’ont pas beaucoup d’autres opportunités. Aux Etats-Unis on puise dans les populations pauvres issues de l’immigration récente, latinos, musulmans ou noirs. Les bouleversements dans la composition ethnique de la population américaine risquent d’avoir des répercussions dans le comportement des militaires. 

USA : un record de femmes noires diplômées de l'école militaire de West Point en 2019 

Dans les pays « riches », le coût de la vie humaine est très élevé. Et donc on essaie de la protéger. Les Américains sont les spécialistes des guerres qu’ils mènent en balançant des tonnes de bombes, d’une hauteur de 5000 mètres par exemple. Ils ont fait ça en Allemagne, au Japon dans le cadre de la Seconde Guerre mondiale, sans égard pour les civils. Ils ont remis cette fantaisie au Viet Nam, et puis encore en Irak. Mais si cela est suffisant contre Saddam Hussein, les limites ont été éprouvées en Afghanistan. Dans ce contexte que veut dire concrètement le réarmement démographique de Macron ? Son gouvernement de bons à rien va sans doute proposer des mesures natalistes, par exemple une prime au troisième enfant ou une augmentation des allocations familiales et des congés parentaux. Ces mesures n’ont pas d’effet pour les classes supérieures, elles ne peuvent que renforcer le poids des populations d’origine immigrée dans la population globale. Deux problèmes se posent alors : d’abord il faudra du temps pour que cette politique donne des résultats – si elle en donne – peut-être 15 ou 20 ans, mais les objectifs militaires auront sans doute changé. Ensuite, les populations immigrées qui en grande majorité sont imprégnées de la religion islamiste, ne suivraient certainement pas le mouvement en cas de conflit entre l’Occident et le monde musulman. Cette rhétorique démographique est un des effets de l’échec d’une mondialisation sous la houlette des Etats-Unis et de leurs vassaux. Elle vise à laisser croire à un volontarisme politique, alors qu’il s’agit simplement de masquer l’absence d’un projet.  


[1] Human Capital: A Theoretical and Empirical Analysis, with Special Reference to Education, Chicago University Press, 1964

[2] https://www.marianne.net/economie/economie-francaise/l-economie-demande-massivement-de-l-immigration-le-patron-du-medef-ressuscite-l-armee-de-reserve

[3] Claire Bernard, Sanaa Hallal et Jean-Paul Nicolaï, La Silver Économie, une opportunité de croissance pour la France, Commissariat général à la stratégie et à la prospective, 2013.

[4] https://www.lexpress.fr/monde/asie/baisse-de-la-natalite-vieillissement-le-japon-mise-sur-les-robots-pour-remplacer-les-humains_2154134.html

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