vendredi 7 avril 2023

Eric Branca, L'ami américain, Perrin, 2017

 

C’est un livre important surtout dans les circonstances actuelles, mais comme on va le voir sa lecture pose énormément de questions. Éric Branca est un gaulliste, un vrai gaulliste, et donc il est souverainiste et anti-européen. Partant de ses convictions politiques, il va analyser les rapports que les Etats-Unis ont entretenus en France entre 1940 et 1969, date du départ du général de Gaulle du pouvoir. Si on connaît dans le détail les préférences des Américains pour Pétain, Weygand et autres louvoyants personnages qu’ils voulaient utiliser dans le cadre d’une administration directe de la France à la sortie de la guerre, on connaît bien moins les avanies que notre pays a dû subir de la part de l’ami américain sur son propre sol. Dès avant la Seconde Guerre mondiale les Américains complotaient pour la construction européenne, ils reprendront cette besogne obsédante avec leurs agents stipendiés, Jean Monnet et le pétainiste Robert Schuman. Officiellement ils affichaient la volonté de combattre le communisme. Quand on voit ce qui se passe aujourd’hui avec la Guerre en Ukraine, il semble que cet objectif n’était que de façade et que le vrai but de la création de ce qui est devenu l’Union européenne, était d’empêcher le développement de l’indépendance des pays européens dont ils voulaient freiner le développement pour en faire un marché, aussi bien pour leurs marchandises que pour leurs capitaux. Partant du cas particulier de de Gaulle, Branca montre, preuves à l’appui, que les Américains, après la Libération, et probablement avant selon les thèses d’Anne Riz-Lacroix[1], avait le projet de créer une Europe qui soit dans leur main, comme un prolongement de leur empire. L’OTAN n’étant que la face militaire de ce projet. Il semble bien que de danger communiste il n’y en ait jamais eu et que cela permettait de disposer à terme d’une organisation capable de lancer une offensive militaire contre la Russie pour s’emparer de ses ressources gazières et pétrolières. Alors même qu’aujourd’hui la Russie est devenu un État capitaliste, on tente de nous faire croire qu’après l’Ukraine, la Russie avalera la Pologne, l’Allemagne, puis éventuellement la France. Ce qui n’empêche pas les mêmes propagandistes de nous dire que l’armée russe est perdante face à l’armée ukrainienne.

Les débuts de l’OTAN 

Dans le sillage de de Gaulle on trouve de très nombreux louches personnages. Par exemple Jacques Rueff, un membre de la Société du Mont Pèlerin, un ultra libéral, complètement opposé aux réformes proposées par le CNR. Que faisait le pétainiste Antoine Pinay chez l’homme du 18 juin ? Ou encore Georges Pompidou, représentant de la banque, Rothschild en l’occurrence. Comment se fait-il que de Gaulle conserva Giscard d’Estaing dans son entourage, alors que celui-ci était clairement un agent des américains, un fils de pétainiste à la fausse particule, c’est d’ailleurs lui qui causera sa perte ? Certains diront que ces gens louches étaient là parce que de Gaulle était un homme de droite et qu’il n’avait accepté les réformes impulsées par le CNR que contraint et forcé, d’autres qu’il avait une connaissance de l’économie relativement faible pour s’opposer à ces « techniciens ». Pour moi, même si je sais bien que de Gaulle avait le profil d’un homme de droite, cela reste un vrai mystère. Il savait très bien que Giscard était un vrai serpent, mais il le gardait près de lui. Pour mieux le circonvenir ? Je n’ai pas plus de réponse que Branca. Il opposera que de Gaulle avait l’idée d’une participation, soit d’une sorte d’alliance capital-travail qui aurait apaiser les rapports sociaux, mais que ce sont les canailles Pompidou et Giscard qui travaillaient pour le grand capital, qui l’ont empêché de mettre en forme. 

Le conflit qui oppose de Gaulle aux Américains tourne autour de la dissuasion nucléaire. Les Américains veulent bien que les Français possédassent un armement atomique, mais à la condition expresse que celle-ci soit intégrée à l’OTAN, donc qu’elle serve à la politique des Etats-Unis. Ils ne veulent pas, comme aujourd’hui d’ailleurs, que les pays européens soient autonomes d’un point de vue politique. On a vu ce que l’attitude de Jacques Chirac lorsqu’il refusa de s’ajouter à la coalition partie pour faire la guerre à l’Irak, entraîna comme rétorsion et boycottage. C’est d’ailleurs la dernière fois que la France fit un peu de résistance à l’hégémon américain. Depuis c’est le calme plat, de Sarkozy « l’américain » à Macron en passant par Hollande, la ligne est celle d’un alignement empressé sur les désidératas américains. En signe de soumission absolue, Sarkozy réintégra le commandement intégré de l’OTAN.  

Les affaires algériennes ne sont pas plus claires, Branca montre de façon convaincante que les Américains sont intervenus, pour soutenir le FLN, mais aussi ensuite pour financer l’OAS. Pourquoi ? Il y a au moins deux raisons, la première est de déstabiliser de Gaulle qu’ils considèrent comme trop incontrôlable, et la seconde c’est le pétrole et le gaz. Ils seront à l’origine probable de l’assassinat de Conrad Kilian, un ingénieur géologue, qui avait le premier situé les réserves algériennes au Sahara. Comme d’habitude les Américains se planteront, les Algériens préférant pour un temps se tourner vers les soviétiques. Les Américains tout à leur projet de vassaliser l’Europe, n’apprécieront pas l’indépendance énergétique de la France et feront tout pour l’éloigner des réserves algériennes.   

Un des aspects les plus passionnants de l’ouvrage est la description du système de domination de l’impérialisme américain. Ils achètent des partis, des syndicats, arrosent de faux opposants, financent la formation d’une pseudo élite qui va devenir son serviteur. Ce sont le plus souvent des formes grossières de propagande, mais ça fonctionne parce qu’il y a de l’argent à gagner à la clé. C’était déjà vrai du temps du général de Gaulle, ça l’est encore plus aujourd’hui où il n’y a plus un seul homme politique en Europe qui ne doive son poste aux Américains. Bien entendu les Américains qui, avec leur dollar qu’ils impriment autant qu’ils le veulent, achètent tout et même les consciences. Mais la propagande passe aussi par l’unification du monde de la culture. C’est pourquoi ils tenaient tant à obtenir dans les accords Blum-Byrnes la possibilité de diffuser massivement leurs produits cinématographiques. Par ce biais ils véhiculaient l’idéologie de l’American Way of Life et aussi bien entendu un anticommunisme proche de la bestialité. Ce sont des plans à long terme. Et un œil exercé comprendra que l’inexistence du cinéma français d’aujourd’hui n’est que la suite logique du travail des officines financées par la CIA pour le détruire[2]. C’est un plan à long terme, les Américains ont même financé des groupements d’extrême gauche, trotskistes ou prochinois, du moment qu’ils étaient anti-soviétiques et anti-gaullistes cela leur convenait. 

Manifestation contre les accords Blum-Byrnes en 1946 

Prenons un exemple simple, celui de la perception des Français sur la victoire des alliés contre le nazisme. En 1945, le souvenir direct des batailles faisaient que les Français considéraient massivement que l’URSS avait joué un rôle de premier plan. On reliait alors l’effondrement de l’Allemagne nazie à la défaite de Stalingrad en 1943. Puis la déferlante de la propagande américaine à fait basculer l’opinion, au point de croire que le débarquement américain en Normandie était l’acte décisif. Plus le temps a passé, l’anticommunisme aidant, et moins on valorisait le rôle de l’Armée rouge. Des films comme The Longest Day on fait beaucoup pour entretenir cette fable. Ce film a eu un succès énorme, sorti en 1962, il succédait au film Un taxi pour Tobrouk, film français scénarisé et dialogué par l’ancien collaborateur Michel Audiard. Ce film de Denys de la Patellière, financé pour partie par la Continental, firme allemande qui avait mis un temps la main sur le cinéma français durant l’Occupation, travaillait à dénigrer le résistancialisme comme les anciens pétainistes appelaient la glorification de la Résistance. L’idée générale était que les Français et leurs résistants étaient de vrais nuls, heureux de ployer sous le joug pétainiste et nazi, sous-entendant par là qu’heureusement les Américains étaient là pour nous sauver, que sans eux, on serait resté sous le joug nazi, ou pire encore sous le joug du communisme « affreux » ! 

 

Cette mission d’asservissement des peuples européens aux intérêts de l’Empire est aujourd’hui terminée, mais en même temps c’est l’Empire lui-même qui est contesté par un extérieur qui ne cesse de se structurer et de se développer, les BRICS, la SCO, l’alliance russo-chinoise, le recul du dollar, tout cela parle de la fin d’un monde où l’Occident global dominait. La guerre en Ukraine en a démontré les fragilités.

[1] https://ingirumimusnocte2.blogspot.com/2022/05/annie-lacroix-riz-aux-origines-du.html et https://ingirumimusnocte2.blogspot.com/2022/06/annie-riz-lacroix-la-non-epuration-en.html

[2] Frédéric Charpier, La CIA en France, 60 ans d’ingérence dans les affaires françaises, Le seuil, 2008.

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