Depuis quelques jours le gouvernement
met en scène l’idée d’un coup d’Etat qu’aurait tenté de mener un certain Rémy Daillet
qualifié très hâtivement de « gourou d’extrême droite ». En y
regardant de près, on s’apperçoit que ce projet est au minimum farfelu. En effet,
faire un coup d’Etat demande une solide organisation, et il n’y a que deux méthodes
pour y arriver :
– soit une prise de contrôle
des institutions par l’armée qui controlerait un certain nombre d’institutions
clés, dont l’information. Il y faut surtout des complicités à un niveau élevé
dans l’armée ;
– soit un soulèvement populaire
massif, contrôlé et orienté par un noyau d’hommes déterminés, capable d’utilisé
la colère populaire pour prendre le pouvoir.
Dans le projet fumeux de Rémy Daillet, aucune de ces deux conditions n’est réalisée ou réalisable, non seulement parce que l’armée est considérée comme très loyale, mais parce que Daillet n’a aucune relation de haut niveau dans cette institution. Je rappelle que la dernière tentative de coup d’Etat remonte à 1961 quand une coalition de généraux d’un rang très élevé avait pris le pouvoir et avait tenté d’entraîner le reste de l’armée française pour prendre le pouvoir à Paris et renverser le général de Gaulle[1]. Ces généraux expérimentés avaient rallié à eux un certains noùbre de régiments d’élite et avaient une cause à défendre : conserver l’Algérie Française. Or, malgré tout cela et un large appui de la population des Français d’Algérie, ils n’arrivèrent strictement à rien. L’affaire fut réglée en moins d’une semaine. Et finalement cela fut un accélérateur pour régler la question Algérienne dans le sens que de Gaulle avait décidé.
La France n’est pas un pays
où la tradition des coups d’Etat existe. C’est plutôt un pays de révolutions,
ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Cet épisode du putsch des généraux est
là pour rappeler qu’un coup d’Etat demande l’appui d’au moins une partie de la
population. Les généraux d’Alger avaient celui des Français d’Algérie qui ne
voulaient pas que la France les abandonne et donc qui ne voualient pas de l’indépendance.
Mais comme le reste de la population française et de l’armée était favorable à
l’indépendance, il était impossible que ces généraux puisse réussir leur coup. En
Métropole, la population – gaullistes, socialistes et communistes – semblait
même prête à descendre dans la rue pour défendre la République. A l’époque on a
moqué ces généraux pour leur impréparation, pour leur manque de réalisme dans
la conduite du putsch – c’est ainsi qu’on appelait cette tentative de coup d’Etat.
Il n’est pas dans mon idée ici de discuter des raisons bonnes ou mauvaises de
cette tentative de coup d’Etat, ni même de celles de Daillet. Nous savons que les trois quart des Français
haïssent Macron, que certains lui jettent des œufs ou d’autres lui donnent des
gifles. Et comme le disait Tapie beaucoup voudraient le tuer. Mais entre réver
de voir disparaître cet ignoble individu que beaucoup à droite considèrent
comme un usurpateur, et l’assassiner ou le renverser par un coup d’Etat, il y a
une marge énorme. Il faut ajouter que Donald Trump, avec pourtant l’appui du’ne
partie de la population a lamentablement échoué dans la prise du Capitole, faisant
ainsi la preuve non seulement de son imbécilité, mais également de la
difficulté qu’il peut y avoir, même dans une phase de décomposition de l’idée
de république et de démocratie, à fomenter un coup d’Etat.
Rémy Daillet, à la lecture de ses engagements et à travers ses actions, n’apparaît pas comme un garçon très sérieux. Le Parisien, le plus pur journal macronien, parlait d’un « inquiétant projet secret ». Ce Rémy Daillet avait donc décidé de passer à l’action, c’est un fait. Il aurait été un des « influenceurs » de l’enlèvement de la petite Mia que sa mère ne pouvait voir que dans des conditions restreintes[2]. Mais Daillet qui se trouvait en Malaisie à ce moment-là n’a pas participé à cet enlèvement. Du reste la petite fille de 8 ans a été très rapidement retrouvée saine et sauve[3]. Sans doute Daillet avait-il compris que dans la situation actuelle très décomposée, tout pouvait advenir. Il venait du parti de François Bayrou, le MODEM, et manifestement avait épousé les thèses complotistes extrêmes, avec un mix antivax, antisémite et tout ce qu’on veut. Il avait tout de l’illuminé opportuniste. Manifestant la nécessité d’agir, il est à peu près normal qu’il ait attiré vers lui des individus tout autant dégoûtés par l’évolution de la situation du pays et la corruption de la classe politique. Ayant acquis une certaine popularité, Daillet a pensé que cela lui suffirait pour lever une armée et renverser le gouvernement ! Bien entendu il a trouvé des oreilles attentives auprès de ceux, et ils sont nombreux, qui en ont marre d’un peu tout, de la politique sanitaire liberticide à la hausse du prix de l’essence, en passant par les débordements dans les quartiers perdus de la République. Mais il est très probable que tous ceux qui ont écouté Daillet n’auraient jamais été jusqu’à la suivre. Il y a forcément du déchet entre ceux qui aimeraient que ça pète et ceux qui sont prêts à s’activer pour renverser le gouvernement et prendre l’Elysée. Les détails de l’Opération Azur révélés par Le Parisien du 28 octobre 2021 ne laissent aucun doute à ce sujet, le montage de ce coup d’Etat était farfelu, et en outre il en était plus au stade du fantasme que de l’organisation proprement dite. On verra dans les mois qui viennent que la justice aura bien du mal a condamné Daillet pour des intentions plutôt que pour des actes avérés. En vérité cette affaire Daillet montre que l’extrême-droite violente est en voie d’effacement. C’est seulement un épouvantail à moineaux pour motiver les électeurs.
Bien évidemment on peut dire que les tentations terroristes de l’extrême-droite en France sont le miroir du terrorisme islamiste[4], ce n’est pas faux, mais avec des moyens beaucoup plus faibles. Il existe en France des dizaines de groupuscules d’extrême-droite qui trouvent que Marine Le Pen a été contaminée par la pensée gauchiste, et que Zemmour n’est qu’un juif infiltré et qui voudraient bien passer à l’action. Mais clairement ils n’arrivent à rien, pas même à brûler une mosquée ! A côté des terroristes islamistes, ils sont plus qu’inefficaces. Certains éditorialistes hâtifs ont voulu les voir dans les débordements causés par les Gilets jaunes en décembre 2018. Mais c’est évidemment faux, s’ils avaient cette capacité de fomenter et d’orienter les désordres, ils seraient bien plus présents. L’existence de ces groupuscules d’extrême-droite prouve au contraire la régression de cette même extrême-droite dans les représentations politiques françaises. C’est bien ce qu’avait compris Florian Philippot dans le processus de dédiabolisation du Front National. Si Zemmour se veut le représentant d’une pensée d’extrême-droite, c’est pour rigoler, il n’a pas l’intention de renverser la République. Et c’est pour cela qu’il arrive à avoir quelques succès. C’est un bateleur, sûrement pas un chef de guerre. Qui donc a intérêt à monter en épingle les aventures de ces pieds nickelés d’extrême-droite ? Il y a d’abord tous ceux qui ne supportent pas qu’on accuse l’Islam et l’islamisme de terrorisme. Et donc qui aiment à renvoyer l’idée selon laquelle chaque communauté à ses terroristes, donc qu’il y a une sorte d’équivalence entre le terrorisme islamiste et le terrorisme de type fasciste. Ceux là on les reconnaît au fait qu’ils sautent comme des cabris dès qu’ils semblent percevoir quelque acte violent de la part de l’extrême-droite, on les reconnaît aussi à la mollesse de condamner le terrorisme islamiste, ou encore dans l’équivalence stupide qu’ils peuvent faire entre un tir de pistolet contre la mosquée de Bayonne[5] et l’attentat du Bataclan qui a fait des dizaines de morts[6].
La mise en scène des pseudo-attentats fascistes en France est plutôt grossière, elle masque principalement le vide d’une classe politique en voie d’effondrement sur tous les plans. Sur le plan tactique deux groupes ont intérêt à dénoncer le terrorisme d’extrême-droite, d’abord macron et le gouvernement qui tentent de faire croire qu’ils luttent de manière efficace contre toutes le formes de terrorisme. Ensuite les « gens de gauche » qui pensent qu’un danger d’extrême-droite existe et qu’il faut s’allier avec n’importe quelle crapule pour le circonvenir, avec Estrosi, Muselier ou Macron. Evidemment plus les politiciens de gauche joueront ce jeu d’une alliance contre l’extrême-droite avec la droite affairiste et cosmopolite façon Macron, Larcher ou Bertrand, et plus ils alimenteront l’idée que le système est tellement vermoulu qu’il faut bien faire le ménagé d’une manière violente. Autrement dit, plus on fera du battage autour d’un terrorisme d’extrême-droite pour l’intant quasi-inexistant, et plus on le fera prospérer à moyen terme. Mais entre-temps on aura repousser l’examen des problèmes bien réels qui se pose dans le pays. Regardez ces deux photos accolées ensemble : en haut ce sont des supposés des fascistes revendiqués, en bas des antifascistes de profession. On dirait les mêmes, vêtus de noir, le cheveu ras, la même morosité les habite derrière leur look de hordes paramilitaires. Ces deux groupes d’idiots utiles travaillent pour le renforcement du système, se situant en dehors des mouvements de masse et donc de toute caution populaire, ils prétendent dicter leur agendas en provoquant le trouble qui conduira à l’insurrection. Daillet lui s’est cru très fort parce qu’il avait diffusé un jour une vidéo vue par plus de 300 000 personnes. Il s’est pensé chef de guerre, un chef qui commanderait de loin, de la malaisie, le combat final. Il a confondu les curieux avec des soldats capables de s’enrôler pour le combat d’une vie. Il n’a pas mesurer le dérisoire de son parcours. Cette idée selon laquelle une minorité agissante serait capable de déclencher une révolution est une aberration de l’esprit, on la trouve chez Trotski par exemple dans Terrorisme et communisme. Dans cet écrit de 1920, il justifie les provocations qui vont engendrer les massacres qui vont obliger le peuple à se révolter[7]. Les trotskistes ne sont jamais arrivé à rien sur le plan politique. La raison en est que Trotski avait confondu la cause et l’effet. Il supposait qu’un acte violent pouvait être le déclencheur d’un mouvement de masse, mais en vérité c’était l’inverse qui se passait dans un mouvement révolutionnaire que ce soit en 1789 ou 1917 : c’est le mouvement de masse qui en se heurtant aux structures du pouvoir engendrait la violence et la guerre civile. Que ce soient les black blocs ou les fachos, ils n’ont eu aucun impact sur les mouvements sociaux importants, notamment sur celui des Gilets jaunes. Et quand les trotskistes ont tenté de se réapproprier ce mouvement pour l’encadrer et le diriger, celui-ci s’est vidé de ses troupes.
Au spectacle
du fascisme répond la posture de l’antifascisme, mais c’est le même vide
Pour en revenir à cette mise
en scène de l’inculpation de Daillet, il faut partir du fait que cette
conjuration des imbéciles ressort d’abord du fantasme chez ceux qui se sont
crus intelligents parce qu’ils parlaient haut et fort, usant de la simplicité
immédiate du langage pour tenter d’entraîner derrière eux le peuple tout
entier. Le Parisien racontait que les réseaux de Daillet étaient très
larges, touchaient toutes les catégories de la population, du Nord au Midi. Mais
des followers dur les réseaux sociaux, c’est un peu comme les adhérents
fantômes de LREM. Les journalistes de ce journal macroniens se sont donnés
beaucoup de mal pour tenter d’effrayer les électeurs, mais on sent bien qu’eux-même
n’y croient pas vraiment. Le retour de la bête est un thème vendeur, quoique de
moins en moins.
[1] Maurice
Vaïsse, Le putsch d’Alger, Odile Jacob, 2021
[2] Voir cette
vidéo où Daillet justifie l’enlèvement des enfants suite à des décisions de justice.
https://www.dailymotion.com/video/x80r90n
[3] https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/enlevements/enlevement-de-mia/
[4] http://revuecivique.eu/articles-et-entretiens/lalarmante-menace-terroriste-dultra-droite-entretien-avec-j-m-decugis-co-auteur-de-la-poudriere/
[5] https://www.lefigaro.fr/flash-actu/bayonne-des-tirs-d-arme-a-feu-devant-une-mosquee-un-individu-interpelle-20191028
[6] https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/terrorisme/attaques-du-13-novembre-a-paris/
[7] 10-18,
1963. Voir aussi Jean-Pierre Le Goff, « Permanence et métamorphoses du
trotskisme », Études, vol. 400, no. 1, 2004, pp. 43-53.
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