mardi 27 juin 2023

Après le coup manqué de Prigojine, la presse occidentale dans l’expectative

  

Je crois que ce qui m’intéresse le plus dans cette guerre, c’est moins son aspect militaire que ce qu’elle dit du traitement honteux de l’information en Occident. C’est à tel point qu’on se demande si on pourra encore leur faire confiance même pour la météo ! S’il est concevable que l’on développe des analyses pour soutenir l’Ukraine, il l’est moins quand il s’agit d’adapter le réel à un narratif préparé de longue main dans les sous-sols du Pentagone. Le coup d’État tenté par Prigojine avait donné de l’espoir à l’Occident global et à sa marionnette Zelensky. Les médias étaient déchainés, voyant déjà se profiler une guerre civile en Russie qui faciliterait le travail de l’Oncle Sam pour démanteler ce pas et mettre la main sur ses richesses – ce qui est un des buts de cette guerre, l’autre but étant de couper l’Europe de la Russie par tous les moyens. Mais cette tentative de coup d’État a lamentablement échoué, et il a donc fallu modifier le narratif. Que Poutine ait résolu cette crise en moins de vingt-quatre heures et sans effusion de sang, a été montré comme de la faiblesse, la preuve qu’il y avait une fissure au sommet – le mot qu’emploie le propagandiste Benoît Vitkine ! Le problème n’est pas que cette thèse ait fait surface, mais qu’elle soit la seule à être développée par les médias occidentaux. En effet on aurait pu tout aussi bien après cette tentative avortée de renverser Poutine considérer que la rébellion était vraiment minoritaire et que l’équipe autour de Poutine était soudée dans la crise, le peuple le suivant. Car justement la pantomime de Prigojine n’a pas réussi à entraîner ne serait-ce qu’une petite fraction de l’armée régulière derrière elle. Je ne suis sûr de rien bien entendu, mais il me semble que cette fantaisie est la rébellion d’un homme isolé qui se trouve dans une impasse : les décrets de Choïgou demandant que les Wagner signent des contrats avec l’armée régulière, annonçait une mise au pas de l’armée de Prigojine, et donc une perte énorme pour lui en termes de pouvoirs. Ayant voulu attirer une partie de l’armée avec lui pour remplacer le gouvernement, il n’y est pas arrivé et a dû faire marche arrière pour sauver sa peau. La maîtrise du Kremlin a été efficace puisqu’elle a évité un bain de sang, donc un début de guerre civile et que le coup d’État a fait long feu. Je peux me tromper dans ce séquençage et qu’il y ait quelqu’autre raison à cette fantaisie paramilitaire. 

 

À partir de là le narratif occidental a complètement dérapé. Ils ont tenté de dire que cette rébellion de Prigojine était la preuve du fait que la Russie n’adhère pas à la guerre et regarde passivement les choses se faire, oubliant que Prigojine n’a aucun plan militaire et qu’il serait plutôt partisan d’une guerre éclaire qui massacre l’Ukraine, plutôt que pour une guerre d’attrition qui ruine jour après jour l’armée otano-ukrainienne. Le Monde mettait en scène le fait qu’à Rostov des Russes avaient applaudi à l’arrivée des Wagner, c’est exact mais ceux qui se sont manifesté en soutien à Prigojine, n’étaient pas nombreux, et très rapidement les habitants de Rostov se sont regroupés au contraire pour manifester contre les Wagner, les insulter et leur demander de rentrer chez eux. Mais ce second volet n’est pas rapporté dans les médias occidentaux où quand on ne ment pas en inventant des faits qui n’existent pas, on ment par omission, grande spécialité du Monde. Les Français pourtant devraient se souvenir de ce qui s’est passé le 21 avril 1961 en Algérie. Une poignée de généraux ont tenté une sorte de coup d’État qui devait passer par le ralliement d’une partie de l’armée. On sait ce qu’il advint, le général de Gaulle qui avait l’opinion majoritaire avec lui a réagi fermement et en se ralliant le reste de l’armée et a dissuadé les putschistes d’Alger d’aller plus loin. Tous les journaux de la métropole à l’époque, donc Le Monde, ont souligné la grande maîtrise du général et plus encore la solidité des institutions. Mais les Occidentaux ne veulent pas entendre parler d’une cohésion des équipes au Kremlin. Ça ne peut pas exister puisque pour eux Poutine est seulement un dictateur fou, assoiffé de sang dont l’entourage guette la chute pour le remplacer. Ils ont donc repris sans précaution la thèse du Pentagone et de Zelensky selon laquelle, la Russie c’est le chaos et rien d’autre. Mais nous savons qu’en Russie Prigojine et ses Wagner ne représentent rien, comme d’une autre manière Navalny ne représente rien et, les sondages l’attestent, les Russes sont à 80% derrière Poutine. Présenter Prigojine comme la preuve de profondes divisions au sommet, est un mensonge éhonté. Le New York Post, présentait bêtement cet épisode comme une « rébellion russe ». Non, c’était juste une rébellion de Prigojine et Prigojine et ses Wagner c’est aujourd’hui entre 15 000 et 20 000 soldats, comme Navalny, en Russie il ne représente rien et il est même plutôt détesté par les Russes qui ont de la famille sur le front. Ce n’est pas une partie de la Russie qui se révolte contre Poutine et son système. Bien entendu cela aurait pu plus mal tourner si par exemple on en était venu à l’affrontement avec plusieurs centaines de morts. La presse occidentale le regrette. Les Russes sont plutôt soulagés de voir les Wagner regagner leur casernement. 

 

La presse occidentale a passé également sous silence deux réactions importantes sur le plan géopolitique, celle d’Erdogan qui est pourtant censé être un membre de l’OTAN et celle de la Chine. Les deux ont assuré Poutine de leur ferme soutien quoi qu’il arrive, Le Monde mentant effrontément en disant que le message de soutien de la Chine à Poutine était plutôt tiède. Je ne parle même pas de Kadyrov et de ses Tchétchènes qui, juste avant que Prigojine renonce, étaient tout prêts de rentrer dans Rostov pour affronter les Wagner. Si Prigojine a reculé, c’est parce qu’il a compris qu’il n’arriverait jamais à Moscou, même au prix d’un bain de sang. Il y a eu quelques combats et quelques morts du côté de Voronej où l’armée russe avait installé des barrages sur l’autoroute menant à la capitale. Les médias occidentaux n'ont pas parlé préférant élucubrer sur la décomposition du régime poutinien. Le Monde a sorti le ban et l’arrière-ban de la russophobie universitaire, Julien Vercueil par exemple[1] ou le sombre Dimitri Minic[2], ils disaient tous les deux la même chose, sans le démontrer, l’autorité de Poutine est ébranlée. Minic qui est peut-être le plus bête des deux, avançait dans L’opinion, que Prigojine avait déposé Poutine pendant une heure[3]. De même en répondant au russophobe Jean-Dominique Merchet, il soutenait la thèse que déjà avant même le coup de Prigojine l’autorité de Poutine était ébranlée, par quoi, par qui, on se le demande. L’idiotie de cette thèse, soufflée directement par leurs patrons du Pentagone, repose déjà sur une prémisse erronée, selon lequel Poutine gouvernerait seul. Justement le fait que Prigojine n’ait pas pu rallier à lui un seul régiment de l’armée, voire un seul général – tandis qu’une partie des siens se ralliait à l’armée régulière, bien qu’on ne sache pas dans quelles proportions – montre que la Russie reste rassemblée globalement derrière Poutine. On pourrait même voir cette fantaisie prigojienne comme une occasion pour Poutine de renforcer sa légitimité, comme de Gaulle est sorti renforcé de sa brève confrontation avec les généraux putschistes d’Alger. Je trouve qu’il a fallu beaucoup de talent à Poutine pour résoudre rapidement et sans trop de casse cette crise. C’est un peu ce que pensent aussi Jacques Baud et Xavier Moreau qui voient le pouvoir central russe renforcé, contrairement à ce que répète les médias main-stream[4]. Si on voulait une preuve de la reprise en main de Wagner par Poutine, il faudrait considérer plus sérieusement ce qui a été annoncé le 26 juin 2023 par le ministère de la défense russe : les armes lourdes de Wagner seront transférées directement à l’armée russe[5]. Le Monde qui rapporte cette nouvelle, reste pourtant persuadé que Poutine a perdu son pouvoir, or, il va de soi que Wagner sans les armes lourdes, ce n’est plus tout à fait Wagner, ou du moins ce n’est plus un danger militaire. On peut raconter ce qu’on veut, mais c’est bien à une liquidation de Wagner que le coup de force de Prigojine a abouti. 

La Croix, porte-parole du Vatican en France, était plus prudent que les va-t-en-guerre du Monde. Il faisait sa une avec « Le jour où Poutine a tremblé », ce qui sous-entendait que la crise de tremblement était terminée. Le Temps, journal suisse, mais pas neutre pour autant, se contentait de poser la question « Après la rébellion de Wagner, le crépuscule de Poutine ? » Cette manière rendait compte d’une incertitude, et qu’au fond toutes les spéculations de la veille étaient remises en question. Libération pour une fois ne suivait pas trop le troupeau et parlait plus justement de la trahison de Prigojine. En effet l’Occident est tout de même gêné par cette action, parce que sur le plan moral c’est bien d’une trahison dont il s’agit et que celle-ci facilité – un peu – les manœuvres de l’OTAN. D’ailleurs Le Monde ajoutait dans son fil sur la guerre en Ukraine que l’évacuation de Wagner aurait permis à l’armé ukro-atlantiste de reprendre du terrain autour d’Artëmovsk, mais seulement sur la foi d’un communiqué de Kiev dont connait le manque de fiabilité. De là à imaginer que Prigojine a été retourné par les services secrets américains, certains ne se sont pas gênés pour le dire sur les réseaux sociaux. Cela parait cependant assez improbable, non pas parce que Prigojine conserverait un sentiment patriotique, mais parce qu’il sait très bien ce que ça coûte que d’être l’obligé des Etats-Unis. Zelensky l’apprendra à ses dépens quand la guerre sera terminée. 

Le panorama de cette débauche ne serait pas complet si pour compléter cette conjuration des imbéciles on n’invoquait pas BHL. Ce triste agent des États-Unis, a prétendu sur son compte Twitter que lui savait depuis des semaines qu’un coup d’État se préparait, alors que les Etats-Unis justement disaient ne pas être au courant et ne pas l’avoir vu venir. Ce qui est intéressant avec BHL ce n’est pas tant qu’il bouffonne et se pavane devant les objectifs, mais c’est bien le contenu de ce qu’il raconte. Chaque fois qu’il dit une chose, surtout sur la guerre, vous pouvez être sûrs que c’est le contraire qui est vrai ! Donc il ne sait rien et ne savait rien. Rappelez-vous de ce qu’il disait en septembre dernier, avant le fiasco de son film Slava Ukraini, que les Russes étaient aux abois tout le long de la ligne de front et que la guerre était quasiment terminée avec une victoire du camp ukro-otanien. C’était bien entendu stupide. Pourquoi dit-il cela contre toute vraisemblance ? Depuis septembre, soit quelques dizaines de milliers de morts ukrainiens plus tard, les lignes n’ont pas vraiment bougé et le front est sur à peu près la même ligne. La première hypothèse c’est qu’en tant qu’agent des Américains, il justifie l’action de l’OTAN, pensant sans doute qu’ainsi il influencera Macron pour qu’il engage toujours plus la France dans la guerre. Ses bailleurs de fonds ne semblent pas savoir qu’il n'a aucune influence, ni en France, ni ailleurs, il s’agite seulement.

 

Il a tellement tout compris que le 24 juin, il annonçait quasiment une guerre civile en Russie, et que cela hâterait la victoire de l’Ukraine. C’est encore raté Bernard ! Ses prédictions ne valent strictement rien pour deux raisons, la première est qu’il confond la réalité du terrain avec ses souhaits, et la seconde qu’il ment ouvertement croyant qu’ainsi il influencera les puissants de ce monde. Le scandale n’est pas dans ce qu’il dit, mais dans le fait que le système médiatique lui donne du crédit en le mettant en avant à la moindre occasion, alors que depuis au moins trente années il s’est toujours trompé sur tout et sur le reste. 


[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/25/russie-cinq-lecons-des-vingt-quatre-heures-de-la-rebellion-wagner_6179159_3232.html

[2] https://www.lemonde.fr/international/article/2023/06/24/dimitri-minic-la-credibilite-du-kremlin-est-ebranlee_6179091_3210.html

[3] https://www.lopinion.fr/international/dimitri-minic-cette-tentative-de-coup-detat-est-un-tournant-majeur-pour-la-russie

[4] https://www.youtube.com/watch?v=pQvZAtw8JhY Invité par André Bercoff, au moins Sud Radio apporte une approche différente de la loghorée qui se débite au quotidien ailleurs

[5] https://www.lemonde.fr/international/live/2023/06/27/guerre-en-ukraine-en-direct-volodymyr-zelensky-salue-la-progression-de-son-armee-dans-tous-les-domaines-lundi-etait-un-jour-heureux_6179342_3210.html?#id-1011156

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