C’est le premier et le dernier livre de Poucette, Nicola Ortiz née en 1933 et décédée en 2006. Publié en 1955, l’action de ce « roman » se situe plutôt en 1952. C’est une sorte d’autofiction qui prend comme milieu Saint-Germain-des-Prés. Poucette est une jeune cannoise, dix-huit ans à l’époque de ce roman, issue d’une famille aisée – c’est sa proximité avec Guy Debord d’ailleurs qui lui aussi montera à Paris depuis Cannes. Il fallait donc que ces jeunes gens s’ennuient férocement dans cette ville touristique pour se risquer à l’aventure germanopratine. Elle va donc nous compter par le menu ses histoires de fesses, de son dépucelage jusqu’à l’élimination de son « régulier », un nommé Jacky. Elle déplore dès son arrivée que le « quartier » n’est déjà plus ce qu’il était et note qu’un certain nombre de ces figures s’en éloignent. Guy Debord déménagera avec ses amis vers la Montagne Sainte-Geneviève, mais elle retournera à Cannes pour se lancer dans une carrière de peintre, avec plus ou moins de succès. Si Poucette reprend les antiennes de l’émancipation féminine et de ses difficultés, son livre reste celui d’une déception : Paris n’est pas à la hauteur de ses aspirations. Aurait-il pu l’être ? Il semble bien que non. La trajectoire de ce livre est celui d’une forme d’amendement. Cette débauche plus ou moins assumée – tout le monde couche avec tout le monde – va être rejetée par elle après qu’elle en ait fait une expérience aussi profonde que malheureuse. Si elle dévoile les ambiguïtés de cette démarche, elle se pliera volontiers à des rôles déjà écrits ailleurs, soit comme femme émancipée, soit comme femme soumise, elle n’arrive pas, et elle le dit, à en sortir.
Il y a donc une vérité dans ce roman, celle-ci n’est pas forcément factuelle, et on doute que le Grand Charles vers qui elle se tourne finalement ait vraiment noyé le fameux Jacky dont elle n’arrive pas à se débarrasser par elle-même. C’est le portrait d’une jeune révoltée qui tente de s’émanciper de sa famille et de ses codes et qui au fond va trouver cela complètement vain et se ranger. Elle décrira d’ailleurs beaucoup de ses amis comme suivant cette voie, après avoir jeté leur gourme, ils rentrent dans le rang : Michel se marie, et le Grand Charles cesse de boire, tandis qu’elle rentre bien gentiment à Cannes. Cette parabole explique en quelque sorte pourquoi Saint-Germain-des-Prés a disparu en tant que quartier singulier. On retrouve un peu de cette ambiance de Modiano, Dans le café de la jeunesse perdue, titre emprunté à Guy Debord, sauf que Modiano lui en fait une forme de rêverie sur ce que le monde pourrait être, livré à la jeunesse et à ses troubles. En situant son histoire dans les années soixante, il l’élève au niveau du mythe. Alors que Poucette débarrasse Saint-Germain-des-Prés de sa mythologie et de ses postures pour en revenir à la banalité de la vie de Bohème. Comme Guy Debord elle vivait à l’hôtel grâce aux subsides de ses parents. Mais elle abandonnera rapidement ce combat obscur, n’ayant guère de ligne de conduite, ou peut-être moins de gout pour les alcools forts. C’est en quelque sorte le journal de la jeunesse vaincue, celle qui se range et qui veut oublier les errements de sa jeunesse pour passer à la vraie vie ordinaire, celle qui s’occupe d’avoir une place dans la société telle qu’elle est.
L’ouvrage est bien
écrit, avec à la fois de la nostalgie et suffisamment de cynisme amer pour
qu’on s’y intéresse, et il est curieux qu’elle ne s’en soit tenue qu’à
l’écriture de celui-ci. La pointe est acérée. Au passage on y croisera une
certaine Nicky qui est sans doute un portrait décalé de la fameuse Kaki qui se
défenestrera en 1953 et que Poucette décrit comme une droguée. On y reconnaitra
aussi cette façon de cette jeunesse à conspuer les flics et les curés. Poucette
ne fréquentait pas Chez Moineau, mais plutôt La Pergola chez le
fameux Gaby. À travers ce qui peut paraitre comme un simple confusionnisme, on
décèlera tout de même une revendication pour la liberté illimitée, sans qu’on
sache très bien à quoi celle-ci peut s’employer. Et évidemment le quartier
comme on disait alors, apparaissait aussi comme une sorte de laboratoire
informel d’une quête vers une vie nouvelle. En dehors de peindre, on retrouve
son nom en avril 1952 sur le tract Fini le cinéma français, un
« manifeste » pour un cinéma lettriste, au côté des noms de Guy
Debord, Isidore Isou, Dufrêne ou encore Serge Berna. Il est assez peu probable
qu’elle se soit cependant occupée de cinéma. Mais cela veut dire qu’elle
connaissait et fréquentait les lettristes, même si c’est de loin.
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