Les Américains possèdent de nombreuses armes plus ou moins
efficaces pour faire la guerre. Incapable de gagner en Ukraine par Ukrainiens
interposés, en livrant des milliards de dollars d’armes, ils tentent une ultime
manœuvre en interdisant aux Russes de payer leur dette, environ 50 milliards de
dollars dans la monnaie américaine. Cette nouvelle fantaisie vise à provoquer
un défaut de paiement de la Russie. Ne rentrons pas dans les détails de la
légalité de cette nouvelle action. Les Américains se moquent depuis bien
longtemps de cette dimension. Il est plus intéressant de comprendre ce qu’en
seraient les conséquences. Les Russes évidemment vont contester ce nouveau viol
du droit international. On sait que les Russes ont augmenter depuis des années
leurs réserves d’or et de devises étrangères, et également qu’ils sont très peu
endettés – la dette russe est évaluée à 13% du PIB, contrairement aux
Etats-Unis dont la dette publique atteint à peu près 100% du PIB, mais cette
somme doit être multipliée par 3 si on veut y ajouter la dette des ménages et
des entreprises. La stupidité de l’impérialisme monétaire américain tente de
créer un chaos monétaire généralisé. En effet, en interdisant – sans base juridique
bien entendu – aux Russes de payer leur dette, ils visent à les exclure du
circuit monétaire international. Mais s’ils ne peuvent pas payer en dollars,
vont-ils payer en roubles ? en or ? La somme n’est pas très
importante pour la Russie, moins de 10% de leurs avoirs en or et en devises
étrangères. Mais comme les contrats sont libellés en dollars, la phase II sera
de dénoncer les Russes qui voudraient payer autrement qu’en dollars, et il s’ensuivra
probablement une volonté de confiscation des biens russes dans le monde entier.
Mais cette tactique misérable à plusieurs significations :
– d’abord elle intervient juste après que Janett Jellen, la
patronne de la FED ait avoué que la confiscation des biens des oligarques
russes était une opération tellement compliquée sur le plan juridique qu’elle n’avait
pas d’avenir, sauf pour les cabinets d’avocats spécialisés ;
– ensuite elle va faire sur le long terme nécessairement chuter le dollar, car de nombreux pays, la Chine, l’Arabie saoudite, et quelques autres ont déjà annoncé qu’ils acceptaient les roubles et d’autres monnaies internationales. Seulement 6% des avoirs monétaires russes sont bloqués dans les banques américaines.
Janett Jellen est considérée aux Etats-Unis comme une colombe
Le FMI dit qu’il n’y a pas de risque systémique en bloquant
les paiements de la Russie, ils veulent dire que le système monétaire fondé sur
le dollar s’effondre[1].
C’est certainement vrai, mais cette opération de guerre monétaire ressemble un
peu à la démarche de Macron qui abandonne Renault en Russie, livrant
gratuitement une usine clés en mains, pour « punir » Poutine ! La
partie de la dette que la Russie ne pourra pas payer en dollars est difficile à
évaluer, est-ce 10%, 20% ? Personne ne le sait et les Américains non plus.
Ce qui veut dire que certains pays qui travaillent avec les Russes préféreront
des roubles ou de l’or ou des euros plutôt que de perdre de l’argent. Il est
cependant très probable que les Américains comptent sur la Commission
européenne dirigée par l’Allemande Ursula von der Leyen pour que la BCE suive
le mouvement. Sur le plan technique, cette manœuvre va raréfier à très
court terme un peu le dollar sur le marché des changes, ce qui veut dire que
son cours va s’élever, par contre le cours du rouble qui deviendra plus
abondant sur les marchés, devrait baisser. Mais cela sera-t-il assez pour contrebalancer
la hausse du rouble depuis deux mois et relancer l’inflation en Russie ? J’ai
des doutes sérieux. Il me semble que ces fantaisies monétaires ne sont
possibles que dans un monde interdépendant, autrement dit que lorsqu’une nation
à des comptes extérieurs relativement équilibrés et qu’elle est souveraine en
ce qui concerne sa politique monétaire, elle est mieux protégée. Les Américains
prétendent au mépris des lois exclure tel ou tel pays de leur sphère d’influence,
mais c’est un combat d’arrière-garde, essentiellement parce que le reste du
monde est en train d’apprendre à se passer de l’Occident sur à peu près tous
les plans, et donc aussi sur le plan de la gestion des flux financiers. Car derrière
les sanctions monétaires que l’Empire américain teste contre la Russie, se
profile une autre guerre monétaire contre le Yuan et contre la Chine. De ce
côté-là les manœuvres ont commencé. Le journal Le monde, pointe avancée
de la propagande étatsunienne, accélère les reportages sur les répressions que
subissent les Ouïgours[2]
– ce qui est assez vrai, mais ce journal se préoccupait beaucoup moins de
la répression fascisante des Gilets jaunes et des soignants, étouffant volontairement
le scandale. Joe Biden avance que les Etats-Unis vont défendre militairement
Taïwan contre toute velléité de soumettre l’île au pouvoir pékinois[3].
Je ne vais pas défendre le pouvoir capitaliste chinois, ce n’est pas trop mon
genre, mais je m’interroge sur le fait que les Etats-Unis usent de plus en plus
pour maintenir leur emprise sur le reste du monde de menaces militaires et
monétaires. Peuvent-ils s’engager dans le monde entier, sans dommage pour eux ?
Cette logique agressive se heurte à deux obstacles :
– le premier est que le monde entier déteste les Etats-Unis,
et de plus en plus fortement, l’Amérique du Sud, la Chine, l’Inde, la Russie, l’Afrique,
le Moyen-Orient, et même une très large partie de l’opinion publique européenne ;
– le second point, ce n’est un secret pour personne, c’est que le reste du monde a appris à se passer des Etats-Unis, y compris sur le plan de la technologie. Quand on regarde l’évolution des systèmes d’enseignement dans le monde, il est clair que le monde occidental est complètement en déclin. Ce qui veut dire qu’à terme, la production des technologies modernes se fera en Asie ou en Russie.
Pour l’instant les Etats-Unis ont limité les dégâts en achetant littéralement des milliers de chercheurs et d’ingénieurs chinois ou indiens, autrement dit en pillant les systèmes d’enseignements des nations émergentes. Il semble qu’aujourd’hui se processus est proche de la fin et ne pourra pas masquer longtemps le déclin de l’empire américain. Si on remonte à la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’empire américain reposait sur trois piliers, une production industrielle importante qui représentait un peu plus de la moitié de la production industrielle mondiale, une monnaie hégémonique, et bien sûr sur une puissance militaire inégalée. Les deux premiers points ont disparu. L’industrie américaine, en dehors de l’entertainment, non seulement n’est plus indispensable dans aucun pays du monde, mais elle est devenue elle-même dépendante des industries asiatiques, dans le domaine de l’électronique par exemple. La monnaie américaine est encore dominante, mais elle doit subir la concurrence de l’euro, du yen et du yuan. Il ne lui reste plus que l’industrie de guerre pour asseoir une domination de plus en plus contestée, et son bras armé qu’est l’OTAN. Et celle-ci est entièrement financée par de la dette ! Ça peut tenir encore un moment, mais cette tendance est forcément condamnée à plus ou moins long terme. Que ce soit la guerre en Ukraine, ou la crise sanitaire liée à la pandémie covidienne, la tendance est à la démondialisation, et cette tendance est d’abord défavorable à l’hégémonie du dollar[4], et même à l’expansion de l’OTAN.
Moscou ne semble pas ébranlée par cette nouvelle provocation
américaine. La Russie remboursera sa dette en roubles, a fait savoir mercredi
le ministère des finances russe, les Etats-Unis ayant décidé de mettre fin à
partir de mercredi à une exemption permettant à Moscou de payer ses dettes en
dollars. « Etant donné que le refus de prolonger cette licence rend
impossible de continuer à honorer la dette extérieure en dollars, les remboursements
se feront en devise russe avec la possibilité de les convertir ensuite en
devise originale par l’intermédiaire du National Settlement Depository, qui
servira d’agent payeur », affirme le ministère dans un communiqué. Ajoutons
deux éléments à la réflexion, rembourser la dette russe en roubles permettra aux
créanciers de payer du gaz et du pétrole avec ses roubles, et ensuite, cela
accroitra de fait le poids du rouble dans le commerce international ! Bien
que cette nouvelle fantaisie américaine qui va semer le trouble sur les marchés
financiers vise à exclure les Russes des marchés financiers mondiaux, on se
demande quel est le véritable but. Les acteurs des marchés financiers ne semblaient
pas vraiment comprendre le sens de la manœuvre puisqu’in fine, les Russes
pouvaient toujours se dégager de leurs obligations en payant dans une autre
devise, mais ils peuvent tout aussi bien bazarder leurs dollars pour faire
chuter la devise américaine. Les Américains croient pouvoir contrôler
indirectement la totalité des flux de capitaux qui circulent sur les marchés,
mais cela pourrait aboutir au contraire à des formations monétaires régionalisées
qui priveraient le monde entier d’une partie de ses financements. Comment la Chine
va-t-elle réagir ? N’oublions pas qu’elle détient deux mille milliards de
dollars de la dette américaine. Que se passera-t-il s’il lui prend la fantaisie
de s’en débarrasser sur les marchés ?
[1] https://www.latribune.fr/economie/international/washington-interdit-a-moscou-de-payer-sa-dette-en-dollars-et-precipite-la-russie-vers-le-defaut-de-paiement-919209.html
[2] https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/24/ouigours-au-c-ur-de-la-machine-repressive-chinoise_6127417_3210.html
[3] https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/23/joe-biden-previent-que-les-etats-unis-defendront-militairement-taiwan-en-cas-d-invasion-par-la-chine_6127278_3210.html
[4] https://www.bilan.ch/story/conflit-ukrainien-vers-un-nouvel-ordre-monetaire-878195015035
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