jeudi 3 décembre 2020

Ce que je sais de Valery Giscard d’Estaing

 

Evidemment la mort de VGE est une page d’histoire qui se tourne, bien que pour lui cette page ce soit tournée en 1981 quand il fut battu par François Mitterrand à l’élection présidentielle. Il encaissa très mal le coup, laissant une chaise vide, laissant entendre qu’on le regretterait. Certes il ne fut pas aussi mauvais joueur que Trump, mais il laissait entendre que l’élection de Mitterrand était tout de même un peu illégitime. Après l’élection du leader socialiste, on apprit que celui-ci était atteint d’un cancer de la prostate. Laissant entendre qu’il allait décédé sous peu, Giscard fit réimprimer dans la hâte de se représenter des affiches à sa gloire et à celle de son crâne chauve. Mais ce ne fut pas le cas. Mitterrand qui avait la peau dure fut même réélu en 1988 et termina tant mal que bien son deuxième mandat. En 1974 Giscard avait été élu de justesse face à Mitterrand, c’est ce qui le décidera à jouer le rôle d’un président réformateur en faisant voter des lois « progressistes ». C’était une sorte de Macron avant l’heure, en plus instruit et en moins borné toutefois. Il produisit donc des réformes économiques très réactionnaires, avançant vers un libéralisme très XIXème siècle, et des lois sociales plus libérales que l’évolution des mœurs lui imposait comme la loi Veil sur l’avortement ou le droit de vote pour les jeunes âgés de 18 ans à qui on accordait la majorité légale. Il en était arrivé à se faire élire président très difficilement d’ailleurs grâce à deux trahisons successives : d’abord il avait fait campagne contre De Gaulle à propos de l’absurde référendum sur la régionalisation de 1969, ensuite, après la mort de Pompidou, en « achetant », c’est le mot, Chirac, autre traitre de comédie, alors que celui-ci aurait dû s’il avait été gaulliste se rallier au candidat naturel du gaullisme, Jacques Chaban-Delmas.

  

Il se donnait lui-même la réputation d’être un « tueur ». Il avait été longtemps ministre de l’économie du général De Gaulle, introduisant ce qu’il y avait de plus mauvais dans le gaullisme pour aller vers un libéralisme plus ou moins décomplexé. C’est donc lui qui – avec il est vrai l’assentiment de Georges Pompidou, l’homme de la banque – introduit cette idée dont on paye encore les conséquences d’obliger l’Etat à financer son déficit sur les marchés financiers et non auprès de la Banque de France. C’était sensé obliger les gouvernements successifs à rester au plus près de l’équilibre budgétaire. Cette politique stupide supposait que l’économie continuerait à croître sans heurts, alors même qu’en 1974 s’annonçait une crise pétrolière de première grandeur qui allait obliger les gouvernements justement à desserrer l’étau de l’équilibre budgétaire, pour le plus grand bénéfice des banques. On parlait déjà à cette époque d’une impossibilité de poursuivre la croissance consécutivement au Rapport Meadows[1]. Le premier échec de Giscard fut donc économique, et s’il fut battu en 1981 par Mitterrand, c’est bien parce qu’il avait été incapable de mettre un frein à la montée du chômage. C’est clairement en France avec Giscard que le chômage avait explosé et il ne redescendra plus jamais par la suite. Il faut dire que Giscard, né à Coblence en Allemagne, était européiste, il nous fit stupidement adopter l’heure allemande et ce régime absurde qui consiste à changer l’heure deux fois par an, au printemps et en automne. 

 

S’il avait été élu difficilement en 1974, malgré la désunion de la gauche, cela tenait à deux raisons, la première est qu’il y avait encore des gaullistes qui le considérait comme le fossoyeur du gaullisme justement. La seconde est que nous étions encore assez près de Mai 68, et que beaucoup l’identifiaient à juste titre avec l’affairisme droitier et combinard caractéristique des européistes. Il n’est donc pas usurpé que cette canaille de Macron se réclame de lui : on fait passer des réformes économiques et sociales très rétrogrades avec des réformettes sociétales auxquelles on ne peut pas se dérober. Giscard d’Estaing était connu, du moins dans ma jeunesse, comme un avare rognant sur tout. Par exemple on disait qu’il était chasseur, ce qui veut dire qu’il se payait des safaris, mais aussi qu’il allait dans les chasses d’Etat et que le produit de ses prédations il le revendait à ses domestiques ! 

Il n’y a pas de petits profits, et sa longévité nous a coûté très cher. Il émargeait de tous les côtés, Conseil constitutionnel, retraite de députe, retraite de président, député européen puis retraité du parlement européen. Comme quoi il vaut mieux élire un président vieux et malade qu’un jeune, ça coûte moins cher. Pompidou étant mort en cours de mandat – comme il a eu raison ! – n’a pas été très onéreux pour le budget, Mitterrand qui a eu el bon goût de partir quelques mois seulement après la fin de son deuxième mandat. VGE faisait des tas de ménages pour augmenter son patrimoine. On le vit ainsi faire semblant d’être l’auteur de ce fameux TCE – Traité instituant la Communauté Européenne – alors que le texte avait été préparé par les lobbies de la finance et qu’il n’en était que le représentant. Cela n’améliora en rien le projet puisqu’en 2005 celui-ci fut complètement rejeté par la population française lors du référendum et qu’il fallut contourner celui-ci pour faire passer frauduleusement ses principales mesures très favorables à l’Allemagne. Mais malgré tout force est de reconnaître que le giscardisme, cette forme instable et déplorable de gouvernement pour les marchés et la finance, s’est imposée en France. Certes Mitterrand a tenté un moment d’y résister pendant deux ans, mais en 1983 il a reculé, et il a eu tort. Chirac qui était une sorte d’ennemi intime de Giscard, au point de faire voter en sousmain pour Mitterrand en 1981 tandis qu’il affichait son soutien, malgré ses démonstrations peu convaincantes s’est coulé dans le moule giscardien, européisme et libéralisme économique, ce qui au fond est la même chose, Sarkozy, Hollande et Macron ont totalement suivi ce chemin scabreux qui ne mène à strictement rien, seulement à la honte d’avoir bazardé la France et ses intérêts. L’héritage douloureux du giscardisme perdure malheureusement jusqu’à nous. 

Calcul du JDD en 2016

Mais si VGE, comme on le nommait, a été un président raté, incapable de relancer la croissance et l’emploi, incapable d’anticiper les crises économiques et sociale, il a raté aussi sa vie de président sur le plan des affaires étrangères. Mitterrand qui avait toujours le sens de la formule accusait son concurrent d’être « le petit télégraphiste de Varsovie », ce qui voulait dire qu’au fond il était bien trop conciliant avec les intérêts soviétiques. Mais on retient que Giscard avait soutenu bêtement Khomeiny, lâchant le Shah d’Iran qu’il disait pourtant être son ami, lors de la révolution islamiste. Il ne dira d’ailleurs rien sur ce qui concernera le malheureux sort qu’il advint aux femmes qu’on obligea à porter le voile. Ce comportement ignoble est sans doute la plus grave faute qu’il ait commise durant son septennat, car un tel crime ne se répare pas. 

 

Il se disait moderne, il avait même eu cette idée sinistre tout autant que pétainiste de ralentir La marseillaise pour lui donner un accent moins guerrier. Mais moderne il ne l’était même pas, bien qu’il retroussasse les manches de chemise pour se donner un air de Kennedy. Ce grippe-sou s’invitait chez le Français moyen ou pauvre pour y jouer de l’accordéon. Le ridicule ne tuant pas, il avait même commis un roman de gare intitulé La princesse et le président – la princesse c’était Lady Di et le président c’était lui – pour nous expliquer combien cette jeune femme le faisait bander ! Certains auraient eu honte, mais pas lui, grâce à ce pensum, il put se faire élire à l’Académie française qui en a vu d’autres ! Lors de son élection au siège de Léopold Sédar Senghor, certains ont rappelé que le Maréchal Pétain aussi avait été élu à l’Académie française, sans que pour autant cela l’améliore son bilan d’homme politique, de militaire et d’écrivain. C’était un homme très orgueilleux, arrogant même. Je passe volontiers sur ses autres turpitudes, l’histoire des diamants de Bokassa, ou encore ses escapades au volant de la Ferrari de Roger Vadim qui l’amenèrent à un accident vite étouffé par la presse de l’époque, il  n’y a avait pas les réseaux sociaux et pas la possibilité de prendre des photos avec son smartphone. 

 

Je trouve ça extrêmement drôle que l’on fasse semblant de pleurer ce grand homme, qu’on le pare de toutes les vertus. Le monde, dans son édition du 4 décembre 2020, parlait gentiment d’un réformateur incompris. Heureusement qu’il est mort parce que sinon personne ne se souviendrait plus qu’il a existé un jour ! Dernier clou sur son cercueil, rappelez-vous que si Hollande nous a légué Macron, Giscard nous avait donné Raymond Barre comme premier ministre en remplacement de Chirac démissionnaire. Raymond Barre était un affairiste. Economiste très médiocre, c’était un apparatchik de Bruxelles, on le surnommait Raymond la science, ou le gros Raymond. C’est le premier d’une longue série de premiers ministres austéritaires. Son prédécesseur, Jacques Chirac avait fait de la relance économique à contretemps, notamment en augmentant les allocations chômage, jusqu’à 140% du dernier salaire ! Mais ce qui est drôle c’est qu’on s’aperçut que Raymond Barre avait panqué plein de pognon en Suisse comme un vulgaire Cahuzac – un autre champion de la rigueur budgétaire[2] ! 


[1] Halte à la croissance ?, Fayard, 1972.

[2] https://www.liberation.fr/france/2019/07/03/meme-raymond-barre-aurait-cache-de-l-argent-en-suisse_1737803

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