Les gilets jaunes marchent sur l’Elysée
Depuis plusieurs années on parle de crise de la démocratie, en vérité il faudrait parler de crise de la démocratie parlementaire. Cette idée de crise est assez vague d’ailleurs, car ce terme fait comme si cette démocratie parlementaire était amendable dans un sens positif. Le point certain est que depuis de longues années maintenant les peuples des pays occidentaux ne se sentent pas écouté par ceux qui prétendent le diriger vers le mieux. On parle d’une sorte de divorce entre le peuple et ses représentants et à l’évidence cela conduit à des conflits récurrents comme on le voit depuis l’accession malheureuse de Macron à la tête de l’Etat français. Deux crises graves et violentes ont marqué les esprits, celle dites des Gilets jaunes qui a déclenché une peur incontrôlable chez Macron, puis celle de la réforme des retraites. Dans les deux cas les mobilisations ont été importantes et les sondages d’opinion nous ont dit que massivement l’opinion soutenait les révoltés contre le gouvernement. Dans les deux cas le gouvernement s’en est sorti essentiellement par le développement d’un Etat policier chargé de réprimer et de dissuader la révolte populaire, puis par quelques pseudo-débats qui n’ont abouti à rien. Ce qui suffit à montrer d’ailleurs que cette démocratie parlementaire n’est pas une démocratie, mais une parodie ou un spectacle monté autour de fausses oppositions. Voter c’est laisser croire que le citoyen a un pouvoir important, alors qu’il ne fait qu’entériner des choix réalisés en amont des élections.
Le soviet de Petrograd
Avec la guerre en Ukraine, les médias occidentaux dans leur quasi-totalité désignent la nécessité de faire la guerre à la Russie sous le prétexte fallacieux que nous devons défendre nos valeurs et donc la démocratie. Et on nous indiquera que Poutine est un autocrate, un dictateur par opposition à notre démocratie parlementaire. Bien entendu je ne prétendrais pas ici que le régime politique dans la Russie d’aujourd’hui est un régime démocratique. Mais les exemples récents abondent en Occident pour montrer que la démocratie parlementaire qui y fait les lois n’est absolument pas un système démocratique. Si nous remontons dans le temps, nous retrouvons Jean-Jacques Rousseau et son Contrat social qui nous indique déjà que la démocratie parlementaire en Angleterre est bien une oligarchie : les Anglais ne sont libres que dans le moment du vote, ensuite ils retournent sous le joug d’une oligarchie plus ou moins corrompu. Si on dit que la démocratie est le gouvernement du peuple par lui-même, alors toute délégation de ce pouvoir à de spécialiste de la chose politique, voire à des experts n’est pas une démocratie. La seule démocratie est la démocratie directe. Toute autre forme de système politique n’est qu’une parodie. On vote tous les quatre ans ou tous les cinq ans. Puis le peuple est renvoyé à sa passivité. Un système politique qui impose au peuple des lois dont il ne veut pas n’est pas une démocratie, mais au minimum une oligarchie. En 2005, par referendum la France et les Pays-Bas rejettent ensemble et largement le projet de TCE – Traité constitutionnel européen – mais ce projet sera finalement adopté par les politiciens de métier par la voie parlementaire, contournant la décision du peuple. Cet exemple montre que la classe politique est largement hostile à la volonté populaire, elle lui fait carrément la guerre. Cette adoption par la bande suppose que les politiciens de métier sont bien plus compétents que le peuple. Ce qui reste à démontrer étant donné les très mauvais résultats que leur politique inflige à leurs citoyens depuis une quarantaine d’années.
Les Français ont confirmé qu’ils ne regrettaient pas leur vote de 2005, et qu’au contraire, ils l’amplifieraient en 2015
Second exemple, les Européens sont massivement hostile à la politique d’immigration, mais les lois, les traités européens vont là encore à l’encontre de cette volonté. Il ne s’agit pas de dire ici que le peuple a tort ou a raison, mais seulement que les politiciens et les experts se trompent tellement souvent, ou mentent consciemment pour défendre des intérêts oligarchiques que le peuple n’a aucun intérêt à leur déléguer son pouvoir de décision. On ne peut passer au-dessus de la volonté populaire en disant le peuple se trompe et prétendre que nous sommes en démocratie. Un régime réellement démocratique admet que le peuple peut se tromper et admet aussi qu’il peut se corriger. Prenons encore un autre exemple, l’OTAN sous la houlette des Etats-Unis prétend entrainer les Européens dans une guerre ruineuse contre la Russie. Cela se fait sans que le peuple ne l’ait décidé, du reste dès que Macron a commencé à parler d’envoyer des soldats français sur le terrain, les Français ont massivement contesté cette idée et sa popularité déjà chancelante a encore chuté. Quand on critique le système russe, on oppose le fait que 80% des Russes ont voté pour Poutine, en disant qu’un tel score n’est pas démocratique, qu’il n’y avait en face de lui que des candidats fantoches. Pourtant des sondages américains nous disent que 80% des Russes soutiennent leur gouvernement dans la guerre qu’il mène contre l’OTAN. Mais en France on n’insiste pas sur le fait que Macron est élu avec seulement un gros tiers des électeurs inscrits, soit une abstention record, contre Marine Le Pen qui avait contre elle 100% des médias. Egalement la popularité de Macron n’a jamais dépassé durablement les 30% des Français. Il est impossible de croire que Macron représente autre chose que les lobbies qui l’ont mis à cette place. Ce qui n’empêche pas ce dernier de dire qu’il a été élu pour mettre en place son programme, ce qui est un mensonge éhonté. Cette désaffection de l’opinion est générale en Occident, Joe Biden oscille entre 35 et 40% d’opinion positive, Ursula von der Leyen tourne autour de 15%, Scholz c’est 20 à 25%. Il y a donc bien un divorce entre les peuples occidentaux et leurs dirigeants. Comment parler de démocratie dans des pays où les gouvernements sont aussi décriés ?
Les Américains ne sont pas d’accord pour devoir
choisir entre Trump et Biden, mais ils n’auront pas d’autre choix
– la première est que le candidat à un poste un peu
important sur le plan politique est d’abord filtré par le parti qu’il est censé
représenter. Ce qui veut dire qu’il est le porte-parole d’un groupe de pression
politique et non du peuple. Il doit s’exprimer dans le registre d’une parole
moyenne et non pas en tant que lui-même ou en tant que représentant d’une
classe sociale. Cela explique pour une large partie que les candidats aux
élections viennent dans des proportions infimes des basses classes, de ces groupes
sociaux qui n’ont pas d’héritage culturel ou de patrimoine.
– les candidats doivent également avoir des soutiens financiers de poids. Ce qui veut dire qu’ils doivent avoir beaucoup d’argent derrière eux, mais aussi des journaux et des médias importants qui les soutiennent. C’est ainsi que la candidature Macron – formé aux Etats-Unis comme Young leader – a pu émerger. On a été sidéré en effet de la vitesse à laquelle il avait entraîné une partie significative de l’électorat, comme de la facilité qu’il avait à engranger de l’argent, énormément d’argent pour sa campagne électorale. Cela ne s’explique ni par son talent ni par son programme, mais essentiellement par la puissance des lobbies qui l’ont soutenu, les médias saturant l’espace, Macron a lui tout seul a bénéficié en 2017 de quatre fois plus de couverture médiatique que tous les autres candidats réunis. Eric Zemmour a tenté de copier cette méthode, il y a réussi à moitié, obtenant de gros financement pour la campagne de 2022, mais échouant à circonvenir les médias dominants.
Les candidats n’existent pas sans de puissants soutiens. Un individu des plus médiocres comme Raphaël Glucksmann émerge tout soudain sur la scène médiatique, ramassant au passage les débris du Parti socialiste. Son parcours explique cela, à commencer par le fait que son père, initialement maoïste, pseudo penseur de la guerre et nouveau philosophe, soit devenu un agent des Américains, via une reconversion exprès vers le néolibéralisme, par haine de la Russie. Ayant rendu des services en Géorgie puis en Ukraine, Raphaël Glucksmann apparaît comme un agent fiable aux yeux des Américains. Depuis au moins la fin des années soixante, ces derniers ont beaucoup investi dans des ONG ou dans des think-tanks pour contrôler, voire produire des politiciens qui leur seront dévoués. François Hollande était aussi un Young leader, comme Macron, comme Edouard Philippe. Les Américains ne sont pas regardant, ils peuvent aussi bien pousser sur le devant de la scène des hommes politiques étiquetés à gauche, comme à droite. Meloni a été formée par l’Aspen Institute qui jouera un rôle décisif dans la formation du gouvernement de Porochenko en Ukraine. On remarque que ces hommes de paille sont remarquablement médiocres sur tous les plans, y compris sur le plan intellectuel. Ce ne sont pas Dès lors que ces candidats évitent d’évoquer leurs liens de subordination avec Washington, la démocratie même sous sa forme naine réduite à la démocratie représentative est totalement faussée. Dans le temps on accusait le Parti communiste français d’être téléguidé par Moscou, encore qu’on pouvait penser que même si c’était vrai, les cadres et les élus de ce parti avaient des convictions politiques. Ce n’est pas le cas aujourd’hui pour les candidats de Washington. Leur seul et unique objectif est d’appartenir à l’oligarchie, et pour cela il n’y a pas besoin de compétences particulières, sauf avoir de l’ambition et à travailler à écarter la concurrence.
D’autres exemples de l’absence de démocratie dans les sociétés occidentales c’est la manie du secret et des coups tordus. Les Etats-Unis sont les maîtres en la matière. Dans une société démocratique le secret n’est pas de mise. En effet quel que soit le prétexte pour garder des opérations secrètes, il s’agit toujours d’une manipulation de l’opinion qui fausse forcément les citoyens dans leur pouvoir de décision politique. Cette question du secret est rarement abordée quand on discute de la démocratie. Elle avait été abordée cependant par Guy Debord dans ses Commentaires sur la société du spectacle[1]. Or elle est centrale pour au moins deux raisons : la première est que les citoyens lors d’une élection ne sont au mieux appelés qu’à se prononcer sur la partie visible de l’action d’un gouvernement, et pas sur la partie cachée de son action. Les médias occidentaux ont mis en scène la mort de Navalny pour dénoncer l’autoritarisme du régime russe. Mais l’affaire Julian Assange, traitée très discrètement par eux, et qui risque des dizaines d’années de prison, a révélé à quel point les Etats-Unis gouvernaient le monde occidental et aussi combien ils ne supportaient pas que leurs petites saloperies soient déballées sur la place publique, exigeant que les Etats vassaux leur livre pour le mettre en prison et faire un exemple. Mais nous savons que ce modèle de démocratie parlementaire a engendré des tentatives de coups d’Etat comme dans l’Italie d’Aldo Moro, ou encore plus récemment le sabotage des gazoducs Nord Stream. C’est-à-dire des entreprises hostiles à ses propres alliés, afin de les rendre encore plus dépendants de Washington. L’opacité de cette forme de démocratie a permis entre autres choses, l’assassinat du président Kennedy, des coups d’Etat ici et là, au Chili, en Ukraine, ou encore en Indonésie. Ces actions d’Etat ne sont jamais avouées, on les apprend par la bande, par des recoupements plus ou moins difficiles. Il y a toute une littérature, des témoignages, qui fascine le public sans que celui-ci ne mette en rapport l’étalage de ces turpitudes avec l’absence de démocratie dans ce pays.
Des commentateurs mal intentionnés vous diront que toutes ces tares peuvent être éliminées avec le temps, qu’il suffit de perfectionner le système et de le rendre plus transparent à l’aide de juges spécialisés. C’est une erreur grossière plus le système de la démocratie parlementaire se perfectionne, et plus il resserre ses griffes sur le contrôle social. La démocratie parlementaire permet que le pouvoir se concentre dans les mains de quelques-uns. Et bien entendu c’est cette concentration qui favorise la corruption généralisée. Il ne se passe pas de temps sans qu’une affaire succède à une autre affaire, c’est vrai pour Macron et son gang qui ont trempé aussi bien dans des affaires de prise illégale d’intérêt que de financements illégaux de leur campagne électorale, mais aussi avant lui tous les autres gouvernements. Et Nicolas Sarkozy son sinistre prédécesseur passe depuis dix ans maintenant son temps devant les tribunaux pour solder les comptes de ses turpitudes. Aux Etats-Unis se sont les malversations de Donald Trump qui mobilisent la justice. Egalement les privatisations orchestrées un peu partout dans le monde contre l’avis du peuple et qui consistent à brader le bien public, ont donné lieu à un vaste système de corruption, sans parler des retombées économiques négatives dans les domaines des chemins de fer, des autoroutes, de l’eau ou de l’énergie. Evidemment cela s’est réalisé sans que le peuple soit consulté, depuis l’échec du référendum sur le TCE les politiciens regardent à deux fois avant de se lancer dans cette aventure. Toute cette corruption qui s’étale dans les médias et qui est à peine sanctionnée, n’est pas périphérique au système de la démocratie parlementaire, elle en est le cœur. C’est son but en quelque sorte.
Reste deux points importants à examiner. D’abord comment est contrôlé le travail législatif du gouvernement dans une démocratie parlementaire. Prenons l’exemple de la réforme des retraites. Le gouvernement fait passer cette loi à coups de 49-3, histoire de museler un parlement déjà complètement atone. La contestation est très forte, près de 80% des Français pensent que cette réforme est mauvaise et inutile. Le peuple manifeste dans la rue, mollement soutenu par les syndicats. Mais la lâcheté des parlementaires fait qu’on laisse sévir la police pour résoudre ce problème d’une manière digne d’une république bananière. La loi étant adoptée, on porte le débat devant le Conseil constitutionnel. Celui-ci se défile honteusement et la loi est entérinée. Mais dans tous les cas le peuple qui est le premier concerné par cette réforme n’est pas consulté. Ce qui suppose, vu le gouffre abyssal entre la position du gouvernement et celle du peuple que celui-ci est considéré comme incapable de penser la question des retraites. On suppose que le peuple se trompe mais que le gouvernement lui ne se trompe pas. Vu l’état de la France en 2024, on peut penser à l’inverse que depuis quarante années c’est le gouvernement qui se trompe en prenant toujours des mesures contre l’intérêt des Français. Le Conseil constitutionnel est en effet à peu de choses près de la même couleur politique que le gouvernement, il n’y a pas de surprise, ce sont de vieux chevaux de retour qui le composent. Mais en réalité un autre problème se pose. Celui de l’existence même du Conseil constitutionnel. D’abord parce qu’une loi peut être nécessaire et largement réclamée par le peuple, mais qu’elle n’est pas permise par la Constitution. Or il ne peut y avoir de démocratie que si les lois peuvent être remises en question. L’idée même de Constitution est contraire à la démocratie. Certes il est prévu de modifier la Constitution mais suivant des règles tortueuses qui sont assez dissuasives et qui de toutes façons excluent le peuple du débat. De la même manière le référendum d’initiative populaire est possible mais avec de telles contraintes qu’il est quasiment impossible à mettre en place si son objet contrarie l’oligarchie. Je disais ci-dessus que la démocratie parlementaire est une parodie, mais on peut ajouter aussi qu’elle est une hypocrisie, contrairement aux régimes autoritaires chinois ou russe.
L’autre point important est que la démocratie n’a strictement rien à voir avec des droits de l’homme qui seraient figés et défini une fois pour toutes en dehors de la volonté populaire. La question des droits de l’homme est une manière de contourner la mobilité des formes de la société. Autrement dit, c’est une manière de restreindre le choix populaire et décréter en quelque sorte la fin de l’histoire. Mais comme on le sait la démocratie véritable c’est d’abord cette possibilité de changer les lois et les règles de fonctionnement de la société. On se souvient de la sortie emblématique de Jean-Claude Juncker ancien président de la Commission européenne annonçant aux Grecs qu’il ne saurait y avoir de démocratie en dehors des traités européens, et donc que cela ne servait à rien de voter contre les décisions de la Commission européenne ! Autrement dit qu’il existe un pouvoir supérieur à la volonté populaire qui fixe les limites de la démocratie parlementaire. On sait aussi que l’Union européenne intervient directement pour menacer la Pologne ou la Hongrie périodiquement de sanctions sous prétexte qu’ils ne respecteraient pas les droits de l’homme et de la femme. Des imbéciles satisfaits comme Jacques Attali interviennent de manière récurrente pour tenter de faire évoluer le monde vers une gouvernance mondiale fondée essentiellement sur des experts, débarrassant le monde de la question politique. C’est à dessein que j’emploie le mot de gouvernance qui n’a pas beaucoup de sens en français, mais qui s’oppose clairement au gouvernement pour encadrer les choix politiques de celui-ci. Nous avons déjà parlé de ces organismes multilatéraux qui tentent de s’immiscer dans la gouvernance des nations : ces organismes sont multiformes, ils peuvent toucher au droit international, le domaine de la santé, de la guerre ou celui des normes environnementales. C’est chaque fois un contournement de la démocratie véritable.
La démocratie selon Macron
Une des manières de limiter la démocratie est d’avancer que le monde étant de plus en plus complexe, justement à cause de la mondialisation, il n’est pas possible que le simple citoyen soit capable de saisir tous les enjeux d’une situation donnée. Cette complexité nécessite l’intervention des experts. Cela pose plusieurs problèmes. Le premier est assez simple à comprendre, ces experts spécialisés, plus ou moins bien, sont non seulement incapables de saisir la globalité de la trajectoire d’une société, la seconde est qu’ils sont très facilement corruptibles, on l’a vu avec les débats sur le glyphosate ou sur les vaccins contre le COVID. La plupart des résultats qu’ils ont avancés à partir d’études lacunaires, ont été démentis par les faits. Le second point c’est que la taille d’une société qui produit son propre gouvernement dépend du système de production. Bien entendu la démocratie directe n’est pas applicable sur de vastes territoires. Mais justement c’est bien là le problème, la taille des réseaux d’échange de marchandises et de capitaux détermine la taille de la société. Or on a vu que la mondialisation des flux économiques posait des problèmes assez insurmontables. Le premier problème est celui de l’environnement, transporter des marchandises et des hommes aux quatre coins de la planète est destructeur et rend la planète invivable. Il faut être stupide comme un militant d’EELV pour penser que la défense de l’environnement passe par un renforcement des pouvoirs coercitifs de l’Union européenne. Le second est la question de la dépendance. On a vu par exemple que la guerre en Ukraine, démontrait la forte dépendance de l’industrie européenne au gaz russe. Mais les Européens qui ont un goût prononcé pour le suicide se sont coupés de ce gaz pour passer sous la tutelle du gaz de schiste américain.
Assemblée générale à la Sorbonne en Mai 68
Très souvent pour justifier les impasses de la démocratie parlementaire occidentale, on invoque la liberté d’expression, en disant qu’en Chine ou en Russie il y en aurait moins. C’est l’argument simpliste des conservateurs qui avancent que l’état des choses est le meilleur possible malgré les critiques, et qu’ailleurs c’est pire. En vérité les formes de la répression de l’expression publique sont différentes, mais de moins en moins. Prenons le cas de la France depuis l’avènement malheureux de Macron à la présidence de la République, la répression est de plus en plus féroce. Lorsque les Gilets jaunes se sont emparés de la place publique, on leur a envoyé la milice, éborgnement, arrestation, terreur, nassage. Il s’agissait de terroriser les potentiels contestataires. Les préfets, toujours constants dans leur volonté répressive depuis au moins l’Occupation, ont également pris des arrêtés afin d’interdire les manifestations. Formellement ils n’ont pas pris d’arrêtés d’interdiction, mais ils ont interdit les lieux où ces manifestations pouvaient être massives et gênantes pour le pouvoir. Les Gilets jaunes ont été renvoyés à la périphérie de la société, sortis de toute possibilité de communiquer sérieusement avec le peuple, exclus. On comprend bien que si on autorise une manifestation contre le gouvernement dans les bois ou au sommet du Mont Blanc, cela ne dérangera personne. Mais, cela est de plus en plus évident, dans les démocraties occidentales le contrôle social se réalise autrement, d’abord en produisant une information mensongère et uniforme, filtrée par les médias dominants, contrôlés soit par des milliardaires, soit directement par l’Etat. On a remarqué aussi que la Commission européenne a avancé dans une censure systématique des informations qui ne lui plaisent pas. Quelques exemples suffiront. Lorsque l’armée russe est entrée en Ukraine, l’Union européenne a interdit la diffusion des médias russes. Or la liberté d’information est censément garantie par la Charte des droits de l’homme adoptée par l’ONU, qu’elle vienne ou non de l’étranger. A l’inverse la Russie n’a pas interdit les médias occidentaux, ni leurs journalistes comme ceux de LCI ou du Monde qui passent leur temps à désinformer leurs clients en rendant compte de la guerre. Cette censure a été testée aussi à propos de la crise du COVID et de l’efficacité du vaccin. Mais la censure passe aussi par le contrôle des réseaux sociaux. « La censure est mon ennemie littéraire, la censure est mon ennemie politique. La censure est de droit improbe, malhonnête et déloyale. J’accuse la censure, disait Victor Hugo. » Or la démocratie n’est pas compatible avec la censure parce qu’elle empêche le dialogue et donc l’exercice des droits des citoyens, donc de leur liberté. Ces dernières années, la censure s’est durcie en Occident, au prétexte de lutter contre la désinformation, autrement dit de présenter une version unilatérale de la réalité sans possibilité de la critiquer. Comme on le comprend le numérique ne sert pas vraiment à accroître le dialogue entre les citoyens, mais seulement à le mieux contrôler et à censurer les voix dissidentes. C’est la rançon du progrès technique. On pourrait même aller plus loin et dire que le développement du progrès technique est contraire à la démocratie et à la liberté d’expression.
La démocratie parlementaire à l’arrogante prétention d’empêcher les conflits au cœur de la société civile en la rendant immobile dans ses buts, c’est son programme politique. Mais ça ne fonctionne pas, ou ça fonctionne de moins en moins bien. Périodiquement des crises violentes secouent la société. Pour la période récente, en France, on peut citer au moins Mai 68 et encore plus précisément le mouvement des Gilets jaunes qui posa clairement la question de la démocratie directe en opposition à cette fausse démocratie dite parlementaire. Dans les deux cas le peuple s’assemble, discute, produit des idées de réforme. Ces idées, plus ou moins valables, ne sont pas le produit d’individus séparés ou des partis et des syndicats. Ces dernières formes interviendront toujours tardivement pour tenter de récupérer le mouvement, c’est-à-dire de s’en servir pour accéder au pouvoir, créer une nouvelle oligarchie. Mais durant ce moment on a été surpris par la richesse de ce dialogue et le résultat collectif qui en a été tiré. Après la défaite de Mai 68 la classe politique s’est renouvelée largement avec le Parti socialiste, ou encore des individus louches comme Dany Cohn-Bendit. Seul le discours avait changé, mais la pratique du pouvoir très peu, seulement à la surface. Mais le divorce entre l’oligarchie et le peuple est maintenant consommé.
Madrid 2011
Il vient deux règles pour une démocratie effective ou directe. D’abord elle ne peut s’exercer que sur un territoire relativement étroit et auto-suffisant, ce qui n’exclut pas le commerce et les échanges. Elle est donc incompatible avec l’idée de division du travail et donc avec la mondialisation ou des formes institutionnelles comme l’Union européenne. Ensuite elle ne peut être mise en œuvre que par des populations non-nomades, sédentarisées, c’est évidemment la position inverse de celle des gauchistes, variante échevelée du libéralisme, qui confondent volontiers internationalisme et mondialisation, visant aussi, sans s’en donner les moyens d’ailleurs, à prendre le pouvoir à l’échelle mondiale[2]. On trouve cette idée dans le fonctionnement de la cité grecque[3]. Autrement dit ne participent à la vie de la cité ce qui en acceptent le passé et les mœurs, et non ceux qui pensent bon d’immigrer vers un lieu en important ses propres coutumes. Autrement dit la démocratie réelle est incompatible avec le communautarisme. Ce qui veut dire que les citoyens doivent s’éduquer à leur responsabilité de citoyen. Cela veut dire s’approprier une certaine tradition, l’histoire et la culture d’un territoire de façon à faire corps avec la collectivité. Il va de soi que ces conditions ne sont pas réunies aujourd’hui. Cependant il faut comprendre une chose importante c’est que la démocratie directe, par son exercice, produit une politique différente de celle qu’on pourrait attendre des individus pris isolément : le peuple dans son assemblée découvre en lui-même des trésors de sagesse. Cependant les mouvements populaires visant à instaurer un régime démocratique, se heurtent à deux difficultés, en dehors de la répression, d’abord le découragement et la peur que le mouvement n’aboutisse qu’à renforcer le pouvoir en place. Ensuite l’habitude de la passivité enfermée dans la consommation d’objets plus ou moins nécessaires. Mais à l’inverse nous voyons dans les grandes occasions un enthousiasme intact pour la chose publique revenir pour bouleverser des habitudes qu’on croyait pourtant solidement ancrées.
La 4e Assemblée des assemblée des Gilets jaunes a réuni des délégations venues de toute la France le 1er novembre 2019
[1]
Editions Gérard Lebovici, 1988.
[2]
Cette soif du pouvoir explique d’ailleurs pourquoi des partis de dits de
gouvernement ont été investis massivement après Mai 68 par des trotskistes – version Parti socialiste – ou
des maoïstes dans la version néolibérale
de la droite atlantiste, par exemple André Glucksmann et son incroyable
rejeton.
[3]
Cornelius Castoriadis, La cité et les
lois, ce qui fait la Grèce, 2, séminaire 1982-1984, Le seuil, 2008.
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